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VULTURNUS

VULTURNUS

 

 

« LA SAISON DES TEMPÊTES »

 

 

 

 

 

Maurice Jean GALDI

 

A la mémoire de Viviane. R.I.P. +

 

 

 

 

SYNOPSIS :

André Bertin, est indéniablement un jeune officier talentueux, doté d‘une intelligence hors du commun, ce qui lui vaut l’insigne honneur, de se voir admis à un poste de hautes responsabilités, dans un service de renseignements. Similairement à la majorité des êtres humains, il dédaigne, son talon d’Achille, nonobstant ce qui illustre sa personnalité. Il se précise d’une ambition démesurée, se confortant d’une immense assurance en lui, découlant sans concession possible, de son esprit ingénieux. Le sous-lieutenant Max Girard, à l’opposé, se voit considéré comme étant un progressiste un peu rêveur,  romantique aux limites du possible. Ses armes les plus redoutables sont le sarcasme, dissimulant très mal une extrême sensibilité. Ces caractéristiques, pourraient se voir estimées par ses pairs, comme étant une inclinaison à la faiblesse, s’il n’était pas animé d’une détermination à toute épreuve, renforcée d’une capacité de réflexion, l’aidant à délier les nœuds, les plus serrés. Néanmoins, ces deux amis d’enfance se complètent à merveille, bien que le plus souvent, ils se voient contraints de se rendre aux confins de leurs différences, à la recherche d’un compromis inspiré par la logique, afin de ne pas rebrousser chemin, dans l’antagonisme. Tous deux, vont se voir engagés dans un périple,  les conduisant, pour l’un de bon gré, pour l’autre au nom de la morale, à ne surtout pas sous-estimer les indices transcendants, annonçant l’imminence d’un embrasement planétaire … Nous voici revenus, aux heures sombres, de la guerre froide, prémisses aux heures odieuses, de la guerre obscure…

8 février 1972, 13 : 23.

 

« Adieu le soleil mordant d’Afrique, adieu les tâches préparatoires, bonjour le farniente », pensais-je, émettant un long soupir de lassitude. Je n’ai jamais autant fumé, qu’à bord de ce navire qui depuis vingt-six bonnes heures,  s’était enfin décidé à appareiller. Dans mon dos, alors que j’étais accoudé au bastingage bâbord avec mon mégot, me brulant presque les doigts, j’entendais les Rowling Stones interpréter à tue-tête : « Paint is Black ». Toute la bande de joyeux drilles, s’amusaient bien, dans le mess du desk A1. Mais moi, la tête pleine de pensées moroses, je n’avais pas trop le cœur à faire la bringue. Il pleuvinait, depuis des heures. C’était une sorte de nappe brumeuse, et glaciale,  me faisant penser, à un nuage ayant perdu de l’altitude que le navire, viendrait pourfendre. Je me trouvais à l’abri précaire de la casquette  d’acier, recouvrant la travée extérieure.

« Eh bien ! C’est parti. Il était temps, entre nous soit dit. Je commençais à prendre racines ».

Un coup d’œil en poupe, m’apprit que j’étais veinard. André accompagné de son adjoint, ainsi que de  trois membres de l’équipage, débâchait le Seehund, classe 127/45. Son gadget, son petit joué favoris, depuis que nous l’avions embarqué à Djibouti.

Le voyant alors transféré d’un porteur lourd, sur le pont de ce navire, fortement encadré par la police Militaire de la Marine Nationale, je faillis bien en faire une jaunisse. C’était quoi ce truc, enfermé dans une immense caisse maritime, pour le calfeutrer à la vue, du commun des mortels ? J’allais le découvrir assez tôt, pour me biler plus encore, sur mes perspectives  d’avenir. Un autre coup  d’œil en proue, me provoqua un frisson. Je ne voyais plus, la mer d’Oman. Si toutefois, nous étions encore en mer d’Oman ? Le ciel était aussi noir qu’en pleine nuit, alors qu’au cadran de ma montre, il n’était que treize heures, et vingt-six minutes. Je vis qu’André, s’empressait de vérifier les câblages qui maintenaient solidement amarré, le petit submersible, sur la rampe. En un temps de longue date révolue, elle servait à remonter à bord, les pauvres cétacés. Ils s’y voyaient immédiatement dépecés par de nombreuses mains expertes, les morceaux encore sanguinolents étant alors au plus vite, expédiés dans ces cales encore puantes à ce jour, de ce parfum écœurant, pour y être cuits, et transformés en huile riche que se disputaient âprement, de nombreuses nations. Car  ce navire était un ancien baleinier, et non un paquebot de croisière, à mon grand regret.

- Sale temps, hein Max ?

Le timbre de voix, à l’accent Catalan, me fit sursauter.

- Oh ! Pardon, s’excusa le second Commandant. Où étiez-vous ?

- Ma foi ! Un peu partout, et nulle part, à vrai dire.

Le Second fumait sa pipe, le regard rivé sur le submersible. Une lueur d’inquiétude, brillait dans ses yeux bleus. Il  lissa sa fine moustache, manifestant son état d’esprit, au travers d’un petit grognement. C’était un homme avoisinant la cinquantaine, pas très grand, rondelet, doté d’une infatigable vitalité. Ce qui nécessitait qu’il soit, en mouvement constant. Un vrai Stromboli ! Quand il vous adressait la parole, vous pouviez être certain qu’au terme de la conversation, vous aurez à souffrir d’un torticolis, s’accompagnant de vertiges, car pour le suivre, la tête aurait dû être prévue pour pivoter  sur son axe, à 360°.

- Le vent tourne, n’est-ce pas, Second ? J’ai un bien étrange, pressentiment. Et, je n’aime pas du tout ça.  

- Vous aurez vos ordres,  Max ! Ne vous impatientez pas ! répondit-il, marchant de long en large, alors que perplexe, je me résignais à la persévérance. Que pouvais-je faire d’autre que d’hausser les épaules, et de regarder passivement, l’équipage de pont se démener ?  

- Pour sûr, répondis-je, sortant de ma léthargie passagère ! Si je comprends bien, nous allons droit vers une tempête ? Tout ce remue-ménage à bord, l’indique clairement.

- Bille en tête mon cher Max, bille en tête. Et ici, sur l’océan indien, une tempête peut très vite dégénérer en ouragan, en cette période de la mousson. Nous allons devoir croiser, au large de Ceylan.

- Pour quelle destination ?

- Vous êtes empressé, Max. Un briefing est prévu. Pourquoi vous biler avant l’heure ?

Je me demandais :

« De dieu ! Pourquoi tous ces secretsA quoi jouent-ils là-haut » ?

Il observa un temps de silence, en se penchant par-dessus le bastingage, crachant dans la mer verdâtre.  

- Bof ! Ce  silence radio  est idiot, reprit-il. Dès que nous avons quittés Djibouti, le téléphone Arabe aura fonctionné à merveille. Nous traçons en direction du détroit de la Sonde. Après ? Bien malin qui pourrait prédire.

Il médita un instant.

-Les Américains, imposent que rien ne filtre, ajoutât-il, ses petites lèvres, m’offrant une moue de désapprobation que je partageais, en tous points. Mais, j’éludais cette bonne excuse, d’un revers de main, disant :

- Il me semble que les dés sont jetés, non ?

Il me répondit par un ricanement, venant confirmer cette remarque très appropriée.

- Oui, bien malin, me fis-je l’écho de ses derniers mots. C’est rassurant ! C’est quoi, le détroit de la Sonde ?

- Une large passe, séparant l’île de Java, de Sumatra, m’informât-il. Un autre nid de pirates, si vous voulez tout savoir. Nous venons de laisser derrière nous, la corne de l’Afrique, sans ne rencontrer aucun désagrément. C’est bizarre, non ?

- Je ne sais pas, Capitaine ! Si vous le dites ?

- Pour sûr ! Vous ne connaissez pas, cette région du monde. Bah ! Retournez donc à vos rêves, Max. Vous en saurez plus, demain au plus tard, au cours du briefing programmé par le Commandant. Si toutefois, cette tempête, ne nous secoue pas trop. Cette coquille de noix en vit d’autres, n’ayez aucune crainte. Vous n’avez pas le mal de mer, c’est déjà bien.

Oui ! Retournez à vos rêves, venait-il de me conseiller, avant de disparaître dans la coursive qui traversait le château central, de bâbord vers tribord. C’était bien, ce que je redoutais le plus. Le Commandant Pierre LANGE, nous avait convaincu qu’il connaissait bien son affaire. Quant aux trois Américains à bord, ils ne me disaient rien qui vaille. Depuis la veille de l’appareillage, les voyant monter à bord, ils s’enfermaient dans leur poste, situé sur le pont où émergeait l’unique cheminée du navire, ce qui leur permettait d’accéder directement sur la passerelle de commandement. Ils  se faisaient livrer leurs repas, évitant ainsi tout contact, avec l’équipage.

« Ah ! Ces Américains ! Je crois que nous n’allons pas nous ennuyer, avec ces cow-boys. J’ai en sainte horreur, le mépris qu’ils nous affichent, depuis les célèbres accords de Yalta. Pauvre Churchill ! Dans l’affaire, il n’est pas plus sorti vainqueur que De Gaulle ».  

Bah, la politique ! Ce n’était pas ma tasse de thé. J’allumais une autre cigarette, lorsque la pluie se mit à crépiter sur l’acier, avec une violence, et une soudaineté surprenante. Mon ami d’enfance, et ses hommes, coururent à l’abri. André m’adressa un geste de dépit de la main, signifiant toute son impuissance. De la main également, je lui répondis par un signe, disant : « Allons boire un coup ». Debout sous la pluie il se mit à rire, écartant les bras, l’air de dire : « Il n’y a que ça à faire ».

De nouveau seul ! Enfin ! Si l’on peut le dire ainsi, car les autres fous, continuaient leur petite fête dans le réfectoire de l’équipage, comme si de rien n’était.

« C’est beau l’insouciance. Ils fêtent quoi au juste » ?

 L’un des hommes d’équipage, frappa sur la vitre épaisse du poste, me faisant signe de venir les rejoindre. Avec un sourire navré, s’accompagnant d’un hochement négatif de la tête, je déclinais son offre. Il leva les bras au ciel, m’adressant un sourire pincé, signifiant : « Dommage » ! Je replongeais alors, dans mes sombres pensées. J’en oubliais, André. C’est inimaginable la vitesse avec laquelle, fuse la mémoire. La recherche devrait essayer de découvrir, si elle ne surpasse pas, celle de la lumière. Je triturais ma casquette d’officier de Marine entre mes doigts nerveux, et je me mis alors hors de l’espace, et du temps, à voyager dans un passé récent.

 

11 décembre 1970.

 

Un autre lieu, un tout autre monde ! La neige tombait à profusion sur Nîmes, depuis le début de la matinée. Oui ! Il faisait vraiment froid, en cette ville trépidante du Gard. La brasserie de l’Arène était bondée de cette jeunesse qui expressive, ne l’était pas moins.  Je n’avais trouvé place qu’au comptoir, occupant un tabouret haut, sur lequel j’étais très mal assis. Mais depuis juillet 69, je fêtais mes vingt ans, encore persuadé qu’ils dureraient éternellement. Bringue, tous les soirs ! J’étais infatigable, et insatiables. Un coup d’œil circulaire dans la première salle, m’apprit que celle que je cherchais du regard, était fidèle à ce lieu. Je me mordis la lèvre inférieure, l’observant de loin, fronçant les sourcils, car visiblement, cette jeune femme avait d’excellentes raisons, de fulminer. Deux énergumènes, en capotes militaires de l’Armée de l’air, l’avaient visiblement volontairement encadrés, sur la banquette de couleur pourpre, alors que miracle, une chaise vide, draguait vainement toutes les paires de fesses du bar, ces ingrates, horreur pour l’esseulée, l’ignorant royalement. La pauvrette était positionnée face à la jeune femme, se débattant énergiquement pour éviter que le comique à sa gauche, ne parvienne pas à poser sa tête, sur son épaule. Je vis qu’il s’adressait à la rébarbative qui en retour l’invectiva, avant de le repousser sans violence, contre le dossier de la banquette. J’imaginais qu’elle  lui demanda de la laisser tranquille, ce qui eut pour résultat, d’énerver plus encore, le soldat passablement ivre. Son copain quant à lui, semblait ailleurs. Mais, il n’était visiblement pas moins saoul. La jeune femme avec dépit, détourna son visage en faisant s’ébrouer sa longue chevelure brune ondulante, dont les pointes tombaient sur son corsage. Ses yeux coralliens rencontrèrent les miens, alors que je glissais lentement du tabouret haut, avec la ferme intention, d’aller occuper cette chaise orpheline. Un imperceptible sourire de ma part, et ses lèvres dessinées vraisemblablement par un artiste peintre, parvenu à reproduire la perfection sur terre, m’offrirent une moue agacée. Nul doute que c’était là, un appel au secours silencieux, mais vibrant. Ses yeux, le dirent ! Lentement mais surement, ma chope de bière dans la main droite, je me dirigeais vers la petite table, aux pieds de fers forgés de couleur verte, sur lesquels reposait une plaque de marbre. J’y fis claquer le cul de ma chope, avant de tirer la pauvre chaise, et d’y poser mon fessier. Elle trépida, de bonheur. Heu ! La chaise, suivez bien !

- Enfin ! Avec tout ce monde, j’ai bien faillis ne pas vous voir, ma chère Nelly, lançais-je à la cantonade, non sans préméditation, lui offrant un sourire soulagé. Heureusement que je suis pugnace, persistais-je, posant un regard noir, sur les deux personnages. Elle me regarda intensément, dans les yeux. Je lus dans les siens, une immense stupeur. Puis, ils devinrent plus tendres, sans toutefois se dérober des miens.

- Je… je ne vous avais pas vue non plus, balbutiât-elle, alors que sourcils froncés, un imperceptible mouvement de tête, m’affranchit qu’elle abominait le mensonge.

- Navré de m’être fait attendre, persistais-je à bluffer, j’ai eu un travail imprévu qui m’est tombé sur le dos, juste avant de partir.

- J’te connais te ? s’interposa le soldat assis à gauche de la jeune femme, avec un fort accent ch’timi, avançant le torse par-dessus le plateau de la table, pour mieux m’examiner. T’es une ruine1 de la base aérienne, non ? Je jetais un regard furtif sur son collègue qui ne réagissait toujours pas.

- Voyons mon gars ? Tu ne viens pas de me traiter de ruine, j’espère ? J’ai dû, très certainement mal entendre ! Rassure-moi, veux-tu ?

J’avais posé mon coude droit sur la table de marbre, et de l’index, je me frottais distraitement le menton, en le regardant droit dans les yeux.

 

2-  Ruines : Appellation peu élogieuse, désignant les engagés volontaires, par les soldats du contingent.

 

- Pour sûr que je viens de te traiter de ruine, l’engagé ! Et si t’es pas content, tu sors avec moi ! Je vais te faire bouffer, le bonhomme de neige qui se les pèles de froid, sur la Grand-Place.

- Ferme ton clapet à merde Dures, intervint enfin son copain. Tu vas nous attirer de graves ennuis, car tu causes à un officier du bataillon « B », compagnie II. C’est bien ça, mon Lieutenant ?

- Tu viens, de te démontrer prudent mon gars. En effet, c’est bien ça !

- Bon ! Tu lèves tes steaks flasques de cette banquette, et on fait comme l’artilleur, on se tire ailleurs, décréta fermement, celui qui dormait jusque-là. Je ne suis qu’à quinze jours de la quille ! Je ne tiens pas à faire du rab, pour tes conneries, Dures. Alors, remues-toi !

- Houai ! maugréa l’autre qui manifestement, avait très envie d’en découdre. T’as de la chance, Lieutenant ! me lançât-il rageusement, se penchant sur mon oreille.

- C’est possible, soldat ! murmurais-je à la sienne. Ainsi, je n’aurai pas le regret,  de devoir t’expédier au service des urgences, du pavillon militaire de l’hôpital de Nîmes. Mais demain matin, je te rendrais une petite visite de courtoisie, au garage où tu bosses, hein ? Nous aurons le temps de reparler de tout ça, lorsque tu auras bien dégrisé. Car moi aussi, j’te connais te…  

Son copain le saisit par le bras, l’entraînant vers le comptoir où, ils réglèrent directement leurs consommations. Le ch’timi, me lança un dernier regard méchant, mais se laissa conduire hors de l’établissement par son compagnon qui l’invectiva assez rudement, devant la porte. Je crus qu’ils allaient se frictionner. Nelly, détourna l’attention que je portais, à ces deux guignols.

- Je me dois de vous remercier, Lieutenant.

- Un plaisantin, m’a attribué le sobriquet, Max, répondis-je spontanément, ignorant si la jeune femme avait déjà connaissance, de cette infime partie des particularités de ma personnalité. Euh ! Quelque chose, me disait que oui. Peut-être, à cause de son sourire énigmatique ?  

- Soumaya… est une amie que nous avons en commun, n’est-ce pas ? me convainquit-elle, sur le sujet pour lequel, je m’interrogeais. Je sais à  présent, à qui je dois que vous connaissiez mon prénom, euh ? Max, c’est bien ça ?

Elle jouait bien, le jeu de l’ignorance.  

- En effet ! approuvais-je. C’est Soumaya la coupable. Ou devrais-je dire, l’entremetteuse ?  N’allez surtout pas jurer sur vos grands Dieux que mon prénom, vous était inconnu.

- Intermédiaire, pour ce qui est de Soumaya, serait le mot plus approprié, non ? dit-elle en riant. Ainsi, vous-vous intéressez à ma frêle personne ? J’en suis… vraiment ravie, ce soir.  

J’attendis en vain sa réponse quant à la question, formulée.

- Hum ! Voulez-vous une cigarette ? proposais-je, lui tendant une Marlboro. Reprendrez-vous, une bière ?

- Très élégante façon, de vous dérober. Oui, pourquoi pas ? Cela me changera des Chesterfield. Je ne fume que très rarement, s’excusât-elle, l’allumant à l’aide de mon briquet. Effectivement, je me rendis très vite à l’évidence, que Nelly, n’était pas une adepte forcenée du tabac. Elle tenait cette dernière, du bout de l’index et du pouce, tirant de toutes petites goulées qu’elle rejetait immédiatement, émettant un petit pff, du bout des lèvres.

- Pour la bière, je vous remercie, mais non ! Qu’avez-vous à sourire ainsi ? dit-elle, en me regardant sans façon dans les yeux. Son visage était grave, mais il reflétait une beauté naturelle. J’avais remarqué qu’elle ne se maquillait jamais outrageusement, pareillement à ces filles nouvellement émancipées, par la révolution soixante-huitarde. Révolution ? Bof ! Il y aurait des quantités de pages à écrire, sur le sujet. Je n’ai jamais autant vu de gens cavaler, les uns, derrière les autres que durant cette période, dite mémorable pour la France. Qu’ils soient vêtus en civil ou en uniformes, il s’impose de bien le spécifier !  Dommage que nous venions juste de sortir des jeux olympiques d’hiver, car ces guignols-là, auraient très bien pu remporter un grand nombre de médailles athlétiques pour la gloire de la France, et surtout, dans les disciplines de la course à pieds, si nous avions reçus les jeux Olympiques d’été. Mais toutefois, nous n’avons rien perdu ! Je dirais même, que nous avons gagné, la jupe Japonaise ! Quoi ? Elle a un nom Japonais non ? « ARASDUCULYAQUATATER » ! Ce n’est pas du Japonais ça ?

Elle était vêtue, d’une robe noire à jabot en dentelle, sans décolleté. Etait-elle en deuil ? En fait, je ne savais pas grand-chose, de cette splendide jeune femme.

« Sacrée Soumaya. Ou bien elle en dit trop, ou bien, pas assez »…

- Vous n’avez pas répondu, Max.

- Ah oui ! C’est vrai ! Pourquoi est-ce que je souris, en vous regardant ? Parce que, je suis… heureux de vous voir là, ce soir. En fait, je suis venu seul, avec le vif espoir que vous soyez là.

- Au risque de me répéter, cela fut aubaine pour moi, répondit-elle, tout en faisant tomber la cendre de sa cigarette dans le cendrier, le regard rivé sur ce dernier. Je la vis rougir. Je sais me défendre, toutefois, ajoutât-elle  précipitamment, levant les yeux vers moi. Ses lèvres tremblotaient, néanmoins. Bon Dieu qu’elle était émouvante.

- Passons sur cet épisode, voulez-vous ? Ces jeunes gens…

- Ces jeunes gens ? m’interrompit-elle, avec un sourire perplexe, et amusé. Vous donnez le sentiment, de vous sentir plus vieux qu’eux. C’est le poids, des responsabilités qui pèsent sur vos épaulettes qui vous vieillissent, à ce point ?

- Je… Je n’avais pas songé à cela, voyez-vous ?  Peut-être en effet, répondis-je songeur. Soumaya, m’a dit…

- Soumaya, m’a dit aussi. Et si, nous-nous disions, ce que nous avons à nous dire, sans… intermédiaire ?

- Bien ! Vous ouvrez le bal ? Je danse avec vous, Nelly. Classiquement, et presque maladroitement, car ce serait maladroit, je pourrais laisser entendre que vous me plaisez beaucoup.

- Mais voyons ? N’est-ce, précisément pas, ce que vous venez de dire ?

- Je viens de le laisser entendre ? Alors, je suis bien plus adroit que je n’osais le penser.

- Je ne vous voyais, tout de même pas ainsi. Seriez-vous timide, Max ?

 «  Ah ! Tu as à l’idée que je cherche à me défiler ? Jouons cartes sur table » ! 

- Moi timide ? Ma foi ! Je crois… Non ! Je suis persuadé  que vous m’intimidez, oui ! Je ne suis pas, des plus entreprenants peut-être ? Selon moi, il ne sert à rien de brusquer les êtres, ni les évènements. Nous ne faisons alors que chambouler, la nature des choses. Et souvent, à ce jeu, nous récoltons l’antinomique, à nos espérances.

- J’ai entendue dire ça ! répliquât-elle évasivement. Une jeune assistante anesthésiste, vous fait les yeux doux, depuis un bon mois. Elle est en pamoison, devant vos yeux. Vous ne la regardez même pas, dit-elle. Et pourtant, elle est bien plus agréable à regarder que nous le sommes, Soumaya, et moi.

_ Croyez-vous ? C’est son parfum capiteux qui est répulsif. J’ai en horreur, ces pouponnettes se la jouant Marylin Monroe pour s’attirer exclusivement, le regard des mâles. C’est sans nul doute, très attrayant pour une quantité d’hommes, en grand manque d’affection éphémère, mais ce ne l’est aucunement pour moi. J’aime, la simplicité.

_ C’est l’impression que je vous fais ? Suis-je une femme simple ?

_ Dans le mot simplicité, il faut entendre deux grands principes. Du moins, je le vois ainsi ! Consonance, et mutualisme. Pour que ce soit complet, il s’impose alors d’associer ces grands principes, avec ce qui engendre l’ensemble des êtres, et toutes choses, peuplant cette planète.

- Eclairez-moi, de votre immense savoir, Max. Quel est cet élément procréateur ? Serait-ce … Dieu ?

Pas le moins du monde ! La nature, Nelly ! C’est de mère nature, dont je fais état. A quoi bon en faire trop, lorsque la beauté, est éblouissante ? A bien vous regarder ? Oui ! C’est sans détour ni exagération, l’impression que vous me faites.   

Nous avons ris, avant qu’un silence de cathédrale s’impose. Ses yeux coralliens vinrent épouser les miens, avec une intensité qui faillit me faire perdre, ma proverbiale contenance. Je ne savais plus que faire de mes mains, devenues subitement moites. Il fallait que je réagisse.

- Je vous disais que j’espérais vous voir là, car effectivement, nous jouons le jeu du chat, et de la souris, depuis… ces deux dernières semaines. C’est long, deux semaines. L’autre jour, Soumaya vous a invitée à rejoindre notre table. Vous lui avez opposé un refus courtois, mais sans appel ! Pourquoi ? 

- Certains de vos collègues, me mettent très mal à l’aise. J’en connais quelques-uns qui rôdent autour de l’hôpital, en quête de… De proies faciles, pour rester correcte. Les infirmières, ont mauvaise réputation.  

Je répondis préalablement, par un petit rire discret. Puis, j’enfonçais le clou !

- Faut bien que jeunesse se fasse, non ?

- Vous approuvez, Max ?

- Je comprends, les choses de la vie. Bien que je doive  reconnaître… Ce que je vais dire,  vas à l’encontre de l’orgueil typiquement masculin, dont très logiquement, je devrais user, voire abuser, en une telle circonstance. Les hommes, sont souvent… de gros lourdauds !

- C’est la raison pour laquelle, vous avez attiré mon attention, dit-elle rosissant. Vous savez, vous armer de patience ! Et puis… Voyons ? Vous parlez tellement bien avec vos yeux.

- Ah ! Encore quelque chose d’étrange, car j’ai pensé de même, vous concernant. Je m’interroge…

- J’écoute ?

- Pour quelle raison une fille aussi… Aussi jolie, repousse gentiment, mais fermement, les hommes qui l’abordent ?

- Question indiscrète ! Soumaya est une femme très… volubile. Il n’est pas utile, de lui extraire les mots de la bouche. Elle ne s’est pas laissée aller, à vous conter les péripéties, de mon si court parcours de vie ?

- Soumaya sait se démontrer récréative, désignons-là ainsi, lorsqu’elle poursuit un but. Elle est, orientale ! Elle sait ce qu’elle fait, et pourquoi elle le fait. Mais certainement pas au point, de trahir la confiance d’une amie, en abordant des sujets…, personnels.

- Je sais ! Jamais, je n’aie doutée de sa fidélité, en amitié.

- Je partage votre opinion. Vous ne répondrez pas, à la question ?

- Peut-être ? répliqua énigmatiquement la jeune femme, m’offrant un sourire, n’étant pas dépourvu de mystères.

« Tu ne me leurres pas. Ta respiration, vient de s’accentuer, et ce petit sourire en coin, cache mal le tremblotement de tes jolies lèvres, peintes au naturel. Patience ! Patience » !

Je me répétais ce conseil, débordant de sagesse.

- Alors ? me sortit-elle de cette contemplation, accompagnant cette question, d’un hochement du menton. Et, quel menton ! Il venait parfaire un visage ovale, au teint agréablement hâlé. Un petit nez légèrement retroussé, lui conférait un aspect un peu hautain. Mais je savais maintenant que cette fille, était tout, sauf pétrie d’orgueil. Pour compléter l’ensemble, j’ai déjà dépeint ses yeux, et ses lèvres. Mais, je ne vous ai pas encore parlé de ses pommettes hautes, et rosies par le froid. Le patron de cette brasserie était radin, et le chauffage central, devait être entartré. Alors, nous pelions ! D’ailleurs, Nelly, s’empressa de revêtir son long manteau… noir.

- Vous attendez la suite Nelly ? Voyons ! Vous auriez soumis une appréciation, très personnelle, à mon amie. A ce qu’il parait, je serais assez froid d’aspect ?

- Non ! J’ai dit… distant. Ce n’est pas pareil. C’est Soumaya qui met en avant,  l’hypothèse que vous soyez quelqu’un,  de plutôt froid. Pas avec elle, s’est-elle empressée de souligner. Mais en forme générale, ce serait vôtre tempérament. Je ne crois pas, moi, voyez-vous ? Je crois…

Elle se confina, dans un bref instant dans le silence. Son expression m’indiqua qu’elle réfléchissait, à ce qu’elle allait dire.

- Je suis bien plus convaincue qu’au  fond de votre cœur, vous enfermez un lourd secret. Souvent, des images passent furtivement devant vos yeux, et absorbent vos pensées. A ce moment-là, vous-vous écartez du reste du monde. J’ai… J’ai lue ça, dans vos yeux, Max.

- Avez-vous eue peur ?

- Peur ? Mon Dieu, pourquoi ? Non ! J’étais… bouleversée. Je comprends ces choses-là, voyez-vous ?

- Il me semble que je commence également à interpréter, la raison qui vous fait voir, ces… choses-là. Disons que je la ressente très fort, sans avoir entièrement connaissance, de ce qui vous chagrine. Ce n’est guère étonnant que nous ressentions, comment dire ? Des affinités ? Je me devais, de faire le premier pas ce soir, ajoutais-je précipitamment, espérant presque qu’elle n’entende pas. Cet espoir, fut vain.

- Vous ne l’auriez pas fait, c’est moi qui me serais décidée à le faire. J’ai souvent parlée avec votre amie, savez-vous ? Mais… Elle ne s’est bornée qu’à révéler, l’essentiel. Les journées, sont épuisantes à l’hôpital. Mais nous avons la possibilité, de partager quelques brefs instants de pause, durant lesquels, nous cherchons à nous évader de ce contexte de souffrances. Soumaya est une femme exceptionnelle, sachant nous faire rire avec sa bonne humeur, et ses mots, issus de sa culture orientale qu’elle emploie, en exagérant à dessin, pour nous dérider. C’est une boute en train. Heureusement que nous l’avons, dans le service. Et puis, c’est aussi une infirmière talentueuse, patiente, passionnée. Les malades, ne veulent qu’elle. Cela en crée, des jalousies !

- Belle revanche sur l’existence, pour cette fille. Elle a donnée, une bonne leçon aux cons.

- Oui ! Nous ne lui arrivons pas, à la cheville. Quand j’entends de sombres imbéciles dire, « l’Arabe », parlant d’elle, j’ai envie de cogner.

- Drôle d’époque, n’est-ce pas, Nelly ? J’éprouve parfois l’impression que nous-nous nourrissons, de quantités d’ambiguïtés. Elles s’imprègnent dans les cellules de notre sang, et infectent notre cerveau. C’est loin, d’être seulement que de l’ambiguïté. Nous réagissons, à l’écoute des informations que véhiculent les ondes. Tenez ! Pour exemple ! Pour moi, tout a débuté avec Gutenberg, lorsqu’il eut la foutue idée, d’inventer le caractère d’imprimerie.

- Euh ! Pourquoi pas, les frères Edison ?

Je vois que vous suivez bien, ma pensée. Non ! Gutenberg, est le coupable. Pourquoi ? En cette époque-là, rare étaient ceux qui avaient la chance, de savoir lire. Ceux qui maitrisaient l’art des lettres, avaient la part belle. Pour régner, ils savaient déjà diviser, et cela depuis fort longtemps. Alors, ils faisaient circuler des… rumeurs ! Or une rumeur, peut conduire à la sédition, à la révolte. Mais aussi par exemple, à la dévotion ! Prenons un exemple frappant ! Celui, des apparitions de la Vierge Marie, à Lourdes ! Depuis 1858, une jeune femme prénommée Bernadette, réussit l’exploit de faire se déplacer, des millions d’individus. Et… Ça continue ! Qu’elle est la différence, de nos jours ?

- Le mode de communication, a prodigieusement évolué ?

- Bravo, Nelly ! C’est exactement ça ! La différence provient du fait que de nos jours, des illuminés voient certes, des soucoupes volantes. Mais cela, ne fait pas se déplacer foules. Il y a pire ! Si Jésus, revenait sur terre ? Il aurait droit à une interview, dite exclusive, de l’ensemble des médias. Il serait donc inutile, d’aller le voir en chair et en os, se produire, pour la pub des lames gilettes. Il serait suffisant, de bien se caler devant un poste de télé, avec son petit plateau de sandwichs sur les genoux, et le tour serait joué ! Tenez ! A l’émission, les dossiers de l’écran ! Je vois d’ici le titre. « Enfer, et paradis où est la supercherie » ? Même sa prochaine crucifixion,  nous serait présentée en direct, avec pour commentateur vedette, ce cher Léon Zitrone. Car il est bien plus que seulement probable qu’il serait de nouveau sacrifié, sur l’autel, de la polémique journalistique, et par essence, typiquement française.

- Où désirez-vous en venir, Max ? La jeune femme, était pliée en deux, de rire. J’avais réussi à la sortir de sa  morosité.

- Eh bien, je suis persuadé que toutes nos ambiguïtés, nous proviennent en droite ligne de ces rumeurs, diffusées par ondes hertziennes. Et lorsqu’elles se voient écrites, de la main d’un pseudo intellectuel, en costard cravate, ou en jeans délavé, c’est pire ! Car nul esprit, ne peut plus lutter contre l’influence, de ce virus de la communication moderne. Entendre parler de Soumaya, disant d’elle, « l’Arabe » ? C’est devenu tellement banal ! Plus personne, ne s’en indigne ! Mis à part, une infime proportion de cœurs purs.

- Pourquoi, avez-vous choisi l’armée, Max ? cédât-elle à la curiosité.

- Ah ! La question que je n’ai même pas eu le temps, de me poser. Voyons ? Je viens de vous dire que nous vivions, une bien étrange époque. Je suis le fruit, d’une famille de résistants. L’oncle de ma mère, côté maternel, a été fusillé à Compiègne Royalieu, au cours d’une tentative collective d’évasion. Mon grand-père, est compagnon de la libération. Il tutoie, le Ministre de la guerre. Vous voyez le topo ? En plus, il est le patron du S.A.C, pour les Bouches du Rhône. Un ex officier de la Marine Marchande, passé en Angleterre, parmi les premiers. C’est vous dire, la place que prend la volonté de défendre la Nation, au sein de ma famille. Ma mère âgée de seize ans, faisait partie du maquis du Plan D’Aups. J’ai vécu toute mon enfance, dans ce creusé patriotique. Gaullistes, Catholiques inconditionnels, et  irréfléchis. Après le B.A.C, André et moi, nous-nous sommes dits, non sans déroger à la règle, consistant à toujours s’informer : « La troisième guerre mondiale, est conditionnée, par un tout petit pas de plus, des troupes du pacte de Varsovie, en direction de l’Ouest. Un insignifiant petit pas de trop, et… ce monde s’enflammera »… Résultat ? Nous portons un uniforme,  sur le dos!

- Vous… Vous rêvez d’en être ?

- Oh mon Dieu, non ! Mais en être, pour en être, autant anticiper sur les évènements. Je me suis engagé, pour devenir officier, en priant tous les jours qu’une telle horreur, ne se produise jamais. Mais si la guerre éclate, je suis préparé intellectuellement, et physiquement, à accomplir mon devoir.

- Quel est le devoir d’un officier, Max ? Pouvez-vous le définir ?

- Bah ! En dehors des grandes lignes de l’école de guerre qui définissent comme priorité absolue, l’application stricte des stratégies élaborées par des cerveaux, conçus pour la destruction massive de l’homme par l’homme ? Je pense que mon devoir, serait de ne surtout pas m’habituer, à perdre mes hommes. Surtout pas, Nelly ! Je crois que c’est la pire des choses qui puisse arriver, à un officier. Se blaser, de la mort.

- Vous le savez pertinemment. C’est impossible, Max. En temps de guerre, la mort ne choisit pas. Elle cueille les âmes, se servant d’une multitude d’auxiliaires, les fauchant au hasard. La destinée elle-même, n’a plus le sens que nous lui attribuons volontiers. La mitraille, ne lui accorde pas la liberté, d’accomplir son œuvre. Il est insensé de  s’élancer en avant, avec la ferme résolution de slalomer au travers des gouttes de pluie, en souhaitant qu’à l’arrivée, on sera entièrement sec.

- C’est bien imagé ! Mais toutefois, je dois me tenir à cette illusion. Le cas échéant, je m’y accrocherai avec la conviction du désespoir.

- Alors, j’aurai peur pour vous, Max.

- En sommes-nous là ?

- Non ! Nous venons de nous égarer, dans un futur incertain. Prions, pour qu’il demeure longtemps incertain. Ces émotions, me donnent faim. J’ai l’estomac dans les talons.

- Vous avez faim ? Je vous invite, chez Toni ?

- La pizzeria, de la maison carrée ? Pourquoi pas ! C’est votre second Q.G, me suis-je laissé dire ?

3- Service d’Actions Civiques.

- C’est ça ! Vous-vous l’êtes « laissé » dire !  

Elle pouffa de rire, percevant sur mes lèvres, une moue de scepticisme. .

- Oh ? Je ne suis pas crédible ? C’est bien dommage, dit-elle, se levant, tout en me regardant, droit dans les yeux. Elle ébroua sa longue crinière, dont les pointes, vinrent fouetter délicatement mon visage, diffusant trop brièvement, le parfum de ses cheveux. Je croyais fermement, être le digne représentant du félin dans cette histoire, mais je me rendis très vite compte, de personnifier  la souris.

« Ah ! Ce que femme veut, Dieu le veut ».

Nous sommes moins adroits dans nos approches, nous les hommes. Nous allons droit au but ! Les femmes elles, demeurent en retrait. .Elles ne dévoilent que partiellement leur jeu, se servant surtout de l’arme redoutable de la  séduction. Il y a pire, pour vous séduire ! Leurs yeux ! Comment nommer cela ? Expression oculaire ? Mais dans l’heure, si j’avais encore douté que cette jeune femme, éprouvait autre chose qu’un profond sentiment pour moi, j’aurais été bien stupide.

La neige avait cessé de tomber, mais un léger blizzard se levait. 

- Je n’aie jamais vue ça ! dit-elle, me prenant le bras, sans plus de chichi. Quel hiver ! Mais c’est beau, non ?

Je ne sortais jamais en uniforme. Le bas de mon jeans était trempé. Je sentais l’eau glacée, s’infiltrer dans mes souliers. Mes pieds, étaient gelés ! Mais lorsque son épaule prit appuie contre la mienne, une formidable bouffée de chaleur, me fit oublier tous ces désagréments.

- Vous avez froid ? Vous tremblez Nelly ! Ma voiture n’est pas loin, et…

- Ce n’est pas le froid, le seul responsable, m’interrompit-elle, non sans avoir cherchée mes yeux, et les avoir trouvés. Je suis bien, voilà tout, ajoutât-elle simplement, enserrant mon bras passé sous le sien, un peu plus fortement. Et puis, la pizzeria n’est pas loin. Allons-y à pieds. Ce froid revigore le sang. Je me sens brûlante, maintenant. Pas vous ?

- Je…  Je ne sais pas. Peut-être, dis-je, me maudissant de ne pas avoir les mots, pour dévoiler ce que je ressentais.

« Foutu blizzard » !

Sans scrupule, je lui mettais sur le dos, d’avoir la gorge nouée. Nous marchions vite, prenant garde de ne pas glisser. Nos pas crissaient dans la neige fraiche, commençant à geler. Elle avait encore rit, en percevant ma gêne palpable. Mais, elle se serrait  contre moi, marchant les yeux mi-clos, se laissait guider.

Je pris un plaisir, demeurant à ce jour inoubliable, alors que nous venions d’entrer, dans la salle presque vide de la pizzeria. Je vis ses joues s’empourprer, à cause de la chaleur soudaine qui vous envahit, aussi brutalement que le froid qui sévit à l’extérieur. Elle arrangea ses cheveux, chassant de ses longues tiges brunes, très légèrement frisotantes, les perles d’eau glacées qui s’y étaient fixées, leur conférant un semblant féérique. La jolie Tahitienne, née à Montpellier voici vingt ans, renouait avec ses origines, grâce à une couronne de fleurs d’hiver improvisée, par la fantaisie de l’intempérie. Bon Dieu ! J’étais amoureux ! Moi ! Qui, aurait pu prédire ça.

- Avec votre coupe, vous allez prendre froid, me dit-elle. Elle ôta ses gants, passant délicatement ses doigts, dans mes cheveux en brosse. Mon bras enserra ses hanches, et je l’attirais un peu plus contre moi. Par malheur, Toni, devenu un ami à la longue, se précipita pour nous accueillir, avec sa bonhommie habituelle, et son accent Italien qu’il entretenait à dessin. 

- Eh, mon petit ! Tu veux ta place près du four ? Ce soir, il n’y aura pas foule. Quel temps de chien, poutan de la miséria !

Il me serra la main vigoureusement, son regard noir, s’attardant longuement sur ma compagne.

- Eh bien ? Tu as cueillie une fleur de printemps au cœur de l’hiver, veinard, dit-il, prenant le bras de Nelly. La jeune femme, se laissa entrainer vers la table la plus proche du four à bois. Ce dernier, diffusait dans toute la salle, une agréable chaleur. Je libérais, un frisson d’aise. Ma parka prenait l’eau, tant elle était vieillotte. Je ne possédais pas une vaste garde-robe, parlant de vêtements civils. D’ailleurs, je me demande bien où j’aurais pu ranger ces frusques, tant ma chambre du mess hôtel, était exigüe. Quelques-uns de mes uniformes, dormaient dans la malle militaire, me servant aussi, de table de chevet. Officier, mais pas très riche ! Je craquais tout à des frivolités, passant le plus clair de mon temps libre,  en ces lieux chauds que j’affectionnais. C’était la faute de ma mère, je pense.  Depuis ma plus tendre enfance, je trainais dans les bars qu’elle tenait, qu’elle faisait prospérer et revendait, pour raviver ailleurs, cette passion qu’elle avait du commerce. Eh oui ! Une passion, il faut la réanimer de temps à autre. Sans quoi elle se meurt en silence, ne vous laissant que les regrets, de ne pas l’avoir surveillée, comme le lait sur le feu. Nelly retira son manteau. Le pizzaiolo, petit, sec comme un bout de bois, s’empressa de le lui prendre des mains, pour aller le pendre au porte manteau fixé à l’entrée de la salle unique, décorée à la  Napolitaine. Vous en vouliez de la quincaillerie rutilante, des casseroles en cuivre rouge, pelles à pizza en bois, et j’en passe ? Les murs, en étaient saturés. Mais de loin, chez Toni, l’on mangeait la meilleure pizza de la région. Et puis, pour ceux qui le connaissaient bien, il perdait de sa verve strictement commerciale, la réservant aux passagers, pour se démontrer naturellement aimable et serviable. Il était connu, comme le loup blanc à Nîmes, et cela, ouvrait souvent des portes.

- Ah ! T’as bien fait, de venir ce soir. J’ai une bonne nouvelle, pour l’appartement. Le frère de mon ami, accepte de te le louer, pour 250 francs mensuel. Si tu veux, demain soir nous irons le visiter. Vers dix-huit heures ?  Ce n’est pas loin ! Bobonne tiendra la boutique, durant mon absence. Tu l’as vue, comme elle a grossie ? Mama mia ! C’est inimaginable, ce qu’elle bouffe ! Des spaghettis en veux-tu, en voilà !  Des Calzonnes, elle s’en goinfre ! Elle va me bouffer la baraque, tu vas voir !

- Elle compense ! dis-je sans rire.

- Ah bon, tu crois ? Elle compense de quoi ?

- La ménopause mon pauvre Toni, la ménopause, hélas.

- Va, va, fadolli ! dit-il, faisant mine d’être vexé, nous tournant le dos en riant.

- Vous êtes chez-vous ici. dit Nelly, en me regardant dans les yeux. Etait-ce, les lueurs du feu de bois qui scintillaient dans les siens ?

- Je campe à la Base Aérienne 726, depuis juillet 68, me voyant revenir de Paris, après avoir maté la révolte estudiantine, lui répondis-je, pince sans rire. Alors, depuis lors, je recherche la douce chaleur familiale. Je l’ai trouvée ici.

- Que vous êtes, prétentieux là ! A vous seul, vous avez maté les contestataires de Mai 68 ? Daniel Cohn Bendit, ne serait pas de cet avis, ni encore moins, Alain Krivine.

- Gauchiste ! Je pourrais vous retourner votre question. Pourquoi vous intéressez-vous, à un fasciste militariste ?

- Parce que je sais, très pertinemment que vous ne l’êtes pas.

- Je vois ! Vos sources de renseignements ne se bornent pas, à presser Soumaya de questions, sur ma personne. Je fis mine de réfléchir. Bon Dieu ! Vous profitez de votre situation professionnelle ?  Nom d’un chien ! C’est effarant ! De quel aphorisme usez-vous, pour faire du chantage ?

- Chantage ? Ai-je besoin de faire du chantage ?

- Vous menacez bien, les jeunes soldats de ma compagnie, de les faire atrocement souffrir en leur pratiquant la prise de sang obligatoire, s’ils ne balancent pas des renseignements sur leur officier ?

- Non ! Je questionne, en faisant les yeux doux, et… croyez le bien, ça marche.

Je me souviens d’avoir ris aux éclats, en entendant cet aveu spontané. Vraiment, cette fille méritait toute mon attention. Ce qui me changeait radicalement, des gourgandines de la région, ne visant qu’à se faire épouser par des bidasses, avec l’idée obsessionnelle de quitter ce coin du Gard où elles pensaient, à tort ou à raison, n’avoir aucun avenir. La liberté, a un prix. Mais je pressentais que des filles comme Nelly, et Soumaya, n’étaient pas de celles qui acceptaient de le payer ce prix,  à fonds perdus d’avance. Car il était navrant de constater qu’hélas, celles qui fomentaient des plans sur la comète, échouaient sur tous les points de la stratégie mise en place. L’intelligence ne suffit pas. Seul l’amour, détermine les grandes lignes, de la synergie d’un couple.

- Que pensez-vous faire, lorsque vous aurez votre diplôme d’infirmière, la ramenais-je, sur un terrain moins glissant.

- Je suis sous contrat études, dans l’Armée. Je vais donc me spécialiser. Je pense, à la chirurgie. Infirmière de bloc opératoire. Immédiatement après, je persisterai pour devenir assistante en réanimation. Je ne resterai pas, en médecine B…

- Je vois que vous savez parfaitement, ce que vous voulez.

- Mais vous ne savez pas encore, ce que je ne veux pas. Non ! Ce que je ne veux, surtout pas !

- Je crois que je comprends ! D’ailleurs… Je suis partisan, de l’émancipation des femmes. Il était temps que nous prenions conscience, d’être sorti du dix-neuvième siècle.

- Avez-vous lu « L’assommoir »,  d’Emile Zola ? Il traita d’un sujet brûlant. L’alcoolisme d’une femme. Pour son époque, c’était osé.

- Oui ! Pauvre Gervaise…

- Je constate que vous l’avez lu. Que pensez-vous de Zola ?

- Bah ! Ma prof de français, s’appelait Madame Weiss. Elle adorait Zola ! Ma grand-mère, elle, c’était Jules Verne, son auteur préféré. Je dus copier deux étés de suite, les tomes complets de ses ouvrages.  Je ne vous dis pas, les vacances !  J’ai récolté, de nombreuses ampoules aux doigts. Mais ainsi, j’ai pris goût à la lecture des grands auteurs. Zola ! Vous me demandez ce que j’en pense ? Avec l’Assommoir, Nana, l’affaire Dreyfus, et j’accuse, il se démontra, un précurseur du socialisme. Mais aussi, un anticlérical convaincu, ajoutais-je, en ricanant.

_ Oui ! Un homme, de grandes convictions. Jusqu’où iriez-vous, pour défendre vos convictions, Max ?

_ Je ne sais pas ! répondis-je, reprenant tout mon sérieux.

_ Je vois ! En répondant ainsi, vous prouvez que vous n’avez pas encore défini, les limites à ne pas franchir. Du peu que je sais de vous, je crois que vous iriez très loin. Pourvu que ce ne soit pas, trop loin ?

_ Faut-il craindre, de se rendre où nos pas nous conduisent ? Même un cul de jatte, bien dopé d’espérances en un monde meilleur, peut aller très loin, à la recherche de ce nirvana, Nelly.  

J’eus droit, à un autre sourire émerveillant. Ses doigts, vinrent effleurer le dos de ma main, posée nonchalamment sur la table. Toni se pointa, avec son sourire de mafioso napolitain, se lissant la fine moustache, ornant le dessous de son nez de fouine.

- Je vous sers un apéro ou bien, vous voulez la carte en direct ?

- Je veux bien un Martini blanc, sans citron ni glaçon, dit Nelly, assez impatiente d’entendre, ce que j’avais à dire.

- Et moi, comme d’habitude.

- Un Kir, préparé avec un vin mousseux italien prosecco, s’accompagnant d’un baume de pêche de vigne, le tout servi bien frais, ce qui vous fait vibrer les papilles, se crut-il obligé de préciser.

- Ah ? Eh bien alors, va pour deux, rectifia Nelly qui inconsciemment du bout de son index, effectuait des cercles sur le dos de ma main. Toni ne demanda pas son reste, s’en retournant au plus vite, vers ses clients. Ce soir, seulement trois tables d’occupées, ce n’était pas l’habitude de la maison. Rica Zaraï, chantait : « C’est l’hiver qui frappe à notre porte, c’est l’hiver que le diable l’emporte ». Catastrophe !

- Eh bien ? Dites-moi tout ? reprit Nelly, me surprenant encore en train de rêver.

- Que désirez-vous savoir ?

- Vous m’avez parlé, de votre famille. Vous avez des frères et sœurs ?

- Eh bien, j’appris âgé de dix-sept ans et demi, alors que j’entrais en prépa militaire que mon père, avait sept autres enfants.

- Euh ! Vous n’êtes pas du genre, à faire des blagues Marseillaises, dit-elle, avec une expression pensive.

- Merci. D’autant plus que c’est vrai. Mes parents, me laissèrent entendre que mon père, était mort en 1953, en Indochine. Lorsque je suis entré à l’école militaire, la signature du père, et de la mère, étaient obligatoires. A défaut, le certificat de décès de l'un des parents. Ma mère, se retrouva bien embêtée.

- Je comprends, oui ! Mon Dieu qu’elle histoire ? Je ne veux pas critiquer, mais… Dire une chose pareille à un enfant ? Il faut avoir une bonne raison, pour le moins. Votre père, était un criminel ?

- Absolument pas ! répondis-je sans m’offusquer, le moins du monde. Je crois qu’il n’avait pas, un sens des responsabilités, bien développé. De ce que je réussis à savoir, il buvait, et jouait beaucoup. Je crois que la guerre, l’avait miné à un point de non-retour.

- S’il a eu sept autres enfants après, il s’est vite repris non ?

- Je n’en sais pas plus, Nelly. Il a essayé de se justifier lorsqu’il est venu m’accompagner à l’école, pour signer l’engagement. Il m’a dit que l’Oncle de ma mère, le frère de celui qui est mort pendant la guerre, l’aurait tué, s’il avait insisté pour me voir. J’ai répondu que pour son fils, on peut risquer la mort. Il a très vite comprit que le courant, ne passerait pas entre nous. Si une telle chose m’arrivait ? Si une femme, m’enlevait mon enfant ? Je crois que rien ni personne, ne pourrait venir se mettre en travers ma route. J’en arriverais à plaindre, l’inconscient !

- Je vous crois ! Je viens de voir dans vos yeux, luire les flammes de l’enfer. Vous avez… de très beaux yeux, nostalgiques, soit dit en passant. Ils deviennent presque noirs, lorsque la colère les envahit. Haïssez-vous à ce point, votre père ?

- Le haïr ? Non ! Pas du tout ! En fait voyez-vous, je lui dois ce que je suis.

- C’est-à-dire ?

- Eh bien, je dus me battre seul, plus que les autres. J’ai très souvent, tremblé de peur. Mais j’appris à maitriser, ce qui m’effrayait. J’ai jugulé bien des angoisses, en affrontant les réalités bien en face, depuis l’âge de sept ans. J’ai appris à rire des mythes, des fables horribles que racontent les vieilles femmes, pour faire peur aux enfants, car je voyais la vie, telle qu’elle était. Si un jour j’ai des enfants, très jeunes, je leur apprendrais à distinguer nettement les couleurs, et leurs nuances. C’est la première phase de l’éducation, je pense. Que nul, ne leur fasse avaler des sornettes.

- Je ne puis, qu’abonder en ce sens. Je comprends mieux maintenant, Max.

- Parce que, vous savez écouter. Je ne fis que parler de moi. Je ne sais, pratiquement rien de vous.

Ses doigts, entrelacèrent les miens. Elle se mordilla la lèvre inférieure, alors que nos yeux, s’étaient liés étroitement.

Toni déposa les deux verres, m’adressant un clin d’œil complice, avant de s’empresser de disparaître.

- A votre santé, soldat ! dit-elle, dressant son verre à la hauteur de son menton.  

- A votre somptueuse beauté, Nelly. Qu’elle ne prenne jamais, une seule ride. A vous voir ainsi, je puis prophétiser que vous deviendrez, la plus jolie des grands-mères. C’est la première fois que je vois, de pareils yeux.

- Oh ! Vous sortez, les divisions de réserve ? L’attaque est foudroyante, dit-elle, avec un sourire gêné. Mes yeux… Ah ! Ils me viennent de ma mère. Une authentique Polynésienne, le saviez-vous ?

- J’ai eu vent, de vos origines, en effet. Vous lui ressemblez ?

- Pas vraiment ! répondit-elle modestement. Ma mère était grande, mince, et belle comme le jour. Mon père, en est tombé amoureux, en une seule petite heure. Il est médecin, et ma mère, était assistante de direction, à l’hôpital de Papeete.

- Elle était ?

- J’ai perdu ma mère, voici trois ans, hélas. Un cancer généralisé, nous l’a enlevé en trois mois. Je ressens, un immense vide dans mon cœur. Elle était… le pilier central de notre famille. J’avais également un frère, plus jeune que moi, avec deux ans de différence. Il s’appelait Grégory.

Je compris enfin la raison pour laquelle, cette ravissante jeune femme, était toujours vêtue de noir.

- Vous l’avez également perdu, n’est-ce pas ?

Ses yeux se détournèrent un court instant des miens, avant de les investir à nouveau. Ils venaient subitement, de s’embrumer de larmes.

- Il est mort, dans un accident de voiture, deux ans après maman. Un copain de notre quartier, venait de réussir l’examen du permis de conduire. Il a mal négocié un virage. La voiture, est allée s’enrouler autour d’un platane. Mon frère, le conducteur, et un passager à l’arrière, ont été tués sur le coup. Un autre, restera paralysé pour le restant de ses jours.

- C’est… c’est affreux ! murmurais-je, attristé.

- Nous ne sommes pas grand-chose, Max. Il ne nous est pas permis de rembobiner le film, pour en couper les plus mauvais plans, et tout refaire, changeant les scènes et, le script de nos existences, dit-elle, serrant ma main entre ses doigts. Je n’aie pas pour habitude, de faire partager mes tourments.

- Pensez-vous que vous demanderiez trop à un ami, s’il acceptait de prendre sur lui, un peu de vos peines ? Il se démontrerait alors, un très mauvais ami.

Elle demeura silencieuse, sans pour autant, détourner son regard.

- Vous êtes… quelqu’un de bon, Max, finit-elle par dire. Cela se voit ! Non ! Mieux encore, c’est quelque chose qui se ressent, à fleur de peau. Vous avez… de la maturité. Bien trop même, par rapport aux jeunes gens de votre âge. Et surtout, par rapport à André !

Je dressais l’oreille, car la jeune femme éveillait ma curiosité.

« Ah ? Existerait-il, un antagonisme secrètement distillé,  entre ces deux êtres ?  Qu’est-ce qu’André, a encore bien pu faire » ?

- Ne vous fiez surtout pas, aux apparences. André n’est pas mauvais, répondis-je rougissant, histoire de dévier la conversation, axée sur ma personne. Il vit tout simplement dans un rêve. Oui ! C’est un rêveur, comme beaucoup de petits génies. 

- Oui ! Un rêveur, très dangereux pour lui-même, ce qui le rend tout autant dangereux, pour les autres. Honneur, et Patrie ! Plaies, bosses, et gloire garantie dans le contrat. Le grand rêve, des hommes ! Et nous autres les femmes, nous restons à la maison. Nous pleurons la mort de nos pères, de nos frères, de nos maris, et pire encore, de nos enfants, avec autant de courage, et d’abnégation de nous-mêmes, depuis que ce monde est monde. Et vous savez quoi ? Pour toutes ces souffrances endurées, nous ne recevons jamais de médailles. Nous n’en voudrions même pas, de leurs médailles !

- C’est certain, vous n’avez pas le meilleur rôle. Beaucoup s’imaginent que la guerre, est un dérivatif à la monotonie de leurs jours. Comment dire ? Un besoin, de surpasser ses propres limites ! Foutaises !

-  Oui ! C’est je le crois, ce qui vous différentie de votre ami. Lui, il espèce que cette paix précaire, ne durera pas. Soumaya, en est pleinement consciente. Elle vit, dans cette angoisse permanente. Savez-vous qu’elle est la dernière trouvaille d’André ?

- Trouvaille ? Nous n’avons aucun secret, l’un pour l’autre. J’ignorerais, quelque chose d’important ?

- Aucun secret, hein ? Croyez-vous ? dit-elle, faisant trainer les mots. Alors, il vous a confié qu’il a demandé son affectation, pour le service de renseignements de l’Armée, et que cette volonté, a été suivie d’un effet immédiat, abondant dans le sens de sa demande ? C’était à prévoir, non ?

Ce que je venais d’entendre, me laissa muet de stupeur.

- Je… Je n’en savais rien, dus-je avouer, retrouvant la force de parler, mais totalement pris au dépourvu. André, est un excellent officier. Il prend son rôle très à cœur, et consacre beaucoup de temps, à son travail. Il vient de satisfaire à un stage de perfectionnement, auprès de la Marine Nationale, grâce aux nouveaux contrats, interarmées, de formations spécifiques.

Tout en dissertant, sur ce qui en fait, n’était qu’une banalité pour Nelly, je me rendis bien vite, au-devant de l’évidence qu’en fait, je me parlais à moi-même. Soudainement, mon estomac se contracta.

« C’était donc ça ? Bon Dieu en bois ! Je comprends mieux, maintenant » !  

Je n’avais pas manqué d’observer depuis quelques semaines qu’il avait pris de la distance, avec le groupe d’amis que nous avions en commun. Maintenant, j’en comprenais la raison.

« Ainsi, il se prépare au départ ».

J’étais tout à la fois, préoccupé, et contrarié d’apprendre cette nouvelle, de la bouche adorable de Nelly.

« Et comme toujours, en entourant ses projets, du plus grand secret. Il possède bien le talent, et la persévérance, pour faire carrière dans le renseignement. Quelle mauvaise rencontre, a-t-il encore faite, lorsqu’il est parti faire ce stage » ?

Je me promis d’obtenir de lui, une bonne explication à cœurs ouverts. De nouveau, Toni vint interrompre notre conversation. L’on se décida, pour des pizzas.

Durant tout le repas, Nelly eut la décence de diriger la conversation, sur des banalités bien féminines. Toutefois, je conservais en mémoire qu’elle s’était évertuée à me mettre en garde, contre les idées extravagantes de mon ami d’enfance. Je comprenais parfaitement, sa démarche. Elle espérait bien que j’entreprendrai tout ce qui était de mon possible, pour éviter à Soumaya, de nombreuses nuits blanches. Brave Nelly ! C’était toutefois, bien mal connaître André. Nul explorateur, aussi aventurier puisse-t-il être, nul chirurgien neurologue sommité incontesté de ses pairs, es matière, ne parviendraient en conjuguant leurs efforts, à pénétrer ce cerveau à l’abri d’un crâne d’acier blindé, pour aller y découvrir, et en extraire, la plus infime de ses volontés. Cela aurait été équivalent, à perdre son temps. J’en étais persuadé, mais Nelly l’ignorait encore.    

Après le café, elle fuma une cigarette en silence, posant sur moi un regard, me faisant songer qu’elle envisageait que sa vie, dépendait de son intensité. Oui ! J’avais déjà vécu ça, trois années auparavant. Ce souvenir tragique, était encore présent, et toujours autant douloureux, dans ma mémoire. Nelly, me parlait avec ses yeux qui tantôt pétillaient de joie, tantôt devenaient ténébreux.

- Vous m’avez demandé, la raison pour laquelle, je ne me laisse jamais aborder facilement, pour répondre tardivement à votre question. Honnêtement, à présent je vous la dois, cette réponse.

_ Vous n’êtes pas obligée…

_ J’ai été fiancée, éludât-elle ma tentative, de ne pas la mettre dans l’embarras. Pas avec un militaire, s’empressât-elle de préciser, tout en faisant tomber la cendre de sa cigarette, dans le cendrier. Un ami d’enfance qui le resta, jusqu’à ce qu’il aille, en faculté de médecine à Montpelliers. Nous avons fait ensemble, un bout de chemin, de l’âge de quatorze ans, jusqu’à ce qu’il découvre les immenses avantages, ainsi que les plaisirs modulables, de la liberté. Nous venions de perdre ma mère, et mon père, ne s’en relevait pas. Je suis devenue, comment dire ? Beaucoup moins présente, et attrayante. Nous ne nous sommes, plus jamais revus. J’avais murie d’un coup, voyez-vous ? Je m’occupais de mon père, et de Greg. Lorsque j’ai perdu mon frère, tout a basculé. Ce n’est pas compatible, avec une vie sentimentale, tous ces drames successifs.

Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier, prenant tout son temps, afin de ne laisser vie, à aucune braise.

- Ce garçon, fut mon premier chagrin d’amour, reprit-elle, avec un sourire triste. Depuis lors, c’est le souvenir de cette déception sentimentale qui me motive, à demeurer seule. Je ne voudrais plus, avoir à revivre une telle chose. Alors, j’évite les garçons, comme s’ils incarnaient, le bacille de la peste bubonique.

- Je mettais cela, sur le compte de vos deuils successifs, exclusivement, depuis un long moment. Mais à présent, je perçois mieux… le… Ce qui vous oriente, je veux dire.

- Non ! Vous vouliez dire, je comprends mieux… le message.

- Si vous voulez, en effet !

- Bien alors ! Je vous permets de me raccompagner, jusque devant le porche de mon immeuble. Dois-je vous indiquer l’adresse ou bien, êtes-vous d’ores et déjà informé ? Je n’habite pas très loin d’ici, sur la place de l’arène.

- Hum ! Je vous ai suivie des yeux, plus d’une fois. Vous arriviez toujours à pieds, en traversant cette grande place. C’était trop facile. Nul besoin, de me renseigner.

- Bien observé, Lieutenant ! André, a confié à Soumaya qu’il entreprendrait tout ce qui sera  de son possible, pour vous convaincre de le suivre, dans sa nouvelle formation. Il affirme que vous aussi, vous êtes fait pour ça. Il doute seulement que vous en ayez, pleinement conscience. Je me dois de l’avouer, bien à regret. Il n’a peut-être pas, tout à fait tort. Bien à regret, répétât-elle, alors que debout, nous attendions son manteau. Toni, s’empressa de le lui apporter, l’aidant galantement, à le passer. .

- Vous avez appréciés la pizza ? demanda-t-il, ses petits yeux noirs de souris stressée, nous jaugeant attentivement.

- T’inquiète, répondis-je. Le jour que je te dirais, ce n’était pas bon, tu pourras te trouver un autre job. Que ferais-tu, le cas échéant ?

- Prends le bras de ta belle, et va affronter le froid, ça te rafraichira les idées, strounzo ! Et, n’oublie pas ! Demain soir, dix-huit heures, dit-il, faussement bougon, nous poussant dehors.

Nous avons marché en silence, dans le froid glacial de la nuit, sans croiser âme qui vive. Elle habitait dans un immeuble cossu, dont le porche s’ornait d’armoiries, indiquant un ancien hôtel particulier, du siècle dernier. 

- Eh bien, voilà ! Nous y sommes, dit-elle, tout en se triturant les doigts. Etais-dû au froid ? Je me souviens d’avoir souri discrètement, car je savais très bien qu’il n’en était rien. L’horloge d’un bâtiment officiel, en phase de réhabilitation, nous indiqua, vingt-trois heures trente, sur son cadran lumineux.

- Le temps est vite passé, n’est-ce pas ? fit-elle observer tristement, croisant les bras contre sa poitrine, pour se protéger du froid... J’aurais voulue qu’il s’éternise, le temps. Demain, j’aurai une rude journée. Je dois effectuer, un stage de trois semaines, en chirurgie. Le test de la mort subite, dit-elle, en s’efforçant de rire.

- Le temps, est le pire ennemi des hommes. Le test de la mort subite ? C’est quoi, au juste ?

- Bah ! Si je tourne de l’œil, en voyant comment est fait l’intérieur d’un corps humain, je suis virée de la liste des prétendantes à la chirurgie. Je deviendrais, une bonne infirmière en gériatrie, croyez-vous ? Elle ne m’accorda pas le temps de réponde. Jusque-là, poursuivît-elle, je n’ai reniflée que quelques vilaines petites odeurs de pansements, et de blessures purulentes, mais pas encore de celles issues, de véritables plaies béantes, pratiquées en direct par un bistouri. Il faut un début à tout, Max.

- Vous ne vous évanouirez pas ! 

- Ah bon ? Vous m’accordez beaucoup de maitrise de moi-même. Qu’est-ce qui vous convainc, à ce point ?

- Je ne sais pas. Je vous vois et… Quelque chose, me le murmure à l’oreille ! Il émane de vous, une force prodigieuse.

Elle émit un profond soupir, avant que yeux baissés, elle s’approche un peu trop dangereusement de moi. Elle ne releva pas complètement la tête, mais seulement ses yeux expressifs, emplis d’un trouble, laissant présager la suite

- Nous y voilà ! redit-elle, avec une intonation dans la voix, venant parapher ma pensée. Ses lèvres brulantes malgré le froid torride, s’emparèrent des miennes, avec une douceur incomparable, et l’expression d’un désir, trop longtemps contenu. Le monde autour de nous, aurait bien pu alors s’annihiler, dans un fracas sans commune mesure, et se voir englouti par  la volonté de Dieu, sous un déluge, encore plus dévastateur que le dernier, sans que pour autant, nous en éprouvions le plus infime regret, ni même une parcelle de terreur. L’univers dans toute sa splendeur, ses zones les plus retirées, les plus mystérieuses à la perception humaine, s’ouvrit à nous. Oui ! Peut nous importait cette terre misérable, sur laquelle nos pieds étaient physiquement posés, alors que nos âmes elles, venaient de s’envoler à la découverte d’un monde meilleur.

 

8 février 1972, 14 : 02.

 

- Je pouvais t’attendre au mess. Oh fada, entendis-je enfin cette voix, dont l’accent, m’était des plus familiers. Tu vas attraper la mort, si tu restes penché au-dessus de ce bastingage. Tu ne vois donc pas qu’il tombe des cordes d’hallebarde, et que tu es trempé, jusqu’aux os ? 

- Hein ? Oh ! André !

- Non ! Le Pape ! Nous ne devions pas nous retrouver au mess, pour s’en envoyer un ou deux, avant que ce ciel ne nous tombe sur la tête ?

- Euh ! Oui ! Nous devions ! J’ai totalement oublié, excuse-moi.

- Oui, j’ai vu ça! Je te signale qu’il est presque quatorze heures trente, et qu’à quinze-heures, tu dois te rendre auprès de ton unité.  

- Oui ! Mais, je n’ai pas grand-chose à leur dire. Les Américains, ne veulent pas dévoiler le secret d’état, avant demain, au cours d’un briefing.

- Je sais, je sais ! Mais déjà, tu fais fausse « rut » ! Ce ne sont pas les Ricains qui imposent, le black-out ! Tu en sauras plus, le moment venu. C’est ainsi, ma poule ! Prends le temps de vivre, et de faire le job pour lequel, tu es grassement payé.

- Toi mon gars, tu me pompes l’air, avec tes secrets, et ta morale à deux balles.

Ce micmac, m’énervait prodigieusement à présent. J’étais impatient, de passer à l’action. 

- Que t’arrive-t-il bon Dieu ? Tu me fais cette tête d’enterrement, depuis que nous avons embarqué à bord de ce navire, reprit-il, après un court silence.

- Oui ! Tête d’enterrement ! A Djibouti, tous les jours, j’assistais à l’arrivage de ravitaillements, d’armements, destinés à une campagne en mer, de plusieurs  semaines. Puis, oh surprise ! J’ai vu arriver,  ce submersible de poche. Tu t’es payé la mienne de tête, à Bulawayo, non ?

Il s’adossa le plus confortablement possible, contre la paroi du château central, s’allumant nonchalamment une cigarette. Il souffrait de nouveau, de la sciatique. Ce temps humide, réveillait ses douleurs. Il grimaça, avant de poser sur moi, un regard critique.

- Tu en veux une ? me dit-il, me tendant son paquet de cigarettes.

- Non merci, répondis-je sèchement, le regardant également de travers, avant de m’accroupir à ses côtés. Hein ? Oh ! l’interpellais-je vertement. Le submersible ? Tu espères sans doute, agrémenter ton album photos, de quelques prises de vue, des fonds sous-marins de l’océan indien, avec ? 

- Bon, bon ! Tu te souviens, de ce que t’a dit le Général Desliens ?

- De ne pas poser de questions, et de suivre le mouvement. Mais, tu m’en as trop dit ou pas assez, à Bulawayo. Bon ! Maintenant, tu ne me ferais plus avaler que cette expédition, a été montée pour une banale opération commandos, visant à arraisonner un navire transportant des armes. Ni encore moins que nous ne resterons pas plus, de deux semaines en mer.

- En te disant cela, je transgressais déjà l’ordre que je reçus, de ne rien dévoiler à quiconque ce soit, de l’originalité de la mission qui m’était confiée.

- Bon ! Je te remercie pour ta confiance. Maintenant, j’ai besoin de savoir. Plus question, de me faire raconter des bobards aux hommes. Les deux autres chefs de compagnies, eux, s’ils n’ont aucun état d’âme, c’est leur problème. Moi… Je suis un officier d’active ! Tout comme toi ! Ne l’oublie pas, en si bon chemin !  

- Oui ? Comme je viens de te le dire, tu sauras tout, très bientôt. Patiente jusqu’à demain, mon pote.

- Tu ne me comprends pas, André !

- Oh que oui ! Tu es frustré, dit-il, me regardant de biais.

Je faillis m’étouffer de colère, me levant tel un ressort qui se détend.

- Je… Je crois comprendre maintenant ! Les deux années que tu as passé au S.R, t’on rendus jobard ! Je suis frustré ? De quoi ?

- Tu es frustré, Max ! Tu ne t’attendais pas, à ce que je sois le responsable, chargé de mettre en place, et de diriger cette mission. Il est à mettre à ton crédit que la faute, m’en revienne. Tu éprouves le sentiment qu’en haut lieu, ils se sont foutus de toi. 

- C’est un peu le cas, non ? Vous êtes affecté à l’état-major à Paris, me dit-on. Je me retrouve incorporé contre ma volonté, au S.R. Par la suite, j’apprends que je te dois cette… foutue promotion ! Tu sais, ce qu’elle m’a coûté, cette promotion ?

- Deux galons jaunes, et un avenir bien plus passionnant que celui, de commander une compagnie d’appelés sous les drapeaux, tête de pioche. Ou de finir, Capitaine instructeur chez les commandos de l’air, car tu ne serais jamais monté plus haut. Je t’ai fait grimper, dans un ascenseur qui te mènera au sommet. Tu n’es pas heureux ?

- Que fais-tu, de Nelly ?

Il me regarda de travers, haussant les épaules.

- Tu es frustré ! réitérât-il son opinion. Considère le problème, sous un autre angle de vue. Tu n’as satisfait, qu’a seulement trois mois de stage.

- Oui ? En voilà une affaire ? Où veux-tu en venir ? Quel lien, avec Nell ?

- Je dus insister lourdement, pour que l’on te confie cette mission. Quant à Nell, personne ne l’empêchait de t’attendre ou de faire comme ma femme.

- Alors, disons-le ainsi, ce sera parfait ! Je te suis redevable, non ? Tu m’aurais selon toi, aidé à prendre conscience, du manque de force d’amour de Nell, pour moi ? Tu veux encore, endormir le bébé ?

- Absolument pas, tête molle ! Tu as donné le meilleur de toi-même, comme je m’y attendais, à Bulawayo. Franck, a été pleinement satisfait, des programmes d’entrainement que tu as élaboré, pour ses hommes.

- Non Mais… Je n’en crois pas mes oreilles ! Je te parle du Coq, tu me réponds, parlant de l’âne ! Mais puisque tu abordes le sujet, tu parles d’un entrainement ! Faire grimper ces pauvres bougres, sur la surface lisse, d’un mur de béton haut de huit mètres, au chronomètre, jusqu’à ce qu’ils en aient les mains en sang, à force d’utiliser une cordelette, munie d’un grappin en son bout ? Je me suis demandé, si nous allions nous produire prochainement au cirque Pinder, en tournée en Rhodésie, pour fêter l’avènement de sa jeune République. Et pourquoi avoir fait le choix de ce pays, pour leur faire subir ce martyre ? C’est un peu loin de la mer, Bulawayo, non ? Bon ! Franck, est un notable du pays. Il y possède cette immense propriété qui nous accueillit, nous mettant à l’abri des regards indiscrets. Quoi que… Une centaine de mercenaires, dans une contrée d’Afrique, au bord d’une guerre civile ? Rien de bien étonnant.

- Tu viens de très pertinemment énoncer, les deux principales raisons de ce choix, Max. Mais néanmoins, il en existe une autre.

- Eclaire la lanterne ! Je tâtonne, dans les ténèbres.

- Bon ! Tu me les brises menus. Mais je te connais trop bien. Tu ne me lâcheras pas la grappe, avant la fin des vendanges. Alors… Les Soviétiques, n’auraient jamais devinés que nous préparions, une opération en mer.

- Les Soviétiques, hein ? Ah ! Ce navire chargé d’armes, c’était du vent, n’est-ce pas ?

- Ton impatience te perdra, Max. Et si je reçus l’ordre, de préserver le secret absolu, ce n’est pas seulement dû à l’opération tactique, par elle-même. Mais à présent, même si tu me torturais, je ne t’en dirais pas plus.

Je ne connaissais que trop bien, le bougre. Il me donna le vif sentiment, de ressentir une vive inquiétude. Ce qui n’était pas quelque chose de très habituelle, le concernant.

- C’est si… si grave que ça ? tentais-je l’ouverture, espérant qu’il m’aide à pénétrer, dans l’antre du secret.

- Je ne répondrai même pas, à ta question. Tu es… satisfait ?

- Je n’ai rien entendu, dis-je, ressentant un frisson, me parcourir le corps. C’est à cause de ce bouquant que font les marins, avec leur musique.

- Ils ne dérogent pas à la tradition, dit mon ami en riant. Ils fêtent l’appareillage, pour conjurer le mauvais sort, lorsqu’une tempête est annoncée. Le Commandant, leur a payé une double ration de bourbon, avec pour ordre de s’en foutre plein la lampe, avant que cela devienne critique.

- Bien étrange façon, de responsabiliser l’équipage. Nos vies vont dépendre d’une bande d’ivrognes ? C’est la totale !

- Eh bien ! Tu n’iras pas rejoindre tes hommes non plus, dit-il, l’air maussade.

- Pour leur dire quoi ? revins-je à la charge Ils me pressent de questions, et j’ai l’air d’un con, assis sur le cul d’une bouteille de Perier ! Ce n’est pas très confortable, comme position. Tu as une idée ? Je leur dit que nous suivons les bancs de thons, pour établir un comptage, au profit, d’une organisation d’études océanographiques ?

Il émit un soupir de lassitude, retirant sa casquette, pour s’éponger le front avec le dos de la main.

- Bon ! Revenons-en, à ce que je t’ai dit à Bulawayo, pour me faire pardonner, de taire le reste. Nous sommes engagés pour : Petit « a », retrouver des marins disparus, suite à une attaque de pirates. Ces actes répétés, deviennent un véritable problème qui tu en conviendras aisément, perturbe dangereusement le trafic maritime, ainsi que bien entendu, les échanges commerciaux, inutile de te faire un dessin. Et… : Petit « b », ceci n’étant pas officiel, ces pirates qui s’en prennent aux navires marchands, traficoteraient également dans de l’armement lourd qui irait droit, au Viêt-Cong.

J’en restais, bouche bée ! Il avait bu, un verre de trop ?

- Tu charries, non ? En quoi, cette connerie de guerre du Viêt-Nam, concerne la France ? Je me suis laissé dire que nos politiciens, voyaient d’un très mauvais œil, l’intervention militaire des Américains, au Viêt-Nam ?

Il ricana sarcastiquement.

- Mon pauvre Max ! Ce que tu peux te montrer fleur bleue, parfois. Tu as vu flotter un pavillon français, sur la hampe de proue de cette coquille de noix ?

- Nous venons d’un port français, sur la mer d’Oman, non ?

- Nous venons de nulle part, car ce navire n’a aucune existence réelle. Il ne s’appelle pas, « l’Hirondelle des mers », mais le… « Seko » ! Il est sorti des chantiers navals du Japon, en 1942, pour fournir de l’huile de baleine à la population nippone, ainsi qu’à son effort de guerre. Puis il a fait la guerre de Corée, avant de finir comme bateau de pêche quelque part, aux Philippines. Les Ricains l’ont récupéré dans un état lamentable, alors qu’il était voué à la casse. Il a été remis à neuf, à Portsmouth U.S.A, en seulement six mois.

- Tu as bien étudié, l’historique du Seko. Bravo ! Tu auras une bonne note. Cette remise à flot a commencée, lorsque nous avons débuté l’entrainement intensif de nos gars ? Eh bien ? Je commence, à voir un peu plus clair. Je comprends mieux aussi, la présence des américains à bord.

- Ai-je commis une erreur d’appréciation, en présumant que tu étais fait pour le S.R, s’interrogeât-il indéniablement, à haute voix. Je ne crois pas, poursuivit-il, remettant sa casquette.

- Tu me connais, depuis trop longtemps, André. Tu aurais dû te souvenir que je suis un inquiet, doublé d’un esprit pragmatique. Je vais devoir conduire des hommes au combat ?

- C’est assez probable, en effet. Mais il est également probable que tu sois appelé, à assumer d’autres responsabilités, consentit-il à avouer.

 - Bien ! Je sais à présent, ce que je vais dire à mes hommes. Nous allons tête bèche, et en droite ligne dans un foutu merdier en plein océan, sans avoir la moindre idée, de ce qui nous attend. Mais, je vous en dirai plus demain, si le temps est clément. Tu veux ma place ?

- Non ! répondit-il, me lançant un regard venimeux. Tu dis avoir tout compris ? Fais mine, de ne rien comprendre demain, au cours du briefing, sinon j’aurai de sacrés ennuis.

- Je vais m’appliquer à faire semblant, d’avoir absolument tout compris ! répondis-je, usant de tout le sarcasme dont je pus déployer, dans l’intonation de ma voix. Je lus dans ses yeux bleus qu’il était convaincu que je pouvais mettre à exécution cette menace, à peine voilée.

- Euh ! Je ne suis pas médium, mais en te voyant tout à l’heure, je  me suis demandé si tu dormais debout ou bien, si tu pensais ? Cette fille, ne te sort pas de la tête hein ? Fais-toi violence pour l’oublier ! Ce qui t’attends Max, ne supporte pas, un quelconque relâchement de la concentration. Je peux t’assurer que si tu aimes encore le sport, tu vas être comblé.  

- Je t’accorde cette confiance. Avec toi, comment mourir d’ennuie ?

Il haussa ses lourdes épaules, prenant le parti de s’en aller, abandonnant l’idée de chercher à me convaincre, de me rendre dans les entreponts. Je n’avais aucunement besoin, de ses conseils. Ils m’avaient coûtés assez cher, dans un passé récent.

 

9 février 1972, 08 : 30.

 

Cent trente-huit hommes, attendaient sur les ponts du navire, sous une pluie battante. Sur le pont de proue, était rassemblé l’équipage, n’étant pas de service. Trente gars, en tenue bleue de chine, têtes nues. Sur le pont de poupe, quatre-vingt-dix hommes, en tenues de combat bariolées des troupes d’assauts, têtes coiffées d’un béret rouge. La compagnie « A » divisée en trois sections, occupait la position la plus proche du château central. Elle était placée sous les ordres du Lieutenant Yan Kowalski. Cette formation, composée de baroudeurs en provenance de nombreuses destinations de ce vaste monde, appartenait à la formation des engagés de Mahersen, ainsi que nous les nommions. Elle avait été conçue, pour tenir le rôle primordial en toutes circonstances, autrement désignée, comme étant l’unité de choc. Sans trop savoir ce qui nous attendait, nous devinions aisément qu’en cas de coup dur, ce serait Yan qui matérialiserait la tête de pont. Venait juste derrière, la compagnie « B », du Lieutenant Jean-Luc De Langlade, un Réunionnais bon teint, et bon vivant. Les deux officiers les plus fidèles à Franck, depuis de très nombreuses années,  n’avaient guère de points communs, et cela sur tous les plans. Yan, était un ancien de la Légion Etrangère, renvoyé pour son caractère impulsif, disons-le même hyper violent, et peu conforme avec l’esprit de corps, instituant l’honneur et la fierté, de cette composante de l’armée française. Ce quinquagénaire irascible, avait fait la Corée, et l’Indochine. Nous prenions garde, de ne pas trop le frictionner à rebrousse poils. Il pouvait vous briser le pharynx, en l’enserrant entre deux doigts. Une bête humaine, ce polonais. De Langlade et ses hommes, composaient donc la compagnie « B », dite… de réserve. Jean-Luc quant à lui, était un homme jovial, mais borné comme une mule. A tel point que je dus prendre ses hommes en mains, car en bon réunionnais qu’il était, il remettait toujours à demain, ce qui devait se voir accomplis, de suite. Mais Mahersen, affirmait qu’il ne connaissait pas meilleur combattant. Nous allions bien voir ? Sur la plage arrière, ma section, la « C ». Une première surprise, m’attendait ! Je venais pratiquement dans l’instant, de me voir informé qu’elle servirait, en qualité de compagnie de sécurité bord. Notre mission, consisterait à défendre le navire. C’est ce qui était écrit au rapport préliminaire que je tenais en mains, fixé sur une plaquette de bois, protégée d’un plastique. Le second Commandant, m’avait remis les ordres, avant le rassemblement, alors que je sortais de ma cabine.  

- Bien  le bonjour, Lieutenant ! C’est vous que je cherchais, m’avait-il abordé, avec un sourire débonnaire. Voici vos ordres ! avait-il ajouté, me remettant une pile de feuillets, tenus sur cette plaquette de bois, par une pince. Vous avez dix minutes, pour les consulter, avant de vous rendre au rapport. Eh bien, vous voyez ? Tout vient à point, à qui sait attendre, avait-il conclu, avant de me plaquer là, sans que j’aie eu le temps, de placer un seul mot. Devais-je me voir satisfait, d’avoir enfin une raison d’être ?  Feuillet numéro un ! En rouge souligné, une annotation du Commandant, me désignait en qualité… « D’officier de sécurité », mais aussi…« D’officier Conseil ». Yeux écarquillés j’avais lu ça, en me retenant de rire. Quel conseil, aurais-je bien pu dispenser, à bord de ce navire ? Je présumais que j’allais servir d’avocat, pour le règlement de conflits internes, dans le cadre de la discipline générale. J’étais loin de songer, à ce qui m’attendait.

A tribord, je vis enfin le staff technique, se composant de huit spécialistes, commandés par mon cher et tendre ami, le Lieutenant André Bertin. Nous étions tous présents, sauf le Colonel Mahersen.

P/N : « Elle est étrange, cette absence. Serait-il souffrant » ?

Mais je ne pris pas le temps, de m’attarder sur le sujet. Les hauts parleurs, diffusèrent la voix posée du Commandant LANGE.

« Je ne vous imposerai pas longtemps, le supplice du rapport matinal, nous rassurât-il, en intro. Surtout par ce temps, de cochon qui semble vouloir, nous priver du plaisir, de cette croisière. Comme vous l’avez très certainement remarqué, pour les plus observateurs d’entre vous, durant la nuit, mon équipage à repeint sur la coque, le nom du navire. Nous lui avons rendu son nom de baptême original, « le Seko » ! Certaines structures amovibles, ont été retirées, ce qui confère au bâtiment, une toute autre apparence. Vous n’avez pas manqués d’observer également que des ordres stricts, concernant l’usage de la communication extérieure, ont été distribués aux officiers radio. Pour les plus durs de la feuille, vous comprenez mieux à présent, la raison pour laquelle, plus aucun appel extérieur n’est permis. J’espère que vous avez dit adieu à vos proches, avant l’appareillage de Djibouti. Vos officiers et sous-officiers hauts gradés, sont conviés à un briefing à 14 :00 précise, dans la salle prévue à cet effet, située dans l’entrepont, « C1 ». Un balisage, permettra à ceux qui ne se sont pas encore familiarisés avec ce bâtiment, de ne pas se perdre. Je vous remémore que le Seko, mesure tout de même 130 mètres de long, pour 38 mètres de large, et qu’historiquement, il fut construit durant la dernière guerre mondiale, par les Japs. Il était armé de six canons de 155 millimètres balistiques, car il s’aventurait, à aller pêcher la baleine dans le Pacifique, sans aucune escorte pour le protéger des destroyers Américains. Ses hommes d’équipage, en avaient où je pense. J’entends que les miens, n’en soient pas dépourvus. Je ne tolèrerais, aucun manquement à la discipline. Dès que nous aurons atteint le large des côtes de Ceylan, considérez-vous en état d’alerte permanente. Ou autrement dit : « En état de guerre »… Vous-vous posez des questions ? Nous ne sommes pas là, pour y répondre. Nous donnons les ordres, vous obéissez ! Si je donne celui, de vous balancer à l’eau ? Vous sautez sans réfléchir. Je veux que vous répondiez, d’une seule, et même voix. J’ai été clair » ?

Une seule, et même voix s’éleva sous ce ciel bas.

- Oui, Commandant !

- « Eh bien ! Alors, nous allons faire de l’excellent travail, tous ensembles », conclut-il.

« Indiscutablement. Ce sera une véritable partie de plaisir. Pourvu que cette mission, ne nous conduise pas en antarctique ? Combien obéiraient, sans aucune discussion préalable, à cet ordre, de sauter à la baille ? Ça promet ! Mais  quel discours ! Pas un traitre mot, sur ce qui nous attend. J’en frémis, dans mon slip » !

- Envoyez les couleurs, ordonna le second Capitaine, de qui je reconnu l’accent Catalan.

Un bien étrange drapeau, fut monté au mat central. Celui du Panama ! Je m’attendais sincèrement à un drap noir, orné d’une tête de mort, avec en arrière-plan, deux tibias se croisant en diagonale.

- Vous avez vu ça ? Lieutenant, marmonna l’Adjudant-chef Paul Declercq, mon adjoint, depuis la Rhodésie.

- Non ! Je suis aveugle ! Ça s’explique ! Tout s’explique, Paul. Faites donc un peu, travailler vos méninges.

- Houai ! Je vais les inscrire à des cours de natation, Lieutenant. Depuis quelques minutes, elles se noient sous cette pluie, mes méninges.

- Mettez une bâche, car l’intempérie ne fait que commencer. Avez-vous déjà traversé, un ouragan ?

- Dieu m’en garde ! Vous plaisantez, Lieutenant ? Il n’est pas facile de m’effrayer, savez-vous ?

- J’ai une tête à plaisanter, Adjudant-chef Declercq ?

- Non Lieutenant.

- Rompez les rangs, hurla le second Capitaine, dans son micro.

- Eh bien ! Accrochez vos trippes, avec des pinces à linge ou des épingles à nourrice, et d’esprit, préparez-vous au pire, mon cher Paul. Vous mettez immédiatement, vos hommes au travail. Cette plaquette que je tiens dans ma main, et surtout les quelques feuilles qu’elle enserre entre cette pince, m’indiquent clairement, et sans aucune ambiguïté possible, des ordres que vous allez faire appliquer. Dans les entreponts d’hébergements troupes, tout se doit d’être fixé solidement, et rangés dans les placards. En espérant qu’ils ne soient pas remplis à bloc, de cochonneries. Absolument rien, ne doit trainer dans les coursives, et empêcher la libre circulation ou, provoquer le moindre danger. Ce sera là, le premier travail de la matinée. Je lis aussi que l’ensemble des compagnies, devront se rendre en Cales I et II, afin d’aider les marins, aux manœuvres d’arrimages de divers matériaux. Vous êtes bien pâle d’un coup, Adjudant-chef ? Seriez-vous effrayé ?

- Euh ! Non Lieutenant, menti-t-il sans vergogne.

- Oh ! Je vois !

- Vous voyez, Lieutenant ?

- Oui ! Je vois, votre nez s’allonger. Exécution !

- A vos ordres, Lieutenant. 

« Oui ! C’est ça ! A mes ordres. Tu parles ! Je viens d’en prendre connaissance, à la rubrique : « Informations services ». Je ne commande rien, je répète tel un perroquet bien dressé. Ils m’ont assigné à la protection du navire ! P… la promotion ! Je vais monter la garde. Ah oui, j’oubliais mon Dieu ! Je suis le policier du bâtiment. Policier, et avocat. Il y en a un de trop, j’élimine lequel ? Mais qu’est-ce que je fais, dans cette galère, P… de mouise » !

Je ne le savais que trop bien !

« Vous prendrez vos ordres en Afrique où vous allez rejoindre un officier S.R. C’est lui qui vous briefera, sur l’essentiel. Vous ne poserez, aucune question. La mission que je vous confie, est d’une importance capitale, pour les intérêts de la France. C’est tout ce qui est bon de savoir  », m’avait dit le Général Desliens, chef du groupement renseignements, de l’état-major central des armées. « Jusque-là, considérez-vous détaché de nos services, placé dans le cadre de la réserve, pour une durée indéterminée », avait-il simplement ajouté, après m’avoir longuement briefé, concernant le Colonel Mahersen. Lorsqu’il eut terminé son exposé sur « Le belge », comme il nommait Mahersen, il m’abandonna sur place, comme deux ronds de flan. J’étais loin de me douter que l’officier S.R, dont venait de me parler le Général, n’était autre qu’André, en effet, comme mon ami, me le reprocha. J’avais suivi trois mois de stage, d’un niveau très élevé, certes, et l’on m’expédiait déjà en mission ? J’étais béni des Dieux ? Je venais d’apprendre que j’avais été demandé à corps et à cris, par mon ami d’enfance qui…ainsi qu’il avait pris plaisir à me le brandir sous le nez, avait dû insister lourdement, pour que l’état-major, m’accorde le privilège de me tourner les pouces, sur le planché d’acier  instable, de ce navire. Ainsi, je repartais en Afrique, pensais-je alors. Eh bien ! Engagez-vous disaient-ils, vous verrez du pays. Que faisaient-ils de ma séquelle de malaria ? Car le continent Africain, ne m’était pas étranger. J’en eus un très mauvais souvenir, de janvier à avril 68. Je faillis bien rater la révolution française qui pour le vingtième siècle, sera une référence, dans les livres scolaires.

« Vous avez signé, pour être élève officier, Monsieur l’Aspi ? C’est pour en baver », m’avait dit l’Adjudant-chef instructeur, m’informant que le lendemain matin, je m’envolais pour Ndjamena au Tchad. Mais tout ça, me paraissait tellement loin, maintenant.

Oui ! Il était un peu tard, pour que je me pose cette question qui demeura de longues années, dépourvues de réponses satisfaisantes à mon égo. Car je ne voulais surtout pas reconnaître que jeune homme, j’étais le roi des petits cons. L’autre m’a dit : « suis-moi ». Je le suivis. L’autre m’a dit : « Revêt cet uniforme » ! Je me suis foutu à poils, et j’ai obéis. L’autre m’a dit : « Inculque à ces hommes, ce que tu as appris ». Non ! Là, c’est trop ! J’ai mis en œuvre,  mon immense savoir qui consista à faire l’instruction, à quatre-vingt-dix mercenaires qui me voyaient comme un nourrisson prématuré, gigotant ridiculement dans sa couveuse ! Il me fallut leur imposer, le plus souvent par la force, les hautes connaissances d’un officier, « hors cycle » à présent, tout en me posant d’innombrables questions, sans pour autant obtenir de réponses. Bon ! J’avais dû trop fumer de chanvre, et lorsque je me suis éveillé, j’étais à Bulawayo Rhodésie du Sud. Ah oui ! Pour ne pas que je demeure oisif, Franck m’attribua le commandement de la compagnie « C ». Un beau cadeau, de sa part ! Ces gens-là, sont plutôt jaloux de leurs hommes. Ils vous prêteraient, plus facilement leurs femmes ! Je me disais à présent que ce n’était pas par pur altruisme, si Franck, m’avait « nommé » chef de compagnie, me permettant ainsi, de commander trente de ses hommes. Voyons ? Lorsque ce Général me donna cet ordre, avais-je le choix ? Oui ! Celui de démissionner. Mais voilà ! Lorsque depuis des mois, l’on se donne à fond dans ce que l’on entreprend, l’idée de tout laisser choir, n’effleure même pas l’esprit. Et puis, si par malheur, on se tire d’une affectation dans les services de renseignements, il est inutile de demander une mutation dans une quelconque unité. Pas même à l’infrastructure, les travaux publics de l’armée. Nul ne revient sur ses traces, lorsqu’on a mis ses pieds, dans ce cercle... familial très hermétique d’esprit. Il se referme sur vous tel un lasso, et vous lie à tout jamais, des pieds à la tête. Vous voyez avec horreur, s’avancer près de vous, l’homme qui tient entre ses mains, le fer rouge qui va vous marquer durablement. Et voilà, c’est fait…

« Tu y es, mon pote ! Que tu le veuilles ou non, tu as les deux pieds dans le béton. Tu vivras ou tu périras, avec ce navire. Alors, autant le prendre cool, non ? Et, faire de ton mieux, pour satisfaire à tes tâches. Cela combattra l’ennuie, peut-être ? Sans oublier mes cauchemars, dans lesquels me revient sans cesse, le doux visage de Nell. Sacre bleu, que le temps s’écoule vite » !

 

 

 

 

 

 

 

Nîmes, 1971. 

 

Nous avions emménagés ensemble, dans l’appartement que Nell occupait. Durant près une année, nous avons vécus un indescriptible bonheur. Je ne me souviens pas que nous ayons traversé, le plus petit orage. Le soleil brillait dans nos cœurs, et cette énergie s’emmagasinait, pour rendre nos hivers moins rudes. Nous parlions mariage, faisions le projet d’avoir des enfants. Lorsque je n’étais pas de service, nous allions  visiter son père ? Le dimanche. Nous entretenions de bons rapports. Nell, avait atteint son objectif de se voir admise en chirurgie, persistant dans sa volonté, de devenir assistante anesthésiste. De mon côté, un bon nombre de mes proches, ressentirent très fortement, le changement qui s’était opéré. Ma mère, les membres de ma famille, ne se privèrent pas de me le faire remarquer. Le jeune homme, brulant la chandelle par les deux bouts, car conscient que la vie était éphémère, s’était métamorphosé. Dans le travail, également. J’étais bien plus pondéré, et beaucoup moins agressif que par le passé. Ce qui me valut l’attention du Commandant Delhomme. Une attention, un peu particulière, en vérité. Allez donc savoir pourquoi, cet officier m’avait dans le nez. Avec le Capitaine Laudes, ils étaient cul et chemise. Mais toutefois, j’avais un temps d’avance sur les deux compères qui s’évertuaient, à me mettre des bâtons dans les roues, à la moindre occasion. Le Commandant de la Base Aérienne, m’avait en grande estime.  

Puis un jour maudit, du mois de novembre 1971, je reçus un ordre de mutation. L’armée, m’expédiait à Paris. Une promotion si l’on y regardait bien, car cette affectation, beaucoup en rêvaient. Le Ministère de la Défense ! Mazette !  Plus spécifiquement, l’état-major interarmées. Pour un jeune sous-lieutenant, fraichement nommé qui n’était même pas sorti des grandes écoles ? Quel pied ! D’autres que moi, se seraient sentis planer. Pour ce qui me concernait, c’était comparable à un crash aérien ! Au cours de l’entretien qui précède la mutation, je refusais tout net cette affectation, ce qui me valut le regard stupéfait, du Commandant de la Base. Bien assis derrière son vaste bureau couleur acajou, il se jeta en arrière sur le dossier de son fauteuil, m’observant attentivement en silence. De son pouce de la main gauche, il se caressa la joue, réfléchissant visiblement à quelle attitude prendre, à mon égard.

- Vous m’avez très souvent agréablement surpris, Lieutenant, dit-il enfin. Vos idées… votre sens aiguisé de la rigueur, de l’analyse de situations préoccupantes, cette motivation que vous mettiez, à la recherche d’une solution la plus appropriée, aux problèmes que nos services rencontraient, vous ont valus notre respect, ainsi que  notre considération. Vous avez une brillante carrière devant vous, le savez-vous ?

- Je dois vous remercier d’autant de sollicitudes, mon Colonel. Mais avec votre permission, je vais réitérer mon intention, de refuser cette affectation, avais-je soutenu cette résolution, avec assurance.

- Bien ! Je présume que vous devez avoir une excellente raison ? Je sais au regard de votre dossier, qu’elle n’est pas d’ordre familial.

- Pas encore, si vous me permettez de le souligner, mon Colonel.

- Prenez place, dit-il, me désignant la chaise placée devant son bureau.

Chose faite, il me scruta encore un long moment, sans mot dire.

- Vous me mettez dans l’embarras, le savez-vous ?

- Oui, mon Colonel. J’en suis désolé.

- Désolé ? Hum ! Pas autant que je le suis. Vous venez de dire que ce n’est pas encore un problème, de rapprochement familial ? Quelqu’un chez-vous, s’apprêterait-il à nous faire, une bonne maladie incurable ?

- Absolument pas, mon Colonel. Je pense que maintenant vous me connaissez assez bien, pour savoir que je ne mange pas, de ce pain-là.

- Effectivement, Lieutenant. Alors, veuillez m’éclairer sur la raison de ce refus ?

- Je vais demander la main de ma compagne, mon Colonel.

Il leva le menton plus haut, me toisant sourcils froncés, une moue dubitative, peinte sur ses lèvres minces, comme la lame d’un rasoir.

- Nous sommes tous passés par là, savez-vous ? Un jour ou l’autre, c’est ce qui arrive de mieux aux hommes. Créer une famille, avoir des enfants, s’accomplir totalement, mais aussi, professionnellement, non ? Or ! Vous êtes officier dans l’Armée de l’Air, et à ce titre, aux ordres de votre hiérarchie. Non, mieux encore ! Au service de votre Nation ! Et il se trouve que votre Nation, a besoin de vous au Ministère. C’est un poste qui ne se refuse pas, Lieutenant. Demandez-donc votre dulcinée en mariage, partez à Paris, et il est plus que probable qu’elle viendra vous y rejoindre, non ? Si elle vous aime ? Elle ira vous retrouver à l’autre bout du monde, mon petit. Parfois, il est bon de mettre un peu de distance, entre deux êtres qui s’aiment. Juste pour voir, si l’amour est assez fort, pour surmonter toutes les difficultés de la vie.

- Elle est militaire, mon Colonel.

Il se massa encore le menton, émettant un léger soupir d’exaspération.

- Ah ! Je vois le topo ! Une A.F.A.A ? 2

- Non, mon Colonel ! Une infirmière sous contrat étude, à l’hôpital militaire.

- Hum ! émit-il, lèvres serrées et front plissé par la réflexion. Il regardait le sous-main de cuir noir qui occupait sa place sur le bureau où mon dossier, était grand ouvert.  Situation sans issue Lieutenant, dit-il enfin. A moins que vous soyez en train, de négocier sa mutation ? Je m’attends à une telle chose, venant de votre part. Vous avez tenu tête, aux plus coriaces de vos détracteurs, avec beaucoup de tact, de culot et de patience. Je me trompe ?

- Je… je n’avais pas envisagé cette possibilité, mon Colonel.

- Bien ! Car hélas, je ne pourrais absolument rien faire pour elle. La mutation des personnels du service médical, n’est pas de mon ressort. Je pourrais en toucher un mot, certes ! Mais le médecin général de la région militaire, ne tiendra compte de cette demande  que s’il n’est pas, en manque de personnel. Or, infirmière sous contrat étude ou pas, le pavillon militaire de Nîmes, souffre aussi d’un manque crucial d’éléments formés. En quelle année, est votre amie ? 

- Fin de quatrième année, mon Colonel.

- Alors, mettez une croix, sur la possibilité qu’elle se voie mutée. Il ne lui reste qu’une année à accomplir, avant la spécialisation, c’est ça ?

-Oui, mon Colonel !

 - Elle la finira, à Nîmes. Ce serait problématique de l’expédier ailleurs. Du moins, je vous donne mon opinion. Voyons, Lieutenant ! Une petite année de séparation,  et toute une vie devant vous. Franchement ? Je ne vous reconnais plus ! Cette fille, vous aurait-elle changée à ce point ?

Il souriait paternellement, et je lus dans ses yeux verts clairs que la situation exposée, n’était pas pour lui quelque chose de bien nouveau.  

- Vous n’aurez pas manqué d’observer, à quel point, cette fille contribua à changer ma vie, mon Colonel.

- J’avais remarqué, ce changement. Disons le même, cette progression, plus que… seulement positive. Mais j’ignorais tout, de l’instigatrice de cette évolution. Bon ! Je ne vous promets absolument rien, pour cette jeune femme. Par contre, je vous accorde trois jours de permission. Vous allez lui soumettre la vôtre, de situation. J’ose espérer qu’elle saura distinguer où est votre intérêt commun, et qu’elle vous conseillera avec bon sens. Au terme de ces trois jours, vous m’apporterez votre réponse définitive. Je ne puis vous contraindre d’accepter une affectation, en temps de paix. En temps de guerre, vous recevriez un ordre, auquel vous devriez obéir. Dieu nous en préserve. Bonne permission, Lieutenant. Elle prendra effet demain soir. Vous pouvez disposer, conclut-il, refermant sèchement mon dossier.

Je n’avais encore rien osé dire à Nelly, lorsque comme tous les soirs de permanence, je lui téléphonais. Ce soir-là, je ne pouvais me rendre la rejoindre, car depuis quelques jours, j’étais de service en qualité de responsable de poste, au pavillon de garde. Service de semaine ! Il me tardait, de partir en permission. Ce fut la plus longue nuit, de toute ma carrière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9 février 1972, 10 : 21. 

 

Alors qu’un vieux baleinier, me trimballait sur un océan qui se déchaînait d’heure en heure, ce souvenir amer, m’arracha un sourire, exprimant toute la peine que j’avais, à m’en extirper. J’aurais voulu fermer les yeux, pour ne voir que ces images, des jours heureux. Mais j’avais fini, par accepter cette affectation. « Nelly ne serait pas seule, car il y a son père, ses amies, son travail qui lui tient à cœur », pensais-je alors. Je me disais aussi qu’il était bien dommage que Soumaya, ait suivie André à Paris. Il avait tout calculé, le bougre ! Même de programmer sa demande de mutation, alors que sa femme, parvenait en fin d’étude. Mais néanmoins, je devais songer avant toutes autres choses, à ma carrière, à notre avenir à tous deux ! A l’encontre de mes attentes, Nelly ne le supporta pas. D’autant moins, lorsque je fus placé, au-devant de l’évidence que cette affectation, en fait, était destinée aux services de renseignements. Elle crut que je m’étais démontré faible, devant l’insistance de mon ami. Le résultat fut déchirant, car d’un commun accord, l’on décida de se séparer, afin de bien réfléchir, avant de nous engager plus loin. Puis un soir, Soumaya m’informa que Nell, avait pris la décision d’abandonner son appartement, et d’aller vivre son temps libre, chez son père à Montpellier. Elle continuait à travailler à Nîmes, logeant au pavillon des infirmières célibataires. Durant plusieurs jours, je tentais vainement, d’entrer en contact téléphonique avec elle. Je recevais chaque fois, la même réponse, de l’une de ses camarades de travail, décrochant le téléphone : « Elle est très occupée, rappelez plus tard ». J’ai fini, par renoncer. Je n’osais pas appeler chez son père après ces échecs répétés. Pire encore ! J’en arrivais à évaluer, sa force d’amour. La conclusion qui s’imposa, ne fut autre qu’elle était faible ! Soumaya, bien plus âgée que Nell, n’avait pas rencontrée les mêmes problèmes, pour son affectation. Elle lui avait été accordée, avec une bien étrange facilité. J’allais en convenir bien plus tard, lorsque je rejoignis André en Afrique. Quelle ne fut pas ma double surprise, d’y retrouver mon amie. Cette dernière, se proposa de  contacter Nell, afin de tout lui expliquer. Je refusais net, son offre. Je me suis toujours posé la question, relative aux appréhensions humaines. La peur de perdre un être aimé, n’est-il pas facteur, d’épreuves encore plus insurmontables ? Eh oui ! Maintenant, je détiens la réponse ! Cet autre éloignement, après que je me vois réexpédié en Afrique, nous sépara à tout jamais ! Allais-je oser lui écrire, un jour, une semaine, ou un mois prochain » ? pensais-je, avant de me décider à entreprendre mes diverses tâches, attendant mon bon vouloir, sur le pont de ce navire. Parti conne cela l’était, j’aurais aussi bien pu penser, une année.

« Pour lui dire quoi ? Que je suis à l’autre bout du monde, et que désormais, ce sera ma vie ? Autant lui écrire adieu ».

Le doute m’envahissait. Sur ce rafiot, pas de vaguemestre, ni de boîtes aux lettres ! Mais si l’homme, n’était pas pétri de doutes, Dieu, n’aurait plus aucune raison d’être… Qui se soucierait de lui ?

Un an, et trois mois venaient de s’écouler, depuis cette entrevue avec mon officier supérieur, auprès duquel, j’avais partagé de bons moments, car nous étions bien plus proches que les rigueurs du service, l’auraient permis. J’avais occupé durant quelques mois, un certain nombre d’activités extérieures, pour son compte personnel. Disons que je faisais office, d’ordonnance. Par exemple, je fus le seul à lui inspirer assez de confiance, pour qu’il me confie la mission, de désigner un homme de ma compagnie, chargé de se rendre accompagner ses enfants à l’école, et de les récupérer le soir. Un chauffeur chevronné, bien sûr. J’avais dégoté la perle rare ! Ce jeune appelé et moi, étions devenus des amis intimes. L’évènement était réprimandable, aux yeux de la caste des officiers. Mais je m’en fichais, comme de ma première tétine. Le reproche qui m’était le plus souvent fait, était justement, de trop familiariser avec mes hommes. Eh oui ! Si par malheur, nous étions prochainement engagés dans une guerre, j’aurais déjà bien assez de soucis avec l’ennemi, se présentant de face. Si je devais aussi m’inquiéter, de ceux que j’aurais éventuellement dans le dos ? Cette guerre deviendrait alors, encore plus pénible, et…  bien plus périlleuse. Je crois qu’une seule frayeur, suffit, à l’occurrence. Et question frayeurs, je pressentais que je ne tarderais pas longtemps, à être bien servi. Que pouvait bien savoir André que tous, devaient ignorer ? Je frémissais à cette pensée.

En attendant l’heure du briefing, dès que le mot : « Rompez » fut prononcé par le second, j’entrepris ma tournée d’inspection. Sur la plaquette, un autre ordre ! Ils se présentaient au fur, et à mesure qu’une tâche était accomplie, sous formes de feuillets écrits à la main, soit par le Commandant, soit par le Colonel Mahersen. J’étais tout de même intrigué.

«  Où peut-il bien être, ce bougre, ce matin » ?

Je lus alors, l’un des siens d’ordre.

« Familiarisez-vous, avec les entrailles de ce bateau, pendant que vous le pourrez ».

En fait, le Général Desliens qui m’avait si brièvement briefé, sur ma future mission, s’était démontré plus loquace, concernant le rôle de Mahersen. Il m’avait bien mis en garde, de ne pas vexer la susceptibilité, de cet ex officier de l’armée Belge, soulignant avec emphase qu’il s’évertuait, à demeurer sur une ligne de bonne conduite, contrairement à un certain nombre de ses semblables, commerciaux de la guerre en tous genres, de par le monde. Ce qui lui valait, le respect de ses amis, mais aussi de… ses ennemis. Il dirigeait ses hommes qui pour la grande majorité, lui étaient fidèles, depuis de nombreuses années, et en attendant que mon propre rôle se voit clairement défini, j’étais détaché sous ses ordres. Mais de façon, assez particulière toutefois. André et moi, demeurions des indépendants. C’était assez complexe comme situation. Mais maintenant, pour le moins, je connaissais mon job. Il faut un début à tout ? « Voyons la suite.

Je relus le conseil écrit, exprimant un sourire amer.

« Ah ! C’est intelligent ! Je dois assurer la sécurité de ce bâtiment, il me semble logique que pour le moins, je devrais en connaître les moindres recoins. Il s’ennuie, ce bon Franck ».

J’haussais les épaules en signe de fatalisme, me mettant au boulot. Deux heures plus tard, fourbu, je n’avais guère visité que les entreponts. Pour circuler librement dans ces dédales de coursives ? C’était la misère ! Vous y trouviez l’affluence des heures de pointes, dans les couloirs du métro de Paris. Les marins, s’affairaient à tout débarrasser du sol. C’est qu’il y en avait des cochonneries, sur ce sol des coursives. Des caisses blindées de munitions, principalement des cartouches. Des sacs marins que les postes d’hébergements troupes, ne pouvaient emmagasiner, du fait que la place, faisait atrocement défaut aux hommes. Ces derniers d’ailleurs, étaient occupés à rechercher leurs paquetages, et à très vite les ranger, de façon à ce qu’ils ne deviennent pas un danger supplémentaire, si la tempête faisait rage. Allez donc essayer de passer, avec tout ce remue-ménage. Je dus me résigner.

« Bon ! J’aurais visité l’entrepont de proue, et repéré la salle de briefing. C’est déjà bien, non » ?

Le haut-parleur se mit à crépiter. Les marins levèrent la tête, oreilles tendues. Je fis de même, et bien m’en prit.

« L’officier de sécurité, est demandé de toute urgence sur la passerelle. Je répète, l’officier de sécurité, est attendu sur la passerelle », crachouilla une voix inconnue.

«  Mais c’est de moi, qu’il parle ! Ça alors ! Je vais enfin voir de mes yeux, à quoi ressemble cette passerelle de commandement. Je sens, l’excitation monter en moi. C’est phénoménal ! Vissons cette casquette sur ma tête, et jouons à l’officier de marine, comme quand j’étais enfant. Déjà, empruntons la démarche chaloupée, du vieux loup de mer. Ils me veulent quoi, là-haut ? Ben, si tu n’y vas pas, tu auras du mal à le savoir ».

La voix, avait souligné l’urgence. Je grimpais, je ne sais combien de marches d’escaliers extérieurs, sous une pluie féroce, s’acharnant à vouloir percer les tôles d’acier du Seko, car il me fut impossible, d’emprunter les escaliers intérieurs, bondés de monde. Je vous assure que j’avais l’impression qu’elles y parvenaient, à transpercer l’acier, ces perles d’eau, aussi énormes que des olives. Essoufflé, j’atteignis enfin la casemate de vigie tribord. Le Commandant, Franck Mahersen, en compagnie de deux autres officiers, scrutaient la mer démontée, au travers de leurs jumelles.

- Lieutenant Max Girard, Commandant ! A vos ordres, Commandant ! criai-je, pour couvrir les multiples bruits que générait ce navire craquant, tentants vainement de rivaliser ainsi, avec les mugissements du vent. L’averse me cinglait le visage, et de l’eau froide, coulait le long de mon épine dorsale. Un véritable plaisir ! Je ne pus refreiner un long frisson.

- Avancez près de nous à l’abri, Lieutenant, m’invita courtoisement le Commandant. Prenez ces jumelles, et regardez bien, un quart arrière bâbord.

Je rivais les jumelles à mes yeux, suivant la pointe de son index, tendu dans la direction désignée.

- Vous voyez quelque chose, Lieutenant ?

- Oui Commandant ! Je vois quelque chose, ça y est.

- Alors ? Que voyez-vous ?

- Un voilier, Commandant. Il danse dangereusement sur les crêtes des vagues. Si cela continue ainsi, il ne va pas tarder à se retourner.

- Naviguez 2.2.0, vitesse 8 nœuds, ordonna à haute voix le Commandant, à son timonier.

- 2.2.0, vitesse 8 nœuds, reçu Commandant, hurla le timonier.

Le navire, effectua un large cercle, sur l’océan en colère.

- Tenez-vous au bastingage Lieutenant, me conseilla le Commandant LANGE. Ça va secouer, ajoutât-il, surveillant attentivement la manœuvre.

- Il est en perdition, dis-je, rendant les jumelles à Franck qui me frappa amicalement, sur l’épaule.

- Content, de vous voir enfin dans votre élément Max, me dit-il.

- Façon de parler, mon Colonel. Mon élément, c’est le plancher des vaches, et le doux soleil méditerranéen.

Il répondit à ce trait d’humour, par un petit rire sous cape.

- Eh bien ! Je vous retrouve enfin.

- Hum ! Vous me pensiez, parti loin d’ici ? J’adore les voyages. Mais je préfère, choisir la destination.

- Je comprends très bien, Max. Vous en verrez d’autres, ajoutât-il, le visage fermé. Nul doute qu’il faisait allusion, à l’extrême complexité, de cette croisière improvisée. Nos regards se croisèrent bien trop brièvement, pour que je puisse aller chercher au fond de ses yeux, une réponse à la question que je me posais. Etait-il informé de tout ou bien, comme c’était mon cas, découvrait-il les choses, étape par étape ?

- Vous me semblez très inquiet, Max, dit-il encore.

- Il n’y a personne en vue, sur ce voilier. Pour ce que j’en pense ? Ils sont tous tombés à l’eau, éludais-je la remarque fort appropriée, de l’officier supérieur.  

- Nous devons en avoir le cœur net, dit-il, comprenant que je ne répondrais pas.

- Je suis de cet avis, mon Colonel, répondis-je avec un sourire crispé.

- Je le partage d’autant plus, l’avis de Mahersen qu’à présent,  je vois deux… trois personnes, sur le pont du voilier, intervint le Commandant, avec une expression irrité. Nous devons faire vite. Son mat central a cédé, et le bateau prend l’eau, car la coque a été endommagée lorsqu’il s’est affalé sur le pont. Le pivot de base du mat, vu l’inclinaison de celui-ci, aura déchirée comme une vulgaire feuille de papier, cette coque de bois. Il s’appelle le…  « Wind of Indies » !

- Le vent des indes, traduisis-je. Presque un nom prédestiné. Terrassé, par les vents capricieux de cet océan. Il faut être fou, pour prendre la mer avec une telle boite d’allumettes.

- Ce sont… des britanniques, nous apprit le Commandant. L’Union Jack, flotte sur sa hampe arrière. Lieutenant Girard !

- Commandant ?

- Dans cinq minutes, nous serons à l’approche du bâtiment en difficulté. Vous allez embarquer dans la chaloupe de sauvetage en mer, sur le pont A1, et vous rendre prendre en charge, les plaisanciers de ce voilier. Julian Stinneng, vous accompagnera.

Un homme mince, sensiblement de ma taille, au visage un peu allongé, des yeux noirs comme de l’ébène, se tourna, et me fit face. Il était vêtu de l’uniforme de capitaine, de la marine marchande.

 « Eh bien, il ne manquait plus que ça, au tableau ! Qu’est-ce qui lui passe par la tête, au Commandant, de me faire accompagner par le patron des barbouzes américains ? Ce n’est qu’un malheureux naufrage de bateau de plaisance, pas d’un sous-marin nucléaire, non » ?

J’allais devoir, faire avec. Alors, à quoi bon me casser la tête ? J’ai manqué de jugeote, en cet instant. J’aurais dû mieux réfléchir.

- Enchanté de faire votre connaissance, Lieutenant. Nous allons écoper sec, mon gars, dit le patron de la C.I.A, tout en me serrant la main.

- De temps à autre, faut savoir se mouiller, répondis-je, pince sans rire.

Il me répondit à son tour, par un ricanement. L’allusion, ne lui avait aucunement échappée. Maintenant pour le moins, n’ignorait-il plus, la sympathie que je vouais aux planqués qui jouent les agents secrets, en se calfeutrant dans l’ombre d’un mystère qu’ils s’évertuent à entretenir. Alors que nous sommes tous embarqués, sur le même négrier, pour ne pas dire une galère, car si nous devions ramer en prime, ce serait complet. «  André, et ce gu-gus ? Bonnet blanc, et blanc bonnet », pensais-je. Cette attitude, augmentait d’autant plus le sentiment, d’être vraiment enchainé en fond de cale.

- Nous aurons, très certainement assez de temps, pour faire plus ample connaissance Lieutenant, dit-il, prenant le premier le chemin du pont de poupe où péniblement, les marins aux bossoirs, luttaient pour débrayer les freins de la chaloupe de sauvetage en mer, située sur tribord A1, sous des bourrasques  de pluie, poussées par un vent violent. Suivant de près le Capitaine, Julian Stinneng, je me demandais si véritablement, à la C.I.A, ils cultivaient l’humour en serres ? Alors inutile de se poser la question quant à sa carence d’éclat, et d’originalité gustative. Je n’avalais pas !

- A vous l’honneur Lieutenant, dit-il, désignant la chaloupe. Je pris place, sur la banquette du fond où il vint me rejoindre, sous le toit de protection. Deux marins, se précipitèrent à leurs postes. Le premier nous marcha pratiquement dessus, pour atteindre la timonerie, permettant la manœuvre de cette mini vedette rapide, dotée d’un moteur in bord, de 200 chevaux. Le second marin prit une gaffe en mains, et attendit debout. Je compris que durant la descente de la chaloupe, le long de la coque du Seko, il écarterait l’embarcation avec sa perche, la préservant de son mieux, du métal rugueux, peint en noir.

Cinq minutes, et une poignée de secondes plus tard, nous touchions l’eau. Le Seko avait manœuvré pendant ce temps-là, en vue de nous protéger du vent, nous positionnant à l’abri de sa masse. Le trajet en direction du voilier, fut effectivement très mouvementé. Malgré l’abri précaire, il ne me fallut pas très longtemps, pour que je sois trempé. Stinneng se marrait, et me tendit un gilet de sauvetage.

- Mettez ça, vous aurez moins froid, criât-il, pour couvrir le bruit du moteur. Et puis sait-on jamais, ajoutât-il, sentencieusement.

Je le lui pris, un peu brusquement d’entre les mains, ce qui eut tendance à le faire rire plus encore. Il m’énervait, ce mec. Par bonheur, l’on aborda enfin le voilier, alors que je luttais comme un damné, pour mettre cette foutue ceinture. Je finis, par abandonner. Une fille aux cheveux hirsutes, et roux comme une carotte, hurlait quelque chose en Anglais.

- Attention, attention, there is a bomb on board !

- Que dit-elle, cette pauvre fille ? J’ai mal entendu où elle a dit, « attention, il y a une bombe à bord » ?

- Vous avez très bien entendu Lieutenant, dit Stinneng, dont le visage se cramoisie instantanément. Je monte à bord ! Quant à vous, occupez-vous d’embarquer au plus vite, les plaisanciers. Nous n’allons pas, trainer là !

- J’y compte bien !

Je n’eus pas à me précipiter, pour aider cheveux de feu à embarquer. Elle sauta dans la chaloupe, manquant de peu basculer par-dessus-bord. Je lui pris la main à temps, pour l’aider à maintenir son équilibre, la dirigeant vers les banquettes du fond. Elle avait, un visage agréable. Peut-être, un peu trop enfantin à mon goût. Et bien trop de pites de rousseur,  sur son nez retroussé. Une couverture sur ses épaules, et le tour était joué. Le Marin à la gaffe, accueillit une autre jeune fille, l’aidant à venir prendre place, auprès de son amie. Nos regards, se croisèrent. Elle m’adressa un sourire qui en d’autres circonstances, m’aurait encouragé à engager une conversation. Mais là… D’ailleurs, le marin lui tenant toujours la main, l’attira sans grand ménagement, vers la banquette du fond. Levant brièvement les yeux vers le ciel, j’attendis de voir le prochain éclair, le zébrer. J’en fus pour mes frais !  

« Bizarre ! Il m’a pourtant bien semblé, avoir vu l’éclair. Aucun grondement de tonnerre ? J’ai dû rêver » !

Je m’ébrouais, pour reprendre le fil des réalités. Pour finir, Jésus Christ nous rendit visite à bord. Non ! Je n’avais pas pris de L.S.D ! Je vous assure que ce gars, prenant pieds nonchalamment dans cette chaloupe,  ressemblait au Christ, comme deux gouttes d’eau. Il ne lui manquait que la couronne d’épines, et une longue toge blanche, pour que ce soit complet. Mais j’eus immédiatement le sentiment qu’il portait une lourde croix, depuis fort longtemps. Il balança trois lourds sacs marins, sur la proue de la chaloupe, puis il me fit face.

- On m’appelle « Che », comme Che Guevara, se présenta-t-il, me serrant la main avec grandiloquence. Je sus immédiatement à voir son expression qu’il honnissait, les uniformes. Grâce à Dieu, vous êtes vite venus nous porter secours, ajoutât-il, me rendant ma main. On se demandait quand vous alliez arriver…

Il me fallut quelques secondes, pour traduire de l’anglais en français. Qu’avais-je ouï ?  

- Vous-vous… le demandiez ? Etrange ! J’en suis atterré de stupéfaction ! Allez donc vous asseoir, près de vos amies, en attendant le retour de mon collègue. Allez ! Ne restez pas planté là, comme les poireaux du jardin de ma tante, le houspillai-je en français. Mais le gars, semblait ne pas très bien comprendre. Je le poussais dans le dos, lui désignant la banquette de l’index. Il s’y rendit, entament instamment  une discussion à bâton rompu, avec les deux filles qui ne me perdaient pas de vue, avec une expression terrorisée dans les yeux. Enfin ! Surtout cheveux de feu. L’autre, je ne sus définir ce que ses prunelles, voulaient me communiquer. Elle me fit penser à l’une de mes Profs de terminale, lorsque je rêvassais en regardant la cime des pins que le mistral de ma Provence, faisait danser au gré de sa fantaisie. Je sentais alors son regard perçant, m’évaluer à distance, avant qu’elle pousse un cri strident, histoire de me ramener  illico presto, dans le monde des conscients. 

- Vous ne parlez pas anglais, m’interpellât-elle.  

- Je n’ai pas trop le temps, de vous énoncer mon parcours scolaire, miss… ?

- Miss Jacqueline Leslie Wood, monsieur l’officier. Pour les intimes, c’est Jackkie, avec deux « K ».

- Wonderful ! Je suis enchanté ! Nous ferons les présentations, à bord du Seko, si cela peut attendre jusque-là.

Stinneng revint, avec un étrange sourire aux lèvres. Il embarqua, braquant sur nos rescapés, un regard chargé d’interrogations.

- Je crois bien, que ces drôles d’oiseaux de beatniks, se paient nos têtes, dit-il, en sourdine.

- Pas trace, d’une bombe ?

- Oh que Si ! Un gadget électronique, sans aucune charge explosive. A quoi jouent-ils, ces existentialistes drogués ? Ils doivent nous arriver, en droite ligne de Katmandou où ils se seront rempli la cafetière, de tous les narcotiques que l’on peut y trouver.

- Je ne suis pas de cet avis Capitaine, me permis-je de le contredire. Son opinion, se fondait sur les apparences. Je n’aimais pas du tout ça.

- Ah bon ? Donnez-moi votre avis, il m’intéresse.

- Jésus Christ, assis là, auprès des deux filles, m’a dit textuellement ceci : « On se demandait quand vous alliez arriver ». Bon ! On va rester longtemps, amarrés à cette coque qui s’enfonce, un peu trop dangereusement dans cette mer, de mes deux ? Je me mis alors à chantonner :

Les marins, sont en mer dès l’aurore, en mer dans le matin, en mer dès la journée, ils ont d’la mer devant, ils ont d‘la mer derrière, ils ont d‘la mer de tous les côtés.

Julian Stinneng,  prit le parti de rire. Mais je crois qu’il comprit très bien que je me payais sa tête.

- On décroche ! ordonnât-il aux marins, ces derniers s’empressant de nous faire reprendre le large. A présent, le pauvre Stinneng, me regardait avec cette même expression d’intense réflexion que lorsqu’il foudroya de ses yeux noirs, les trois plaisanciers qui sur la banquette, se serraient les uns contre les autres, pour avoir moins froid. Ils demeuraient silencieux, regardant une dernière fois leur voilier, avant que celui-ci s’enfonce à tout jamais, dans les profondeurs insondables de l’océan indien. Leurs minces bagages, n’encombraient pas la chaloupe. Tout juste, ces trois sacs marins que « Jésus », avait balancé sur l’avant. Appelez-moi  « Che » comme Guevara, avait suggéré le gars, grand, maigre comme un fil de fer, au nez en forme de bec d’aigle, et aux yeux brillants d’héroïnomane. Il avait deux trous à la place des joues, mangées par une barbe longue, et pointue que le vent, faisait se confondre avec ses cheveux frisés,  poisseux, lui tombant sur les épaules. « Raspoutine, ou Jésus Christ » ? Fallait que je choisisse.

Je me déportais prudemment en direction des plaisanciers, venant m’asseoir sous la bâche de protection.

- Vous avez navigués longtemps, avant l’accident ? demandais-je, à celle qui parlait un français des plus corrects. Comment avait-elle dit qu’elle se prénommait ? Ah oui ! Jackkie, avec deux K.

P/N : « Peut-être que Stinneng, n’a pas tout à fait tort, et que nous sommes en présence, de trois K ».

- L’accident, n’est intervenu que par la faute des pirates qui nous ont arraisonnés, répondit sèchement la jeune femme aux cheveux longs, lisses, et blonds cendrés. Nous venions de Ceylan, pour répondre à votre question. Ses yeux, étaient verts comme des émeraudes, tranchant bien, avec son teint bronzé par le soleil d’Asie du Sud-est. Lorsqu’il brillait, toutefois ! Ils nous ont forcés à rester assis dans le roof, continuât-elle, ne pouvant lire dans mes pensées. M’écoutez-vous, monsieur l’officier ?

«  Ah ! Je me trompe ! Elle lit dans mes yeux » ! 

- Je suis, tout ouï ! m’empressais-je de lui répondre.

Elle ne parut pas convaincue du tout, et je le compris à son regard.

- Je disais qu’ils nous forcèrent à rester assis dans le roof, pendant que l’un d’entre eux, amorçait la bombe. Sans personne à la barre, le voilier s’est mis contre le vent, et le mat a cassé net, sous sa force.

- Votre skipper n’a rien vu venir ? Il n’a pas vu les pirates monter à bord ?

- Je… Je ne sais pas, Monsieur l’Officier…

- Laissez courir ! C’est à cet instant précis qu’ils vous ont dit : « Ne paniquez pas, car… un navire, ne tardera pas, à venir vous secourir, non ?

- C’est exactement ça, monsieur l’officier.

« Hum ! Ces salops, ont saboté l’embase du mat, pour qu’il s’affale sur le pont. Ce n’est pas, un accident » !

Stinneng, m’attira sur le premier banc, à l’avant de la chaloupe.

- Que vous a-t-elle apprit ?

- Bof ! Elle dit que nous étions, attendus de pieds fermes, répondis-je impassiblement, en français. Et vous savez quoi, Capitaine Stinneng ? Je suis persuadé que cette fille, ne s’est pas shootée, et cela, depuis un bon moment. Ni jamais, d’ailleurs !  

- Autrement dit, vous la croyez sur parole. Je vois ! Autant étonnant que cela puisse vous paraître, venant de ma personne, je serais tenté de la croire aussi.

- Bizarre, cette façon de nous transmettre un message non ? J’en ai des fourmillements, dans le système nerveux. Mes neurones, se bousculent tellement là-dedans qu’elles se déconnectent.

- Vous dites… bizarre ? Pas tant que cela le semble, Lieutenant. Une occasion s’est présentée, ils la saisirent.

- C’est limpide ! Ils devaient se creuser le ciboulot, se demandant bien, comment ils allaient communiquer avec nous. Le pigeon voyageur par ce temps, ce n’était pas l’idéal. Et, tiens ? Un voilier, avec trois hippies à son bord, se pointe sur la surface de cette mer démontée ! L’occasion rêvée ! Mieux encore ! Ils nous envoient le messie. Le sosie craché, de Jésus Christ. Le porteur de bonnes paroles providentiel, non ? Et puis … ? Non ! Ça ne cadre pas ! A quoi bon, nous adresser un message ? C’est nouveau, dans le manuel pratique des pirates ?

- Vous tournez toujours ainsi, les choses à la plaisanterie, Lieutenant ? Serait-ce, votre trait de caractère ?

- Non ! Je tourne à la dérision, ce qui est dérisoire, Capitaine, si tel est bien votre grade. J’attends votre diagnostic, Docteur. C’est bien malheureux pour la famille, mais l’enfant est perdu ? répondis-je, tournant la tête dans sa direction, afin de mieux lire dans ses billes ténébreuses, un éclat de spontanéité, à dire la vérité, voire que sais-je, quelque chose qui s’apparenterait à de la surprise ? Je ne vis, absolument rien de tout ça !

« Il fait quoi, assis sur ce banc, ce mec » ?  

Je pris tout mon temps, pour le scruter très attentivement. Il brisa, le silence qui s’établissait entre nous.

- Vous ne donnez pas Le sentiment, de beaucoup apprécier les Américains, je me trompe ?

- Aucunement les américains, cher Monsieur. Le Viêt-Nam ? C’est votre saleté de guerre, Capitaine. Vous l’avez voulue ? Vous-vous la farcissez. Vraiment, je ne comprends plus du tout, nos politicards, en France !

Il se mit à rire franchement, me donnant une sacrée bourrade sur l’épaule qui faillit bien, me propulser par-dessus bord. Il avait une de ces forces, le malingre.

- Vous me plaisez Max, parvint-il à dire, en s’étouffant de rire, se frappant la cuisse gauche du plat de la main. Les jeunes femmes, le rire étant contagieux, en oublièrent un court instant, le drame qu’elles venaient de vivre. Elles ne tardèrent pas à partager l’hilarité de l’officier de renseignements. Seul « Jésus »,  se contenta de sourire béatement, comme s’il apercevait au travers de ces nuages impénétrables de l’œil humain, la porte de son paradis. « Père pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils disent » !  

- Hum ! formulais-je simplement, guère rassuré par cet aveu spontané. Par bonheur, l’échelle de coupée qui pendait le long de la coque du Seko, me fit songer que ce calvaire, allait bientôt prendre fin. Aussi, je me précipitais vers elle, ne demandant pas mon reste, pour en grimper au plus vite, les échelons détrempés d’eau de pluie, et de mer. Je faillis glisser, ce qui provoqua dans mon dos, un autre déferlement de rires.

« Ils me pompent l’air, ces guignols » !

Je fulminais, en silence. Enfin arrivé sur le pont, le Commandant LANGE, me héla par le bras.

- Où fuyez-vous ainsi, Lieutenant ?

- Je ne fuie pas, Commandant.

- Ben voyons ! Vous me devez un rapport circonstanciel, clair, net et précis, sur cette promenade en mer. Je l’attends dans ma cabine, avant le briefing. Ah ! Vous prendrez également les dépositions, des… rescapés. Individuellement, bien sûr ! N’incluez pas les notes que vous prendrez au rapport. Je veux le tout, séparé. Et il est inutile de vous préciser, de ne jamais aborder, les grandes lignes de notre présence, sur cet océan. 

- Les grandes  lignes ? Bien sûr, Commandant. Ce n’est pas le rôle de la C.I.A, les interrogatoires ?

- Absolument pas, Lieutenant ! Vous n’aviez pas de radio, à bord de la chaloupe ?

- Euh ! Non, Commandant.

- Eh bien, la prochaine fois, n’oubliez pas de vous munir de cet appareil, destiné à la communication qui peut éventuellement, s’avérer indispensable. Me suis-je bien fait comprendre, Lieutenant Girard ?

- Fort et clair, Commandant. J’avais emprunté la réponse, d’une réplique tirée du célèbre film, « Fort Alamo », avec John Wayne, jouant le rôle du non moins célèbre Davy Croquet. Mais le Commandant LANGE, n’avait pas dû beaucoup apprécier ce film.

- C’est à souhaiter Lieutenant, c’est à souhaiter ! Ne perdez pas de temps.

Ce qui traduit rigoureusement dans son langage, signifiait : « disparaissez ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12 : 45.

 

Le rapport que j’allais remettre au Pacha, se présentait sous la forme de deux pages, recto et verso, relatant les faits le plus scrupuleusement possible. Je savais faire ! J’insistais bien évidemment, sur l’évidence que nous n’étions plus du tout de sombres inconnus, sur la surface de cet océan. L’effet de surprise ? Nous pouvions l’oublier. Car à n’en pas douter, et je n’en doutais plus, telle était la stratégie élaborée, par nos chers amis Américains, pensais-je fermement alors. Je me posais la question suivante : Qui avait bien pu, avoir une telle idée tordue ?

« Par la barbe du Saint-Père ! Nous aurions tout aussi bien fait, de leur téléphoner aux pirates, pour les informer de notre arrivée imminente. Qui, oserait encore se questionner quant à l’originalité, de notre mission » ? 

Nous voguions sur la surface de cette mer qui ne cessait de grossir, et de rugir de colère, pour traquer du forban. André, ne m’avait pas menti, à Bulawayo.

« Eh bien ! Question haute stratégie, c’est plutôt raté. Car c’est eux qui les premiers, ont pris l’initiative de venir au contact, et indubitablement, nous invitent à les pourchasser. Depuis quand, la Souris, s’amuse à aller titiller le gros matou, sommeillant dans son panier ? Nous jouons, à Tom and Jerry ? Surprenant » !

Oui ! Il y avait de quoi, être très désagréablement intrigué. Aujourd’hui, je suis toujours autant qualifié de paranoïaque. Je me suis calmé, avec l’expérience que confèrent les années. Jeune, j’étais pire ! Pour moi, aucune question, ne devait jamais demeurer sans réponse. Il n’est rien de plus terrifiant que d’avoir à s’endormir, sans préalablement attribuer un nom, une forme palpable ou non, une vision pragmatique, et pour le moins acceptable, de l’image la plus floue, d’un évènement obscur. Ce serait accepter par laxisme, de vivre une nuit cauchemardesque. J’ai toujours eu en horreur, ces cauchemars nocturnes. J’en vivais déjà assez, en état d’éveil. Le sommeil, m’était autant essentiel que de manger ou m’instruire. Et justement, l’approfondissement des incongruités, était dans ma façon de penser, quelque chose qui à l’arrivée, générait une prodigieuse connaissance. Donc, je me disais pas d’escale, droit au but.

Jésus, dit : le « Che », de son véritable prénom : Daniel, ou encore, Dan. Nom de famille, Green, fut le premier, à passer à la casserole. Il ne m’apprit pas grand-chose, lors de l’interrogatoire. Il s’exprimait lentement, coupant bien ses phrases, de ponctuations. Mais en fait, je le soupçonnais d’avoir fumé son « beue », alors qu’il dirigeait son voilier, vers… le Canal du Mozambique. Si toutefois, l’on devait prendre pour acquit, ce qu’il disait. «  Eh oui ! Jésus roupillait à la barre » ! Dommage que nous n’ayons pas eu le temps, de fouiller ce rafiot. Selon moi, nous aurions découvert quelques surprises. Non, non ! Pas du tabac à priser ! Un chien renifleur, éternuerait encore en cette heure. Je pris son identité, le renvoyant dans sa cabine qu’il partageait, avec cheveux de feu. En fait, elle se présenta sous le nom de Madame Che. Non, je plaisante ! Carroll Green-Granger. Elle fit simple ! Au moment de l’attaque des pirates ? Eh bien, elle dormait ! Le contraire, m’aurait étonné ! Ces salopards, (je site) l’ont rudement réveillée. Sa plus grande frayeur, fut celle qu’ils la violent. Oui ! Je comprenais parfaitement, cette trouille qui se justifiait, sous cette latitude. Certes ! Elle les vit poser la bombe sur la table, et la régler. Elle entendit également, celui qu’elle désignait comme étant le chef de cette expédition, leur dire qu’un navire ne tarderait pas, à se porter à leur secours.

« Ils doivent être très bien outillés, parlant moyens de communications, à bord de ce pirate. Donc ? Mais voyons, c’est certain ! Ils ne sont pas très loin, devant nous. Le Commandant ne devrait pas avoir exclu, cette hypothèse ».

La cafetière bouillait ! J’expédiais Carroll Green- Granger, rejoindre son mari. Car horreur, ces deux-là, avaient enfreints la sacro-sainte règle beatnik, en s’épousant en juste noce. Ce devait être folklo, lors des échanges… « Culturels », auxquels se livraient très idéologiquement, et avec une ferveur libertine, ces adeptes de… « Faites l’amour, pas la guerre ». Peace, and love ! Je me souviens d’avoir pensé que si elle procréait un jour  prochain, j’aimerais bien voir la trombine du minot.

«  Papa » ?

« Ah non ! Moi, c’est tonton, car nous sommes tous frères, mon fils » !

Vint ensuite, Jackkie, avec deux K.

- Puis-je vous poser une question ? dit-elle, avant même de s’asseoir, sur la chaise que je lui désignais. Ma cabine, était très mal éclairée, et les soubresauts du navire qui s’enfonçait dans des creux de huit à dix mètres d’eau bouillonnante, provoquaient des microcoupures d’électricité par alternance, lorsque ses hélices brassaient le vide. Pouvez-vous imaginer, un mixer géant ? Cela produisait le même bruit.

- Pourquoi pas ? concédais-je, l’observant plus attentivement, à présent. Elle était vêtue d’un jeans moulant, et d’une chemisette blanche fripée, nouée sur son nombril. Un seul bouton, dans sa boutonnière, me privait d’en voir plus encore, d’un soutien-gorge rose, enfermant deux seins lourds.

- Avec cette humidité, et ce vent qui s’engouffre de toutes parts, je crains que vêtue ainsi, vous preniez froid, lui adressais-je un message qui je l’espérai vivement, serait très vite compris.

- Ah bon ? Je suis anglaise, Lieutenant. Et chez-nous, le froid… 

- Et chez-nous…, lorsque vous rejoindrez votre cabine, vous-vous changerez au plus vite, interrompis-je sa plaidoirie, griffonnant, une annotation, sur mon brouillon. Vous désiriez poser une question, je crois ?

Il lui fallut quelques secondes, pour reprendre pieds. Car indiscutablement, mon message courtois, n’étais pas très bien passé. Le ciel chargé d’électricité, avait très certainement provoqué un court-circuit, de son appareil récepteur.

- Oui ! Eh bien… je viens de voir des hommes en uniforme, armés jusqu’aux dents, dans la coursive, en vint-elle à sa question, nullement offusquée, ni même bouleversée. J’ai vue de tout ! Même des grenades qui pendaient à leurs ceinturons, précisât-elle. Ce n’est pas très… conventionnel, sur un bâtiment civil, non ?

- Fabuleux ! Vous avez le sens de l’observation, bien aiguisé. Qu’est-ce qui vous fit penser que le navire qui se portait à votre secours, appartenait à la marine marchande ? Ce sont ces pirates qui vous inspirèrent, cette certitude ?  

- Non ! Mais votre uniforme, n’a rien de celui d’un militaire, si je dois me fier à ce que je vois ? Dites-moi où est l’erreur ?

- Bien ! éludais-je ses remarques. Puisque nous en sommes au sens de l’acuité visuelle, dites-moi je vous prie, eh bien, ce que vous avez vu, tout simplement ? Vous m’épargneriez de perdre du temps, en posant des questions. J’ai ordre, d’accomplir ce travail, et n’allez pas croire que ce soit de gaité de cœur que je m’y attache. Alors, soyons brefs.

- Pourquoi, vous efforcez-vous, à prendre une position rigoureuse ? Sommes-nous suspects, Lieutenant ?

- Si nous avions considéré que vous étiez suspects, nous vous aurions logés dans l’un des entre ponts, aménagé à cet effet, répondis-je froidement, le regard rivé sur mes notes.

- Drôle, de spécial bonhomme ! lâchât-elle, m’offrant un sourire assez étrangement compatissant.

- Je vous demande pardon ? répliquais-je, levant les yeux brusquement vers elle. Qui, serait un drôle de spécial bonhomme ?

- Voyez-vous quelqu’un d’autre, dans cette cabine ? Je pense être saine d’esprit, de ce fait, je ne parle jamais aux fantômes. D’ailleurs, je n’y crois pas, soulignât-elle, avec la force de la conviction.

- Hum ! Quel âge avez-vous… euh … miss Wood ?

- Vingt et un ans, Lieutenant. Dois-je vous remettre mon passeport ?

- Effectivement ! Je vais en avoir besoin, pour établir un communiqué que nous adresserons à votre Ambassade. Déclinez, votre état civil. Vingt et un ans ? Une moue dubitative, n’échappa aucunement à mon interlocutrice qui ne manquait pas de cran. Elle alluma une cigarette, approchant au plus près d’elle, le cendrier remplis à bloc.

- Vous auriez bien besoin, d’une femme de ménage. Vous avez tiqué, à l’énoncée de mon âge ?

- Non ! Je me demandais seulement, depuis combien de temps, votre papa, ne vous a pas donné une bonne fessée, histoire de vous apprendre les bonnes manières. A moins que vous cherchiez, à me provoquer ?

Elle fuma posément, ses grands yeux verts, ayant investis les miens. D’un geste félin, elle repoussa une mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux, et prit le parti de rire, sans toutefois que cela paraisse vexant. Un tout petit rire qui me prouva qu’elle n’était pas dépourvue d’esprit, ni d’humour.

- Bon ! Qu’avez-vous à dire, de l’incident qui est survenu sur votre voilier ? Ou plutôt… que faisiez-vous, à bord de ce voilier ? C’est assez… comment dire ? Vous n’avez pas grand-chose de commun, avec… Avec, Jésus Christ, et Marie Madeleine.

Là, le rire fusa dans toute la pièce, et je dus faire preuve de fermeté, pour qu’elle revienne aux choses sérieuses. Mais, ce fut duraille. Elle pouffait encore, s’efforçant à reprendre le fil normal de la conversation.

- Je… Je faisais du bateau stop, réussit-elle enfin à m’apprendre.

- Du bateau stop ? Mazette ! Expliquez-moi, un peu ça ?

- Vous tombez des nues, Lieutenant ? C’est une pratique assez courante, en ce vaste coin du monde. J’ai quittée Ceylan, à bord de ce voilier qui se rapprochait le plus, de l’Afrique du Sud. Le skipper, et sa compagne, se rendaient au Mozambique. C’était ma route, voilà tout.

- Oui ! C’est beaucoup plus clair. Vous-vous rendiez à…

- Durban, Lieutenant.

- Durban ! Très bien !

- Ce l’était pour moi, du moins.

- Quoi donc ?

- Très bien ! dit-elle, reprenant avec une pointe de regret, les derniers mots qui m’étaient venus, à l’esprit.

- Houai ! Je l’imagine aisément.

- Vos oreilles, sont curieuses.

- Ah bon ? Vous les trouvez, trop grandes ? Peut-être bien trop décollées à votre goût ? Aurais-je une légère ressemblance, avec Jumbo, le petit éléphant de Disney ?

- Non ! rectifiât-elle, riant de nouveau, enserrant son ventre entre ses deux bras. Je ne maîtrise tout simplement pas très bien encore, la langue de Voltaire. Je voulais dire que vous étiez un curieux, presque maladif, non ? Vous bruliez du désir, de me demander, ce que j’allais faire à Durban ?

- Vous avez le charme, pour me mettre en boule, vous ! Dites toujours, puisque vous y êtes. Mes oreilles…, sont curieuses. Et je dois le dire,  votre français est des plus corrects, la complimentais-je. J’ai entendu pire.

- Je travaille, pour une O.N.G britannique qui dresse un bilan, sur la faim dans le monde, accédât-elle à ma curiosité, essayant de reprendre son sérieux. Je travaille, est un bien grand mot. J’effectue des enquêtes, je rencontre diverses personnalités pour eux, ce qui me permet de payer mes études, mais surtout d’enrichir mes connaissances. Je suis l’élève, de la plus formidable école de la vie. Globe-trotter, and student. C’est passionnant, croyez-le bien, Lieutenant.

- Max, m’entendis-je suggérer, malgré moi.

- Max ! Cela me conviendra parfaitement. Je vous ai déjà dit que moi, c’est Jackkie, mon prénom ?

- Oui ! Vous avez soulignée, avec deux K. Pourquoi, les deux K ?

- Parce que je suis une originale, Max. Je tiens à me distinguer des autres.

- Le tout, dit très naturellement, sans vous auto ventiler ? Je ne puis que constater que vous réussissez très bien, à vous différencier des autres. Si vous m’en disiez plus, sur cette attaque de pirates ?

- J’ai déjà tout dit, alors que nous étions sur la chaloupe.

- Réfléchissez, Jackkie. Un détail quelconque, peut faire toute la différence.

- Oui ! Carroll, ne vous a rien révélée ?

- Hum ! Je crois qu’elle était bien trop terrorisée, pour avoir retenue le moindre détail. Faites un effort, je vous prie.

- Pas besoin de trop me creuser la cervelle, dit-elle. Je n’oublierai jamais ce visage. Le chef des pirates, était un homme de très forte stature, au visage balafré de l’oreille droite, au menton. L’un de ses hommes, vint lui adresser un message. Je n’aie rien entendue, car il lui parla à l’oreille. L’autre lui a répondu, utilisant un dialecte Pakistanais. Je suis anglaise, je connais bien les « Pakis ».

- Hum ! Un Pakistanais ! Eh bien ! Ce sera tout ?

- Ce sera tout, Max. Sauf que nous avons connus, la frayeur de nos vies. Et croyez-moi sur parole, je ne suis pas des plus impressionnables.

- Je le comprends, très aisément. Vous avez bénéficiés, d’un sacré coup de chance.

- Qu’allons-nous devenir, à présent ? Mes employeurs…

- Nous ferons le nécessaire, menti-je effrontément. J’en éprouvais du remord, certes ! C’est tout, vous pouvez disposer, euh… Jackkie, ajoutais-je, en griffonnant sur mon feuillet, prenant une attitude distante. J’abominais, de devoir lui cacher la vérité. Les ordres, sont souvent stupides. Ces pauvres bougres, étaient autant prisonniers que nous l’étions, de cette cage d’acier flottante d’où nul, ne peut s’évader. Elle se leva, se dirigeant vers la porte. Sa main enserrant la poignée, elle demeura sur place un court instant, comme immobilisée, par une pensée lui traversant l’esprit.

- Je crois, je ne suis pas certaine que le messager, l’a nommé « Sahib », dit-elle, sans me faire face. Puis, sans lâcher la poignée, elle tourna la tête dans ma direction. Je levais les yeux vers la jeune femme, captivée par ce retour de mémoire. Il existe une sorte de légende contemporaine, sur les côtes de Ceylan, poursuivit-elle. Un bandit très renommé, pillerait les navires qui s’aventurent, bien trop près des côtes indiennes, pour faire don des richesses ainsi récoltées, aux plus démunis.

- La légende du bandit au grand cœur ? On me l’a déjà faite, celle-là ! Le cinéma américain, en fit ses beaux jours.

Elle a pouffée de rire, avant de reprendre son sérieux et d’ajouter : 

- Il me semble bien que les indigènes, lui donnent le nom de « Sahib des abysses », car il coule systématiquement ses proies.

Elle ouvrit la porte, paraphant ses indications d’un sourire qui aurait fait fondre  un pain de sucre, aussi vite qu’une motte de beurre, exposée en plein soleil.

- Vous me voyez vraiment terrifié, Jackkie! Tâchez de ne pas vous perdre, en vous en retournant vers votre cabine. Etes-vous bien installée ?

- J’ai connue pire, Max. Ah ! Merci pour les effets vestimentaires, le nécessaire de toilette, et surtout, ces cigarettes américaines qui ne valent pas nos cigarettes anglaises, mais bon ! A cheval donné, on ne regarde pas les dents, n’est-ce pas ? Et…, je vais me changer de ce pas, dit-elle, en me regardant sereinement dans les yeux.

Sur ce, elle s’en alla, sans refermer la porte derrière elle. « Sacrée bout de femme », pensais-je, me levant pour boucler cette foutue porte qui grinçait sur ses gonds. Dehors, le vent s’en donnait à cœur joie, entonnant un hymne, destiné à foutre la frousse aux fantômes qui ne devaient pas manquer de hanter ces lieux, bien que Jackkie, ait affirmée ne pas croire en leurs existences. Aussi serons-nous pénards, car ils ne perturberont pas nos nuits.

 

 

13 : 46.

 

Le Commandant sortait de sa cabine, lorsque je me pointais, mon rapport à la main.

- Savez-vous Lieutenant ?  J’ai bien  faillis, vous attendre. Veuillez prendre note pour l’avenir ! La patience, n’est pas mon fort.  

- L’interrogatoire, a duré plus longtemps que prévu, Commandant.

- Bien ! Donnez-moi ce rapport, je le lirais en marchant. Restez, près de moi !

Je me mis dans son sillage, m’adaptant à son rythme de marche, sans piper mot, pendant qu’il lisait mes deux feuillets. Ces marins, ont des semelles aimantées.

- Excellent travail, Lieutenant. Ce que vous en déduisez est très pertinent.

- Seriez-vous de cet avis, Commandant ?

Il ne répondit pas à la question, me laissant sur ma faim. Il marchait vite, sur un sol qui s’inclinait de 2 à 3° sur l’avant, longeant la barre anti tempête, à laquelle il se tenait d’une main, alors que quelques longues secondes plus tard, le phénomène s’inversait.

- Vous l’avez placé sous surveillance, demandais-je, jouant des coudes, avec les parois de la coursive.

- Depuis que nous avons quitté, le lieu du sauvetage. En effet, par ce temps, les navires ne se bousculent pas dans les parages. Alors, le plus proche de nous, ce ne peut être que lui. Proche, n’est pas le mot. Il a mis une sacrée distance, entre nous et lui, malgré ce temps de cochon. Selon vous Lieutenant ? Que veut-il ?

 «  Ah ! Il réagit enfin » !

- Bien, c’est assez évident, non ? Il voudrait ralentir notre marche qu’il ne s’y prendrait, pas mieux.

- Hum ! J’ajouterai un paramètre de taille. Et s’il voulait, nous dévier de notre objectif ?

- Ah, oui Commandant ! J’ai omis la valeur intriquée, pour ce qui me concerne, ayant pour dénomination couramment employée…, « objectif ». Ils auraient donc connaissance, de notre… objectif ? Pas un seul des hommes embarqués sur votre navire, moi en tête, ne le connait cet objectif, Commandant. Et…, une bande d’écumeurs des mers, eux, seraient informés ? J’en reste pantois ! Pas vous ?

« Tu aurais été bien inspiré, d’avaler ta langue, mon cher Commandant. Voyons comment tu vas t’en sortir, à présent » ?

Je le regardais de biais, ne manifestant aucune impatience. 

- Vous êtes un sacré petit malin, Max. C’est ce que je suis en train de découvrir, vous concernant. Alors ? Qu’en déduisez-vous ? Car je suis certain que vous avez une opinion, à soumettre. J’écoute ?

- Alors, je ne vois qu’une seule explication à cette situation, des plus extravagantes.

- Vous pensez à… une taupe, n’est-ce pas ?

- Ne me dites pas que cette pensée, ne vous a pas effleurée l’esprit, Commandant ?

«  Oh que oui, qu’elle t’a, effleurée l’esprit. Car tu en sais long, toi aussi. Maintenant, je n’ai plus aucun doute à ce sujet. Quel rôle, veux-tu me voir jouer, dans ce mélodrame ? Je crois comprendre. Voyons, si je fais fausse route ». 

- Ce n’est pas, l’un de mes marins, dit-il, prenant un air offusqué. Ils ont été triés, sur le volet.

- Nos hommes aussi, Commandant, fis-je mine d’entrer dans le jeu.  

- Les miens, ont plus de dix ans de service, Lieutenant. Je connais leurs prénoms ! Il en est même parmi eux, de qui je connais celui de leurs enfants, c’est tout vous dire !

- Ah bien ! Je vois ! Vous me suggérer, d’enquêter sur ceux qui n’ont pas de longues années d’états de services, auprès du Colonel Mahersen ? C’est à creuser, comme idée.

- Eh bien approfondissez donc, Lieutenant. Ce sera, la dernière fois que je creuserai pour vous.

Sur cette prophétie que j’avais intérêt à enregistrer, et à sauvegarder en mémoire vive, il dévala les escaliers qui conduisaient aux ponts inférieurs, sans même plus me calculer.

 « Marche ou crève, hein  » ?

Mais je n’avais pas du tout, envie de crever. Et puis ? Me revenaient les images de son flegme, lorsque nous étions en approche du Wind of Indies, en perdition. Un peu, comme s’il s’était attendu, à le voir là ! C’était l’impression que j’avais ressentie, alors qu’il donnait ses ordres, pour l’aborder. Oui ! Il s’attendait, à quelque chose de ce genre ! Il ne démontra aucune précipitation, n’émettant aucune appréciation personnelle, de la situation qui se déroulait assez dramatiquement devant ses yeux. J’avais également en mémoire, le fait qu’il m’avait adjoint, le digne représentant de la C.I.A, pour me rendre repêcher trois infortunés plaisanciers.

« Ça devient de plus en plus passionnant, cet imbroglio. Nage, nage, mon petit Max. Tu ne sais pas où est la terre ferme, mais dans l’instant, l’essentiel, c’est de ne pas te noyer. Il sait très bien que nous avons un ver, dans le fruit. «  Ce n’est pas l’un de mes marins », dit-il… Eh oui ! Il ne cherche pas, à disculper les siens. Il me place sur orbite, comme cela se dit aujourd’hui. Et André ? Bien sûr qu’il sait aussi. Le tout étant, de savoir depuis quand, André sait ». 

Je suivis de mon mieux, les traces du Pacha. Mais, je commençais à mettre, l’une après l’autre, les pièces du puzzle à leurs places. Autant surprenant que cela puisse paraître, je prenais goût au jeu.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14 : 00.

 

La salle de briefing, me fit penser à une classe scolaire, niveau terminale. La seule différence était qu’à la place du tableau noir, un écran de ciné avait été dressé, ainsi qu’un tableau blanc, sur lequel l’on pouvait écrire avec des feutres dont l’encre était effaçable. « Où s’arrêtera le progrès ». Je jetais un regard blasé, sur la petite assemblée qui s’était réunie là. Bien sûr, il y avait Jean-Luc De Langlade, Yan Kowalski, André, assis auprès du Colonel Mahersen. Celui-ci  m’adressa un signe de la main, afin que je vienne  prendre place à leur côté. Il y avait aussi, leurs adjoints les plus gradés, dont je vous dispenserai de les nominer. Et enfin, impensable que l’on ait pu l’éviter, nos trois membres de la C.I.A, vêtus d’uniformes impeccables, de la marine marchande. A la droite du Commandant, était assis près du bureau directorial, un Capitaine de Corvette aux cheveux gris. Il ne releva pas les yeux, étudiant une carte, inscrivant quelques notes avec une certaine fébrilité, sur une feuille de papier.

- C’est bon, Capitaine Corning ? Vous avez fini ? lui demanda le Commandant, visiblement exaspéré.

- J’ai fini, Commandant, s’excusa l’officier cartographe, et navigateur, dont les joues s’étaient empourprées.

- Bien ! Bonjour Messieurs !

L’ensemble se leva, prenant la position du garde à vous.

- Repos ! Vous pouvez vous asseoir, ordonna le pacha. Compte tenu du temps extérieur, il est impossible d’ouvrir les hublots, nous informât-il. Alors la cigarette, en bandoulière. D’ailleurs, pour ce premier briefing, je ne vous tiendrais pas très longtemps. Voici le topo, débutât-il enfin, son exposé. Les questions à la fin, soulignât-il. Voici de cela un an pile, trois navires marchands français, cinq autres de diverses nationalités, furent sauvagement arraisonnés par des pirates, délestés de leurs cargaisons. Des hommes d’équipage, furent tué, spécifiât-il lugubrement. Mais le pire, est survenu. Un équipage entier, a disparu comme par enchantement, ainsi que le navire, sur lequel ils servaient. 36 hommes d‘équipage, purement et simplement, volatilisés. Jamais aucun indice, ne permit de retrouver, hommes, et matériel. Mais il y a encore, une ombre très inquiétante au tableau ! Je vais y venir. Notre Gouvernement, s’est alarmé de cette situation. D’autant plus que le Canal de Suez étant fermé, pour cause de conflit, la route maritime la plus fréquentée, se situe au large des côtes Est, du continent africain, dans l’océan indien. Le nombre croissant de portes containers, de pétroliers et j’en passe, a obligé les Commandants des bâtiments marchands, à emprunter une route maritime, bien tracée au degré près, ne leur accordant toutefois qu’une infime marge de décision individuelle, sur un trajet qu’ils affectionnent. Vous l’aurez compris, c’est pour éviter les collisions. Certains, se dirigent vers le Canal du Mozambique, et font escale à l’Ouest de Madagascar, dans le port de Mahajanga. Alors que d’autres, préfèrent la côte Est, empruntant le trajet le plus long, car ils sont tenus de contourner Madagascar, n’effectuant de ce fait, aucune escale programmée. Toutes ces flottes, convergent généralement vers l’Europe, ou en proviennent. Elles se voient tenus par la force des choses, d’affronter le Cap de bonne espérance, et de longs jours de mer, en longeant la côte Ouest de l’Afrique. Jusque-là, je ne vous apprends pas grand-chose. Donc, je disais que notre Gouvernement, est devenu très nerveux, en regard de la situation. Les stratèges, ont planchés sur un subterfuge audacieux qui devait de toute façon, nous réunir tous, dans cette pièce. Seulement, nos alliés Américains, transmirent aux autorités françaises, des informations que nous ne possédions pas. Il en est parmi vous qui n’apprécient guère, la présence de nos alliés américains, dans le cadre de cette opération.

« Là, je me sens directement visé ».

- Eh bien, se sont des ignorants ! Je vais de ce pas, éclairer leurs lanternes, espérant obtenir d’eux, la collaboration qui s’impose, sans aucun discernement. Inutile de réfléchir, vous obéissez à cet ordre ! Je souhaite, de m’être très clairement fait comprendre, dit-il, me foudroyant du regard.

«  Eh oui, c’est la saint con, bonne nouvelle, c’est ta fête ».

J’évitais adroitement, de sourire niaisement.

 - Le jeune et impétueux Lieutenant Max Girard, à mit le doigt sur une évidence, reprit le Pacha. Heureux, de constater que rien, ne lui échappe. Même s’il manque un peu de ponctualité, ajoutât-il, me reprochant de nouveau, mon léger retard.

« Bravo, le double tranchant du compliment ».

- Mais pour que vous compreniez tous, il faut en arriver aux informations fournies par nos alliés. Quelques flottes régionales, sortant de l’ordinaire de celles qui sévissent habituellement, en cette immense partie du monde, au travers d’actes de piraterie, se livre au trafic d’armement lourd. Plus exactement, au transport, et…, bien évidemment, à  l’acheminement de ce matériel de guerre. Vers où ? Rien n’est encore officiel… Nous présumons que…  En cette perspective, nous avons à faire, avec des armateurs. De véritables professionnels de la mer, ne vous y trompez pas !

- Ils transportent ces… marchandises, dans un port Nord Vietnamien ? ne pus-je la fermer, avant de l’ouvrir.

- Je vous ai accordé le droit à la parole, Lieutenant ? Ne répondez même pas ! ordonna le Pacha, réussissant péniblement, à contenir les flammes de ses yeux, songeant que s’il les libérait, je serais carbonisé net. En effet, reprit-il après avoir retrouvé son calme. Cet armement est, nous le présumons fortement, destiné au Viêt-Cong, selon toute vraisemblance, j’insiste bien, sur ces mots !  Max Girard, bien inconsciemment, me force à les proférer. Mais comme je l’ai souligné, ce sont des armateurs qui possèdent une flottille, se composant de de quelques unités. Très certainement, des cargos de moyens tonnages. Le problème n’est pas là ! Qui sont les commanditaires ? Qui paye ? Raison pour laquelle, nous travaillons en étroite collaboration, avec les représentants du Gouvernement des U.S.A. On ne peut pas mettre un terme à une activité criminelle, pour en laisser perpétrer une autre, en toute impunité. Sinon, très vite, le réseau démantelé se reconstituera, se démontrant encore plus prudent à l’avenir. Ce qui ne servirait strictement à rien, pour nos intérêts communs.  Le Colonel Julian Stinneng, ainsi que ses deux co-équipiers ici présents, sont comme vous l’aurez deviné, des agents spéciaux appartenant à la C.I.A, branche : « Tactics opérations, A.S.E ». Je traduis. Opérations tactiques, en Asie du Sud-Est…  Ils sont là, en qualité d’observateurs, et de conseillers techniques. Car l’originalité de notre mission, nous ayant propulsés en ces mers du sud, consiste à poursuivre, arraisonner et détruire, toute unité flottante, suspectée de se livrer à des actes de pirateries. Le cas échéant, nos collaborateurs américains, dresseront un état matériel, de ce qui se trouve dans leurs cales, avant que nous les expédiions par le fond. Nous ne pouvions engager la flotte de guerre, pour accomplir une telle mission, car trop visible. Le plus insignifiant pêcheur qui s’aventure un peu loin de ses côtes, donnerait vite l’alerte. C’est la raison pour laquelle, le choix se porta sur un vieux navire, ne payant pas de mine. Jusque-là, tout est clair ?

- C’est très clair Commandant, répondit notre porte-parole, en sa qualité de plus haut gradé, le Colonel Mahersen.

- Bien ! D’autres questions ?

- J’en ai une, Commandant, intervint André.

- Je vous écoute, Lieutenant Bertin.

- Enfin ! Ce n’est pas vraiment une question. Jugez-en par vous-même, précisât-il. Nous-nous sommes portés, au secours d’un voilier en perdition, me suis-je laissé dire ?

- En effet, Lieutenant. Où désirez-vous en venir ?

- Juste une remarque, Commandant ! Ils ont eu du bol, que nous n’étions… pas très loin, non ?  

« Tiens  ? Mais où est-il donc allé pêcher, cette réalité qui saute aux yeux, mon cher, et tendre ami ? Un écho a répandu la question qui se pose, jusqu’au fond de sa cale ? Plus je te regarde, mon André, plus je me dis que tu es un petit cachotier ! Vilain, va » !  

J’éprouvais une sorte d’insatisfaction, mélangée à l’intuition qu’un tas de choses, ne cadraient pas avec la plus infime des logiques. Ce qui avait pour seul résultat, celui de me tordre les tripes.

Stinneng, et ses acolytes, échangèrent un regard complice, ainsi que des sourires entendus. Puis, le malingre aux yeux noirs, comme l’est l’intérieur d’un tunnel ferroviaire, m’en adressa un qui m’avisa qu’il n’était pas, lui non plus, étranger au malaise que je ressentais.

- Puis-je répondre, à l’observation du Lieutenant Bertin, Commandant, sollicita Stinneng, en s’avançant près du bureau.

- Je vous en prie, Colonel.

« Je m’en doutais un peu ! Gus-gus est Colonel ! Un ancien des forces spéciales, passé à la C.I.A ! Quel âge, peut-il bien avoir ? Voyons ! A vue de nez, la cinquantaine. Il s’est farci la guerre de Corée, puis le Viêt-Nam… Méfie ! C’est un dur ! Il me faudra jouer serré, avec lui. Mais, je t’aurai blaireau ».

- Bien ! Lieutenant André Bertin, n’est-ce pas ?

- Oui, mon Colonel.

« Et ce con qui lui donne du, « mon Colonel » ! Je t’en foutrais moi, de la lèche bottes ! Le bouffeur de hamburgers, en rosit de plaisir ! Sacré André va ! Tu veux le pénétrer en douceur ? Je te connais ma poule ! Quand tu lèches un cul, tu es bien persuadé, ne pas y trouver du beurre. Alors ? J’ai l’esprit embrouillé, bon dieu ! Je regarde un film, et je ne comprends pas un traite mot, du script ! Que ça m’énerve »

- Vous êtes le patron, du staff technique ? C’est vous qui prenez grands soins, de notre indispensable submersible ?

- Affirmatif, mon Colonel.

- C’est votre devoir, n’est-ce pas ?

- Je l’accomplis scrupuleusement, mon Colonel.

- Je ne mettrais jamais votre…, dévotion en doute, Lieutenant. Mais, vous êtes-vous posé la plus petite question, Lieutenant ? Quelle est la raison d’être, de ce submersible, à bord ?

- Il s’impose de bien souligner, d’un submersible allemand de la seconde guerre mondiale, mon Colonel ? Pour sûr, d’autres que moi, s’en seraient posés, des questions. Mais ce fut inutile, pour ce qui me concerne. Et cela, depuis le début. Le tout début, je le souligne bien, mon Colonel ! Dans le service auquel j’appartiens, nos supérieurs, nous ont demandés de plancher, sur le problème que génèrent les actes de piraterie, en cette partie du monde. J’ai élaboré un projet qui se vit retenu. Bien avant que vous nous proposiez votre aide, mon Colonel, spécifiât-il. Par la suite, il était tout à fait normal que ce soit votre humble serviteur qui mette, ce projet en œuvre.

 « Ah  ben, dis donc ! Ça alors !  André se relâche ! Ainsi, ce projet est sorti en droite ligne, de sa tête ? Comment se fait-il que je n’ai pas songé, à ça ? Eh bien ! J’en apprends, tous les jours ! Ils sont malins, à Paris ! Mon cher ami, tu ne perds rien pour attendre, crois-moi ».

Je venais de recevoir un sacré coup de massue,  en écoutant sa révélation énoncée en public. Mais je pressentais que derrière ce voile qui venait d’être levé, il y avait une scène, sur laquelle se jouerait  une pièce en plusieurs actes, mais à huis-clos, pour quelques spectateurs, se prétendants aveugles. Le club, des cannes blanches ! Et maintenant, il aurait fallu que je sois complètement débile, pour ne pas avoir connaissance, des raisons de tous ces secrets.

« Ils savaient tous que nous étions infiltrés, et…, personne n’a réagi pendant qu’il était encore temps ? Ils ont laissé, libre champ au traitre ? Je n’ai que trois petits mois de stage dans le renseignement, mais cette façon de penser, et d’agir, me laisse perplexe. Non ! Je suis outré ! A moins… Il y a un intérêt à ça ? Mais, lequel » ?

Je retins mon souffle ! Non ! J’étais suffoqué !

- Oh ! D’accord ! Vous me faites perdre mes illusions qu’à la C.I.A, nous soyons informés de tout, dit Stinneng. Il demeura un court instant silencieux, avec un sourire crispé sur ses minces lèvres. Pourquoi, lisais-je dans ses yeux, de la surprise, mélangée à de l’inquiétude ? Ainsi, il ne savait absolument rien, du concepteur de ce projet, et encore moins, de sa présence à bord ?

« C’est une opération combinée, ou bien, une partouze militaro-politique, dans laquelle je suis engagé ? Alors, je vais devoir serrer les fesse, et raser les parois de ce navire ».

Il y avait de quoi, être effaré !

- l’attaque du voiler, n’est pas fortuite en effet, Lieutenant Bertin, reprit Julian. Ce naufrage, a été provoqué. Les intentions du bandit, demeurent floues, en cette heure. Mais nous ne tarderons certainement pas, à comprendre ce qu’il veut.

«  Mon pauvre Julian. Tu ne sais pas lire, dans le regard amusé de mon ami. Tu ne lui apprends rien » !

Le Commandant Lange, voulut-il voler au secours de Julian Stinneng ? N’empêche qu’il reprit le volant.  

- Ce qui, si vous me le permettez, nous ramène tout droit, à la conclusion du Lieutenant Max Girard, figurant au rapport qu’il me remit, suite à cet incident ; Je partage sa conviction que ces pirates, cherchaient un moyen quelconque, pour nous mettre des bâtons dans les roues. La chance voulut qu’un pauvre voilier de plaisance, navigue dans les parages, ce qui constitua une aubaine inattendue. Ils ont saisi cette opportunité. Max Girard et moi, nous sommes perplexes quant à leurs intentions. Lui, met en exergue
qu’ils cherchent à nous ralentir, alors que moi, j’affirme qu’ils cherchent, à nous dévier de notre trajectoire initiale.

- Qui est  Commandant ? demandais-je, sans risquer de me voir cuire sur un barbecue,  comme une vulgaire côte d’agneau.

- Nous allons patrouiller, le long des côtes de l’Inde, jusqu’en Malaisie. Là, nous laisserons l’océan indien, pour pénétrer en mer de Java, par le détroit de SUNDA. Après, nous devrons agir, en regard des circonstances qui se présenteront. Mais à ce qu’il semble évident, ces plans, pourraient connaître des imprévus. La présence de ce pirate sur notre route, en est un. Donc conclusion, vous voici engagés dans une opération combinée. Le choix de soldats non professionnels ? Il s’explique, de lui-même. Je crois qu’il est inutile, de vous faire un dessin. Nous n’existons pas. Nous n’avons, jamais existés. L’ensemble des professionnels composant l’équipage, a été versé dans le cadre de la réserve, tout comme les officiers détachés, pour la durée de cette mission. Nous avons laissé au coffre, nos pièces d’identité, les photographies de nos chers, et pris des noms d’emprunts. Ces précautions vous semblent démesurées ? Quelqu’un en haut lieu, a décidé qu’il ne pouvait en être autrement. A l’instant où je vous parle, moi-même, je n’en connais pas la, ou les raisons. Mais c’est ainsi, et nous obéissons.

« Nous n’existons pas ? C’est ça, compte là-dessus, et bois de l’eau fraiche. J’existe, pourvu que ça dure. Le choix de soldats non professionnels, hein ? Je serais curieux d’en connaître la véritable raison .Voyons ce qu’il pense de mon opinion sur le sujet ».

Je levais la main prudemment, pour demander la parole. Il me l’accorda d’un hochement de tête conciliant.

- Il est certain, qu’il s’avère plus simple, d’engager des non professionnels. C’est pratique ! Ils sont généralement autonomes, ils ne posent aucune question, ils sont spécialisés, dans ces opérations coups de mains. Et puis, si tout foire, pas de pensions à verser aux familles. Mais néanmoins, cela peut générer, quelques inconvénients.

- Veuillez nous les épargner, Lieutenant ! m’interrompit le Commandant, me foudroyant du regard. Vous aurez le loisir, d’exposer ces quelques petites tracasseries, en compagnie de vos collègues. Venez-en au fait ?

« Tu me crois étonné ? Pas le moins du monde ! Je n’irais pas plus loin, dans mon appréciation des risques. Tu tiens à ce que j’en parle, certes, mais en comité restreint ? Accordé » !

- Nous sommes tout de même,  des soldats professionnels, Commandant, ne pus-je me priver de souligner. Disons que pour la plupart, nous soyons en rupture de contrat, comme vous venez de si bien le préciser. C’est plus juste, pour ces hommes que l’on expédia en terre inconnue, en leur faisant miroiter l’importance du gain, sans toutefois ne rien leur dire des dangers qu’ils devraient affronter. Mais vous allez me dire que le mot, « soldat » associé à celui de, « danger », ce serait faire un pléonasme ? Je suis aussi de cet avis, Commandant, ajoutais-je assez sarcastiquement.

- Max Girard, dans toute sa splendeur éloquente. Veuillez m’excuser, pour avoir froissé votre susceptibilité, Lieutenant. Je ne recommencerai plus, c’est promit. Vous êtes encore officier d’active, merci de le souligner.  

- J’appartiens aux forces spéciales, incorporé au service de renseignements, comme mon collègue Bertin. Je le précise, pour nos… amis, américains qui semblent l’ignorer.

- Ce qui vous confère un net avantage, sur les autres officiers présents, spécifia la Commandant. Eux, ne sont pas d’active, mis à part le sous-lieutenant Pascal Klein, nous provenant de la Marine Nationale. Mais votre façon de voir, a du bon. Nous devons resserrer les rangs, et…, nous démontrer très solidaires, les uns des autres. Si nous devons traverser l’enfer, nous tâcherons d’en sortir, grâce à un esprit d’égalité, nécessaire pour motiver un engagement individuel, et collectif. Aussi, plus aucune particularité. Sur ce navire, je ne vois que des combattants. Mahersen, et moi, commandons. Vous êtes nos intermédiaires, pour l’exécution des ordres. Sur ce, à compter de cet instant messieurs les officiers, vos hommes sont placés, en état d’alerte maximale. Lieutenant Girard, vous viendrez dans ma cabine prendre les consignes de sécurité, à appliquer sur le navire, en de telles circonstances, puisque votre position de gradé d’active, vous a désigné en qualité d’officier de sécurité bord. Ce qui fait très logiquement de vous, mon porte-parole, mais aussi, celui qui derrière moi, détient les pleins pouvoirs. Colonel Mahersen !

- Commandant !

- Vous prenez dès cet instant, toutes les mesures nécessaires, en regard des circonstances. Vous n’ignorez pas, ce que vous avez à accomplir.

- Reçu Commandant.

Franck se leva, visage hermétiquement fermé.

- Girard, Kowalski, De Langlade, et Bertin, dans dix minutes au mess officiers, ordonnât-il, d’un ton cassant. Vous enfilerez, vos tenues de combat. En cette heure, la tempête nous empêche d’installer l’armement semi lourd, sur les superstructures du bâtiment. Dès que l’intempérie annoncée sera passé, De Langlade, vous-vous mettrez au boulot.

- Reçu Colonel ! répondit l’interpellé.

- Pour les sous-officiers, vous rejoignez vos cantonnements. J’ai terminé, Commandant ! dit Franck, reprenant place sur son siège.

- Bien ! Merci ! Le Capitaine Corning, va nous communiquer le point météo. Je vous laisse la parole, Capitaine.

- Merci Commandant, dit l’officier aux cheveux gris, se levant à son tour. Il consulta un court instant, une feuille de papier qu’il tenait dans sa main droite. Eh bien, débutât-il, ce ne sera pas une croisière de tout repos. Dans les heures qui viennent, nous devrions rencontrer un ouragan de force maximale. Il arrive, en provenance de l’Est, soit dit en passant, sur notre trajectoire. Nous n’avons aucun autre choix que celui de l’affronter ou alors, de rebrousser chemin vers Djibouti. Mais nous ne pourrions l’éviter, de toute manière.

- Ce qui s’avère inconcevable, de seulement imaginer une telle possibilité, intervint le Commandant, confortablement callé au dossier de sa chaise, effectuant des yeux, un balayage de l’assemblée. J’eus alors le sentiment profond qu’il se régalait le bougre. Vous avez voulu goûter aux sensations fortes ? Je puis vous garantir que vous allez être servis, question « montée fulgurante d’adrénaline », ajoutât-il sur le même ton. Pour les drogués à cette réaction chimique, vous ne serez pas déçus du trip. L’essentiel fut dit. Nous anticiperons, au regard des évènements futurs. Alors, soyez vigilants.

«  Hum ! Pas un traitre mot, sur la taupe. Ce renard des mers, n’est pas le dernier des imbéciles. Je crois bien que je commence singulièrement à l’apprécier, celui-là ».

Sur cette réflexion que je me fis du sujet, il nous invita à retourner à nos occupations. Mais toutefois, je n’avais pas dit mon dernier mot.

- Avec votre permission, j’ai encore un point très important à clarifier, Commandant !

- Ah ? Eh bien, clarifiez donc. Mais essayez, d’être bref !

-Je vais m’y efforcer, Commandant, promis-je. Nous avons entouré cette expédition en mer, d’immenses précautions, en effet. Mais… Indiscutablement, ce ne fut pas suffisant.  

- En effet, Lieutenant Girard, approuva le Commandant.

Je me gardais bien, de persister sur ce terrain glissant.

- Veuillez poursuivre, Lieutenant, m’ordonna le Commandant.

- Il existe, une troisième hypothèse que nous n’avons pas envisagée. A prime abord, tout porterait à penser que le pirate, pourrait très bien attendre le moment, et le lieu propice, pour nous attaquer. Il n’est pas dupe de la météo, savez-vous ? «  Et toc », pensais-je. Disons, en un point guère éloigné de ses côtes de prédilection, poursuivis-je. Mais non, en fin de compte ! Si l’on regarde de près son comportement, après ce coup fumant du voilier ? Il ne veut pas, nous rentrer dedans ! J’ajouterai si vous me le permettez que l’arraisonnement de ce voilier, n’était certes pas… fortuit, comme le souligna si bien le… Colonel Julian Stinneng.  Mais que notamment, ce ne serait selon moi, aucunement un message. C’est une incitation à ce que « nous », nous passions à l’attaque. Quelque chose, dont nous n’avons pas encore connaissance, le presse. Il veut, en finir certes ! Dans cette option de vue, ce serait bien plus inquiétant ! L’ouragan, va épuiser les forces, d’un bien grand nombre de nos hommes Il faut tenir compte du fait qu’il en sera de même, pour lui... Il peut même régler, très naturellement nos problèmes communs, de façon  dramatique, hélas. Ce pirate, à n’en pas douter, à une idée bien arrêtée derrière la  tête. Il refuserait le combat, si nous avions l’intention de le délivrer ici, et si le temps était propice. Pour preuve ? Immédiatement après avoir perpétré son coup tordu, il mit une grande distance, entre lui, et nous. Alors ? Où veut-il que nous l’attaquions ?  

Un silence troublant, fit écho à cette analyse, venant en conclusion des innombrables points délicats, abordées céans. Le Commandant, m’adressa le sourire d’un homme, d’ores, et déjà convaincu.

- Je tiendrais compte de ces… judicieuses remarques, Lieutenant ! Soyez en, bien plus que simplement rassuré ! Avez-vous des liens de parenté, avec Einstein ?

- Heu ? Franck ou Albert, Commandant ? répondis-je du tac au tac, déclenchant l’hilarité générale. 

 

 

 

 

 

 

 

 

16 : 00.

 

Le Colonel Mahersen nous reçut brièvement au mess, en tenue bariolée, son béret rouge posé règlementairement sur la tête. Béret, sur lequel était épinglé l’insigne de ce corps de mercenaires. Il se présentait sous l’aspect d’un aigle doré, ailes déployées, tête fièrement levée vers le ciel, enfermant entre ses serres, une arbalète croisant un sabre de cavalerie, l’ensemble, entouré de deux épis de feuilles de chêne argentées.

- Lieutenant Girard, je vais vous demander d’abandonner sur le champ, cette attitude facétieuse qui vous personnifie. Auriez-vous des griefs à soumettre, contre mon unité ?

- Des griefs, mon Colonel ? Absolument pas !

«  Juste une effroyable certitude. Tu ne tarderas plus très longtemps, à devoir te ranger à cette idée, mon bon Franck ».

- Je vous connais bien, maintenant, Max. Vous ne parlez jamais en l’air. Mais si ce jeu vous amuse, moi, il me fatigue. Je me fais comprendre ?

- Parfaitement, Colonel.

- Très bien, alors. Mais pour le reste, vous avez fait du bon travail. Le Commandant, m’a remis un exemplaire de votre rapport, il y a un instant.

- Je n’ai rien fait, de bien sensationnel, Colonel. C’est de la logique pure, découlant de la considération des faits.  

- J’adore la modestie ! Bon ! Il n’empêche que maintenant, nous savons où nous en sommes. Toutefois, de nombreuses questions se posent. Certes ! Notre présence à Djibouti, a très certainement suscitée des curiosités, à notre égard. La première question qui me vient à l’esprit, est la suivante. A quoi rime le comportement des pirates ? S’ils pensent que nous sommes un banal bâtiment marchand, pourquoi ne pas nous avoir attaqués ? Comme l’a si bien suggéré Max, attendent-ils un lieu propice ?

- Parce qu’ils savent très bien que nous ne sommes pas, ce que nous prétendons être, Colonel, lâchais-je, regardant André, droit dans les yeux. Je pensais que vous l’aviez compris ?

- Ah ! C’est purement impensable, Max. Nous-nous sommes efforcés de paraître un insignifiant petit cargo, chargeant à Djibouti, une précieuse cargaison. Je comprends à présent, où nos commanditaires voulaient en venir, avec ces caisses maritimes, encombrant le quai où nous étions amarrés. Tout était fomenté, pour inciter les pirates à nous arraisonner.

- Oui ! J’en étais ulcéré, en observant ce remue-ménage incessant. D’autant plus que je ne comprenais pas très bien, à quoi tout cela rimait. Effectivement, tout a été imaginé, pour que les informateurs des pirates, ne perdent rien du manège. Je dois avouer, que nos stratèges, ont sus donner le change. Mais toutefois… Revenons-en à l’incident du voilier.   Cette façon de nous expédier un message, me laisse perplexe, comme je ne me suis pas privé, du plaisir de l’exposer ! C’est un peu, comme s’ils espéraient… une réaction. Tenez !  Des murmures de coursives, par exemple ? Voyez-vous, ce que je veux dire, mon Colonel ? Auraient-ils, des micros espions à bord ?

J’avais le don, pour provoquer ce genre d’atmosphère pesante, avec mon air de ne pas y toucher. Le silence qui s’ensuivit, me convainquit que j’avais encore une fois, parfaitement créé, l’effet bœuf escompté. Mahersen étala ses jambes, le fessier débordant de la chaise qu’il occupait, car pas moyen de se maintenir debout, avec ce tangage, et ce roulis incessant.  

- Vous voulez dire que…

- Que nous avons un traitre à bord, Colonel ? C’est à envisager ! Et… Il est essentiel de souligner en rouge vif que cet infiltré, ne s’est pas matérialisé lors de notre arrivée à Djibouti, alors que nous prenions possession de ce navire. Ce n’est pas, l’un des membres de l’équipage ! Sans quoi effectivement, ces pirates n’auraient jamais usés de subterfuge. Avec eux, il faut s’attendre au pire, pas à ce qu’ils… tergiversent. Ils ont donc, une excellente raison de pinailler. Nous pouvions en empiler des caisses maritimes, sur ce quai. Ils savaient déjà tout, de ce qui était bon de savoir, sur notre compte, mon Colonel ! Ce qui nous indique que nous avons une épine, dans notre soulier, depuis la Rhodésie !  Ceci répond-t-il à votre remarque, énoncée voici un court instant ? Désolé, mon Colonel ! Mais je ne cultive pas, un trivial grief, contre vos hommes.

- P…de bordel de M… s’exclama Mahersen, lui qui pourtant, était un homme plutôt économe, de ce genre d’emportement. Oui ! Je comprends mieux, votre sous-entendu, à présent.  Le Commandant savait, Max ?

«  Hum ! Et toi, tu ne savais strictement rien. Tu n’es pas dans le coup, mon pauvre Franck. Eh oui ! Il faut appartenir, à la gent society. Tu n’as pas, ta carte de membre ».

- Eh oui, bien sûr, répondis-je. Nous en sommes arrivés à la même conclusion, avant le briefing. Seulement, le secret se doit d’être scrupuleusement gardé. Il m’a accordé le privilège, de la décision d’en parler entre nous ou bien, celui de me taire, justement en n’en faisant pas état lui-même, au cours du briefing. J’ai opté pour l’option de vous en parler, afin de ne pas vous mettre tous, en porte à faux. Vous auriez eu raison de penser que je suspectais, les officiers. Ce qui n’est pas le cas ! le rassurais-je, ainsi que mes collègues, totalement médusés.

- Vous allez enquêter, Max ? demanda Mahersen, s’épongeant le visage, à l’aide d’un mouchoir blanc qu’il venait de tirer de sa poche de pantalon. Je ne l’avais jamais vu, aussi anxieux. Il y a un début à tout.

- Je le dois, Colonel. Chacun d’entre nous, nous sommes en possession des dossiers de nos hommes. Vous allez remettre les vôtres, discrètement à André. Et… En mains propres, soufflais-je, usant d’une intonation de voix, laissant planer le mystère, alors que je m’adressais à mes collègues, chefs de compagnies. Je veux également, les dossiers médicaux. André, penses-tu voir ta femme ce soir ou bien, tu couches dans ta cale technique où, tu as établi ta seconde résidence ?

- Je la verrai ! Tu veux que je me charge de rassembler, les dossiers médicaux, sans éveiller l’attention ?

- Fais cela, pour moi.

- Qui te dit que ce n’est pas l’un d’entre nous, ici présent ?

- Voyons André, tu vas vexer nos amis. Mon petit doigt me le dit.

Je posais sur lui, un regard glacial.

« Et, tu devrais cessez ce jeu, car il ne m’arrange pas du tout, pour entreprendre cette enquête. Et encore moins, pour la conduire à bon terme. Mais si tu veux jouer, à présent, tu vas avoir un adversaire de taille, mon bon André »,

- Tu vas trop loin André, vociféra Kowalski, devenu rouge cramoisi de colère, contenue au prix d’un effort surhumain.

- Quoi ? J’ai le droit d’émettre des doutes non ? Tu te sens visé Yan ?

- C’est bon ! Ça suffit ! intervint le Colonel Mahersen. J’ai entière confiance en mes officiers, messieurs. Voici plus de dix ans que nous guerroyons ensemble, sur la surface de tous les continents, les plus chauds de cette planète. J’ajoute fièrement que j’irais me battre dans une lointaine galaxie, auprès de ces hommes, si demain on me le demandait. Débarrassez-nous au plus vite, de… cette épine dans notre soulier, Lieutenant Girard.

- S’en débarrasser ? Oh que non ! Ce serait, la pire erreur que nous puissions commettre. Je vais…, l’utiliser, appuyais-je diaboliquement, sur ce dernier mot.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

16 : 23.

 

Je restais seul au mess, tentant de remettre en ordre, mes pensées embrouillées. Par où, allais-je commencer ? Oui ! Les dossiers ! Mais qu’allaient-ils, m’apprendre ? Que devrais-je chercher qui puisse me mettre, sur une piste ? Je n’en savais, foutrement rien ! Je me disais que j’allais passer des heures, bien pénibles, à décortiquer ligne après ligne, des quantités de paperasses. En plein ouragan en prime ? Bonjour l’angoisse ! Je n’avais rien mangé. Personne, n’avait rien avalé. Je me souvins de ce besoin humain, en voyant revenir le chef cuisinier, et ses acolytes que nous avions chassés, de leur minuscule cuisine.

- Nguyen, mon frère ? Tu nous as préparé quoi, dans tes marmites ?

- Pas marmite aujourd’hui, diên dâu ! Tu vois tempête dehors ? Sandwichs ! N%u1EBFu không hài lòng, có %u0111%u01B0%u1EE3c m%u1ED9t s%u1ED1 không khí trên boong.B%u1EA1n m%u1EDF mi%u1EC7ng c%u1EE7a b%u1EA1n, và b%u1EA1n %u0103n và u%u1ED1ng. 4

- Je ne comprends rien, de ce que tu baragouines ! Alors, bouges les deux grains de riz qui façonnent tes fesses, et fais-moi un sandwich.

- J’ai petit sandwich ou grand sandwich. Toi, laisser-moi faire ! Je vais faire grand sandwich, pour grande gueule, Lieutenant dactaé. Luôn luôn nói, luôn luôn la m%u1EAFng n%u1EA5u %u0103n nghèo.Nó không ph%u1EA3i là l%u1ED7i c%u1EE7a tôi mà c%u01A1n bão? Không t%u1ED1t ti%u1EBFng Pháp, ti%u1EBFng Pháp, th%u1EB1ng kh%u1ED1n n%u1EA1n! 5

- Sale communiste ! Tu veux que je te lise, le petit livre des pensées de Mao ?

- Vas téter maman, si toi me parler ainsi ! Moi, pas communiste ! Pas Viêt-Cong ! Moi, de Saigon.

- J’entends, de biens étranges échanges de mots ici, ouï-je une voix féminine, dans mon dos. Je fis face à la nouvelle arrivante qui se cramponnait des deux mains, avec la force du désespoir, au dossier d’une chaise fixée au sol. Cette tempête m’hérisse les nerfs, reprit-elle. Quand j’ai les nerfs, j’ai faim.

- Deux gros sandwichs, oh bol de riz ! Et… fissa ! ordonnais-je, au pauvre cuisinier qui s’en fut dans son antre, jurant encore en Vietnamien. Je ne pus douter que j’en prenais pour mon grade.

Jackkie finit par trouver la force, de s’asseoir.

- Vous avez un téléphone interne dans votre cabine, le savez-vous ?

4-  Du Vietnamien : Dérangé de la tête.  si pas content, aller prendre l'air sur le pont. Tu ouvres bouche, et toi manger, et boire.

5  Du Vietnamien : Grand blagueur. Toujours parler, toujours gronder pauvre cuisinier. C'est pas ma faute, si tempête ? Français pas bons, français, couillons !

- J’ai vu ça, Max. Mais un peu d’exercice, ne fait aucun mal. Bien au contraire ! Voudriez-vous m’enfermer, dans ma cabine ?

- Hum ! émis-je, venant prendre place à sa table. Ces hommes que vous croisez dans les coursives, n’ont plus approchés une femme, depuis quelques semaines. Vous voyez ce que je veux dire ? Je ne voudrais pas avoir à intervenir, pour régler ce genre d’incident. J’ai déjà assez de pain sur la planche, miss Wood.

- Oh ! Vous plébiscitez le ton officiel, Lieutenant ? J’ai une de ces peurs, si vous saviez ? Regardez-moi ! J’en tremble de tout mon corps. Mon papa, ne m’a pas donné assez de fessées ? Peut-être, affectionneriez-vous de vous substituer au juste courroux paternel, puisqu’il n’est pas là ?

«  Petite coquine, tu me cherches ? Tu ne sais pas, à qui tu t’adresses ».

- Je dois avouer que j’y prendrais beaucoup de plaisir, affirmais-je, assez effrontément.

Elle planta ses yeux couleur émeraude dans les miens, ses lèvres m’offrant un sourire, des plus sarcastiques.

- Je ne doute pas que vous y prendriez, beaucoup de plaisir. Allez savoir ? Je pourrais en prendre tout autant, savez-vous ? Qui vous dit que je ne suis pas… masochiste ? J’adore quand on me fait mal ! Après, c’est sublime ! Mon sang boue, dans mes veines, et…

- Cessez donc ce jeu, Jackkie. Je ne suis pas d’humeur badine.

- Je vois ça ! Qu’est-ce qui vous rend autant mélancolique, Max ? Laissez-moi deviner ? Elle est grande, brune aux cheveux longs, svelte, des yeux à faire se liquéfier sur place, le cœur le plus sec, elle a dans les vingt-trois ans…

- Vingt-deux ! répondis-je vertement. Vous ? Vous avez fait amie-amie, avec notre infirmière major, Soumaya Bertin, non ?

- Ah oui ! La charmante, la délicieuse Soumaya ! Pauvre femme, si esseulée au milieu de tous ces guerriers. Elle est belle femme, en plus ! Vous n’éprouvez aucune crainte, pour elle ?

- Soumaya, est l’épouse de mon ami d’enfance, officier lui aussi, à bord de ce rafiot. Les hommes savent à présent que malgré les apparences, témoignant de sa physionomie de gentil poupon ? Qui s’y frotte, s’y pique ! De ce fait, Soumaya ne risque absolument rien. Et puis, elle est également officier. Ces hommes, respectent l’ordre établi.

- Je vois ! Vous n’auriez pas un poste où, au regard de mes capacités, je pourrais me voir nommée officier à mon tour, afin que je puisse profiter du peu de liberté que confère ce navire ? Elle soupira profondément. Où allons-nous, Max ?

- Pardon ? Est-ce une rhétorique ou bien, est-ce une question ?

- Quelle destination, pour ce navire ? Singapour ? Nous naviguons bien, en direction de l’Est ?

- Je vois que c’était là, une question flagrante. Aucune destination, Jackkie.

- Bon ! Là c’est moi qui vous demande bien pardon, de ne pas comprendre, dit-elle sourcils froncés, son visage révélant de l’anxiété.

- Eh bien, ce n’est pas très difficile à comprendre, vous allez vite l’admettre. Ce navire qui pourtant possède une existence physique, en fait, n’existe pas ! Alors, ne possédant aucune existence, dites-moi je vous prie, où… il pourrait faire escale ?

L’aveu était un peu tardif, et brutal. Mais j’en avais ras le bol, de devoir lui mentir. Je le vis se mordre les lèvres et plisser les yeux en silence.

- Nous avons été recueillis, à bord d’un vaisseau fantôme, c’est ce que vous dites ? Vous sortez de l’école du rire, Max ? Vous étiez, major de promo ?

- Absolument pas ! C’est ce que j’affirme !

- Mais… vous avez pris nos passeports, pour informer notre Ambassade… Oh my god ! Elle avala péniblement sa salive. C’était du bluff ? s’exclama-telle, véritablement effarée.

- Je vous prie de bien vouloir m’en excuser, Jackkie, dis-je confusément, et très mal à l’aise. Je ne savais pas encore, comment vous présenter les choses. C’est stupide, je sais ! J’ai des ordres…

- Dites le franchement, vous nous suspectiez, n’est-ce pas ? Avons-nous le profil de redoutables contrebandiers ?

- Vos amis, ne sont pas francs du collier, si vous comprenez cette expression française.

- Elle ne m’est pas inconnue, ainsi que bien d’autres, dit-elle visiblement exaspérée. Dan et Carroll, sont certes des existentialistes un peu déjantés, mais ils ne sont pas tordus à ce point.

- Si vous l’affirmez, je vous accorde toute ma confiance. Eh bien ! Considérez-vous comme notre invitée, pour une durée indéterminée, et…, indéterminable. Désolé !

Je m’attendais, à une crise de nerf. Mais j’en fus pour mes frais. Elle quitta sa place, se dirigeant vers l’une des baies vitrées de la grande salle du mess qui donnait à bâbord. De grosses lames d’eau de mer, venaient s’y écraser, immédiatement suivie d’embruns cinglants. Malgré l’épaisseur des vitraux, Jackkie esquissa un mouvement de recul. Toutefois, elle se cramponna fermement à la barre anti tempête, son regard se perdant à l’extérieur. Je vins me positionner à sa droite, sans dire mot.

- Ce n’est pas de votre faute, Max.

- Je sais ! Mais, je m’en veux tout de même. J’aurais dû vous dire, ce qu’il en était.

- Oui ? Dites-moi, ce que cela aurait pu changer ? Je vous ai dit que j’étais une affidée du bateau stop, mais là, mes chances d’être embarquée à bord d’un navire marchand, étaient quasi inexistantes, non ? Nous aurions tous péris. Alors, ne vous fustigez pas ainsi.

- Sandwichs servis, nous informa Nguyen, s’empressant de disparaître.

- Il est interdit de boire ? hurlais-je, à l’attention du pauvre cuisinier. J’entendis encore des jurons en Viêt qui ne me dirent, rien qui vaille.

- Vous le houspillez, toujours ainsi ?

- Bah ! C’est un jeu, entre nous. Il sait très bien que je l’adore. Allons manger, nous aurons besoin de forces, avec ce qui nous attend.

- Je croyais, vivre le pire. Vous avez mieux en réserve ?

- Oh ! Pas plus terrible que d’être coincés ici. Juste, un petit ouragan. Je minimisais sa force annoncée, par notre météorologue. Il était inutile de l’apeurer. 

- Espèreriez-vous qu’il vous emporte loin d’ici, dit-elle, en riant.

- Je suis lucide ! Je n’espère, rien de plus que nous en sortions indemnes.

- Vous me taquinez ? Non ! Je vois bien à votre expression que vous êtes sérieux.

- Des plus sérieux, Jackkie !  

Je lui pris le bras, et durant un très court instant, l’on se fit face. Jackkie exhala un soupir, à faire se fendre l’âme. Ses yeux ravissaient les miens, et son visage, illustrait une gravité à laquelle, cette impétueuse jeune femme, ne m’avait pas encore habituée. Je ne sais pourquoi, instinctivement, nos mains se joignirent. Peut-être, pour une question d’équilibre ? Il aurait fallu être insensible, pour ne pas ressentir son cœur battre plus fort, au bout de ses doigts.

« Attention, Max ! Tu pénètres tête bêche, dans une impasse. Et si tu continues à cavaler ainsi, tu vas heurter le mur de plein fouet ».

- Venez donc vous restaurer, parvins-je à bredouiller. Je n’étais pas à franchement parler, dans mon assiette. Un fantôme passa ! Il avait le visage de Nelly qui souriait, avec complaisance. Voulait-elle me dire : « Il serait temps que tu penses de nouveau, au bonheur » ? En fait, je tremblais de peur, maintenant.

Nous avions rejoint notre table, lorsque Nguyen déposa sur le plateau, deux coca-cola.

- Jolie dame, lui pas bon ! Lui, oiseau de malheur ! Boire coca, bon pour le mal de mer.

Jackkie le remercia d’un sourire, ce qui rendit très heureux le cuisinier, le faisant trottiner plus légèrement vers ses occupations, le visage radieux. Je l’accompagnais en riant affectueusement.

- Ainsi, vous avez fait la connaissance de Soumaya ?

- Ce n’est pas vous qui avez ordonné, une visite médicale ?

- Ah non ! Absolument pas ! J’aurais dû y penser. Ce doit-être, de l’initiative du médecin chef, Edgar Fuller. C’est assez surprenant d’ailleurs. La couleuvre, est sortie de son trou ?

- La couleuvre ? Je ne comprends pas !

- Trop long à expliquer ! Mais ce fut-là, une excellente initiative de sa part.

- Eh bien voilà ! C’est grâce à Fuller que je fis connaissance, avec Soumaya.

- Bien sûr, suis-je bête. C’est en vous demandant de tirer la langue, et de faire : « a » qu’elle vous parla de ce qui… me rend nostalgique ?

- Non, voyons ! dit-elle, m’offrant une moue enfantine. Elle m’a invitée, à prendre un café. Puis, entre femmes, nous avons bavardées. Il y avait aussi, ma compagne d’infortune, Carroll ! C’est interdit, ça aussi ?

- Absolument pas ! Eh bien ! Vous avez discuté tricots, non ? 

- Bon ! Vous me voyez rassurée, et aux anges que ce ne soit pas interdit, car j’ai bien l’intention de recommencer, dit-elle, éludant ma remarque, tout en faisant battre imperceptiblement ses longs cils, jouant les ingénues. Voulez-vous que nous en parlions ?  

- Que nous parlions de quoi ? Des interdits ?

- De celle, dont vous avez autant la nostalgie ? Parfois, de libérer ce qui est enfoui au fond de nous, ça fait du bien. Je suis apte à vous écouter, savez-vous ?

- Effectivement, cela tuerait la monotonie. Tenez ! Profitons de cet ouragan qui ne va pas tarder à s’abattre sur nous, pour faire la causette. Et si nous parlions… foot ? Bon ! Ce n’est pas une excellente idée, à voir votre frimousse. J’aime bien, lorsque vous faites la moue ainsi.

Elle éluda encore la remarque, me regardant par en dessous ses cils, avec un sourire qui me laissa entendre que tout de même, elle appréciait.

- Je serais plus… portée sur le rugby, m’apprit-elle. C’est un sport National en Angleterre. Je ne crois pas que vous soyez, fou de foot. Je ne vous vois pas, vous exaltant au milieu d’une foule d’enragés, hurlant après vingt-deux lobotomisés du cerveau, à qui l’on inculqua à courir après un pauvre ballon rond, durant quatre-vingt-dix minutes. Vous ? Ce serait plus… les sports d’endurances.  Vous avez fait de l’alpinisme, non ?

- Vous êtes psychologue ? Non, par le saint esprit ! Vous êtes médium !

- Non ! minaudât-elle, en souriant espièglement. Soumaya m’a dit que vous aviez été Scout de France, et que l’activité sportive que affectionniez, c’était l’Alpinisme. Vous voyez ? Il suffit d’être à l’écoute ! Alors ?

- Je n’ai pas grand-chose à dire, sinon que bien malgré moi, je me sois retrouvé prit dans une spirale. Ou plutôt, ce serait plus approprié, dans un tourbillon infernal.

Je lui offris une cigarette, l’aidant à l’allumer. Elle fuma deux ou trois goulées, pendant que je me demandais la raison pour laquelle, j’en avais déjà trop dit.

- Ne vous arrêtez pas, en si bon chemin, Max.

- A quoi bon ? Ce qui est fait, est fait. Plus rien au monde, ne transfigurera les choses. Nous-nous sommes séparés. Fermez les parenthèses !

- Je sais. Votre amie…

- Elle est énervante parfois, mon amie, m’emportais-je. Elle ne releva pas cette appréciation, faite sur la colère. Mais allez donc savoir pourquoi, je m’entendis poursuivre  ce dialogue.

- Plus exactement, puisque vous voulez tout savoir, j’ai dû faire un choix assez pénible. Je n’ai rien appris à faire d’autre que ce… métier des armes. J’ai 23 ans déjà. Et puis… Oh zut ! Je ne sais pas vraiment, ce qui me traversa l’esprit. La peur du lendemain, sans doute ? Je suis parti, sans me retourner. Ce fut, un choix délibéré de ma part.

- Ce sont là, des choses qui arrivent. Je dus également faire ce genre de choix, Max. C’était mes études, la carrière que j’aimerais entreprendre ou bien, un bon mariage, une splendide maison à Londres, une autre en Espagne. Des quantités d’avantage. Mais également, des enfants, un petit chien et tout ce qu’il faut, pour être pleinement heureuse. Auprès d’un homme que je n’aurais jamais aimé, ajouta-elle précipitamment. Imaginez l’horreur ! En plein vingtième siècle, en un pays industrialisé, civilisé, il existe encore des mariages arrangés. J’ai vue ça en Afrique, puis en Asie du Sud-est. Mais penser qu’une telle chose, puisse encore exister en Angleterre ? Qui le croirait ? J’ai très vite sautée sur l’occasion qui se présentait, avec ce job.

- Si l’on vous forçait la main, je comprends votre choix de prendre la fuite, très loin de ce contexte en provenance d’un autre siècle. Moi, personne ne me forçait la main. Enfin ! Ce n’est pas totalement vrai !

- Je sais !  

- Et si je vous parlais, de ce que vous ignorez ? Sacrée Soumaya !

- Bah ! On s’ennuie à mourir ici. Alors, les femmes blablatent entre elles. Dites m’en plus, maintenant.

Je me demandais bien, ce qui pouvait la passionner à ce point, d’en savoir plus sur moi. Sans doute, ce sentiment de privation de liberté de mouvement, me dis-je.

- Laissez de côté, les questions que vous-vous posez à mon sujet, Max. Je crois véritablement que d’en parler, cela vous aiderait.

- Et… Vous tenez à m’aider ? Pourquoi ?

Sa gêne, devint presque palpable. Je me rendis très vite compte que je n’avais pas le droit, de l’acculer hors de ses retranchements. Il y avait bien trop de sincérité, dans ses yeux.  

 « Bah ! Qu’est-ce que je risque, d’essayer » ?

Je me lançais. Je lui relatais les évènements qui avaient provoqués, ma rupture avec Nell. Elle écouta attentivement, les divers épisodes de cette longue histoire, sans m’interrompre.

- J’appris plus tard que je devais cette…, promotion, à mon ami d’enfance. André, vous savez ? Le mari de Soumaya. Tout, avait été fomenté, à mon insu. J’avais fait une promesse, à Nelly. Celle de ne pas suivre les traces d’André qui ne rêvait que de ce genre d’aventure que nous vivons présentement. Placé devant un fait accompli ? Je n’avais plus qu’un choix. Celui de démissionner ! Mais voilà ! Je fus trop lâche. Cette lâcheté, me fit perdre Nelly. Jamais, cette fille n’aurait subie, ce qu’endure Soumaya. C’était purement impensable, de seulement l’espérer. Et puis ? Je ne l’aurais pas voulu ainsi, pour elle. C’est pour moi… comment dire ? Une preuve de respect ?

- Je crois… la plus grande qui soit, en effet, Max.

- Alors, sachant que de toute façon, je l’avais perdu, comme je viens de vous le dire, je suis parti sans me retourner.

- Vous avez dit : « Je fus trop lâche » ? Si vous aviez cédé à la tentation de tout abandonner, votre vie durant, vous-vous en seriez voulu. Je crois que ce remord, aurait portés tort à votre couple, Max. Vous-vous en seriez voulu ? Pas seulement à vous-même. A la longue, vous en auriez voulu à Nelly. Et puis, nous devons suivre un chemin de croix, pour nous forger une opinion éclairée, fondée sur nos expériences. Maintenant, vous ne pouvez que mieux voir les choses.

- Je me suis répété cent fois, les mots que vous venez de prononcer. Mais ce ne fut pas remédiant, pour autant. Pourquoi, est-ce que je vous raconte ma vie ? Vous ne pouvez rien faire.

- Croyez-vous ? Mangez donc votre Sandwich, Max.

J’étais sous le charme. C’était indiscutable. Que s’était-il produit, sur cette chaloupe de sauvetage ?

 

17 : 26.  

 

Le haut-parleur, nous tira d’affaire. Comme l’on dit, sauvés par le gong. Sur la coursive extérieure quelques marins, s’affairaient déjà à un travail ardu, et risqué, consistant à fixer des plaques d’acier, venant totalement obstruer les baies vitrées. Ce n’était pas, bon signe !

- Attention, attention ! A l’ensemble de l’équipage ! Soyez très attentifs, nous surpris la voix, sortant du haut-parleur. Service minimum, je répète ! Service minimum. Le personnel qui n’est pas de service, en des zones vitales, pour la sécurité du navire, est convié à rejoindre ses quartiers de repos, et de s’y astreindre. Communiqué spécial, alerte ouragan. Attention, attention ! Zone critique, dans moins d’une heure. Je répète ! Zone critique, dans moins d’une heure. Vérification des accès. Portes étanches fermées, panneaux de protections des hublots, verrouillés. Maîtres d’équipage, au rapport. Terminé !

- Eh bien ? Rejoignons nos cabines, puisque les dés sont jetés, dis-je à ma compagne qui regardait encore le haut-parleur, espérant sans doute qu’il allait la rassurer, en disant : « Poisson d’avril, on vous a fait une blague ». Mais l’engin de communications internes, demeura muet.  

 - J’ai imaginé un peu trop hâtivement que vous en rajoutiez, concernant cet ouragan, Max. Mais vous disiez vrai. Qu’allez-vous faire ?

- Maintenant ?

- Oui !

- Je vais de ce pas, rendre une petite visite à mes hommes, histoire de leur remonter le moral. Le Commandant devra m’attendre, pour me remettre les ordres concernant la sécurité de ce rafiot. Elle est d’ores et déjà, très compromise, ajoutais-je en riant. Quant à mes hommes, ils  ont besoin, de ce réconfort, pour avoir la force d’affronter ça, couchés à même le sol, car se tenir dans un hamac, ce serait difficile, et périlleux.

- Puis-je venir, avec vous ?

- Tiens ! Ce serait une idée ! Vous réussiriez bien mieux que je ne saurais le faire, à leur remonter le moral. Enfreignons le règlement ? C’est ma spécialité !

- Compliment qui me va droit au cœur, Max. Vous voyez, lorsque vous-vous y efforcez ? Vous savez parler aux femmes.

- Je commence un apprentissage ! Il faut dire que vous m’aidez bien.

Elle se mit à rire, me suivant dans la coursive. Les cabines encore ouvertes, l’équipage démontrait une certaine fébrilité. Un marin allait de logement en logement, criant le même ordre.

- Contrôle des hublots, et fermeture des panneaux de protection. Gilets de sauvetage, à portée de mains.

- Ça va chauffer Jackkie, lui dis-je, en lui prenant la main pour presser le pas. Il nous fallut une dizaine de minutes, pour arriver enfin dans l’entrepont « C1 », où logeaient nos hommes. Lorsque je pénétrais dans l’immense salle au plafond d’acier, bien trop bas, me forçant presque à marcher courbé, ils m’accueillirent par des cris amicaux.

- Eh Lieutenant ? Vous êtes venu nous apporter des cacahuètes ? Je me sens un peu, dans la peau d’un gorille que l’on conduit loin de sa terre natale, vers un zoo.

- Je partage votre façon de voir les choses, Caporal Jensen.

- Houai ! Je vois ça, dit-il, apercevant enfin la radieuse jeune femme qui me suivait de près, dans l’antre des bêtes fauves. Ça puait le fauve ! Elle fut reçue, par un concert de sifflets, et quelques mots couverts qui toutefois, n’osèrent pas se démontrer grivois. Ils se méfiaient, les bougres.

« Dire que sans doute, l’un d’entre eux est ma taupe ».

Cette pensée, me fit ressentir, un pincement à l’estomac. « Bah ! Qui vivra, verra », conclus-je, en mon fort intérieur.

- Eh bien, les gars. Je crois que nous y sommes, pas vrais ? lançais-je  à la cantonade, imposant le silence, avec des gestes de la main. Respectez bien, les consignes de sécurité. Allez faire vos besoins naturels au plus vite, et bougez le moins possible. Neptune nous offre un concert gratuit ! N’allez pas le vexer, en faisant la sourde oreille. Chaque note, possède un sens artistique, d’une incommensurable volonté d’atteindre, la perfection. Trois coups de sirène longs, et deux coups abrégés, signifient : Tous aux embarcations. Oubliez-ça, et…, faites une prière pour vos âmes ! Vous m’avez bien compris ?

Je lus dans leurs regards, soudainement très attentifs que le message, était correctement passé. Je fis un tour d’aperçu, afin de vérifier que rien de dangereux ne trainait. Ils avaient convenablement, fait le ménage.  

- Vous avez déjà connu ça, Lieutenant, demanda un soldat qui avait pour nom, André Rémy. Le tireur émérite de la troupe !

- Oui ! Dans ma baignoire, Rémy. Mais en cette époque-là, je pesais quatre-vingt-dix-huit kilos. Je ne vous dis pas les remous, lorsque je m’y plongeais. Deux kilos de plus ? Bonjour le naufrage !

Bon ! Cela les fit rire. C’était déjà bien, non ?

- Bonne chance, les gars. Mais ce n’est là, qu’un prélude. Le reste viendra bien à point, à qui sait attendre. Vous êtes impatients d’en découdre ? hurlais-je.

- Oui chef ! me répondirent-ils, d’une seule voix.

- Moi non plus ! criai-je.

Un autre éclat de rire général, accueillit la boutade. J’avais atteint mon but.

Jackkie passa son bras sous le mien, leur adressant un sourire émerveillant, avant que nous partions rejoindre nos quartiers.

- J’ai été bien ? me demandât-elle, un large sourire éclairant son visage très légèrement rondelet. Une magnifique fossette, marquait sa joue droite, rendant son sourire languissant. Il émanait de ses traits, une force d’intelligence espiègle, mais aussi, une incommensurable douceur. Elle remuait son petit nez, comme l’héroïne du feuilleton : « Ma sorcière bien aimée »,  guettant ma réponse avec impatience.

- Parfaite ! Je puis vous dire qu’à présent, vous-vous êtes fait quelques admirateurs qui n’oublieront pas de sitôt, l’avènement de cet ouragan. Ils vont en rêver qu’une telle intempérie, se reproduise.

- Flatteur ou jaloux ? Je ne parviens pas à me faire, une idée claire, sur le sujet.

- Moi, un flatteur ? Marchez plus vite, Jackkie ! Les coursives sont vides, ce n’est pas un bon présage.

- Je fais ce que je peux, voyons, fit-elle mine de s’offusquer, manquant de peu glisser, alors que le navire s’inclinait sur l’avant. Je la retins à temps, mon bras l’ayant saisie par le creux des reins. Je forçais avec une telle vivacité, pour lui éviter la chute qu’en la soulevant, elle se retrouva collée contre moi. Elle haletait, et je sentais son souffle court sur mon visage, ainsi que le parfum enivrant de ses cheveux qu’un courant d’air malicieux, faisait virevolter. Elle se rétablit sur ses jambes, étroitement serrée contre moi.

- J’aurais pu me briser le dos, en tombant. Heureusement que vous avez d’excellents réflexes, murmurât-elle, encore sous l’effet de la frayeur. Nos lèvres, n’étaient séparées que par quelques misérables centimètres. Elle avait, des yeux de biche apeurée. Mais était-ce là, une conséquence résultant de la peur ? Sur l’instant, j’éprouvais un doute légitime…

- Nous devrions filer d’ici, dis-je, reprenant mes esprits, m’écartant d’elle, sans brusquerie.

- Ce serait… plus prudent en effet, murmurât-elle, détournant ses yeux des miens, Mais elle prit ma main, la serrant plus résolument. Non ! Ce n’était pas à cause, de l’imminence d’une chute qu’elle était tremblotante, et moite, cette main. La pression de ses doigts par alternance, s’accompagnants de furtifs regards en coins, confirmèrent ce que je pressentais. Jackkie, venait de se faire violence, en repoussant le désir de s’abandonner à l’attirance qui nous avait envahis, en un dixième de seconde. Je me souviens d’avoir souris à cette pensée, oubliant presque que des éléments d’une violence inouï, menaçaient nos frêles existences. Il fut moins difficile qu’à l’aller, d’atteindre le pavillon des officiers où logeaient également, nos trois naufragés.

- C’est ma cabine, dit-elle. La numéro 6, vous voyez ? Mais bien sûr, vous ne l’ignoriez pas.

- Non ! Vous souvenez-vous que je loge à la 21 ? Mon hublot donne sur la proue du navire, en façade du château. Je ne sais pas, si quelqu’un aura pensé à fermer le panneau de protection.

- N’allons pas risquer, d’embarquer des tonnes d’eau. Allez vite !

Je ne me le fis pas dire deux fois. Je n’avais pas atteint l’angle de la coursive que jetant un coup d’œil dans celle-ci, je fus rassuré que Jackkie, avait déjà refermée la porte de sa cabine.

« Ouf ! Je viens, de l’échappée belle. Qu’est-ce qui me prend, à moi » ?

Sur ce, ayant précipitamment ouvert la porte de la mienne de cabine, je la refermais aussi vite, la verrouillant à double tours, comme si le diable me pourchassait, avec sa longue fourche. Je demeurais là un court instant, envahi par le souvenir de ce que je venais de vivre. Par bonheur quelqu’un avait songé, à boucler le panneau. J’ôtais mon béret que je balançais sur la chaise, fixée devant un petit bureau, et me débarrassais de mon arme de service. Je pus enfin me détendre, en m’allongeant tout habillé sur la couchette. Une pile monstrueuse de dossiers, semblait bien m’attendre sur ce bureau, enfermés dans trois cartons. Mes amis avaient fait fissa, pour m’éviter de me mourir d’ennuie ou de transes. Je me levais bougon, pour ranger tout ça dans le placard. Ce n’était plus le moment. J’éteignis la lumière, avec un seul désir, celui de dormir !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20 : 15.

 

On frappait à ma porte ou bien, je rêvais encore ?

- Houai, houai ! criais-je, pour me faire entendre, plus fort que les mugissements assourdissants du vent, s’accompagnant de fracas inquiétants. Inutile de défoncer cette porte, j’ouvre !

J’ouvris ! Ce que je vis alors, me glaça le sang.

- Laissez-moi entrer, supplia Jackkie.

- Vous-vous êtes blessée au front ? Bon Dieu ! Entrez vite, l’invitais-je, lui saisissant la main, pour l’attirer à l’intérieur.

- Ce n’est pas grave, dit-elle, tentant de conserver son équilibre. Ce n’est absolument rien, insista-telle. Vous entendez ce vent ? C’est horrible !

- Venez sur la couchette. Je dois avoir, de quoi vous panser ici. Ne bougez pas, lui conseillais-je, après l’avoir aidé à s’asseoir.

La jeune femme, prit appuie, son dos contre la paroi, croisant les bras, les enserrant entre ses deux mains. Son visage, exprimait encore une immense terreur. J’ouvris le placard, avec beaucoup de difficultés, parvenant à me saisir d’une trousse de secours, tout en recherchant mon équilibre. L’exercice était périlleux.  

- Ce n’est pas grave, vous ai-je dit, Max. Juste une petite estafilade.

- Laissez-moi, soigner ça ! Les blessures à la tête, saignent beaucoup.

Je nettoyais la plaie qui effectivement, était bénigne. Une petite compresse fut suffisante, pour arrêter le saignement. Deux petits morceaux de sparadrap, et plus rien ne paraissait.

- Voilà ! C’est vraiment très superficiel, la rassurais-je, tout en nettoyant le sang collé sur ses cheveux, à l’aide d’une  autre compresse, imbibée d’alcool à 90°.

- Je dois être lamentable à voir, non ?

« C’est bien les femmes, ça ! Nous sommes en péril, elle s’est blessée, mais elle pense à son apparence physique. Les époques, succèdent aux époques, mais les femmes ne changent pas. Elles évoluent en surface, mais en dessous ? Elles sont toujours en crinolines, dentelles et frous-frous ».

- Voyons ! Que vous est-il arrivé ?

- Je suis tombée de ma couchette, dit-elle, baissant les yeux, piteusement. D’un coup, j’ai vraiment eue peur. Je m’étais endormie, mais après cette chute, j’ai entendu ce… ce vacarme suscité par la force phénoménale du vent, venant s’ajouter aux craquements sinistres, issus de ce tas de ferraille, et je ne parvenais pas, à me remettre sur mes jambes. Après ça, plus de lumière. La panique, s’est emparée de moi. Alors…

- Vous avez très bien fait, de venir. Etendez-vous contre la paroi. En tout bien, tout honneur, je vais venir près de vous. Soyez sans crainte ! A deux, nous-nous soutiendrons mieux, pour corriger les effets déstabilisateurs, de cet ouragan.

- Je n’aie aucune crainte, Max. Bien au contraire, je me sens enfin rassurée. Je… Je me fais une raison, disons ! Si nous devons mourir ? Autant… J’aurais moins peur auprès de vous !

- Jackkie ! dis-je en émettant un profond soupir. Nous n’allons pas mourir ! Me faites-vous confiance ? 

- Vous le dites avec tant d’authenticité, dans l’intonation de votre voix que… Oui ! Je vous fais confiance. Nous allons avoir à surmonter, d’effroyables heures, ce n’est rien de le dire.

J’ai essayé de rire, pour la rassurer. Mais moi-même, je ne l’étais guère.

- La place, manque. Tournez-vous sur un côté, je ferais de même. Ce qui nous en accordera un peu plus. Cette couchette, est bien trop exiguë.

Je me tournais sur le côté gauche, ayant vu sur la petite pièce. Jackkie, fit de même. Oui ! Elle avait eu peur. Qui n’aurait pas peur, en entendant ces plaintes métalliques, engendrées par la maltraitance que subissait ce rafiot. A cela venait s’ajouter, les hurlements stridents, et soutenus du vent qui s’infiltrait dans les coursives, s’amplifiant d’autant plus, de leurs étroitesses. Pour couronner le tout,  le tonnerre s’en donnait à cœur joie, et la pluie cinglait le métal, avec une force inouïe. Jackkie frissonna. Je sentais son corps chaud contre le mien, frémissant, après chaque impact de la foudre. Son front vint prendre appuie sur mon dos, alors que sa main, en un premier temps se posa sur ma hanche, avant que réflexion faite, elle l’entoure de son bras, se serrant plus encore.

- Ça ne vous gêne pas ? demandât-elle, craintive.

- Absolument pas. Prenez vos aises. Essayez de vous endormir, demain sera un jour meilleur.

- Optimiste, avec ça. Chercheriez-vous à me rassurer ? Non ! Vous-vous y appliquez de votre mieux.

- Que faire d’autre ? Comme vous l’avez si bien fait remarquer, lorsque je vous ai interrogé ici même, je suis un spécial bonhomme, non ?

- Vous avez une bonne mémoire. J’ai dit ça, car c’est curieux, j’ai… Malgré votre aspect bourru,  sarcastique à la limite du tolérable, vous m’avez fait une bonne impression. Je me suis dit que vous sortiez, de l’ordinaire. Et maintenant,  je sais que je ne me suis pas trompée.

- Eh bien ? Quelque part, vous devez avoir raison, toute modestie préservée. Il faut s’extirper de l’ordinaire ou être totalement cinglé, pour suivre ce tracé de vie. Seulement, n’en doutez pas. Je me range moi-même, au niveau le plus banal de l’espèce humaine. Quant à mes sarcasmes, voyez-vous Jackkie, ils sont une arme que j’érige,  contre mes appréhensions.

- Je le pense aussi, dit-elle, caressant mon dos avec sa joue. Je me sentis soudainement envahis, d’une bouffée de chaleur telle que ma langue, se délia enfin.

- J’aimerai mettre un nom, sur ce qui m’arrive en ce moment. Je me sens transporté, sur la surface des rapides d’un fleuve où, je serais tombé accidentellement. J’heurte les rochers, je me bats contre ces éléments en furie, cherchant à m’agripper aux branches qui jonchent les rives. Mais horreur ! Lorsque j’en saisis enfin une, elle craque sinistrement, avant de se fendre, car le bois est mort. Alors, elle se détache sous mes efforts désespérés, pour tenter rejoindre la terre ferme, et me voici de nouveau emporté au centre de la tourmente. Je n’en vois plus le bout. C’est là, l’un des cauchemars qui hantent mes nuits. 

Son bras, serra plus fortement ma taille. Elle m’écoutait, la respiration lente, et régulière. J’avais réussi, à monopoliser son attention. Son front et sa joue, se laissaient aller, à l’expression d’autres caresses qui n’étaient, nullement inconscientes. Je mis cela, sur le compte de la prééminence du danger.

« C’est une synergie, désinhibée quelle manifeste ! Inutile de me poser trop de questions, sur ce que ressent cette fille. Mais pourquoi, bon Dieu ? Et surtout, pourquoi mon cœur, bât-il  la chamade ?  Je me croyais, immunisé de tous sentiments ».

- Vous… n’aviez pas la représentation, d’une telle diffraction de ma part, n’est-ce pas, Jackkie ?

- Détrompez-vous, Max. Les femmes sont dotées, d’un sixième sens. C’est un don naturel, savez-vous ? Et puis… Vous commettez une erreur de jugement, envers vous-même. Il émane de vous une force, une détermination démesuré. Mais vous êtes un homme, pétris de doutes. Je crois, pour le peu que je vous connais que… Voyons ! Je dois mettre en forme, ce que j’ai à l’esprit. Ce sont très justement, ces quantités de doutes qui vous font vous obstiner, à partir à la recherche de la vérité. Mais vous-vous y rendez tête bêche, de crainte de devoir vous arrêter en route, avant d’avoir atteint la lumière, au bout du tunnel.

Elle demeura silencieuse, un bref instant, accordant un droit d’expression, aux éléments extérieurs, profitant de l’opportunité.

.- Vous finirez bien par comprendre, et clairement définir vos objectifs qui ceux-là, vous seront propres, complétât-elle son introspection.

- Vous considérez que je m’égare ?

- Les choix que nous faisons dans la vie, ne sont jamais très simples. Il est dit qu’il faut qu’au cours de nos existences, survienne un grand désordre, pour qu’enfin, s’établisse fermement un bon ordre. Qu’en pensez-vous ?

- Que le désordre, dure depuis un bon moment. J’ai commencé à voir les choses ainsi, depuis trop peu de temps. Mais il faut dire que certaines révélations, ont été brutales. Un homme sous les ordres, finit par totalement faire abnégation, de sa propre personnalité. Bien trop d’incompatibilités surviendraient, si l’on s’écoutait soi-même. Alors…

- C’est exactement, ce qu’évoque votre cauchemar. Ne cessez jamais de lutter, pour saisir la branche salvatrice, Max. Mais je crois que ce conseil, est superflu. Dès que je vous vis… Je ne sais pas l’expliquer… Ce fut… lumineux.

- Lumineux ? Est-ce l’expression, de ce que vous nommez, un sixième sens féminin ? Je me précipitais à son secours, car cette hésitation à dire les mots, m’en disait long, sur ce qu’elle éprouvait.

 «  Bon Dieu ! Ce n’est pas le bon moment, pour laisser naitre une idylle. Repousse cette tentation, avec véhémence, si tu veux garder les pieds sur terre. Mais attention, de ne pas la blesser. Tu as déjà fait, assez de mal ainsi ».

- Dormez-vous ?

- Non Max ! J’écoute les battements de votre cœur. Cela me permet, de ne pas entendre le reste.

- Maintenant, essayez de dormir. Vous sentez-vous, plus rassurée ?

- Je ne l’ai jamais, autant été Max, murmurât-elle. Je n’aie jamais crue, à l’instar de bien des femmes, aux prédilections des voyantes. Mais en cette nuit, je payerais cher, pour que l’on me présage l’avenir, dit-elle, avec une voix embrumée de sommeil. Je ne répondis pas, car qu’aurais-je pu dire ? Laissons s’accomplir nos destinées ? Dans l’instant, l’avenir ? Il était entre les mains d’un Dieu, vers qui, des milliards de prières s’élevaient en toutes les langues, et cela, depuis des siècles. Il n’était ni blasphématoire, ni préjudiciable de penser que ce dernier, ayant débranché son sonotone ! L’Ouragan, ne semblait pas le craindre outre mesure. Quelques minutes plus tard, je compris que ma tendre compagne, s’était enfin endormie. J’ai fermé les yeux, tendant l’oreille, pour capter les battements de son cœur. Mais ce fut, peine perdue. Dehors, l’enfer se déchainait, me remémorant brutalement, ce que très brièvement, j’avais oublié. .  

 

 

 

 

10 février 1972, 06 : 00.

 

Elle dormait si bien ! Bon Dieu qu’elle était belle, avec ses cheveux qui me firent songer, à une cascade de filaments dorés, venant ruisseler sur ce visage aux traits encore juvéniles. Je quittais ma cabine, avec une pointe de regret tout de même. Nous avions survécus, à l’ouragan. Toutefois, la tempête n’avait pas totalement faiblie, bien qu’au travers d’une baie vitrée de l’atrium, divisant les coursives, je vis enfin le ciel, encore étoilé.

« C’est bon signe.  Ils ont déjà enlevé les panneaux de protection ».

Mes yeux s’émerveillèrent d’une vision inattendue, je dirais même hallucinante, et tout autant, captivante. Si l’on regardait en direction de l’Ouest, ce ciel était encore noir, de gros nuages menaçants, strié d’éclairs rageurs, reliquat de l’Ouragan qui à présent, fonçait à toute allure sur les côtes de la Réunion. En direction du Nord quelques étoiles, tentaient de s’imposer à la levée du jour, alors qu’à l’Est, au-dessus de Sumatra, et des îles de la Sonde, on pouvait déjà admirer les lueurs rougeâtres du soleil. J’émis un soupir, un peu comme si je venais de déposer, un poids bien trop lourd que je trimballais depuis longtemps, reprenant la direction de la cabine du Commandant.

- Bien le bonjour Max, m’accueillit ce dernier, vêtu d’un simple jogging bleu ciel. Vous avez eu le temps, d’avaler un café ?

- Non Commandant.

- Servez-vous, il est encore chaud, dit-il, me désignant un plateau pour petit déjeuné, posé sur son bureau, alors qu’il lisait un compte rendu météorologique, debout devant le hublot. Une tasse propre, m’apprit que le Pacha, n’utilisait pas la vaisselle du bord. Je me servis, buvant  à petite gorgées, ce breuvage qui me fit penser, à un jus de repasse. J’émis, une grimace d’insatisfaction qui fit sourire le pacha.

- Imbuvable, hein ?

- Atroce, Commandant.

- Venez près du hublot, Max.

J’accomplis, les quelques pas qui m’en séparaient.

- Prenez ces jumelles, accrochées à la poignée de fermeture, et régalez-vous les yeux, en regardant l’horizon, en direction de l’Est. Mettez-vous légèrement à gauche du hublot, puis pointez en oblique.

Je m’empressais, de satisfaire à ses recommandations.

- Oui ! Oh ! m’exclamais-je.

- Vous l’avez vu ?

- Et comment ! Je peux voir d’ici, sa passerelle de commandement.

- Oui ! Le permanent radars, m’a informé de sa présence, voici plus d’une heure. Il doit avoir eu aussi chaud que nous, en traversant cet ouragan. Ce n’est qu’un cargo, classe 56. Mais le voici, fidèle au poste. Alors ? Qu’en pensez-vous, Lieutenant ?

- Je ne vois rien qui soit, bien inquiétant sur ses ponts. Pas âme qui vive. Mais, cela ne veut absolument rien dire, Commandant. Ce que j’en pense ? Vous connaissez mon opinion. Il attend son heure.

- Hum ! J’ai envisagé cette possibilité. J’ai immédiatement avisé le Colonel Mahersen, lorsque mes hommes m’ont informé de sa présence. Il a placé la compagnie d’assaut en alerte maximale, puisque l’ouragan, c’est déjà du passé. Bertin, et ses hommes, sont sur le Seehund 5.

- Allons-nous, l’arraisonner ?

- J’ai transmis depuis longtemps, l’incident fâcheux, à l’Amirauté. Stinneng fit de même, auprès de l’Amirauté du Pacifique Sud. Nous attendons un développement de la situation, avec je l’espère, des renseignements plus… précis, sur cet éventuel danger qui nous colle aux basques. Les renseignements que vous avez glanés auprès des naufragés, s’avèreront très certainement utiles. En attendant, le Lieutenant De Langlade va employer ses hommes, à… discrètement, positionner aux points stratégiques du bâtiment, l’armement semi lourd. Voici le plan détaillé du navire Max, ajoutât-il, me montrant un dossier cartonné qu’il venait de prendre, sur son bureau. J’ai marqué les lieux qui devront faire l’objet, d’une sécurité renforcée. Et…, pas seulement ! Les ordres, risquent de vous surprendre.

- Je me fais assez bien aux… surprises, depuis quelques temps, Commandant.

- Oui ! Mais voilà…

Je compris son inquiétude, en lisant rapidement les points essentiels, soulignés en rouge.  

- Seulement, nous avons encore, cette épine dans notre soulier ?

- En effet, Max.

- Si vous me le permettez, je vais mettre l’Adjudant-chef Declercq, sur cette mission de sécurisation du navire. Malgré sa complexité, en effet, dis-je, après lecture. De mon côté, je vais éplucher les dossiers personnels et médicaux, des recrues. Comme vous me l’avez suggéré, je vais éliminer d’emblée, ceux qui suivent Mahersen depuis dix ans, pour le moins. Ils sont nombreux !

- Avez-vous une infime idée, de ce que vous devez chercher, dans ces dossiers, Max ?

- Absolument pas, Commandant. Je suis dans le brouillard total. Mais j’espère bien, tomber sur un détail insolite. Un coup de bol. Toutefois quelle autre perspective, avons-nous ? Celle de rassembler l’ensemble du personnel sur le pont, puis ordonner, le traitre sortez des rangs ?

Il émit un petit rire, me tendant le dossier.

- Je compte sur vous, Lieutenant. Si l’Amirauté m’ordonne d’attaquer…

- Je comprends, Commandant. Je m’y colle, immédiatement. Mais toutefois…

- Précisez, Max ?

- Il ne veut pas nous attaquer. Il attend que nous lui rentrions dedans. Pourquoi ? Je l’ignore encore, Commandant. Il doit avoir de bonnes raisons !

- Si votre opinion se confirme, il est devenu pratiquement inéluctable que nous connaitrons bientôt ses raisons. Vous pouvez disposer, Max, ordonnât-il, le regard rivé au hublot.

 

 

 

 

 

 

06 : 47.

 

Les commandos de choc de Yan Kowalski, étaient rassemblés dans le mess de l’équipage, du desk « A1 », jouxtant l’infirmerie, au raz de pont du château central. La compagnie de De Langlade, s’affairait fébrilement, à positionner des mitrailleuses 7/5 millimètres, et 12/7 millimètres, sur les points les plus hauts,  aux angles des superstructures du navire. Je saisis au vol, Paul Declercq qui discutait le bout de lard avec Yan, très remonté à cause du fait que le petit déjeuné, avait été servi pratiquement froid. J’avais d’autres préoccupations que celle, de m’arrêter à cette ânerie. Yan le comprit à ma poignée de main glaciale, et au regard noir que je lui lançais. Il n’insista pas, s’en retournant auprès de ses hommes.

- Nuit agitée hein, Lieutenant ? J’ai vu le bandit, avec mes jumelles.

- Voici les zones stratégiques, à couvrir Paul, répondis-je, lui démontrant mon empressement, en lui tendant le dossier.

- Bien, Lieutenant. Je mets les hommes au turbin, dit-il, après avoir pris le temps, de lire les ordres. Son visage, demeura impassible. Néanmoins, il me regarda furtivement, avec un sourire pincé.

- Faites-ça, au plus vite.

Il salua d’un geste sec, s’empressant à son tour de disparaître. Je me payais le luxe d’une cigarette, pratiquement au même endroit où je me trouvais, au début de cette narration.

- Eh bien, Max ?

Franchement ? Ces femmes avaient le don de me surprendre. Mais cette voix douce, et cet accent du sud, ne me trompèrent aucunement. Je reconnus immédiatement, ma tendre Soumaya. De ce fait, je ne pris même pas la peine de me retourner, demeurant les coudes appuyés au bastingage, laissant mes yeux, s’émerveiller des couleurs naissantes qui accompagnaient la levée du jour. La mer était encore un peu mouvementée, et le vent, ne voulait pas cesser de nous chanter, sa complainte lugubre. Mais pour le moins, il avait chassé les nuages. Le meilleur, du pire.

- Tu es matinale, Soumaya.

- Tu veux dire que, je vais aller me coucher tard ?

- Oh ! Ne me dis pas que tu as passé, cette nuit affreuse, à ton poste à l’infirmerie ?

 

6- Seehund 127 : Submersible Allemand construits sous le régime du III éme Reich, et conçu pour embarquer à son bord, un personnel réduit avec seulement deux torpilles balistiques

- J’ai huit blessés légers, dont un grave, parmi les hommes d’équipage. Trois des vôtres, et six matelots malades de mal de mer. Nous ne sommes que trois, à l’infirmerie. Le Maitre principal Rogue, Fuller et moi. J’ai passé cette nuit effroyable, à me cramponner à tout ce que je pouvais. Je peux t’assurer qu’à présent, je n’aie plus du tout l’envie, de faire du sport. Dis-moi une chose, veux-tu ?

Je lui fis face. Elle avait ses cheveux blonds cendrés, bien arrangés sous le bonnet blanc d’infirmière. Certes, ses traits étaient tirés par la fatigue, mais elle n’avait rien perdue, de sa somptueuse beauté. Ses yeux bleus foncés, pétillaient de malice.

- Quelque chose te tracasserait-il, ma chère Soumaya ?

- Hum ! André est venu rafler, tous les dossiers médicaux. Tu le connais, n’est-ce pas ? Comme à l’ordinaire, les explications furent assez… vaseuses. Est-ce normal qu’un officier du staff technique, s’intéresse autant, à l’état de santé des hommes ? De tous les hommes, je précise !

- Tu es fatiguée, non ?

- Et alors ?

- Alors, je serais navré de te réquisitionner. Sérieux ! J’ai besoin de toi, sur ce coup-là.  

- C’est… si important ? Non ! C’est vraiment grave, je le vois à ton expression presque suppliante. Ce n’est pas là, le Max que je connais.

- Très grave, Soumaya. Si grave que je ne puis même pas, t’en toucher mot ici.

Elle se mordit la lèvre inférieure, exprimant ainsi une sourde inquiétude. Je savais qu’elle ne pensait pas à sa fatigue, mais à ce que je venais de lui révéler.

- Tu sais très bien que tu peux compter sur moi, Max. Où allons-nous ?

- Dans ma cabine.

- Oh ! s’exclamât-elle, avec une expression friponne, sur son beau visage berbère. Une proposition indécente, avant le petit déjeuné ? Dois-je te remémorer que je suis l’épouse, de ton meilleur ami.

- Oui ! Cela lui ferait le plus grand bien, de rayer le plafond de sa cale, avec une belle paire de cornes.

- Je vais y songer ! Tu seras le premier sur la liste, dit-elle, amorçant un demi-tour d’une gracieuseté, digne de Marylin Monroe.

 

 

 

 

 

07 : 00.

 

La surprise de mon amie, se lut sur son visage, lorsque ayant ouvert la porte de ma cabine, elle y pénétra, tombant presque nez à nez avec Jackkie qui durant ma courte absence s’était réveillée, entreprenant au saut du lit, un grand ménage.

- Eh bien ma chère, dit Soumaya. Si je m’attendais…

- Oh ! N’allez pas vous faire de fausses idées, répondit la pauvre Jackkie, dont le visage devint rouge de confusion.

- Qu’avez-vous au front ? demanda Soumaya, apercevant un peu tardivement la légère coupure. Elle fit deux pas en avant, prenant le visage de Jackkie entre ses mains, afin de voir l’étendue de la blessure. Puis, elle lui passa ses doigts sur le visage, pour l’apaiser, lui souriant avec la tendresse d’une grande sœur.  

- Rien de grave ! Comment, vous êtes-vous fait ça ?

- Elle s’est cognée lors de l’ouragan, dis-je, volant au secours de la jeune femme qui ne savait vraiment plus quelle contenance prendre. Elle reprit son balayage du sol avec frénésie, m’adressant du bout des lèvres un message muet. J’en compris l’essentiel, ce qui me fit sourire. Soumaya fronça les sourcils, en rajoutant de plus belle.  

- Qu’est-ce qui vous arrive à tous deux, dit-elle, nous regardant par alternance. Oh ! Vous la jouez mal, la comédie de l’innocence.

- Ben quoi ? Nous avons, dormis ensemble. Où est le problème ?

- Max ! s’écria Jackkie embarrassée.

- Quoi ? Autant lui dire la vérité, car vous ne la connaissez pas. Elle va vous harceler, jusqu’à ce que vous lui disiez, ce qu’elle veut entendre. La curiosité Méditerranéenne ? C’est quelque chose de redoutable, vous allez voir ! Bon ! C’est dit, ce n’est plus à dire.

- Si vous voulez, répondit Jackkie, comprenant le principe du jeu, avec un peu de retard.

- C’est ça, Miskin ! Donne de moi, l’image d’une Chaouia des montagnes,  venant tout juste de débarquer en ville. Eh bien, mes cocos ! Vous pourrez inscrire la date de cet ouragan, sur le calendrier, conclut Soumaya en riant.

- Bien ! Maintenant que tu es convaincue, si l’on se mettait au travail ?

- Parce que… Oh ! Tu m’as encore bluffé hein ? dit-elle, m’adressant une grimace, se voulant une promesse de revanche.

- Vas savoir ? répondis-je énigmatiquement. Jackkie, vous souvenez-vous où, se situe le mess ?

- Bien sûr, Max.

- Laissez tomber le seau, et la serpillière s’il vous plait, et allez demander, à ce cher Nguyen, un grand broc de café bien chaud, des petits pains, du beurre, et pour abréger, tout ce que vous pourrez chiper qui se mange.

- J’y vais en vitesse. Nous sommes tous morts de faim, dit-elle en riant, trop heureuse de pouvoir se soustraire même très provisoirement, aux questions qui se lisaient dans les yeux en formes d’amandes, de ma tendre Soumaya.

La jeune anglaise partie, mon amie me regarda droit dans les yeux, avec un sourire qui exprimait sa pensée.

- Tel que je te connais ? Cette fille, n’a pas dû souffrir du passage de cet ouragan.

- Alors, tu me connais mal, ma chérie…

Le poing fermé sur ses lèvres, elle me regarda longuement en silence, les paupières plissées. L’avais-je convaincue ?

 

 

 

 

 

10 : 42.

 

Soumaya dans son coin, épluchait les dossiers médicaux, de tous ceux qui n’avaient pas pour le moins, dix années de service auprès du Colonel Mahersen. Mais les officiers des compagnies, « A » et « B », nous avaient expédiés l’ensemble de ces dossiers en vrac. Quant à André, avec les dossiers médicaux, il n’avait pas dérogé à la règle. Par bonheur, ceux de son petit staff, eux, étaient bien classés.   

Mon amie, n’avait pas tressaillie, lorsque je lui avais dressé le tableau plutôt inquiétant, de la situation. Elle s’était mise immédiatement au travail, buvant son café, et mangeant ses tartines, sans lever les yeux de cette quantité impressionnante de paperasse. De mon côté, je revoyais un à un, les dossiers individuels des recrues. Ils révélaient presque tout, de leurs parcours professionnel. La notation des valeurs, et un court rapport psychologique, s’attardant sur le trait de caractère. Les performances, et états de services, de leurs périodes, effectuées dans l’armée régulière. L’ensemble s’était vu agrémenté d’appréciations, notifiées par les sous-officiers de compagnies qui ces dernières, s’étaient vues structurées, sous l’égide d’André, et du Colonel Mahersen, à Bulawayo. Mais en fait tous ces bla-bla, ne m’apprenaient absolument rien de nouveau, mis à part qu’ils me permettaient d’effectuer le tri, et d’écarter les plus anciens. Les officiers, instruisaient indépendamment les uns des autres, leurs hommes constituant leurs compagnies, mais nous-nous devions de dresser un rapport commun, nommé « côte d’amour », nous permettant de bien nous familiariser avec l’ensemble. Il s’imposait de tout prévoir, car un officier, n’est pas immortel.

- Une petite chose Max, dit Soumaya, se levant de la couchette, avec un dossier en mains. Sans redresser la tête, absorbée par ce qu’elle lisait, elle s’avança près du bureau où Jackkie et moi, étions affairés. J’avais demandé à la jeune femme, de ranger les dossiers que je venais de lire, par compagnie, et ordre alphabétique, car j’avais horreur du fouillis.

- Tu as vu quelque chose ?

- Non justement ! Quelque chose, brille par son absence.

- Eh bien ! Ne me fais pas mûrir, sur ce poirier. Je veux descendre encore vert !

- Dans ce dossier, un résultat de l’examen sanguin, a été vraisemblablement égaré. Ce n’est pas normal.

- Etrange, en effet ! A qui appartient ce dossier ?

- C’est un certain… Erich Schtröbe !

- Adjudant Schtröbe ! Compagnie « B », section II. Il est sous les ordres, de De Langlade. Le résultat sanguin, en dit des choses sur un sujet, non ?

- C’est sûr ! J’ai lu le tien de dossier, pour exemple. Je sais que persiste dans ton sang, des traces de cette vieille malaria que tu as contractée, au Tchad.

- Autrement dit, rejoignais-je à grands pas Soumaya, l’historique des déplacements du bonhomme, en ce vaste monde. Jackkie, aidez-moi à rechercher son dossier, dans la pile de la compagnie « B ».

- Je l’ai, je l’ai, s’exclamât-elle, me le tendant. Il était, dans la pile de droite. Celle que vous avez isolée, de ceux qui ont plus longtemps d’années de service. Je le lui pris des mains, recherchant parmi les pages dactylographiées, le curriculum-vitæ, de l’adjudant Erich Schtröbe.

- Bien ! Très bien ! m’exclamais-je au ravissement. Il est un bon candidat. Voyons ça de prés. Que faisait-il avant ? Feldwebel (Adjudant) dans l’Armée de terre de la R.F.A, à Baden-Baden pour sa dernière affectation, détaché à Berlin Ouest, pour raison de service.

« Hum ? C’est imprécis. Ainsi, ma poule, tu as fait le mur de la honte ». Que va faire un spécialiste du génie militaire, si près du mur ?  Ils n’auraient tout de même pas l’intention, de le faire sauter » ?

- J’ai passée tous les autres en revue, sans rien relever de particulier. dit Soumaya, me sortant de ma lecture. Sans doute un oubli du médecin qui pratiqua, les visites d’aptitudes ? proposât-elle une explication, bien trop simpliste, à mon goût.

- Dommage qu’ils n’inscrivent pas leurs noms, ces toubibs, regrettais-je. Mais…  

Je me levais, prenant le combiné téléphonique en main.

- Mais…, je vais savoir, dis-je. Le standard me répondit immédiatement.

- Mettez-moi en communication, avec le poste 12, s’il vous plait, ordonnais-je poliment.

J’entendis la sonnerie. Puis, mon interlocuteur décrocha.

- Mon Colonel, bonjour. C’est Max à l’autre bout du fil.

- Ah oui, bonjour Max. Vous avez du nouveau ?

- Je ne sais pas, mon Colonel. Vous allez m’aider peut-être. Je lui exposais, ce que Soumaya avait découvert.

- Hum ! émit-il, me faisant partager sa perplexité, et son anxiété. Ecoutez Max ! Je monte de ce pas à la passerelle, d’où je pourrais utiliser la ligne téléphonique sécurisée. Cette embrouille-là, il y a quelque chose qui ne va pas. Le Docteur Fuller, ne s’est rendu compte de rien ? A Bulawayo non plus, durant l’instruction ? Impensable !

Je posais la question à Soumaya qui écarta les bras,  témoignant ainsi son ignorance.

- Apparemment, commentât-elle, parlant assez fort, pour se voir entendue par Mahersen, si le gars ne fit pas appel au médecin durant la période d’instruction, puis à Djibouti, ou à bord de ce bâtiment, ce n’est pas Fuller qui allait chercher le poil dans l’œuf. Une visite médicale obligatoire et complète, ayant été pratiquée ailleurs… Vous le connaissais bien, maintenant. Moins il en fait, mieux il se porte.

- Vous avez entendu Soumaya, mon colonel ?

- Houai ! Mettez ce dossier au frai, Max. Je vous rappelle !

- Je ne bouge pas, mon Colonel.

Je raccrochais, laissant ma main sur le combiné, perdu dans mes pensées.

- Que va faire Mahersen ? demanda Soumaya qui avait pris l’initiative, de nous servir un café.

- Je pense qu’il va appeler, leur coordinateur de missions, à Bruxelles. Ces gens-là, me font penser à une secte, tu sais ? Rien, ni personne, ne peut leur échapper. Nous voici astreints à la patience, nous, les pauvres militaires de carrière.

- Qu’est-ce qui vous fit entreprendre, ce périple Soumaya, demanda Jackkie, tout en touillant le sucre, dans sa tasse de café.

- Mon mari, c’est évident non ?

- Vous êtes militaire, vous aussi ?

- J’ai signée, un engagement long. Je suis infirmière militaire.

- Oui, je comprends ! Il a pris sur lui, une grande responsabilité votre mari, d’accepter que vous le suiviez dans… Dans cette…, périlleuse aventure.

- Non ! Rectification ! J’ai pris, cette lourde responsabilité de le suivre, Jackkie. Une épouse se doit d’être en toutes circonstances, auprès de son mari. Enfin ! C’est en tous les cas, ce que l’on nous inculque dans ma culture. Je suis d’origine kabyle, Musulmane de confession, vous l’aviez compris je pense ?

- Oui ! répondit la jeune anglaise qui visiblement comprenait, mais ne parvenait pas à cacher son aversion pour le comportement d’André, à qui elle imputait une inconvenante légèreté, avec la vie d’autrui. Toutefois son regard m’apprit que son opinion, variant du tout au tout, avec celle de notre chère Soumaya, elle aurait pu la blesser, en disant le fond de sa pensée.

- L’état-major a tranché, vins-je au secours de mon amie. Cela s’explique au travers d’un besoin d’infirmiers qualifiés, lorsqu’une telle opération extérieure, se voit engagée. Ces gars, commandés par Mahersen, ont ce qu’ils nomment des infirmiers, mais… On peut compter sur eux, sous le feu, abrégeais-je. Soumaya, s’est portée volontaire. Bien évidemment, elle ignorait tout, de la complexité de la mission. Comme bon nombre d’entre nous, d’ailleurs, je le souligne, avec une certaine amertume.

- Même si j’avais eue connaissance des tenants et aboutissants, cela n’aurait rien changé, affirma Soumaya, sans sourciller. Vous me semblez, ignorer beaucoup de notre culture, Jackkie.

- Oui, je dois l’avouer, je ne sais pas grand-chose ! Mais culturellement, André et vous, vous êtes très différents. Votre mari, croit-il en Dieu ? questionna Jackkie, très attentive.

- Il est athée !  Pour ce qui me concerne, je ne suis pas une islamiste, des plus pratiquantes. Il est… entier et passionné. Mais le spirituel, le dépasse. Disons… qu’il ait, l’esprit scientifique. Tu es de cet avis, Max ?

- Il a abordé ce vaste domaine de la science, au travers de la physique, et des mathématiques, en effet.

- Je ne le connais pas, reprit Jackkie. Mais pour le peu que Max m’en parla, j’imagine l’aventurier dans toute sa splendeur. C’est une inadéquation, avec la science, je pense.

- Croyez-vous ? se démontra surprise, Soumaya. Peut-être, oui, après tout ! Une certaine rigueur, lui fait défaut, pour qu’il adhère parfaitement à l’esprit scientifique. Je suis persuadée toutefois qu’un chercheur, dans le domaine de la physique ou en celui, des grandes avancées de la médecine, est un grand aventurier. Mais pour en revenir à André, ce tempérament bouillant ce fut sans doute, ce qui faisait défaut à ma vie. Il est effectivement, aventure et bohème. Vous connaissez, la chanson de Dalida ? « Tu es romantica, aventure, et bohème » ? J’avais acquis la liberté d’expressions, par la seule force de mes poignets, ma chère Jackkie. Ce ne fut pas toujours simple, pour une fille dont les origines, sont issues d’un monde qui exclut l’évidence qu’une femme, ait le droit d’expression. Mais je ne savais pas encore très bien l’utiliser, cette… liberté. Il se démontra un excellent professeur, doué d’une extrême patience ! Alors un tel homme, une femme aimante, le suit jusqu’en enfer.

- Il vous a libérée ? dit Jackkie, avec une légère pointe de sarcasme.

- Disons qu’il me permit, de faire des choix, répondit Soumaya, à qui le sarcasme de Jackkie, n’avait pas échappé. C’est assez compliqué, à expliquer. Je savais ce que je voulais dans la vie, et je m’attachais à réussir. Mais ! Je vivais, des périodes de doutes que je ne souhaite à personne. Je m’efforçais à penser que tout était normal, dans mon proche environnement. Mais je savais que c’était faux ! Et si je l’oubliais, ne serait-ce qu’un court instant ? Nombreux étaient ceux qui avec intention de blesser, ou par pure stupidité, se chargeaient de me remémorer les différences. C’était un combat, au sens le plus pur du mot. J’avais besoin d’un coach, si vous voyez ce que je veux dire. Car je ne connaissais pas, un seul instant de répit. Avez-vous déjà eue l’impression, d’être encerclée, par des ennemis redoutables ?

- Je… Je crois, oui ! Pour le moins, une fois, répondit Jackkie, cherchant mon regard.

- Bon ! Alors, vous allez comprendre. Ce fut l’amour qui me libéra, Jackkie ! Et hélas, l’amour a un prix à payer quoi qu’il en coûte ! Je me suis rendue compte, depuis mon plus jeune âge que nous étions tous, prisonniers de quelque chose ou, de quelqu’un. Alors, il s’impose de choisir sa prison. Elle n’est pas très dorée, la mienne non ? Mais, je ne demanderais jamais un transfert, pour tout l’or du monde ! Je l’ai aménagée à mes goûts, avec l’appui et les conseils judicieux, de mon geôlier. La porte est toujours ouverte, Jackkie. Je pourrais m’enfuir, de jour, comme de nuit. Mais non, voyez-vous ? Et je considère que justement, c’est ça, la liberté…

- Vous avez plus de caractère que certaines autres femmes, dit Jackkie, ses yeux cherchant  les miens, les investissant furtivement. .

- Je vois ce que vous voulez dire, Jackkie. Chaque individu, conserve au fond de son cœur, les grandes caractéristiques de son vécu, étape, après étape. Cette histoire se gravant sur un grand livre, retraçant tout à la fois, nos peines et nos joies, forge une perception très individuelle, de tout ce qui concourt au quotidien ! Pour vous faire une comparaison, je n’aie plus peur de souffrir ! Mon amie Nelly, puisque c’est à elle que s’adressait votre allusion, éprouvait beaucoup de peines, à l’idée de souffrir de nouveau. Elle dû surmonter, bien des drames. Je la comprends ! Et puis, vous savez ? Elle n’en veut à personne, car elle sut interpréter les évènements. En vérité, si cela peut te rassurer Max, dit-elle, s’adressant à moi, elle sait que tu entrepris tout ce qui était possible, pour lui éviter le pire. Elle n’aurait pas pu survivre, dans une quelconque prison. Même dorée…

- Merci, de tenter me disculper, dis-je. Elle a versée, beaucoup de larmes. Je n’avais pas le droit, de lui demander  encore plus de sacrifices.

- Vous-vous l’êtes mutuellement imposés, ce sacrifice, dit Soumaya, émettant un soupir chargé de regret.

- Personne n’y échappe totalement, Soumaya, approuvât Jackkie. Quelle que soit notre vision de l’existence, les évènements que nous ne pouvons prévoir, ni contrôler, et ils sont légions, nous conduisent le plus souvent, à verser des larmes. A moins, d’être totalement insensible. Ce ne sont pas Max, et Nelly qui pourraient infirmer cette évidence. Je vous prie de m’excuser d’avoir été, comment dire… sarcastique, et bien trop ignorante ? Je comprends mieux à présent.

- A la bonne heure ! Mais je ne vous portais aucun grief, savez-vous ? Chacun son opinion ! L’essentiel n’est autre que cette opinion, soit fondée. Regardez bien autour de vous, ma chère Jackkie. Que voyez-vous ?

- Ce que je n’aurais très certainement jamais osée imaginer, lorsque j’étais en Angleterre, répondit la jeune femme, sans même prendre un court instant pour réfléchir à la question. Des propensions que Monsieur, et Madame tout le monde ignorent par laxisme, par égoïsme, ou tout simplement, par inaptitudes à comprendre leurs semblables, poursuivit-elle, dans son raisonnement. Peut-être par peur aussi, de voir les réalités bien en face ? Heureux les borgnes, car au royaume des aveugles, ils sont rois ! Depuis un an, j’ouvre les yeux sur ce monde. J’éprouve un mélange de craintes, et de vives excitations, au-devant de chacune de mes découvertes. Mais aussi, comment dire ? Eh bien, je me sens en accord, avec moi-même. Je suis en symbiose avec mon âme, à chacune des actions que j’entreprends, et qui m’apportent de grandes satisfactions, auxquelles viennent s’associer d’innombrables connaissances. J’existe, je palpite d’impatience, d’en savoir toujours plus.  

- Je comprends, ce que vous ressentez, Jackkie. Vous devez être bien malheureuse, de ne pouvoir poursuivre cette collecte de connaissances aussi variées, et tellement enrichissantes.

Soumaya attendait une réponse, sourcils légèrement froncés. Je connaissais bien cette expression, peinte sur son visage. Ma chère et tendre amie, avait une idée en tête… Que lui réservait-elle ?

- Malheureuse, n’est pas le mot, répondit Jackkie. Je ne sais pas où nous allons, je ne veux pas le savoir. Je vis cet instant ! C’est étrange, n’est-ce pas ? Mais mes peurs se sont envolées, alors que je posais mes deux pieds, sur le pont de ce navire.

- Etrange ? Absolument pas, Jackkie. Je viens de vous dire que je connus d’innombrables frayeurs, seule, face à face avec une existence qui me contraignit, à me battre avec plus de férocités que les autres. Tenez ! Regardez-moi bien ! Que voyez-vous ?

Jackkie, fronça les sourcils. La question l’avait surprise.

- Je… Je vois, une ravissante jeune femme…

- Merci pour le compliment, il me va droit au cœur. Blonde, élancée, avec de magnifiques, yeux bleus foncés, poursuivit Soumaya, avec un sourire malicieux. Je pourrais être, anglaise ou scandinave, non ?

- Oui, c’est vrai. Vous pourriez être nordique.

- Je suis Arabe ! dit-elle en riant. J’en ai entendue, des quolibets, sur mes origines. Tenez ! Le plus significatif, personnifiant la connerie humaine : « Oh mon Dieu ? Vous êtes Arabe ? Eh bien, ça alors ! Vos compatriotes, devraient prendre exemple sur vous ». Je répondais :

« Je ne suis pas postulante, pour devenir un exemple, savez-vous ? Je suis, moi-même ! Mes compatriotes, comme vous les nommez ? Ils peuvent également, devenir… « eux-mêmes ». Il suffirait de peu, et de leur accorder le crédit qu’ils en sont capables. Mais aussi, nécessairement, de leur octroyer les moyens, de le démontrer. Je ne crois pas que ce soit, pour demain la veille qu’on leur accordera, ce crédit. Alors ? A qui la faute ? Ah oui, je comprends ! Moi, je suis blonde aux yeux bleus, « zouina », comme on dit chez-moi. Les autres, sont des basanés aux yeux noirs, et cheveux crépus. Cela fait toute la différence, n’est-ce pas ? Il faut dire aussi qu’en ces pays très civilisés, et démocratiques, la seule chose qui n’ait pas un prix, c’est un bonjour. Hélas, nombreux sont ceux qui se refusent, de le donner, de bon cœur ».

Eh oui ! Ils étaient surpris, par mes origines. J’en entendis d’autres. « Oh ! Pour une Arabe, vous êtes drôlement instruite. Que font vos parents, dans la vie » ? Je répondais :

« Mon père est soudeur, au Commissariat de l’Air où il répare, le matériel de l’Armée. Il doit d’avoir cet emploi, au simple fait qu’il a bien servi la France, en Algérie. Ses deux frères, n’eurent pas cette chance. Ils sont morts, massacrés par les leurs, après que les français, les aient lâchement abandonnés. Quant à ma mère, si vous voulez tout savoir, elle fait des ménages chez les vieux. Ils planquent leurs portes monnaies, de crainte que… « L’Arabe » le leur vole. Vous voyez ? Rien, de très illustre. Seulement, le quotidien des nôtres ».

- Bravo Soumaya, dis-je en riant. Comme c’est vrai ! La médisance, est toujours plus facile que la main tendue.

- Oui, Max. Toujours plus facile… Pour en revenir à vous, Jackkie, je dirais que rien ne vaut au monde, la paix de l’âme. Vous ne savez tout simplement pas encore, distinguer la raison, de cette plénitude que vous ressentez, et qui grandit en vous, au point de vous faire oublier le danger. Vous voyez ? Nous en revenons à ce que je vous disais aussi, concernant mon mari. Par amour ? Nous pouvons affronter les flammes de l’enfer. Car c’est bien par amour que vous faites abstraction, des rudesses du temps ? Je me trompe ?

Le visage de Jackkie, devint rouge incandescent. Ses lèvres remuèrent, sans que le moindre son, en sorte. La belle et très psychologue Soumaya, venait de l’emmener pas à pas, au-devant d’une révélation que la jeune femme désirait refouler, par manque d’assurance en elle. Certes ! Soumaya, avait empruntée le chemin le plus long, pour parvenir à ses fins. Mais le message, était clair et fort. « En se voilant la face, tout ce que l’on risque, n’est autre que de percuter un mur, et de se casser le nez ». Je méditais, sur ce qu’elle venait de nous dire. Il me vint ceci à l’esprit :

« Un grand nombre d’individus, sur cette planète, se perturbent le choux, à rechercher le point liminaire, indiquant le centre de la terre. Ce serait encore un motif de discorde, car tous les états du monde, voudraient se le voir attribué. Soumaya, venait de nous révéler qu’il se trouvait exactement sous nos pieds, là où nous-nous définissons, comme étant des biens heureux, tout simplement »…

Je tirais silencieusement, une bouffée de fumée de ma cigarette, alors que regardant ma main, tenant encore le verre à café, je la vis trembler.

« Sacrée Soumaya,  Tu me surprendras toujours, avec tes façons bien à toi, d’amener les gens, sur un terrain glissant. Mais voilà ! Tu as bien réussie ton coup, car à présent, nous sommes deux sur la pente. Que faire ? Nous prendre par la main » ?

C’est le téléphone qui nous sauva.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11 : 49.

 

Je décrochais le combiné, le cœur battant. Mais quelle était la raison réelle, de cette soudaine tachycardie ? Je ne le savais que de trop bien.

- J’écoute, dis-je, un peu abruptement.

- Eh bien, Max ! Il se passe de bien étranges choses, à Bruxelles. Vous êtes debout ou bien, assis ?

- Je m’assois, mon Colonel.

- Bien ! C’est plus prudent, en effet. Le médecin qui était chargé de pratiquer ces…, visites médicales d’engagements, il a très mal finit, le mois qui suivit sa prestation; pour le compte de l’organisation. L’incident est passé pour n’être qu’une fatalité, aux yeux des coordinateurs, jusqu’à ce que je téléphone.

- Il est…, mort ?

- Tout ce qui a de plus mort, Max. Oh ! Un banal accident de la circulation qui fait encore l’objet, d’une enquête de police. Figurez-vous qu’un véhicule volé, a raté un virage, venant écrabouiller ce bon Docteur, alors qu’il montait à bord de son véhicule. L’accident s’est produit vers vingt-trois heures, alors que le toubib sortait de chez sa maitresse. La dernière auscultation de sa vie, dit Mahersen en ricanant. Un témoin, a vu deux hommes s’enfuir. Mais il ne sut en faire, une description satisfaisante. L’enquête, s’enlise sur le vol de la voiture qui pour la police Bruxelloise, n’eut pour seule conséquence qu’un accident de la circulation, ayant entrainé la mort d’un tiers. Mon contact à Bruxelles est resté interloqué, lorsque je lui ai relaté la raison qui me conduisait à l’appeler. Il m’a demandé un moment de patience, avant de m’informer de cette mort suspecte. Le Directeur lui-même, s’est déplacé. Il n’existe plus aucun doute, à Bruxelles. Le voile, est levé. Schtröbe, est suspect ! Je vous prie de croire que ce bon Fuller, il en a pris pour son grade. Il devait contrôler, ces foutus dossiers médicaux.

- Et à Bruxelles, ils ne contrôlent pas après la visite obligatoire ?

- Non, Max ! Ils font entièrement confiance, à leurs médecins. Dès l’instant qu’un volontaire, est déclaré apte au service, jusque-là, ils ne se cassaient pas le chou. Je crois que les choses vont changer, à présent. Comment allez-vous procéder, Max ?

- Oh ! Tout en douceur, mon Colonel. Tout en douceur !

- Oui ! En douceur, Max ! Il est membre de la  compagnie « B », je crois ?

- Affirmatif, mon Colonel. Il est spécialiste du génie, ai-je lu sur son dossier. Ce qui me donne, une idée. Je dois préparer le navire, au pire.

- Soyez plus clair, Max.

- Vous n’êtes pas au fait, des ordres du Commandant ?

- Pas en cette heure. Que mijote-t-il ?

- Mes hommes, sécurisent le bâtiment. Mais… des charges d’explosifs statiques, doivent être placées dans les cales, aux points clés des poutrelles de renforcements de coque.

Soumaya, et Jackkie, me regardèrent, avec une expression effarée. Je ne pus que leur adresser un sourire crispé, pour tenter vainement, je m’en aperçu très vite, de les rassurer. Mon amie, entoura de ses bras, les épaules de Jackkie qui exhala un profond soupir, laissant ainsi, s’exprimer son angoisse.

- Sabordage ? dit Mahersen, d’une voix à peine audible.

- Oui, mon Colonel. Pour le cas malheureux, nous voyant sur le point, de tomber entre les mains d’un ennemi… plus redoutable. Jean-Luc De Langlade, se fera un plaisir de me rendre service, en me prêtant un élément de la partie, car les surfaces à couvrir sont impressionnantes, et mon artificier, devra se faire seconder par quelqu’un qui ne connait pas le métier. Alors autant en profiter, pour faire d’une pierre deux coups. On dit que l’occasion, fait le larron, non ?

- Bon Dieu ! Je vois où vous voulez en venir. Vous avez cartes blanches, Max.

- Eh bien, c’est consolant. Je me serais passé, de votre consentement néanmoins. Je tiens bien trop à rester au sec, mon Colonel. Je serais prêt à parier que Schtröbe, sera des plus satisfaits, de participer à ce boulot, consistant à saborder le navire, mais aussi qu’il s’empressera d’en informer sa hiérarchie. Si toutefois, il n’y a pas déjà pensé au sabordage, et anticipé sur le mouvement.

Je raccrochais le combiné, car tout avait été dit. Les deux femmes, se levèrent en silence. Ce fut Soumaya qui le rompit.

- Je crois que je vais me rapprocher, un peu plus de Dieu, dit-elle. Il y a bien longtemps que je ne prie plus.

- Tu peux lui transmettre un message, de ma part ?

- Je peux essayer, Max, répondit-elle, assez surprise.

- Bien ! Dis-lui ceci, veux-tu ? : La prochaine fois qu’il lui prendra l’envie de créer, plus con que l’homme qu’il détruise vite, son prototype. Car l’œuvre  qu’il a d’ores et déjà accomplie, est des plus performantes. Inutile, d’en rajouter ! Je comprends maintenant, pourquoi Dieu, s’est inscrit aux abonnés absents. Il aura fermé, le service après-vente, selon ce que j’en déduis. Comment réparer ces trucs ? Il n’a pas songé au stock, de pièces détachées ! Nous l’avons profond où je pense, jusqu’à la fin des temps !

- Tu blasphèmes, Max ! Hachouma ! s’exclamât-elle, horrifiée. Mais tu es bon, dans ton cœur. Alors, Dieu te pardonnera.

- Bon ! Si tu le dis, je veux bien te croire. Mais moi, je ne pardonnerai pas, le dénommé Schtröbe.

 

12 : 21.  

 

Enfin ! Le soleil ! Lentement, mais surement, la mer retrouvait son calme. Accompagné de Jackkie, Jésus et Marie-Madeleine, je fis une entrée remarquée dans la salle du mess. Le « Che », s’était vêtu d’un pantalon noir à pattes d’éléphant, d’une chemise à manches longues, aux manchettes vaporeuses, dont la déco, faisait songer au jardin potager de ma grand-tante Conception. (Conccetta en italien). Elle avait, la main verte. Il avait également noué ses cheveux longs, et propres, miracle, s’ornant le tour de la tête d’un bandeau noir, sur lequel était inscrit en rouge vif, « No war ». Aux pieds, il portait des sandales de cuir,  laissant dépasser deux orteils, et des doigts squelettiques. Pauvre Guevara ! Sa doublure, ne lui faisait guerre honneur. Bien évidemment, il se vit accueilli de regards amusés, voire franchement hostiles, de la part des officiers attablés. Je m’en tamponnais le lard. Pour mon compte, celui que je cherchais était présent, c’était l’essentiel.

- Salut Jean-Luc.

- Oh ! Bonjour Max. Tu n’étais pas, au rapport du matin ?

- Trop de boulot, fis-je courtes les explications, découlant d’une conversation que je ne souhaitais pas entretenir. Jackkie eut la présence d’esprit, d’aller occuper une table, sise dans le fond du réfectoire. Elle m’adressa un sourire entendu, auquel je répondis, par un imperceptible hochement de tête, approbateur.

- Oui, reprit Jean-Luc. Moi, j’ai terminé le mien, de boulot. Mon matos est installé, et les hommes, sont à leurs postes, en attendant que les tiens, prennent la relève.

- Oui ! A ce sujet ? Ils ont beaucoup de travail en cales. J’aurai besoin que tu me détaches, l’un de tes éléments.

- Lequel ?

- Ton…, génie !

- Oups ! Tu peux, m’en dire plus ?

- Silence radio.

- Je vois ! Si tu veux Schtröbe, je te le donne.

- Eh bien, merci. Paul a positionné, ceux qui devront protéger les accès. Les autres, ils ne tarderont pas à monter. Ils aident les marins dans les cales, à tout remettre en ordre, après cette tempête.

- Ok, Max. Faisons ainsi.

Rassuré, je rejoignis mes trois invités qui papotaient bruyamment. Le Che, nous faisait la contre apologie, de la guerre du Vietnam. Cela, valait le déplacement.

- Sais-tu Jackkie, disait-il, qu’un seul jour de cette satanée guerre, permettrait de nourrir sainement, des milliers d’enfants en Afrique, et de par le monde ?

- Le Gouvernement Vietnamien de Saigon, aurait dû penser à ça, il y a longtemps, répliquais-je sèchement. Il n’en serait pas là ! Ici, nous mangeons, nous ne faisons pas de la géopolitique, ni encore moins, de la subversion, avec un esprit pacifiste douteux. Une pilule de L.S.D, est ce monde, on le voit peint en rose ? Pas moi, mon cher Che !

- Rien d’étonnant, venant de votre part que vous teniez, ce genre de propos, Lieutenant, dit-il sans se démonter. Vous êtes tous assujettis, au capitalisme dévoreur des peuples qui impose le joug de l’injustice, par la force des armes, lorsqu’il ne parvient plus, à l’abreuver de mensonges.

- Si vous le dites ? Cela n’engage que vous ! Mais si vous avez dans l’avenir, un peu de temps devant vous, allez donc transmettre cette judicieuse observation, aux Soviétiques, ils en seront ravis.

- Allons, allons, Lieutenant ! Vous êtes pourtant, un homme réputé pour être franc. Dites la vérité…

- La vérité ? l’interrompis-je assez brutalement. Voyons ? La vérité, est en tout comparable à un miroir. Le seul problème voyez-vous, il se révèle, lorsque de pauvres cons lui tournent le dos, pour se raser. C’est stupide, car ils se coupent ! Et,  le plus terrifiant de l’affaire, et là, c’est pousser le bouchon un peu loin, c’est que ces amblyopes obstinés, eh bien, ils maudissent le miroir… Vous me comprenez bien, Monsieur Green ?

Ce fut Jackkie qui vola à son secours, en changeant du tout au tout, la teneur de la conversation, car elle lut dans mes yeux que l’oiseau de malheur, allait me faire perdre patience.

- Vous avez obtenu, ce que vous espériez Max ?

- Mon collègue, ne peut rien me refuser, Jackkie. Commandez ce que vous voulez, je n’ai pas très faim. Un travail à terminer.

- Voulez-vous que je ramène quelque chose à grignoter, dans votre cabine ?

- Bonne idée.

- Dans sa cabine, Jackkie, dit celle que je nommais Marie Madeleine, manquant s’étrangler de stupéfaction. Eh bien ma chère ? Tu vas vite en besogne, toi.

- La vie est courte, l’entendis-je répondre, alors que je lui adressais un signe de la main, ne pouvant que sourire, en observant le jeu auquel se livrait la jeune femme, non sans se démettre de tout son sérieux. Mais était-ce un jeu ? Elle m’adressait un sourire, empreint de tendresse. Ce que j’eus le temps d’aller puiser dans ses yeux, ne fit que confirmer, ce que j’avais d’ores et déjà pleinement compris, de ses sentiments. La foudre s’était passée du consentement, et de la complicité de l’ouragan, pour fondre sur nous, de toute sa puissance énergétique.

«  Eh oui, mon bon Max. Tu peux te débattre, pour tenter repousser avec force, et conviction, cette volonté qui te dépasse. Tu ne parviendras pas, à courir plus vite que le vent. Une femme amoureuse, se sent pousser des ailes. Tu peux t’enfuir où tu veux, elle survolera les océans, et les montagnes, pour te rejoindre. Je crois bien que cette fille, en est capable. Elle le prouva, non ? Tu es, entre de beaux draps » !

 

 

 

 

 

 

 

 

12 : 53.

 

Les ponts supérieurs, s’étaient transformés en un véritable arsenal, savamment camouflé par ces spécialistes en la matière. A présent, les hommes en postes, jouaient aux cartes derrière leurs sacs de sable, alors que d’autres, écrivaient à leurs proches, des lettres qui devraient attendre des jours meilleurs ou bien, rêvassaient, étendus à même le sol. Trois gars, jouaient du Jimmy Hendrix, deux sur leurs guitares, le dernier accompagnant avec un harmonica. « Mye gente guitare ». Déjà de vieux souvenirs ! Un doux soleil, me réchauffait la peau. La mer était devenue un miroir qui semblait s’étendre, à l’infinie de l’horizon. Oui ! Un bel après-midi, en perspective. Mais où était donc passé, le bandit qui nous suivait ? Je scrutais l’océan à tribord, vide de toute présence. Il avait disparu ? Etrange !

- Erich Schtröbe, hurlais-je. Où est Schtröbe, s’il vous plait ?

- Ici Lieutenant, entendis-je enfin une voix me répondre, provenant d’une coursive, ouvrant sur le pont « C 1».Ce dernier, se matérialisait par une plage d’acier, en proue du château central. Je vis arriver un bonhomme assez grand, mince comme un échalas, au nez crochu comme le bec d’un aigle. Ses yeux verts clairs,  renforçaient la ressemblance, avec cet oiseau de proies.

- Ah oui ! Je vous remets maintenant, dis-je. J’ai besoin de vous, en bas. Votre chef de compagnie, est informé.

- A vos ordres, Lieutenant.

- Vous prenez votre matériel, et vous venez me rejoindre, dans la cale numéro 2. Pressez-vous, je n’ai pas que ça à faire.

- J’y serais dans… cinq à six minutes, Lieutenant. Mon matériel, est toujours à portée de mes mains.

« Houai ! Ce qui ne me rassure pas du tout ».

Mais l’échalas, ne posa aucune question. Je pris les devants, marchant d’un pas décidé en direction de la cale. Il me rattrapa, bien avant que j’y parvienne, ainsi que je l’espérais.

- Qu’allons-nous y faire dans cette cale, Lieutenant ?

- Ce que vous savez faire le mieux, Schtröbe. Vous aiderez mon artificier. Il vous montrera le plan.

- Nous allons apprêter, des charges de sabordement ?

- Eh bien ! Heureux que vous compreniez vite, Schtröbe. Ordre du Commandant ! Vous saisissez ?

- Parfaitement, Lieutenant. Même si je suis un peu inquiet.

- Nous le serions, pour moins que ça, non ? Au fait, Schtröbe ? Vous  avez servi longtemps dans le génie ? 

- Plus de dix ans, Lieutenant.

- Intéressant !

Nous marchions vite, dans les coursives mal éclairées des entreponts, conduisant à l’accès de la cale 2.

- Avez-vous participé, à des actions en territoires extérieurs ?

- L’armée allemande, ne s’est plus guère souciée des opérations extérieures, depuis le déclin du l’IIIème Reich, Lieutenant.

- Oui, en effet ! Eh bien ? Maintenant vous voyez du pays ? Cela doit vous changer de la forêt noire, pas vrai ?

- Radicalement, Lieutenant. Je vois, que vous avez consulté mon dossier.

- Ah oui ? Depuis Bulawayo, adjudant. A ce sujet, le Médecin Major Fuller, m’a demandé de vous transmettre une convocation, pour subir une visite médicale. J’allais oublier, suis-je étourdis parfois. Trop de travail en retard, depuis cette foutue tempête, et pas assez de repos.

- Une visite médicale ?

« Vient-il de tressaillir » ?

Je l’observais, d’un bref regard oblique.

- Oui ! Il s’est rendu compte que des pièces manquaient, dans votre dossier médical, enfonçais-le le clou dans la planche. Il aurait dû le vérifier à Bulawayo, ce brave homme ! Mais passons ! Il m’a entendu parler de vous avec votre officier, au mess. Ce qui lui a remémoré qu’il tenait absolument, à vous voir. J’ai fait la commission. Lorsque vous aurez un peu de temps libre, faite un détour par l’infirmerie. Ce ne sera pas long ! Une prise de sang, je crois.

- Ah bon ? Nous avons un laboratoire d’analyses sanguines, à bord ? Ces américains, pensent vraiment à tout.

« Le coquin ! Il est loin d’être idiot, le mec ».

- Ma foi ! Moi vous savez, je ne mets pas mon nez où ça pue l’éther.

- Bon ! J’irai, dès que ce travail sera terminé, Lieutenant.

- Faites donc ainsi. Vous-vous rendez compte ? Je faillis être refusé pour cette mission, car ils m’ont découvert la trace, d’une vieille malaria dans le sang ?

Malgré la demi-pénombre qui régnait, je le vis blêmir. Sacre bleu ! Je pensais que j’étais vraiment costaud. J’avais visé juste, du premier coup. Ce type, avait voyagé très loin, de son Allemagne natale. Je n’avais plus aucun doute, le concernant.

- Vous avez participé à des opérations en Afrique, Lieutenant ?

- Le Tchad, durant trois mois. J’ai chopé cette saloperie, et…, baraka, retour au bercail. Ma station, a été de courte durée, hein ? Pas même le temps, de m’acclimater, ajoutais-je en riant. De retour en France, c’est bien le cas de le dire, j’ai choppé un chaud, et froid ! En plein mois de février, se retrouver au Val de Grâce ? Bonjour l’angoisse !

- Ah ? Je ne savais pas !

- Vous ne saviez pas quoi, Schtröbe ?

- Que vous étiez allé en Afrique, Lieutenant ?

« Tiens donc ! Ainsi, tes renseignements étaient incomplets » ?

Riant intérieurement du dérapage, de celui qui pénétrait à mes côtés, dans la cale 2, je lui adressais intérieurement, cette promesse :

 «  Je vais me faire un réel plaisir, de t’en dire beaucoup plus, dans très peu de temps ».

- On ne peut pas tout savoir, Adjudant Schtröbe. Nul, ne peut tout savoir.

- Vous apparteniez déjà au S.R, lorsque vous avez été envoyé au Tchad ?

« Eh oui, ça t’intéresse. Je vais satisfaire, ta curiosité mon petit. Patience, patience ! Tu ne perds rien, pour attendre ».

Mais en vérité, c’est moi qui bouillais d’impatience. Tellement que j’étais au bord, de l’incontinence urinaire !  

- Non ! J’étais aspirant, et en stage d’instructeur, au bataillon des fusiliers commandos de l’Air. Je devais commander une petite compagnie, chargée de la protection de l’aéroport militaire de Ndjamena. Chez-nous, nous nommons cela, la F.A.S. Force Aérienne Stratégique. Vous connaissez ?

- J’en ai entendu parler, Lieutenant. Les français sont chez-nous, depuis longtemps.

- Ah ! Voici l’Adjudant-chef, Paul Declercq. Vous allez vous placer sous ses ordres. Il vous briefera, sur ce que vous aurez à accomplir.

- Je vois déjà ça de là. Il faut être très attentif, sur ce job.  

- Vous venez de témoigner, de toute votre attention, en bon professionnel que vous êtes, Adjudant Schtröbe. Avec vous, je sens que je pourrais dormir tranquille.  

- Merci bien, Lieutenant ! Mais bon ! Si je m’attendais à ça ! Le Commandant ne lésine pas, sur les méthodes expéditives. Je n’ai pas signé, pour une mission suicide, Lieutenant.

- Vous avez signé, Schtröbe. Nous avons tous signés. Nous obéissons aux ordres. Je me fais bien comprendre, Adjudant Schtröbe ?

- Clairement, Lieutenant.

- Très bien ! Voyez Paul Declercq.

- A vos ordres Lieutenant.

Je tournais les talons, l’abandonnant entre les mains de mon second, surpris de recevoir ce renfort inattendu. Je lui fis signe discrètement, de me rejoindre dans la coursive conduisant aux escaliers, donnant accès aux ponts supérieurs.

- Vous occupez ce drôle d’oiseau, à la tâche qui vous est confiée, Paul, ordonnais-je à mon second, affichant sur son visage fatigué, une expression d’étonnement. Mais vous me le gardez à l’œil, et bien au chaud, insistais-je, scrutant pas dessus son épaule, si Schtröbe, nous observait. Disons, pour une bonne demi-heure. Après, faites comme s’il n’était pas là.  

- Quelque chose ne va pas, Lieutenant ?

- Je ne puis tout vous expliquer, dans l’instant. Tout ce que je peux vous dire, n’est autre que ce gars, est un infiltré. Très certainement, un agent Soviétique. Extrêmement dangereux ! Ouvrez l’œil !

- Bon Dieu ! Je ne poserai qu’une question, Lieutenant. Que dois-je faire, en cas de coup dur ?

- Rien ! Il n’y aura, aucun coup dur. Soyez naturel. Comme, si de rien n’était. Laissez-le naviguer où il veut, après cette bonne demi-heure. Pas avant ! Blaguez avec lui, occupez le, mais qu’il ne sorte pas de là ! Entendu ?

- Ok ! Nous avons posé les charges statiques, sur les soutènements. Béranger, fera les branchements, dès que nous aurons terminé la cale 2. .

- N’ayez aucune inquiétude, le problème sera réglé d’ici là. Personne ne connaitra, le mode de branchement, du sergent Béranger, ni où courent les fils. D’ailleurs, je ne pense pas que nous en arrivions là. Le Commandant, sait ce qu’il fait.

Il était rassuré, ce bon Paul. Moi, pas encore ! Je me rendis au plus vite, en salle des machines. Un poste téléphonique de communication interne, me tendit les bras, au bas des marches glissantes y conduisant. Quelques secondes plus tard, je parlais à mon cher ami André.

- Tu fais quoi ? lui demandais-je, d’un ton détaché.

- J’ai po-pol en mains, et je ne sais pas trop, si je dois commencer à astiquer la bête, d’arrière vers l’avant ou d’avant, vers l’arrière. Tu n’aurais pas, une suggestion ? Je bosse, fada ! hurlât-il dans le combiné.

- Bon ! Eh bien, laisse tomber l’engin de reproduction, et viens me rejoindre, dans cette salle de refroidissement des moteurs. Tu te souviens ? Ces immenses radiateurs, ayant ressemblance, avec de grandes orgues ?

- Hum ! Toi, tu as quelque chose, à te mettre sous la dent. Tu partages, en frère ?

- Je crois que tu vas aimer, ce que je mijote dans ma marmite, en effet.

- Alors, je rapplique ventre à terre. Heu ! Je viens seul ou, j’amène des copains ? J’ai Smith § Wesson, avec moi. Ce sera suffisant ?

- Prends tout de même, un bipède en plus. Ton adjoint, fera parfaitement l’affaire.

- Eh merde ! Qui, va faire tourner la baraque ? Bon ! On arrive !

Je raccrochais brutalement, n’ayant plus de temps à perdre, avec le maitre des mystères. Je me dirigeais d’un pas décidé, vers cette immense salle où se dressaient d’imposants radiateurs, peints en gris minium. Il y régnait, une chaleur infernale, ainsi qu’un épais brouillard, formé par des perles de buée brulantes.  Pourquoi, avais-je eu cette idée saugrenue ? Eh bien, du simple fait qu’André et moi, avant de nous engager, pour nous faire un peu de pognon, nous avions travaillés chez Gardella qui à Marseille, était le roi de la réfection navale, avec la Compagnie Marseillaise de Réparations. J’avais repeint ces larges lamelles de radiateurs, durant dix longs jours, à bord d’un pétrolier. Mais avant j’avais dû, selon l’expression employée pas mon grand-père qui était mon chef d’équipe, rendre le sol si propre que l’on aurait pu y manger dessus. C’est qu’il ne plaisantait pas, le chef d’équipe. Que je sois son petit fils ? Cela ne changeait rien au problème. Bien au contraire, je devais me montrer à la hauteur, plus encore que ses autres ouvriers. Et j’avais intérêt, car sinon, j’aurais goûté de son 44 fillette, à la volée. Dans ma petite tête, je m’étais tenu le raisonnement suivant : «  Je ne connais pas parfaitement ce rafiot, c’est sûr. Mais le plan, je sais bien le lire. Et si quelqu’un veut planquer quelque chose, ce ne sera pas dans les cales qui sont hyper sécurisés, et bouclées hermétiquement. Ce ne sera pas non plus, dans les entreponts. Impossible de s’y mouvoir, de jour, comme de nuit, sans rencontrer quelqu’un. Ni encore moins en salles des machines où, il y a toujours du monde. Quant aux embarcations sur les ponts ? Les marins vérifient périodiquement les cordages, les structures, et les bâches. Les logements troupes ? Il faudrait qu’il soit cinglé, ce cher Schtröbe. A première vue, ce n’est pas du tout l’impression qu’il donne. Alors où » ? C’est là que sur le plan, je vis cette salle, et que mes souvenirs me revinrent.

«  Mais bien sûr ! Comment n’y ai-je pas pensé avant ! Si j’étais notre espion ? C’est là que je planquerais du matos. Personne n’y vient jamais, sauf pour le nettoyage ou bien, en cas d’incident majeur, intervenant sur ces radiateurs. Grâce à Dieu, ce n’est  pas souvent qu’une telle chose, se produit. Il doit y avoir un coin, encore plus pénard, pour y planquer du matériel. Je verrais bien ».

Lorsque j’entrais dans cette torpeur humide, et torride, je sus de suite que je n’avais pas mal raisonné. Le sol, peint à l’identique aux lames de ces grandes orgues, était glissant, mais d’une propreté irréprochable. Le plafond était très haut, les parois lisses, et dépourvues de toute fioriture. Ma vue s’habituant à la buée, j’aperçus enfin un poste à incendie, situé à ma droite, fermé par deux grandes portes peintes en rouge, sur lesquelles l’on pouvait lire les mots : « Fire Rescue ». Une serrure m’apprit que la clé, était hexagonale, comme celle de la porte principale que j’avais facilement crochetée, avec un simple canif. Je l’ouvris, en quelques secondes ! Un long tuyau d’incendie, était parfaitement bien enroulé, autour de son socle. Il y avait aussi trois extincteurs, suspendus contre la paroi. Le premier, pour les feux d’hydrocarbures, le suivant, pour les courts circuits électriques, et enfin le dernier, pour les feux secs. Et pour finir cet inventaire, un seau rouge, une pelle, un sac de sable, et une hache. L’ensemble, était posé au sol qui n’était autre, qu’une plaque de tôle amovible. Je sortais le matériel en hâte, de crainte d’être surpris. Avec la pointe de mon poignard, je soulevais la plaque qui mesurait en longueur, dans les un mètre cinquante, pour un mètre de large. Et là ? Euréka ! Je n’en crus pas mes yeux ! Je m’empressais de tout remettre en place. Maintenant, il ne me restait plus qu’à dégotter un coin paisible, pour attendre la suite. Je ressentais encore l’effet, de la montée d’adrénaline. J’avais bien fait, de suivre mon instinct. André arriva accompagné de son adjoint, le sous-lieutenant Pascal Klein, appartenant au corps des techniciens, de la Marine Nationale.

- Vous êtes armé, Klein ? demandais-je, à l’officier qui me répondit par un sourire, s’accompagnant d’un hochement de tête, finissant de me convaincre.

- Bien ! J’ai fait une sacrée découverte, dans le poste incendie.

- Explosifs ? Questionna André avec une pointe d’anxiété, rendant ses yeux bleus, très ténébreux.

- Non ! Poste émetteur récepteur, très sophistiqué. Du dernier cri Soviétique, si tu veux mon avis. Mais ce que j’ai furtivement lu, sur la plaquette d’identification, est écrit en espagnol.

- Cuba ! s’exclama André, se frottant la joue gauche avec son pouce. Hum ! Je ne suis guère surpris, vois-tu ? Mais comment, a-t-il rentré ça, à bord ?

- Je n’en sais rien, André. Mais, ce n’est pas l’instant propice, pour se poser la question.

- Que fait-on ?

- Tu vas te planquer, et attendre. Il y a une pièce à matériaux, dès que tu sors de là, sur ta droite. Elle est sous les escaliers, tu vas voir. Je ne sais, ce qu’ils entreposent dedans. Apparemment les clés de ces portes, sont des tiges à bouts hexagonaux. Débrouilles-toi ! Essayez, de vous y cacher. Moi, je vais rester là. On bouge les gars. Sait-on jamais.

Je fis le tour des grandes orgues,  franchissant une passerelle permettant de traverser un bassin, rempli d’eau en ébullition. Une sur verse sans doute. C’est de là que s’élevait dans l’air, cette buée qui vous pénétrait les habits, et les os, vous brulant la rétine, et la gorge.  Je franchissais le bassin, prenant garde de ne pas glisser, rejoignant au plus vite une coursive horizontale, circulant le long de la paroi de séparation, derrière laquelle se tenait la salle des machines. Cet étroit passage, courait de bâbord vers tribord. Un boucan infernal auquel venait s’ajouter une forte odeur de gas-oil, faisaient de ce lieu, un véritable petit paradis, pour ceux qui bien évidemment, ne souffraient pas d’asthme chronique ! J’allais devoir attendre là, de très longues minutes, avec l’intuition que le salopard, était tenu de rappliquer, dare-dare. J’avais fait en sorte qu’il ait deux sujets d’inquiétude. Le premier, en l’investissant, dans cette œuvre de sabordage du navire. Il allait devoir immanquablement, en informer son supérieur. Le second ? Le bluff concernant la visite médicale, s’accompagnant d’une prise de sang. Je me collais dans un angle de cette paroi, après l’avoir longée vers tribord. De ma position, et par intermittence  seulement, au travers de la buée,  je pouvais voir la porte d’accès. Les minutes, succédèrent aux minutes. Ce fut très long, et pénible. Soudain, vers quatorze heures trente, la porte s’ouvrit enfin. Mon cœur, se mit à battre très fort dans ma poitrine. Nous allions connaître le dénouement, de cette affaire sordide.  La buée se dissipant, à cause du courant d’air produit par l’ouverture de la porte extérieure, j’aperçus une forme, se rapprocher du poste à incendie.

« Ah ! La peur de la piqûre. Sale gosse ! Tu vas tout de même, te faire piquer ».

Je longeais la paroi pas à pas, sortant  de son étui, le lourd révolver, de calibre 44. J’avais horreur, des armes semi automatiques. Elles s’enrayent, trop facilement. !

- Eh bien Schtröbe ? Vous êtes venu prendre un bain de  vapeur ? Fabuleux ce hammam, hein ? Vous en connaissiez l’existence, et vous ne vouliez rien dire à personne ? C’est très égoïste, ça !

Encore debout devant la porte du poste, il demeura tétanisé.

- Schtröbe, je lis dans vos pensées. Vous évaluez vos chances, de brandir une arme. Je vous le déconseille très vivement, car si vous osiez vous retourner, vous constateriez que deux autres flingues vous braquent. Quant au mini canon que j’ai en main,  inutile de vous préciser les dégâts qu’il fait, dans une carcasse, l’informais-je flegmatiquement.  

- Tu as entendu, ce que le Lieutenant Girard vient de te dire, camarade syndiqué ? hurla André, pour bien couvrir le bruit, occasionné par les moteurs.

- Parfaitement ! finit par répondre Schtröbe, levant les bras très haut.

Je fis signe à Klein, de fouiller soigneusement l’énergumène qui n’opposa, aucune résistance. L’adjoint d’André le délesta d’un Herstal 7,65 mm, d’un poignard commando, d’un portefeuille contenant divers papiers, et enfin, oh stupeur, d’une boite de préservatifs.

- Oh ! m’exclamais-je véritablement surpris. Il est prudent, notre facsimilé de Julian  Bond 007. Tu t’es fait, des petites copines à bord, ma coquine ?

- Je ne suis pas homo, Lieutenant, si c’est ce que vous insinuez, répondit-il, très vindicativement. Ce qui lui valut, une claque d’André qui je le crus, aurait pu lui décoller le haut de la boîte crânienne.

- Tu réponds bien, au Lieutenant. Si tu n’es pas pédé, ce qui importe vois-tu, c’est que tu nous dises ce que tu fabriques, avec des préservatifs, questionna André, le regard furibond.

- Tu ne sens rien, Dédé ? Avec ces préservatifs, il nous nique, compris-je immédiatement, ricanant doucement. Nous irons perquisitionner ses affaires, dans l’entrepont. Je suis certain que nous trouverons très vite, ce qui va avec.

- C’est quoi, selon toi ? Un godemichet dernier cru ?

- Eh bien ! Je pense plutôt à quelque chose…, de fluorescent, tu vois ?

- Ben non ! Expliques, s’il te plait !    Tu ne voudrais pas que je ne meure con ?

- Bah ! Même si j’explique… Bref ! Je crois que ces préservatifs, servent de réservoirs à messages. Tu mets un bout de papier dedans, tu gonfles, tu fermes hermétiquement, puis tu balances à l’eau.

- Il est immense, cet océan !

- Eh oui André. Raison pour laquelle, il faut quelque chose qui se voit de loin, un peu comme le bout incandescent d’une cigarette. Un bâton lumineux que tu casses, tu vois ? Il ne comptait pas vraiment utiliser cette méthode, pas vrai ? Elle est désuète et pas très sûre ! Mais sait-on jamais, hein ?

- Je te baffe encore, pour te délayer la langue ? menaça André, le plat de la main droite, levé à deux centimètres du visage du prisonnier, alors que Klein venait de finir, de lui lier les mains dans le dos.

- Vous comprenez vite Lieutenant, collabora Schtröbe,  ne caressant plus aucune illusion quant à son sort.

- Eh non ! répondis-je, prenant un ton évasif. Mais je suis persuadé que tu ne tarderas plus très longtemps, à combler mes lacunes. Klein !

- Lieutenant ?

- Passez devant, avec ce Monsieur ! Direction, le pont de poupe !

 

 

 

 

14 : 56.

 

Notre arrivée sur le pont, ne passa aucunement inaperçue, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais le plus surpris, ne fut autre que le Lieutenant Jean-Luc De Langlade. Il dévala les marches d’escaliers, conduisant au pont supérieur « C2 ». (Plage en poupe). Ses hommes, vinrent se bousculer devant le bastingage de la petite plateforme, avec pas mal d’interrogations dans les regards, s’accompagnants de commentaires, émis à voix basses.

- Tu fais quoi là, Max ? me demanda De Langlade, pas vraiment jovial.

- Je viens d’arrêter Schtröbe, Jean-Luc.

- De…De… l’arrêter ?

- Oui ! André est occupé à rassembler le matériel de transmissions que Monsieur, avait bien planqué dans un poste incendie, de la salle annexe des machines.

- Tu m’as bluffé hein ? s’exclamât-il, les yeux lançant des flammes. Schtröbe, serait donc notre taupe ?

- Eh oui !

- Tu aurais dû m’informer, à midi au mess. Tu ne me fais pas confiance ?

Je le regardais droit dans les yeux, avec toute la froideur que je pus exprimer, sur mon visage.

- A ma place, tu aurais fait quoi ? Moins on en dit en public, mieux l’on se porte, Jean-Luc. Le mess, n’est pas un confessionnal ! Le résultat, est là ! Désolé que ce soit, l’un de tes gars.

- Pas moi ! A mon arrivée à Bulawayo, je ne connaissais pas ce gus-gus. Il me fut attribué ! Fais-en, ce que bon te semble. Mais avant, enregistre bien ces mots. Ne me refais jamais plus, de coup en vache, vu ?

- J’essayerai de m’en souvenir, répondis-je, avec un sourire apaisant.

Il tourna les talons, haranguant ses hommes, les renvoyant à leurs postes, à grands cris. Visiblement, il était en rogne, le réunionnais.

- Que fait-on de lui, me murmura Klein.

Deux marins, rangeaient des cordages, tout en nous regardant curieusement. Je leur fis signe de venir.

- Ils sont solides ces filins, demandais-je au plus âgé des deux matelots. Il arborait le galon, de second maître, sur son caban.  

- Ce sont des filins d’arrimage de bâches, pour les chaloupes de sauvetage, Lieutenant. Nous avons reçu l’ordre d’en changer, là où la tempête causa de sérieux dégâts.

- La coque du Seko ? Quelle hauteur selon vous ?

- Quine mètres, à la limite de flottaison, Lieutenant.

- Parfait ! Façonnez-moi un cordage de cent mètres, s’il vous plait. Et, je voudrais au plus vite, une sorte de crochet, en forme d’hameçon.

- Reçu Lieutenant ! Viens, dit-il à son compagnon. Puis il se ravisa, me faisant de nouveau face.

- Euh ! Je peux savoir pour quoi faire, Lieutenant ?

- Bien sûr Matelot ! J’ai envie, de pêcher à la traine. Au vif ! Y verriez-vous, un quelconque inconvénient ?

Son regard se posa sur notre prisonnier, et une  d’expression de terreur, marqua son visage mince et ridé, par les années d’expositions aux embruns chargés de salpêtre, et aux intempéries saisonnières.

- Absolument pas, Lieutenant. Je vous apporte ça, dans moins d’un quart d’heure.

- Ce sera parfait. Klein ! interpellais-je l’adjoint d’André.

- Lieutenant ?

- Vous allez de ce pas, en cuisine. Vous demanderez à ce bon Nguyen, de vous remettre sur l’instant, un bon morceau de barbaque.

- Un morceau de… barbaque ? Bon ! J’y vais, Lieutenant.

- C’est un casse bonbons, ce Viet. Alors, soyez clair ! C’est un ordre ! 

- J’entends bien, Lieutenant.

Je revenais auprès du prisonnier, le poussant dans le dos, jusqu’à ce qu’il atteigne, le bord du panneau de la cale II.

- Veuillez-vous asseoir là, Schtröbe. Tenez ! Tournez-vous de façon, à voir la mer derrière vous.

Il obéît de mauvaise grâce, ne me lâchant pas du regard.

- C’est beau, le sillage argenté que laisse le navire, lancé à pleine vitesse hein ? Et, ce ciel d’un bleu qui le fait se confondre avec la mer ? Je commençais à désespérer, de voir enfin un tel ciel, après ce que nous avons subis. Pas vous ?

- Où désirez-vous en venir, Lieutenant. Je commence à bien vous connaître, maintenant. Vous êtes un vicieux !

- Ah ? Croyez-vous ? Il est vrai, il est vrai. Je prends un certain plaisir, à ce jeu. Mais cela, n’est qu’un prélude. Alors, je vais prendre tout mon temps. Que vous disais-je mon cher ? Ah oui ! La mer ! Ce sillage argenté ! Savez-vous la raison pour laquelle, les requins suivent ce sillage, Schtröbe ? C’est mon père, marin de profession qui m’apprit cela. Ils attendent l’heure que les servants de cuisine, viennent balancer par-dessus bord, les baquets de déchets alimentaires. Les ordures, disons-le ainsi.

- Vous pensez vraiment me terroriser, Lieutenant ? Je vois bien où vous voulez en venir, maintenant. J’ai été formé…

- Fermez votre gueule, Schtröbe ! De votre formation à la torture morale, autant que physique, je m’en branle ! Attendez d’aller au bain, pour que s’éveille enfin en vous, un véritable sentiment de terreur. Voulez-vous une cigarette ?

Sans lui demander son avis, j’en allumais une, la lui enfonçant entre ses lèvres serrées.

- Fume coco, c’est du Belge !  

J’eus droit à un regard de travers qui m’en dit long, sur l’envie qu’il avait de m’étriper.

Simultanément, les deux marins, et Klein, rallièrent le pont de poupe. L’adjoint d’André, (ce dernier se faisant attendre, je le soupçonnais d’être allé examiner le matériel du prisonnier), posa sur le panneau de cale, le morceau de viande qui puait rudement, à vrai dire. Sans m’embarrasser de préambules, je sortis mon poignard de son étui, fendant l’avant-bras du pauvre Schtröbe qui poussa un cri, de porcelet que l’on égorge.

- Vous êtes vraiment fou Lieutenant, glapit-il, regardant avec horreur, la plaie béante d’où s’écoulait son sang, alors que Klein consterné, détourna les yeux, s’écartant de quelques pas de nous.  

- Le Psy de la Base Aérienne où je servais, le laissa clairement entendre, vous dites vrai. C’est même l’une des raisons pour laquelle, je me vis si vite admis, dans un service de renseignements, Schtröbe. Cela vous parait inhumain, n’est-ce pas ? Mais… Vous ne pouvez encore imaginer à quel point, les Requins, flairent le sang de très loin. Vous allez voir ! Vous n’aurez pas longtemps, à vous biler ! C’est du pur humanisme, de ma part, de vous avoir entaillé ainsi. En douteriez-vous ? 

- Vous m’avez sectionné le bras, immonde personnage.

- Tu as fait quoi ? intervint André.

- Je le prépare, pour le festin des Requins. Où est son matos ?

- Au poste, de nos collègues américains. Ils l’étudient en ce moment. Tu l’as tranché ? Pour quoi faire, bon Dieu ?

- Je viens de te le dire, ouvre tes portugaises. Il va prendre un bain. L’eau doit être très agréable, avec cette chaleur non ? Qu’est-ce encore que cette fantaisie, André ? Tu as remis le matériel, aux américains ? Maintenant, ils savent pour la taupe ?

- Bof ! Dans les 22° peut-être ? éludât-il les questions. Mais c’est infesté de… De Requins ! Oh ! Je vois à présent !  Bon ! Eh bien, ce n’est pas que l’on s’ennuie ici, mais Klein et moi, nous avons du travail. Bonne baignade, Schtröbe ! Essayez, de faire du ski nautique ? Tant que vous-vous maintiendrez hors de l’eau, sur vos deux pieds plats, vous ne risquerez sans doute rien. Si vous faites, la planche ? Aie, aie, aie ! Ah ! pour ta gouverne, dit-il s’adressant à moi. Dis-moi un peu comment, nous aurions pu taire, cet incident ? Tu te souviens, où nous sommes ? Regarde bien, tout autour de toi. J’ai inspecté son matos. Mais nos amis américains, le connaissent mieux que nous. Alors ! Bon ! Sur ce, je te laisse à tes occupations, car nous avons les nôtres. Bye, ma poule !

Sur ces mots, ils s’éclipsèrent en douce.

« Chochotte ! La vue du sang, le perturbe ».

Pendant qu’il conditionnait notre pauvre espion qui commençait sérieusement, à ne plus en mener très large, j’avais attaché le crochet au bout de la corde. Puis, je plantais la barbaque dessus, l’en saucissonnant, avant de faire un nœud coulant, pour ne pas que le choc avec l’eau, me la fasse perdre. Je m’avançais près du bastingage bâbord, et tel le célèbre Thiery la fronde, je fis tournoyer le tout, au-dessus de ma tête, propulsant l’ensemble à l’eau, le plus loin possible de la coque. Puis, je lâchais du lest, jusqu’à ce que je considère que la viande, avait franchi le seuil critique des hélices. Oh ! C’à quoi je m’attendais, ne me fit pas désespérer d’impatience, très longtemps. Je sentis une secousse phénoménale, avant que la corde se détende, glissant sur l’eau, entrainée par la vitesse du navire. Lorsque je remontais cette dernière à bord, je fus alors en mesure, de constater que l’attaque avait été brutale. Le crochet, avait bien évidemment disparu ! Il ne restait qu’un bout de corde, dont les filaments déchiquetés, me firent penser à un éventail.

- Ça mord bien par ici, hein les gars ? m’adressais-je aux deux marins, dont les yeux en disaient long, sur la frayeur qu’ils ressentaient. Je lançais un coup d’œil par-dessus mon épaule, en direction du pont supérieur. Personne, ne voulait assister à ça. « Tant mieux », pensais-je. Eh bien, Schtröbe. C’est l’heure de bien réfléchir, le conseillais-je, démontrant une calme, et froide détermination.

- Vous n’allez pas faire ça, répondit-il, tentant d’arrêter l’hémorragie, provoquée par la blessure à son bras, en le collant serré contre sa vareuse de combat.

La supplication, était évidente. Ce que ses maîtres d’œuvre, s’étaient appliqués à lui inculquer, des souffrances de ce bas monde qu’il aurait à endurer, le cas échéant,  semblait se diluer facilement, dans un verre d’eau bien glacée.  J’ouvrais en silence, les parenthèses, sur un aphorisme philosophique.

« Eh oui ! Pauvres êtres humains que nous sommes ! L’animal, le plus féroce soit-il, n’est infatué d’aucun orgueil démesuré. Il tue, pour se nourrir, acceptant stoïquement la défaite, lorsqu’il  revient bredouille d’une course poursuite effrénée, derrière une proie bien plus rapide, voire plus adroite, pour survivre. L’homme lui, s’emportera, proférant des jurons, maudissant son infortune. La rancœur est si tenace qu’il va aller  puiser, dans les profondeurs insondables de son intelligence, tous les composants indispensables, à l’idée obsessionnelle, d’inventer l’arme la plus adaptée, pour enfin ressentir l’incommensurable satisfaction, de capturer sa proie, et se glorifier, aux yeux de ses semblables, de sa supériorité incontestable. Ce n’est pas la faim qui l’anime ! C’est la volonté de détruire, tout ce qui lui semble, avoir la prétention, de le supplanter. Le voici, consciemment ou très inconsciemment, conditionné au mal absolu ».

Schtröbe, personnifiait à mes vues, le fruit d’une œuvre dantesque, issue du génie malfaisant, d’un docteur Mabuse.

- Je vais me gêner ! répondis-je implacablement. Vous ne servez plus à grand-chose, à bord de ce navire. Je vais devoir vous faire garder en prison, alors que nous avons besoin d’hommes. Et puis, nous devons rendre totalement sourds, et aveugles, ceux qui nous suivent, depuis de longues heures, à l’horizon bâbord, maintenant. Vous voyez ce navire, d’où vous êtes ? Il ne nous lâche pas, d’un tout petit centimètre, depuis bien avant l’ouragan. Or, vous étiez leurs yeux, abreuvant leurs oreilles de renseignements. Avez-vous communiqué avec eux ?

- Pendant la tempête, Lieutenant, s’empressât-il de me révéler.  

J’étais suffoqué. Il avait réussi l’exploit surhumain, de s’aventurer dans les profondeurs du navire, en plein ouragan ? Inimaginable, ce que peut générer l’idéologie.

« Par les cornes du Diable ! Cette guerre n’est pas gagnée, si nous avons à faire, avec de tels fanatiques »,  

Je le vis se tortiller, de plus en plus mal à l’aise, sur ce panneau de cale.

- Eh bien ! Vous voyez ? Vous-vous démontrez, bien plus intelligent que je n’osais l’envisager. Continuez comme ça. Les requins devront se satisfaire, des ordures habituelles. Voyons ! Quels étaient les sujets de conversation, avec l’ennemi ?

Il baissa les yeux, puis la tête. Un profond soupir, et il répondit.

- L’état général du navire, Lieutenant.

- Ah bon ? Mais encore ? Rien, sur la composition des hommes qui l’arment ? L’état du navire ? Mazette ! Ils veulent l’acheter ?

- Non Lieutenant ! Bien sûr que j’ai communiqué, les effectifs !

- Pardon ? Je n’ai rien entendu !

- J’ai parlé de l’armement humain, Lieutenant !

«  Aie » ! Toutefois, le contraire m’aurait étonné » !

- Vous ont-ils demandé, ce que vous saviez, de la mission que nous entreprenions ?

- Absolument pas, Lieutenant ! Ils en savent assez !

- Tiens-donc ! Ils en savent assez ? Vous allez m’expliquer un peu ça, Schtröbe ! Que savent-ils, de la mission ?

- Tout ce qui est bon de savoir, Lieutenant ! Mais ce n’est pas l’armement humain, et matériel du navire qui les intéresse le plus.

- Vraiment ? C’est quoi alors ? Oh ! Je vois ça, inutile de répondre. Ne serais-ce pas, la destination que nous avons tracée, sur une carte marine ? Et là-dessus, vous n’aviez encore aucun renseignement à fournir. Ils pensent aussi que nous en savons beaucoup, les concernant, n’est-ce pas ?

- Hum ! En effet ! Visiblement, ils craignent quelque chose.

- Et, vous n’auriez pas idée, de ce qu’ils redoutent, pas vrai ?

- Ce serait bien  inutile que je vous jure que non.   

- Peut-être pas ! Si je me fie à mon intuition, ils ont deux options : Petit « a », notre mission est clairement définie, et ils devront nous barrer la route. Petit « b », nous naviguons à l’aveuglette, cherchant une aiguille dans une botte de foin, ce qui les rassurerait, leur évitant une confrontation. Donc ! Il se prépare quelque chose de phénoménal, quelque part sur cet océan ou bien, ailleurs, Schtröbe. Je me dois, de vous poser encore une fois la question ! Savez-vous quoi ?

- Pas plus que vous, Lieutenant. Mais je le pense également ainsi.

- Bien ! A qui avons-nous à faire, Schtröbe ?

Silence…

- Je vais, répéter la question. Qui sont ces gens ?

- C’est compliqué, Lieutenant.

- Alors, faites simple ?

- Je veux parler, aux américains !

- Aux américains ? Ben voyons ! Vous pensez qu’ils seront plus… cools que moi ?

Silence qui m’en apprit beaucoup.

- Hum ! Je vois !

Et lorsque l’on parle du loup ? Il sort du bois ! Julian Stinneng  escorté de son gorille préféré, firent leur apparition sur le pont de poupe.

- Salut Max ! Bravo ! Vous avez accomplis là, de l’excellent boulot, me flattât prodigieusement, le Colonel du service actions de la C.I.A. Son second, s’empressa de libérer les mains de mon prisonnier. Comme quoi, le  dit-on ne diverge en rien, de la réalité ! « Caresse de chien, donne des puces » !

- Vous lui avez fait, un bien vilain entaille au bras, reprit-il. Vous allez le faire escorter sous bonne garde, jusqu’à l’infirmerie, puis, lorsqu’il aura été pansé, vous nous le remettrez.

« Saperlipopette ! Mais c’est qu’il prend un ton, et une posture martiale, pour me donner un ordre direct, le bouffeur de hot-dogs ».

Sans ne rien laisser apparaître en surface, j’étais au bord d’une explosion nucléaire.

« Tu ne connais pas encore très bien, le petit Max, Big Brother ! Laisse-moi le temps nécessaire, pour en finir avec toi, et après, tu seras fier de me mettre en tête de liste, de tes invités privilégiés ».

C’était encore là, une promesse que j’allais tout entreprendre, pour la tenir.  

- Ah bon ?  C’est nouveau ça, Colonel ? Il est mon prisonnier ! Je dois vous remémorer, ma fonction à bord ?

- Je sais, Max, Je sais !  dit-il se radoucissant. Mais cet interrogatoire, doit être conduit par des professionnels. Nous sommes, des professionnels, Max. De plus, vous m’adresserez un rapport très détaillé, sur vos… investigations. Je veux tout savoir, du début à la fin. Ah ! se reprit-il, c’est un ordre, Lieutenant.

« Mais bien sûr ! Pourquoi, n’y ai-je pas pensé. Cela coule de source » !

Devais-je en rire ou bien, l’expédier sur les roses ? Problème ! Je ne vis aucun rosier, à proximité.

« Je l’attendais cette sortie théâtrale, en final d’une comédie burlesque. Je sens venir que je vais applaudir ! Mais avant de quitter la scène, il fait les présentations. Il me remémore son grade, histoire de remettre les pendules à l’heure. Bon ? Tu veux, faire mumuse ?  Alors, jouons » !

- Eh bien ! Puisque c’est un ordre Colonel, je ne vois pas trop comment, je pourrais m’y soustraire. Le gars, est à vous. Je vais  de ce pas, rédiger mon rapport.

- Je crois vous avoir demandé, d’accompagner le prisonnier à l’infirmerie non ?

- Demande rejetée, mon Colonel. Ce n’est plus de mon ressort, démerdez-vous ! Vous me signez le bon de livraison, pour le coli ?

- Tête de mule ! lançât-il en riant. Bon ! Je vais me montrer conciliant, car sinon je désavouerai le travail que vous avez accomplis, et je paraitrais très ingrat. Ce n’est pas mon intention, Max. Aussi, vous assisterez à l’interrogatoire. Cela vous convient-il ?

- Je suis, très honoré Colonel. Je prendrais des notes. Je les ressortirai plus tard, lorsque j’écrirai mes mémoires, dis-je, très sarcastiquement.

- Bien ! Si vous y tenez, vous prendrez des notes, concédât-il, avec une pointe de suspicion, dans le regard.   

- Aller Schtröbe ! Vous avez entendu le Colonel ? Direction l’infirmerie, deux pas devant moi. Au premier signe de manque de coopération, ils devront se passer du plaisir, de vous interroger. Je pense que vous ne doutez plus, de ma… détermination, Schtröbe ?

- Non Lieutenant !

- Il est, mignon tout plein !

Mon 44 en main, chien relevé, canon braqué sur sa nuque, j’escortais le prisonnier jusqu’à l’infirmerie, où ma chère Soumaya en compagnie de Jackkie, donnaient toutes deux, des signes d’impatience. Au passage, j’avais débauché deux de mes gars, afin qu’ils gardent de près cette taupe, débusquée de son trou.

- Pas de blagues les gars, dis-je aux deux membres de ma compagnie. Il est dangereux, et la C.I.A, veut le mettre en confiance. Moi, je le ficèlerais de la tête aux pieds, comme un saucisson, l’expédiant croupir en fond de cale, jusqu’à ce que ce navire, aille à la refonte. S’il vous crée un problème, assommez-le !

-Reçu Lieutenant, répondit le Caporal Jensen. Tu as compris toi ? vociférât-il le regard méchant, s’adressant au prisonnier. Donne-moi ce plaisir, et je te démonte en pièces, sale traitre.

Pour moi, l’affaire Schtröbe, semblait bien être pratiquement, de l’histoire ancienne. Certes, j’assisterai les Ricains. En fait qu’allais-je en tirer, de ces interviews ?

- Je suis heureuse que tout se soit bien terminé, entendis-je la voix de Jackkie, envahir ma conscience engourdie, faisant disparaître comme par enchantement, les images angoissantes qui hantaient mes pensées.

- J’ai le temps pour une cigarette, répondis-je, comme si je sortais, d’une épaisse nappe de brouillard. Quel foutoir ! m’emportais-je, avant de très vite me reprendre.

- Vous me donnez à penser que quelque chose vous tracasse, Max. Je ressens une immense insatisfaction, tintée de colère, émanant de vos paroles.

- Plusieurs choses Jackkie, plusieurs choses ! Et l’insatisfaction, est  effectivement de taille. Vous voyez juste, en moi.

Nous sommes sortis au grand air, nous adossant côte à côte contre la paroi fraiche du château. Le navire fendait cette mer bleue turquoise, calme comme un lac. Je nous allumais deux cigarettes.

« Etrange, bien étrange océan. Mais pourquoi, au fait ? Tous les océans, ont une personnalité étrange. C’est sans doute parce que je suis bien trop loin, de mon cher bassin méditerranéen. Sans aucun doute ».  

- Vous allez, vous brûler les doigts, Max. Mais à quoi rêvez-vous donc, me réveilla Jackkie en riant. Donnez-moi cette cigarette, avant qu’elle ne se consume.

Elle me la prit d’entre mes doigts, et se mit à fumer silencieusement, regardant la mer.

- Il est toujours là, n’est-ce pas, Max ?

- Quelque part derrière nous maintenant, si vous regardiez à bâbord, répondis-je, à son inquiétude, axée sur la présence du bandit qui nous filait au train. Il nous laisse prendre de la distance, puis subitement, il revient se placer en parallèle, à moins de trois, quatre milles nautiques de nous, commentais-je. C’est sa stratégie, pour jouer avec nos nerfs, croit-il le pauvre. Vous avez vu la bâche de camouflage qui recouvre, la rampe en poupe ?

- Oui, bien sûr. Et alors ?

- Si vous alliez regarder dessous, vous y verriez un étrange petit sous-marin. Il mesure, dans les onze mètres je crois. Les nazis l’ont baptisé Seehund. Il pouvait embarquer deux passagers, à l’origine. Mais les américains l’ont transformé, nettement amélioré, par rapport aux prototypes, construits en 1945. Aujourd’hui, celui que vous verriez, est doté de deux torpilles balistiques. Autre avantage, il peut embarquer jusqu’à six hommes.

- Vous pourriez couler ce pirate, en un rien de temps ? C’est ce que vous voulez dire, n’est-ce pas ?

- Nous le pourrions !  Mais personne, n’en donne l’ordre. André fulmine, je le sens. Il aimerait bien, essayer son gadget. Sur la passerelle, chez les américains, ils attendent le feu vert, de leurs amirautés respectives. Le hic, est que ces amiraux, attendent des politiciens qu’ils prennent une décision, pour des militaires. C’est toujours ainsi ! Je me demande ce qu’un rond de cuir, le cul assis dans son fauteuil ministériel, comprend à la guerre. Pour eux, tout n’est que géopolitique, et compromis. Bah ! Je suis fatigué de tout ça ! 

-  Ceux qui gouvernent à bord ou ailleurs, doivent avoir leurs raisons, non ? Et que vous soyez fatigué, cela se voit aux cernes profonds sous vos yeux. Maintenant que l’essentiel est accompli, vous devriez manger, et vous reposer un peu.

- Possible !  J’ôtai mon béret de ma tête, lourde de pensées confuses, le rangeant sous l’épaulette de ma vareuse de combat, d’un geste machinal. Les Américains ont de bonnes raisons, repris-je. C’est justement, ce qui me tracasse, voyez-vous ? Ils m’ont gentiment évincé du coup.

- Ah bon ? Vous ont-ils fourni, une explication ?

- Ah oui ! Une explication, irréfutable même ! Je ne suis pas un… professionnel voyez-vous, selon la version officielle. Mais… Je ne sais pas ! J’ai un très mauvais pressentiment. J’ai les pièces d’un bien étrange puzzle sur la table, mais je n’ai pas encore, le carton avec le dessin, sur lequel le reconstituer, vous savez ? Bon ! Je peux m’amuser à chercher. Mais je vais perdre un temps précieux.

- Sans vous, les agissements de ce traitre, auraient très certainement conduit, ce navire à sa perte. C’est ainsi qu’ils vous remercient ? Je comprends, votre déception.  

- Sans nous, Jackkie, rectifiais-je. D’autant plus, qu’ils n’avaient aucunement connaissance des faits. Mais, comme vous le dites si bien, ils doivent avoir leurs raisons. Par contre…

- Vous réfléchissez Max ?

- Oui ! Je viens de vous parler, de ce submersible. C’est lui qui me tracasse le plus, Jackkie. Tout favorise à penser que nos adversaires, ignorent tout de son existence. C’est étrange ça, non ? Voyons si ces américains, font preuve de jugeote.

- Je ne crois pas, en votre semblant de renoncement. Que mijotez-vous ?

- Moi ? Absolument rien, voyons ! Après toutes ces tribulations, j’ai simplement envie…

Je la pris par les épaules, l’invitant en silence, à me faire face, plongeant profondément, mes yeux dans les siens.

- De quoi, avez-vous envie ? murmurât-elle, sa respiration devenant plus courte. Je sentis alors un frisson lui parcourir tout le corps. La peau de ses épaules, se couvrit instantanément, de pites de chair de poule. Elle entrouvrit ses lèvres vermeilles,  avec difficulté, tant elles étaient asséchées. Elle émit un soupir déchirant, me persuadant, de relâcher l’étreinte de mes mains, sur ses épaules au velouté incomparable. A mon tour, je m’entendis soupirer.  

- D’un bon café, sortis-je en trombe, de la zone remplie d’écueils. Il sera réconfortant, avant de reprendre mon train-train, persistais à prendre la fuite, jetant mon mégot par-dessus bord, d’une pichenette.

- Hum ! émit-elle, laissant tomber ses bras sur ses hanches. Etait-ce, un soupir de dépit qu’elle venait d’émettre furtivement ? Cela, ne faisait aucun doute.  

- Vous aviez d’autres projets ? m’enquis-je, faisant mine, de ne rien avoir perçu, de sa déception manifeste.

- Laissez aller, Max ! Vous ne comprendrez jamais rien, aux femmes.

- Croyez-vous ? Je vous regarde, et je me dis que vous-vous efforcez à étouffer en vous, un sentiment naissant, car vous êtes encore, dans l’incertitude de l’avenir. Non ! D’un avenir où subsiste une inconnue.

- Voyez-vous ça ? Vous me passionnez là, Max. Je vous assure que je suis, absolument ébahie. Dites pour voir ? Vous parlez d’avenir ? Il est des plus incertains, en effet. Il me suffit de regarder autour de moi, pour en être persuadée. Vous avez fini, de truffer les cales d’explosifs ? Mais voyons ? Quoi encore ?

- Ne faites pas semblant, de ne pas avoir compris ! Il y a un fantôme, entre nous ! Vous ne croyez pas aux fantômes, m’avez-vous affirmée ?

Elle me regarda avec gravité, car la conversation, devenait délicate.

- Il est fait, de chair et de sang, ce fantôme, Max. Même très loin d’ici, il est encore dangereux. Il occupe votre esprit, de façon quasi permanente. Prenez garde qu’il ne vous égare pas, vous éloignant du présent. Ce serait vraiment navrant, pour ce qui concerne le vôtre, d’avenir.

- J’en arrive vraiment, à penser que vous êtes une fine psychologue. Que de choses, nous enchainent, n’est-ce pas ?

- Que de choses, « vous » enchainent, Max, insistât-elle, sur le mot clé, posant ses mains glacées sur les miennes, enserrant toujours ses épaules. Elle garda les yeux baissés,  m’offrant une physionomie attristée. Je l’aurais volontiers embrassée, en cet instant-là. Ses beaux yeux, s’approprièrent encore une fois les miens. Elle resta silencieuse, cherchant à percer mes pensées. Je sus qu’elle y parvenait parfaitement, à son sourire qui me fit oublier mes incertitudes. Une obsession, venait m’interdire de sauter le pas. Elle n’était aucunement imputable, à un fantôme. J’envisageais, de sauver sa vie ! Comment ? Là, était toute la question. Je me disais que je trouverai bien, une solution. Alors, l’idée d’aller plus loin, ne pouvait que me dérouter, de cet objectif.

- Alors ce café ? Je vous l’offre ? rompis-je le charme.

- Elle va vous couter chère l’invitation, car je meurs de faim ! Vous vivez d’amour, et d’eau fraiche, Max ?

Elle me jouait, la désinvolte ! Mais sa main tremblait encore, lorsqu’elle s’empara de la mienne.

- Je ne sais pas, si cette eau est fraiche, Jackkie, répondis-je, en désignant l’océan du menton. Mais je sais que l’amour, est plutôt indigeste.

- Oui ! Je pense, qu’il faut en savourer, toutes ses combinaisons gustatives, en bon gourmet ! Mais, il est vrai qu’il refroidit vite. Voilà la raison pour laquelle, beaucoup en jouissent goulument, et en font une indigestion. Bicarbonate de soude, Max. C’est très bon, pour les crampes d’estomac, conclut-elle, mi-figue, mi-raisin, profitant bien de son avantage. Haussant les épaules, je la pris par le bras, l’entrainant vers le mess. Mais toutefois, je pensais qu’elle n’avait pas tort. Me revint à l’esprit, un vieux gitan sédentaire, vivant au cœur de ces merveilleuses montagnes, du Briançonnais. Ce brave homme, affectionnait cette insulte, au détriment de bien d’autres:

« Je mange tes morts », disait-il pour un oui, pour un non. Un autre ami, Gitan lui aussi, et ferrailleur de son état, lui répondait sereinement :

« Mange, ce que tu as dans l’assiette, Canard. Mange, ce que tu as dans l’assiette » !

Oui, cela ne s’invente pas, le gars s’appelait « Canard », Dieu ait son âme. C’était une philosophie simple, mais très efficace. Généralement, le bon Canard, s’envolait sans demander son reste, vers des cieux plus sereins.

- Je me suis inquiétée, lorsque je vous attendais, savez-vous ? dit Jackkie, alors que nous progressions à l’intérieur du navire. Elle tourna la tête dans ma direction, m’offrant le plus merveilleux des sourires, ainsi que les éclats diamantés qui brillaient dans ses yeux.

- J’essayerai dans l’avenir, de ne plus vous causer de soucis de ce genre, promis-je, un peu trop hâtivement.

- Je ne vous reconnais pas, là ! Vous progressez dans l’optimisme ? Mais ce ne sera pas chose facile que de tenir promesse, conclut-elle, d’une voix monocorde. Sa main s’empara de la mienne, et ses doigts, l’enfermèrent dans un étau. Elle marchait en regardant bien droit devant. Mais je la vis se mordre les lèvres, le front plissé, et l’air soucieux. Dire que je possédais le pouvoir, de mettre un terme à son calvaire. Mais…, à quel prix ?

 

 

16 : 58.

 

« Appel de service, je répète, appel de service… Le Lieutenant Girard, est demandé sur la passerelle. Lieutenant Girard, sur la passerelle », crachota le haut-parleur.

« Décidément, je n’arriverai pas à m’alimenter aujourd’hui ».

- Vous avez saisie, l’horreur d’être soldat, Jackkie ?

- Oui ! Ne vous l’avais-je pas dit que, ce serait difficile, de vous tenir à vos résolutions ? Eh bien, recommençons ce que nous avions prévus à midi ? Je vais faire du café, et prendre d’autres sandwichs, en espérant que cette-fois ci, je n’aurais pas encore une fois, à tout jeter à la poubelle.

- Ne pariez pas !

Sur ces mots prophétiques, je la laissais en compagnie, des trois officiers de quart qui eux, avaient la chance de pouvoir déguster enfin un bon café, et des galettes Vietnamiennes, spécialités de notre bon Nguyen. La pauvre fille, se vit très vite accaparée par ces loups de mer, en chasse. Malheur, aux sardines ! Cependant, je ne me souciais guère, pour la jeune anglaise. Elle n’était pas dépourvue d’armes redoutables, lui permettant de se défendre. Principalement, la dérision, j’avais eu le plaisir de le constater. Quatre à quatre, j’empruntais les escaliers intérieurs, conduisant au poste de commandement. Lorsqu’essoufflé, j’arrivais enfin au sommet, toute mon attention se porta, sur l’effervescence qui y régnait.

- La barre au zéro, vitesse dix-huit nœuds, ordonnait le Commandant LANGE. Officier appareilleur !

- Commandant ? répondit présent, le chef des techniciens radars.

- Au rapport !

- Rien à signaler, à moins de trente milles nautiques, Commandant. Deux unités naviguent nord-nord-ouest. Elles sont distantes de six milles nautiques, et ne dévient pas, de leurs trajectoires. La première unité, se dirige sur Ceylan. La seconde unité, se dirige droit, sur le golfe du Bengale. Vitesse de l’unité de tête, 20 nœuds. Vitesse de l’unité poursuivante, 18 nœuds, Commandant.

- Bien ! Ne les perdez pas de vue.

- Reçu, Commandant !

- Ah ! Lieutenant Girard. Vous me semblez épuisé. Hélas, les affaires reprennent. Armez-vous donc, de ces jumelles.

Je les pris d’entre ses mains, le suivant sur la plateforme de vigie tribord, ressemblant à une guérite de garde. Du large interstice, je pus viser le point que le Commandant me désignait. Mais c’était une démarche, parfaitement inutile. J’aurais aussi bien pu, le voir à l’œil nu.

- Vous êtes fin observateur, Max. Qu’en pensez-vous ?

Je pris mon temps. Ce que j’en pensais ?

- J’éprouve un frisson, Commandant. Il me court, le long de l’épine dorsale. Je n’aime pas ça du tout ! J’observe à chaque fois, un grand vide, à bord de ce salopard !

- Ah bon ? Vous aussi ? Allez-y, lâchez-vous Max.

- Eh bien… Mon beau père était marin, Commandant. L’été, lorsqu’il était en congé, nous partions tous en Corse. Nous prenions un ferry, effectuant des passages réguliers entre l’île de beauté, et le continent. Un homme de mer, ne prend jamais l’avion, n’est-ce pas ? Il m’avait fait cadeau, de l’une de ces paires de jumelles marines. Alors enfant, je jouais à l’officier de quart, sous la direction amusée de mon beau père qui me donnait des conseils. J’en ai vu des navires, conclus-je, posant les jumelles sur la tablette en acier, du poste de vigie.

- Oui ? Mais encore ?

- Eh bien ! Leurs ponts grouillaient d’activités. Là ? Nous ne voyons jamais, l’ombre d’un chat.

- C’est bizarre hein ? Votre beau Père ?  

- Le mari de ma mère, Commandant.

- Oh oui ! Je comprends ! Il vous a bien formé. Ils doivent travailler, et sortir prendre l’air la nuit. Pourquoi donc, foudre de Dieu ?

- Je ne sais trop pourquoi, mais toutes mes pensées, me ramènent à ce brave Ulysse, Commandant !

- Ulysse, hein ? Vous pensez que…

- Ce serait, un cheval de Troie, Commandant qu’il n’y aurait, rien de bien étonnant. Ah, le coquin ! Il nous incitait bien, à lui rentrer dedans, lorsqu’il arraisonna ce pauvre voilier.

- Hum ! Mon petit doigt, me dit que vous avez raison Lieutenant. Nous redoutions une escarmouche venant d’ailleurs, alors qu’elle se précise sous nos yeux.

Il exprima toutes ses appréhensions, en s’imposant un court instant de silence. Il était suffisant, d’observer la concentration de son visage.

- Nous avons reçu l’ordre, d’arraisonner cette vermine. m’informât-il enfin, d’un ton pensif. J’ai transmis, cet ordre à Mahersen ! Il tient en cet instant même,  un briefing avec le Lieutenant Kowalski, avant un abordage en règle.

- Si j’étais vous…

- N’en dites pas plus ! J’annule l’ordre d’abordage. Nous allons, l’envoyer par le fond.

La sentence venait de tomber. J’en ressentis un frisson, me courir le long du corps.

- C’est Bertin qui sera le plus heureux, réussis-je péniblement à articuler. Quant à nous, nous aurons préservés la vie de nos gars. Quant à eux ? Ils sont fous ?

- Parce qu’ils étaient informés ? C’est ça, d’être sous le joug de la tyrannie, Max ! Ils n’ont plus le choix ! Reculer pour eux, ce serait désormais inconcevable.

Je me souvins qu’il avait prononcé ces mêmes mots, durant le briefing, précédant  l’avènement de  l’ouragan. Mais c’était de nous, dont il était question alors.  

Sur ce, il se précipita à l’intérieur de son poste de commandement, s’emparant vivement du combiné téléphonique.

- Merci, Lieutenant. Et, félicitations pour avoir si vite, solutionné ce problème préoccupant, me lançât-il. Vous pouvez disposer.

- Reçu Commandant ! répondis-je, saluant à la hâte.  

Mais toutefois, je n’avais pas encore dit mon dernier mot. Il était temps, d’aller secouer les puces de nos alliés américains, tout en regardant une sale bête, droit dans le blanc des yeux. Celui-là, il ne perdait rien pour attendre. Je marchais d’un pas décidé, en direction de l’unique cheminée, située au centre du pont promenade, jouxtant la passerelle de commandement. Sans frapper pour m’annoncer, j’ouvris la porte du poste où les agents de la C.I.A, avaient élus domicile.

- Salut les gars, lançais-je à la cantonade. Le café est prêt ? Alors, va pour une tasse, avec deux sucres…

- Entrez donc, Max, m’accueillit avec un large sourire, le Colonel Julian Stinneng, se dressant sur ses jambes comme mû par un ressort. C’est étrange, mais je pensais justement à vous, ajoutât-il, refermant avec précipitation, un dossier qu’il consultait, assis derrière son bureau.

- Eh bien vous voyez ? Inutile de me téléphoner désormais. Pensez, j’arriverais ventre à terre. Où est cette enflure ?

- Enfermé dans la pièce attenante, sous bonne garde. Pourquoi ?

- Parce que comme vous ne l’ignorez pas, nous allions attaquer ce navire pirate. Mais ce que vous ignorez toutefois, n’est autre qu’il nous endort de bluffs, ce cher Schtröbe. Vous aimez ça ? Si vous en voulez plus ? Demandez ! Il vous présentera le menu, sur une carte à votre entière convenance.

Ce pauvre Stinneng, vira au blême.  

- Nous allions… avez-vous employé, ce verbe au passé ? Les ordres ont changés ?

- Je veux, mon neveu ! Ce cargo qui nous nargue depuis de longues heures, est rempli d’hommes en armes, jusqu’aux ras de ses panneaux de cales. Nous aurions eu une belle surprise, si nos fantassins, avaient mis les pieds à son bord. En perdant un tiers de nos forces combatives, ils l’auraient eue belle, de nous aborder sous état e choc. Vous voyez, Colonel ? Notre rat d’égout, gardait pour lui, le meilleur de la farce.

- Son of the Beach ! Mais comment avez-vous deviné ?

- Ce serait trop long, Colonel.  

- Julian ! Je vous appelle Max, appelez-moi Julian ! Je fais faire du café, car je sens que nous en aurons besoin. Nielsen ! hurlât-il.

La porte, d’une petite pièce attenante s’ouvrit, et une tête apparut.

- Sors-moi le boche, de là !

L’autre acquiesça, d’un simple hochement de tête, avant de propulser telle une catapulte, le dénommé Schtröbe, dans notre pièce. Il atterrit sur la grande table de bois fixée au sol, au centre du poste, sur laquelle trainaient un tas de dossiers, certainement sans grandes importances.

- Assis sur cette chaise, beugla Julian Stinneng. Le prisonnier, ne se le fit pas dire deux fois. Il me regarda, comme si j’étais le diable en personne. A priori, l’interrogatoire avait débuté sans moi. Eh oui ! C’est ça, la collaboration ! Quelques contusions récentes, marquaient le visage du prisonnier. Ses liens étaient si serrés que ses mains, étaient devenues blanches. Je m’avançais à grands pas vers lui, sortant d’un geste sec,  mon poignard de son étui.

- Ah non, ah non ! Vous n’allez tout de même pas recommencer ? s’égosillât-il, cherchant à faire tomber sa chaise pour m’échapper. En vain, car cette dernière, était fixée au sol ! D’un geste vif, je tranchais ses liens. Il me regarda surpris, se frottant vigoureusement les poignets.

- Voyons Schtröbe ! J’ai quelques questions à vous poser, l’engageais-je à bien m’écouter. Chaque fois que vous répondrez mal, je vais vous baffer. Et ce ne sera rien, en comparaison de ce que je vous réserve, éventuellement. De ce fait, je tiens à ce que vous ayez les mains libres, vous permettant ainsi de vous rebiffer. C’est noté ?

- Je… je… bégayât-il. Je ne lui accordais aucun répit.

- Première question ! Quelle maladie tropicale, avez-vous contracté ?

- Comme vous, Lieutenant. La malaria, répondit-il du tac au tac, reprenant place sur sa chaise, l’air apathique.

- A quoi jouez-vous, Max ? s’informa  Stinneng. C’est quoi, cette question ?

- Je joue au… professionnel, Julian. Dans l’instant, contentez-vous d’être spectateur, et si possible, silencieux.

Il encaissa sans broncher. Eh oui ! Il était… professionnel, jusqu’au bout des ongles. J’avais l’avantage ! Et lui, le gros inconvénient, de ne pas être né, dans l’un des vieux quartiers de Marseille. Même les Garis, (les rats) aussi gros que des chats, avaient appris à se méfier de nous. 

- Bonne réponse, Schtröbe ! Les allemands, n’ont plus participés à la moindre opération extérieure, depuis ce bon Rommel, baptisé le renard du désert. Nous en avons déjà parlé, je crois ? Où avez-vous choppé la malaria ? Chut ! l’interrompis-je, brutalement. Laissez-moi, deviner ! Quelque part, en Amérique latine ? Voyons si je suis sur la bonne voie ? Le San-Salvador ?

- Ah bon ? Vous savez, Lieutenant ?

- Non ! Vous confirmez, c’est tout. Un camp d’entrainement, et de reconditionnement politique, pas vrai ? J’ai entendu dire, qu’indistinctement les formateurs très endoctrinés de ces jolies colonies de vacances, ne sont  pas bégueule pour deux sous, car ils dispensent leur immense savoir-faire, tout aussi bien, aux volontaires de l’extrême droite, qu’à ceux de leurs opposés, d’extrême gauche. Ce doit être folklorique, les soirées autour du feu. Vous confirmez ?

- Oui !

- Oui, à quoi ?

- Vous voyez juste sur tous les plans, Lieutenant !

- Bien ! Nous avançons à grands pas. Saviez-vous que vos amis à Bruxelles, avaient fait taire à tout jamais, le médecin qu’ils payèrent, pour qu’il ne dévoile pas par écrit, ces traces persistantes dans votre sang, et que par extension logique, il fasse disparaître le résultat sanguin, en provenance du laboratoire ? Le pauvre ! En se pliant aux quatre volontés des « cocos », il signait son arrêt de mort. Je comprends ! Il aurait pu mettre en péril, l’ensemble de cette opération. C’est accessoire, pour l’instant. Mais cela, mérite d’être dit. Ainsi, vous assimilerez bien, ce qu’ils réservent, à leurs petits chiens fidèles. Quand ils deviennent trop vieux, ils les larguent sur une route à grande circulation. C’est une décision extrême qui, ne se justifie pas vraiment. Ou bien alors ? Il faut que l’affaire, ait une sacrée importance. Alors, étiez-vous informé, qu’il finirait ainsi ?

- Non ! Je sus qu’ils le faisaient chanter, à cause de sa liaison extraconjugale, avec une secrétaire médicale. Mais je vous le jure, je ne savais rien d’autre.

- Elle était dans le coup, la secrétaire ?

- Je ne sais pas, Lieutenant. Je vous demande de me croire. Je ne sais pas. 

- Ok, ok ! Economisez, les je vous jure, ils peuvent encore vous servir. Comment avez-vous été recruté, par les agents de l’Est ?

Il collabora, sans rechigner. Je crois que ce gars-là, il n’appréciait pas des masses, ce sport qui a pour nom,  la pêche au vif …  

- J’étais cantonné à Baden-Baden,  mais on m’a envoyé en mission à Berlin. Là, j’ai rencontré une jeune femme, dont je me suis épris.

- Oui ! Mais bien sûr, suis-je distrait. Chercher la femme ! Toujours, la même rengaine, hein ? Après ?

- J’ai quitté l’armée.

- Oui ? C’est tout ?

- Non ! Ils m’ont envoyé au San-Salvador, suivre un entrainement…

- Je vois, je vois l’interrompis-je. Je ne désirais pas du tout qu’il en dise trop à ce sujet. J’avais d’ores et déjà énoncé  mon opinion, quant à ce genre de…  stage de perfectionnement.  Vous-vous êtes fait retourner…, par amour ? repris-je l’interrogatoire. Mazette ! C’est payé combien, par rapport à votre salaire de base, de gentil Feldwebel ? Bah ! Questions inutile, ne répondez-pas. Mais bigre ! Pourquoi vous ? Qu’aviez-vous de si… attrayant ?

Il nous regarda tour à tour, Julian  et moi.

- Je parle l’Espagnol qui est, ma seconde langue. On peut être militaire, et être aussi, passionné d’art précolombien ? Ma mère, était Colombienne. J’avais quelques contacts très influents en Amérique latine.

- Je vois, insistais-je sur ces mots. Maman Colombienne, et le rejeton, passionné d’art, précolombien ? Bigre ! Franchement, vous n’avez pas une trombine, de passionné d’art. Mais enfin, passons ! Et Papa ? Oh ! Attendez un peu, que je me pose,  car je vais en tomber sur le cul. Il était Nazi ? Je ne lui laissais pas le temps de répondre, me contentant de l’observer attentivement. J’avais encore mis, au centre de la cible !

- Je comprends que vous ayez été très perturbé, dans votre enfance, me fis-je plus complaisant. Désiriez-vous laver un honneur bafoué ? Non attendez ! Une telle chance, vous était enfin offerte. Elle se présentait, en vous donnant la possibilité, de servir le bloc de l’Est ! De vieilles rancœurs, issues d’un savonnage permanent du cerveau, sur la grandeur irremplaçable du führer Adolph Hitler,  s’extirpaient de cette carcasse chétive, la libérant de toute cette pourriture, longuement emmagasinée, pour des clous. Vous avez été pris, de la folie des grandeurs ?  A ce sujet, voyons ? fis-je mine de réfléchir. Puisque nous parlons de dimensions hiérarchiques… Non ! Laissons ça de côté, pour l’instant. J’ai plus urgent à comprendre. Voyons ! Une chose me tracasse, Schtröbe. Comment vos… patrons, surent-ils ce que les nôtres mettaient en place, pour que cessent ces attaques répétées, sur la surface de ces océans limitrophes ? Et… ne me jouez pas, le rôle de l’enfant de chœur, pris en flagrant délit avec la bite du vicaire dans la bouche, jurant que ce n’est là qu’un cierge, de confirmation de la communion solennelle. Pour entreprendre une telle mission… d’infiltration, c’est ça ?

- Oui Lieutenant !

- Alors, il faut tout de même avoir atteint, un certain niveau, dans la hiérarchie. Quel niveau êtes-vous, Schtröbe ?

- Niveau III, Lieutenant. J’appartiens au service  actions,  de la Stasi. 

- Eh bien ! Vous voyez ? Ce n’est pas très compliqué pour passer à l’Ouest, non ?

- Vous me garantissez, un passage à l’Ouest ?

- Disons… un retour aux sources, pour ce qui vous concerne. Mais, ne chipotons pas ! Je vous le garanti. N’est-ce pas, Julian ?

- Sans aucun problème, acquiesçât-il, assez stupéfait par mon… professionnalisme.

- Vous devriez vous méfier, de vos ennemis intérieurs, Lieutenant, nous informa Schtröbe, répondant à mes attentes. Ils sont nombreux et bien organisés, complétât-il l’information, me comblant de bonheur.  

- Hum ! Je vois ça de là ! Rien de bien surprenant, ni encore moins, évitable. Donc la fuite, vient de chez-nous. Un haut placé pas vrai ? Vous auriez un nom ?

- Ce n’est pas de mon niveau, Lieutenant. Mais j’ai entendu des bruits d’alcôves.

- Des bruits d’alcôves ? Je la retiendrais celle-là !

- Dans le jargon du renseignement, ce sont des murmures qui ont transpirées, de décisions prises à huis-clos, m’apprit Julian. Seulement quelques personnes, généralement pas plus de trois, au sein d’une cellule, sont informées, ou bien, coordonnent les actions. Nous appelons aussi ça, un cloisonnement. Comment avez-vous glané, ce renseignement, Schtröbe ?

- Mon amie… dit-il, se tortillant, comme soudainement  pris de panique, sur sa chaise. De quoi et de qui, avait-il le plus peur, en cet instant ?

- Votre amie ? Oh ! Attendez ! Je crois comprendre, repris-je le flambeau.  

- Je ne devais plus la voir, dit-il, anticipant sur ce que je pensais.

- Oui, oui ! Ils vous ont appâté en se servant d’elle, puis ceinture ! Interdiction de poursuivre une idylle amoureuse qui pourrait très vite, devenir dangereuse, pour le mouvement. Mais madame, avait ses entrées chez les grands ? Chez l’un des grands, en particulier ? Elle dormait dans… l’alcôve, non ?

- Oui ! répondit-il, visiblement agacé.

- En fait, elle couchait avec lui, puis venait vous faire des confidences sur l’oreiller ? C’est classique ! Bref, vous avez eu le renseignement. Vous avez eu aussi l’intelligence, de bien le garder pour vous. Une monnaie d’échange, pour le cas où ça tournerait mal ?

- Oui Lieutenant. Il faut se préserver, dans ce métier.

- Pas très malin non plus, le…, haut niveau qui se laissa aller, aux confidences sur l’oreiller. A moins… Oui, Schtröbe ! Il y a un …, « a moins » ! Ce…,  haut niveau, n’ignorait certainement pas que sa traitresse, s’envoyait en l’air avec vous, et cela, malgré les ordres ? Mais non voyons ! Cette sacrée femelle, vous rapportait mot pour mot, ce que son amant, lui ordonnait de vous dire. Vous étiez doublement cocu, sur ce coup-là, mon pauvre Schtröbe !

« Eh oui ! Tu tortillais du cul, pour chier droit, il y a tout juste un court instant, car tu venais de comprendre vers où, pas à pas, je désirais te conduire. Voyons la suite, mon cochon » ! lui accordais-je un court répit, pour me tenir ce raisonnement.

- Je… hésitât-il. Vous pensez que je fus manipulé ?

«  Non ducon ! Toi, maintenant, tu en es persuadé. La gare est proche, le train ralentit ! Mais prends patience, ne descends pas en marche, je suis venu te chercher, et je t’attends sur le quai. Tu ne veux pas, me faire faux bond  » ?  

- Mise à l’épreuve peut-être ? repris-je. C’est une méthode courante, dans le renseignement. Du moins, je le pense ! Que vous ayez gardé pour vous, ces… confidences sur l’oreiller, je comprends très bien, Schtröbe. Je n’admets pas, votre… personnalité sinueuse, mais je comprends. Pour preuve hein ? Ça vous sert. Dites-moi à présent ? Comment avez-vous rentré votre poste émetteur à bord ?

Là, je l’égarais, en sautant du Coq, à l’Âne. Je me sentais, très inspiré, et sûr de moi.  

- Je l’ai récupéré à Djibouti. Ce sont, des agents du Mozambique qui me l’ont remis. C’était les premiers jours de notre arrivée. Les contrôles pour accéder à bord, étaient beaucoup moins contraignants, vous-vous souvenez ?

- Parfaitement ! C’était le bordel, jusqu’à ce que le Commandant LANGE arrive. Donc, tout était planifié, de longue date ! Cela, grâce aux informations, vendues ou, offertes au bloc Soviétique, par  un agent infiltré, au plus haut niveau de nôtre bureaucratie. Eh bien ! Ce n’est pas très joli, joli, tout ça ! Je suis sur le ring ou bien, je suis dans les cordes, Schtröbe ?

- Vous tenez la cadence,  Lieutenant.

- Heureux de l’apprendre, rétorquais-je, un sourire sarcastique aux lèvres.

« Il me prends encore, pour le dernier des cons, ce mec ».

En attendant, il faisait tout, pour m’en persuader.

- Une autre question ! Ils sont nombreux, entassés dans ce navire qui nous nargue, ouvertement ?

- De ce que je sais, suite à la conversation par voie de communication que j’eus, avec l’officier traitant Cubain qui commande à son bord, ils sont plus de trois cents. Une compagnie de fusiliers marins Cubains, plus une trentaine de gens, de diverses nationalités.

- De pirates !

- De pirates, si vous voulez, Lieutenant.

- Eh bien voilà ! Je crois que vous m’avez dit, tout ce qui était bon de dire. Enfin ! Ce que l’on vous fit, dire !

Julian Stinneng, m’adressa un regard, chargé d’interrogation, mais non dépourvu d‘anxiété.

- Libérez votre pensé, Max !

- Bof ! Un officier traitant Cubain qui divulgue à une taupe, enfermée dans son propre piège, la composition de ses troupes à bord, sachant que s’il est pris, il balancera tout ? Il faut une sacrée couche de connerie ou bien, une immense assurance en l’avenir. Ils étaient bien renseignés, sur nos intentions, c’est certain ! Mais de là à se livrer à ce mec ? Il y a des bornes à ne pas franchir.  Toutefois, il y a encore quelque chose qui m’échappe. Vous ne sauriez rien, Julian ?

- Voyons ! Que serais-je sensé savoir de plus, Max ? Nous travaillons, main dans la main, non ? Vous en avez la preuve indiscutable, à présent ! Je découvre les choses au fur et à mesure, avec surprise et consternation. Nous avons à faire, avec de Cubains ! J’étais loin de me douter de ça !

- Très bien, Julian. Entendez-moi bien, voulez-vous ?

- Je vous écoute, Max !

- Accordez-lui, pour le remercier de sa… collaboration spontanée, d’assister au spectacle sur le pont.  

- D’assister au spectacle ? Très bien ! Quel spectacle ?

- Nous coulons, le pirate ! Le Seehund, ne tardera pas à se voir largué. Ne le dites à personne, c’est un scoop, réservé à la C.I.A ! Ah ! Ne me confondez plus jamais, avec un débile mental profond, sans quoi, je vais très sérieusement me fâcher avec vous. Vous ne voudriez pas me fâcher, Julian ? Et vous Schtröbe, la question de la mort subite ! Avez-vous touché mot à cet officier…, « traitant », de la présence à notre bord, d’un Submersible que vous connaissez bien, puisque vous êtes Allemand ?

- Oui, bien évidemment, Lieutenant !

- Ben, ça alors ? Aberrant ! Franchement, aberrant ! Je n’en crois pas mes oreilles, ni encore moins, un traitre mot. Et vous Julian ?

- C’est surprenant, oui ! Très surprenant ! répétât-il, se malaxant le menton, visiblement perplexe.

- Vous voyez Julian ? Je crois que beaucoup de monde, autour de moi, jouent un bien étrange jeu. Il n’est pas le seul, affirmais-je avec conviction, désignant Schtröbe du pouce. Me feriez-vous confiance, si je vous affirme que j’en aurai le cœur net ? 

Il ne répondit rien, mais dans ses yeux, je pus lire une certaine prudence, l’incitant à ne pas commettre d’actes inconsidérés. Ce qui me fit songer que réellement, ce gars avait beaucoup à perdre, en me fâchant ! Je lui adressais un sourire de satisfaction. Mais avant de quitter son antre, je m’adressais une dernière fois, au prisonnier.

- Mon cher Schtröbe ! Je ne sais pas pourquoi, mais cet officier Cubain, ne vous prit pas trop au sérieux. Laissez-moi vous dire qu’il ne tardera pas longtemps, à en payer les conséquences. Euh ! Il serait bon de se demander pourquoi, il ne vous prit pas très au sérieux. Voyons ? Laissez-moi réfléchir ? Les Soviets ! Je ne serais guère étonné qu’ils cherchent, à berner quelqu’un. Vous ne sauriez pas qui est en tête de liste, Schtröbe ? Je vais chercher, je vais trouver. Mais ! Je puis d’ores, et déjà affirmer que ce n’est pas nous ! Etrange non ? Les Soviétiques, seraient-ils devenus nos alliés, sans que nous le sachions ? Vous rendez-vous compte, de l’importance de l’information, dont je suis détenteur, Schtröbe ? Je vais pouvoir annoncer au monde entier, la fin de la guerre froide ? Je ne m’y risquerai pas, soyez sans crainte. Mais ils vous firent bien répéter votre texte, pas vrai ?

Il ne répondit rien, regardant fixement, la pointe de ses souliers.

- Je vous avoue que je suis complètement dans le noir, là, Max, dit Stinneng, ne sachant plus, sur qui son regard devait se fixer. Ils lui firent, réciter une leçon ?  

- Au mot, et à la virgule près ! Vous n’avez pas un quidam, devant vos yeux, mais un véritable magnétophone. Les russes,  devaient se demander, non sans piaffer d’impatience, quand nous en arriverions enfin, à le confondre ! Vous voyez, Julian ? Ce bonhomme, est le pur produit, de la Tricontinentale Terroriste. Vous autres les gens de la C.I.A, en comparaison ? Vous passeriez, pour des enfants de chœur. Pas vrai, Schtröbe ?

- Allez-vous m’expliquer, nom de Dieu, s’emporta Julian, au bord de la crise d’apoplexie.

- Quoi ? Vous ne suivez pas le fil de l’information, chez-vous ? Fidel Castro, serait le géniteur, d’une hydre à trois têtes, nommée : « La tricontinentale terroriste ». Mais à bien regarder l’enfant de près, il n’a pas la bouille de Fidel. Qui est le papa, selon vous, Julian ? Je dirais… Vladimir Milivojevich Kroutchev !  Il faut tout dire, au Monsieur de la C.I.A, comme un gentil petit garçon, Erich ! badinais-je, m’adressant au prisonnier. Peut-être, que tu éviteras de le mettre en rogne, car regarde ! Il va exploser, si tu persistes à le prendre pour le dernier des cons. Eh bien ! Heureux que tu ne penses plus de même, pour ce qui me concerne, à présent.

Là, j’eus droit à un regard furibond. J’avais encore visé juste. Quant au digne représentant de la firme à bluffs, il demeura assis sur sa chaise, me faisant penser à un poulet. Il avait le bec ouvert, mais aucun son n’en sortait. Je ne pus réprimer un ricanement, satanique au possible. En définitive, ces quelques semaines de stage, m’avaient été plus que seulement bénéfiques. J’apprenais vite ! Et surtout, je lisais beaucoup !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

19 : 00.

 

Trois chariots roulants, distants les uns des autres, de trois mètres, supportaient le submersible. Ils étaient montés sur des rails solides, soudés à la rampe de poupe, inclinée à 5°. Ces chariots, étaient eux-mêmes dotés de rouleaux, sur lesquels reposait la quille du Seehund. Il était encore très provisoirement maintenu sur son axe, par des mâchoires, à pressions hydrauliques qui le libèreraient de leurs emprises, le moment venu. Dix-neuf heures, était inscrit au cadran de ma montre, lorsque la manœuvre de mise à l’eau du sous-marin, fut ordonnée par l’officier de pont. Les chariots, se virent débrayés. Ils glissèrent sur les rails, jusqu’au butoir où tous trois, s’assemblèrent. Le Seehund, se vit propulsé sur la surface de l’océan, formant sous l’impact de sa masse, une immense gerbe d’écume. Il tangua dangereusement un court instant, avant de se stabiliser,  et de voguer librement sur son aire, propulseurs coupés. Le sous-marin, venait d’être largué ! A son bord, trois passagers. Et bien évidemment, l’un d’entre eux, n’était autre que mon André ! Pour accomplir cette manœuvre, le navire navigua tout au long de son accomplissement, cap au Nord ! Comme si le Commandant devenant fou, avait mis en œuvre une intention bien déterminée, d’éperonner le pirate. Ce dernier sentant le danger imminent, ne se fit pas prier, pour mettre cap au Nord. De ce fait, aucun de ses guetteurs, ne put voir la manœuvre de mise à l’eau du sous-marin ! Et voilà ! Le tour était joué.

- Ils sont partis, me dit le second, auprès de qui j’assistais à la manœuvre, sur le poste de vigie tribord. Le Seko, sous la direction du Commandant LANGE, reprit lentement sa route plein Est. Le Capitaine du bâtiment ennemi, ne devait plus très bien comprendre, ce que notre pacha avait dans la tête. Stupidement, il ne tarda pas non plus à offrir son flan, en se remettant à naviguer en direction de l’Est. Accompagné du second, on traversa la passerelle, pour aller nous nicher dans le poste de vigie bâbord. Jumelles braquées vers le Nord, nous attendions la suite !

- Voilà ! dit le Commandant, venu très vite de nous rejoindre. Le Seehund, naviguera encore une dizaine de minute à l’abri de notre masse. Puis, il va nous passer dessous. A cette distance, dix autres minutes seront nécessaires, à ce qu’il largue ses deux torpilles. J’enclenche le compte à rebours, dit-il, actionnant son chronomètre.

L’attente ! Il n’existe, rien de plus terrible au monde que l’attente ! J’émis un soupir, révélant mon anxiété.

- Posez donc ces jumelles, Max, me conseilla le Commandant. D’ici, vous ne manquerez pas le spectacle.

- Il y a du mouvement sur ses ponts, Commandant !

- J’ai vu ! Ils sont encore sous le choc, de ce qu’ils crurent être une attaque, visant à aborder leur navire. Me prendraient-ils pour un suicidaire ? dit-il en ricanant. Ils comprendront trop tard, leur erreur. Capitaine Farel !

- Commandant ? répondit l’interpellé, s’empressant de venir nous rejoindre, sur le poste de vigie.

- Paré, à mettre les chaloupes de sauvetage à la mer ?

- Chaloupes 1-3-5-et 7 sur bâbord, parées, Commandant !

- Restez, sous les ordres !

- Reçu, Commandant !

Les dernières secondes, devinrent très éprouvantes pour les nerfs, d’autant plus qu’il devenait indéniable que l’ennemi, flairait quelque chose. Le navire, se mit à naviguer en zigzag, rendant très certainement la tâche du releveur de distances à bord du Seehund, encore plus difficile. Mais le gars, connaissait bien son job ! La première explosion, arracha totalement la proue du navire ennemi. Vu la distance, c’était imparable ! Ce fut un sacré choc pour moi, d’assister en direct à ce spectacle désolant, effroyable, disons le même. La seconde torpille, lancée après cinq secondes précédant la première, frappa sa coque en plein centre. La détonation suivie de l’onde de choc qui courut sur la surface de la mer, fit vibrer les tôles d’acier de notre bâtiment, au point qu’il était impossible, de laisser ses doigts sur le bastingage, sans ressentir comme une décharge électrique. Et je ne vous dis pas, ce que nos oreilles subirent. Le pirate, se fendit en deux, puis l’arrière se coucha sur le côté tribord. Une épaisse fumée noire, envahit le ciel. Il ne fallut pas plus de dix minutes, a compté de la première torpille faisant mouche, pour que la proue en premier, suivie de la poupe, disparaissent dans un immense tourbillon d’eau bouillonnante, de la surface de cet océan. J’étais hypnotisé, paralysé, retenant encore ma respiration.

- Aléas jacta est ! dit le Commandant, pour toute oraison funèbre. Capitaine Farel !

- Commandant ?

- Chaloupes de sauvetage à la mer ! Paré à récupérer le Seehund !

- Reçu Commandant !

L’officier s’écarta de nous, communiquant ses ordres, à l’aide de son talkie-walkie.

- Stoppez les machines ! ordonna le Commandant.

- Stoppez les machines, reçu, Commandant, répondit le Lieutenant chargé de la manœuvre, en l’absence du pacha sur la passerelle. Machines stoppées, Commandant annonçât-il, d’une voix rendue vibrante par l’émotion ressentie. Ce devait être un baptême du feu, pour ce jeune officier. Mais l’observant du coin de l’œil, je me sentis rassuré, constatant qu’il conservait toute sa lucidité. Je me devais de très vite me reprendre, pour mon compte. Ce ne fut pas très facile. Mais je me suis efforcé de ne rien laisser paraître, de ce que je ressentais.

- Bien, dit le Commandant, ôtant sa casquette qu’il posa sur sa poitrine, en signe de recueillement. Il demeura silencieux une bonne minute, alors que nous faisions de même.

- C’est la pire des choses qu’un marin, se doit d’accomplir, dit-il, brisant enfin le silence.

Braquant mes jumelles sur la surface de l’océan, je vis des dizaines, et des dizaines de cadavres, dans une nappe de flammes longitudinale, marquant l’emplacement du navire. Je me dis, bien chanceux celui qui s’en serait sorti indemne. Le navire ennemi, avait emporté avec lui dans les profondeurs, tous ceux qui n’avaient pas eu le temps, de s’extirper de ses entreponts.

 « Bon Dieu, qu’il est facile de perdre la vie ».

 Pour sûr ! Je venais tout juste, de prendre conscience de cette évidence qui frappe l’humanité, depuis qu’elle couronne de succès, ses tous premiers pas, sur la surface de cette planète. En fait, c’était pour moi une toute première confrontation, avec la mort violente, d’autant d’hommes. J’enserrais le béret que je tenais dans ma main droite, espérant en vain, voir quelqu’un remuer.

- Venez Lieutenant ! me dit le Commandant. Maintenant, nous devrons attendre le retour des chaloupes de sauvetage, pour dresser un bilan. Après, nous devrons au plus vite, quitter les lieux. Ce n’est là qu’un début ! Faudra que vous-vous y fassiez !

- Je… Je m’y ferai, Commandant ! Je m’y ferai, répétais-je, guère convaincu pour autant. Pourtant, Schtröbe affirme, les avoir informés. Mais, je sais que ce n’est pas vrai.

- Ce serait… Bon Dieu ! A quoi faite-vous allusion, Max ? Que dois-je comprendre ?

- Ce que vous venez de comprendre, Commandant ! Nous sommes les marionnettes d’un théâtre en plein air, ne sachant même pas qui exactement, tire les ficelles. Je crois pouvoir affirmer, sans trop faire erreur que justement, l’enjeu, ce sont ces ficelles. De nombreuses mains, veulent s’accaparer le pouvoir, d’articuler les pantins. Je vois venir avec beaucoup de craintes, l’instant fatidique, les voyant s’embrouiller les pinceaux. Pas vous ?

- Vous avez de la jugeote, Max, dit-il, fixant l’océan en flamme, le visage parcouru de petits tics nerveux.  

- Je ne cesse, de penser à ça ! C’est inconcevable ! Je pense… Et si les Soviets, avaient planifiés cette embrouille, pour que justement, nous ne rencontrions aucun obstacle sur notre route ? Ce serait beaucoup moins inconcevable, Commandant.

- Concevable en l’occurrence, serait alors employer un doux euphémisme.  Ce serait… diabolique ! Je crois que je suis bien le fil votre pensée, Max. Il demeura un court instant silencieux. Je pus lire dans ses yeux, la noirceur de l’angoisse.  Je vois ! Les Soviétiques, sont à l’abri, de toutes formes de présomptions de culpabilités, à présent. Nous en sommes arrivés, exactement où ils voulaient ! Aux yeux des chinois, nous apparaitrons, les seuls coupables. Bon Dieu ! C’est d’une ingéniosité qui défraye de loin, tout ce que les plus grands stratèges de cette planète, réussirent à accomplir, dans les chroniques de la guerre.

- Hum ! C’est certain, Commandant. Et les chinois, leur sont redevables. Nous avons coulé, l’un des navires « intérimaires » des Soviétiques, avec de nombreuses victimes cubaines à dénombrer. C’est horrible, non ? Ils ont expédiés leurs propres hommes, à une mort certaine. Il le fallait, impérativement.

- Ils vont en retirer, toute la gloire. Mais si je suis bien votre raisonnement, ils espèrent mieux que la gloire, à l’arrivée.

- Oui ! Une guerre totale ! Et qui, sera le dindon de la farce ?

- Les chinois… Ce sera arrivé, par le biais d’une initiative de leur part, car de leur côté, ils œuvrent très consciemment à attiser l’incendie. Et bien sûr, les Soviétiques proposeront une alliance que la Chine, ne sera pas en mesure de refuser. Bon Dieu ! Il faut espérer qu’un…, officier pour le moins, aura survécu, conclut le Commandant, l’air de plus en plus soucieux. Nous approfondirons cette énigme plus tard, dit-il enfin. Pour l’instant, allez donc prendre un peu de repos ! Ou quelques bons verres, en agréable compagnie. Vous avez accompli de l’excellent travail, Max. Croyez-le, vous êtes pour beaucoup, si nous venons d’emporter cette bien amère victoire, sans perdre un seul de nos hommes. Tout aurait très bien pu, très mal se terminer pour nous.

- Non, Commandant ! Schtröbe a largement contribué à ce que vous nommez, une bien amère victoire. Que faisons-nous ? Nous le décorons ou bien, nous le fusillons ?

- Nos amis…, américains, prendront les dispositions qui s’imposent, le concernant. Ils ont bien droit, à une compensation, non ?

J’entendais bien ? Il y avait bien plus que de l’ironie, dans les paroles prononcées par le Commandant. Etais-je doté d’un sixième sens, don réservé aux femmes, selon Jackkie ? Je rangeais cette appréciation sarcastique, émise par le pacha, dans un coin secret de mon cerveau. Pourquoi, étais-je persuadé que je ne tarderai pas, à me rendre au coffre ?

- Je vous remettrais mon rapport d’interrogatoire du prisonnier, Commandant. Vous serez surpris !

- Oh vous savez, à mon âge, plus grand-chose ne parvient à me surprendre autant. Mais j’attends votre rapport !

 

 

 

23 : 40.  

 

J’en étais à mon troisième bourbon, accoudé au comptoir du mess, lorsque mon petit groupe d’amis, fit son apparition. Impossible de dormir ! J’avais, vainement essayé. André, se vit applaudit par les officiers qui trainaient encore en ce lieu, en cette heure déjà avancée  de la nuit. Je n’avais plus guère prêté attention, à l’effervescence qui régnait à bord. Je m’en fichais totalement ! Je levais mon verre dans sa direction, sous le regard perçant de Jackkie qui visiblement, tentait de lire dans mes pensées. Elle abandonna ses amis, venant me rejoindre au comptoir.

- Vous n’avez pas pris, un peu de repos, Max ?

- Bah ! Je suis venu commémorer la victoire, répondis-je sur un ton acerbe.

- Ne partageriez-vous pas, l’enthousiasme débordant d’André, me demandât-elle, parlant à mi-voix.

- Ma foi ! Je devrais ?

- Je ne sais pas, Max. A vous de me répondre ? Vous êtes à des lieux d’ici. C’est l’alcool ?

- Eh ! Soyez indulgente ! Je n’en suis qu’à mon troisième verre. Je n’ai pas touché aux sandwichs que vous avez laissés en évidence, dans ma cabine. Vous avez faim, vous ?

- Non ! Pas après, ce que je viens de voir ! Vous devriez avaler quelque chose de chaud.

- Je devrais, oui ! Je vais me retirer dans ma cabine.

- Je viens, avec vous ! Et, ne me dites surtout pas non ! Je vous accompagne, venez.

- Je ne suis pas saoul !

- Non ! Mais cela, ne saurait tarder !

- Eh Jésus ? Qu’en penses-tu mon pote ? criais-je, en direction de ce pauvre Che qui me regarda, avec effarement. Tu sais ? Tu as raison de ne pas répondre, car tout le monde s’en fiche, de ce que tu penses ! Regarde ! Ils fêtent, la victoire ! Tu es de la partie ?

- Venez, Max ! me supplia Jackkie, me tirant vigoureusement par le bras. Ne vous en prenez pas à lui, parce qu’il est de ceux qui critiqueront cet acte. Il n’y est pour rien. 

- J’en connais un qui a fêté la victoire, bien avant les autres, dit André en riant.

- Ah oui ! Belle victoire ! Deux torpilles sous la ligne de flottaison, plus de trois cent trente morts ! Nous devons être satisfaits.

- Il y a des survivants, Max, m’apprit Jackkie. Une trentaine d’entre eux, sont à l’infirmerie, et quarante en prison.

- Mazette ! Soixante-dix épargnés ? Aurais-tu mal visé, mon ami ?

- Qu’est-ce qui t’arrive à toi ? me rembarra André, sourcils froncés.

- Il est fatigué, et il a bu, dit Soumaya. Il faut qu’il se repose, maintenant. Veux-tu un comprimé, pour dormir ?

- C’est bon ! Je dormirai du sommeil du juste ! Nous avons accompli notre devoir ! Cela ne nécessite pas, de faire la bamboula pour autant. Je levais mon verre que je tenais toujours en main, et en Russe je dis : %u043A %u0432%u0430%u0448%u0438%u043C %u043A%u043E%u043B%u043B%u0435%u0433%u0430%u043C %u0437%u0434%u043E%u0440%u043E%u0432%u044C%u044F! 6

- Je vous en prie, venez maintenant, insista Jackkie, m’attirant non sans peine, à l’extérieur du mess, après m’avoir retirée le verre de la main, et l’avoir donnée à Soumaya qui le posa du bout des doigts, sur une table.

- Tu vas mourir Soumaya, si tu ne prends pas un peu de repos, dis-je à mon amie, tout en lui caressant sa joue, brulante de fièvre. Elle m’adressa un sourire empli de tristesse.

- Je vais y songer, dit-elle simplement.

 

7- A votre santé camarades.

 

Mais Jackkie, eut enfin raison de moi, m’extirpant de là, manu-militari. Arrivés dans la coursive, je fus le premier étonné, de cette soudaine pulsion qui s’empara de moi. Je posais mes mains, sur les épaules de la jeune anglaise, la repoussant sans violence, dos contre la paroi.

- Vous faites quoi là, Max ? 

- Je tiens à vous remercier.

- En m’embrassant, c’est bien ça ?

Nos yeux, s’étaient intimement unis, durant cette joute. Mais la jeune femme, tourna la tête vers la gauche, le regard rivé au sol. Son visage reflétait tous les stigmates, occasionnés par le trouble qui gagnait son être, et contre lequel elle désirait lutter, non sans dévoiler ses faiblesses.

- Ne faites pas ça, murmurât-elle, d’une voix dominée par l’émotion. C’est une autre que moi que vous voudriez embrasser, Max. Je veux bien vous aider, mais pas à ce point-là !

- Qu’est-ce qui peut bien, vous faire penser que ce n’est pas vous que je désire embrasser ?

Elle releva enfin les yeux.

- Voyons ! Vous sortez tout juste d’une rupture, ayant lésée votre cœur. L’auriez-vous oublié ?

- Vous voyez ? C’est vous qui avez peur, des fantômes !

- Vous revenez là-dessus ? Je crois m’être expliquée, non ?

- J’ai fait le point, Jackkie ! Je dois me tourner résolument vers l’avenir, à présent. Mais seulement… Il y a…  un… « Mais seulement ».

- Quel avenir, Max ? Seriez-vous parvenu en quelques secondes, à réviser vos valeurs, ainsi que des quantités de certitudes acquises ? Et dite-moi, ce qui se cache derrière ce… « Mais seulement » ? L’alcool vous désinhiberait-il à ce point ? Allez jusqu’au bout de vos pensées voulez-vous, sans quoi, je sens que je me noie.

- Je ne sais pas ! J’ai l’impression, d’avoir un poids colossal sur mes épaules. Je ne rêvais pas, de récolter autant de responsabilités. Il est vrai que je vois les choses, tout autrement, après ce… ce…

- Ce tragique épilogue ?

- Je suis soldat ! m’emportais-je presque, serrant plus fortement encore, ses épaules que je tenais entre mes doigts.

- Ne faites pas ces yeux furibonds, vous ne m’impressionnez pas. Je crois qu’il y a bien longtemps que votre destinée, vous échappe totalement, Max. Vous-vous auto-persuadez, voilà votre plus grande faiblesse. Vous êtes… un garçon sensible, adorable sur bien des points. Mais, vous jouez un rôle, au sein d’un mélodrame où vous figurez. Ce n’est pas vous ! Vous avez occulté, votre véritable personnalité, en mettant cet uniforme sur votre dos. C’est lui qui pèse lourd, sur vos épaules. Vous me faites mal, en serrant ainsi.

Je relâchais la pression, mais pas ses adorables épaules bien rondes, chaudes, et satinées.

- Un figurant travestit ? Vous mettez à mal mon orgueil. Je me voyais en acteur essentiel ! Mais ce que vous dite, ne manque pas de pertinence. Vous souvenez vous, des mots prononcés par Soumaya, pendant que nous attendions l’appel téléphonique du Colonel Mahersen ? Elle a dit : « Nous sommes tous, les prisonniers de quelqu’un ou de quelque chose » ! Je le suis, de ma conscience ! Je l’ai engagée avec moi, en épousant la carrière militaire, Jackkie. Que je sois… troublé, peiné de ce que je vis, me rassure, et me réconforte pour l’avenir. Je sais que je ne perdrais jamais, mon âme. Après tout ? Ne combattons-nous pas, pour le bien être de l’humanité ?

- Oui ! Sans aucun doute, Max. Un seul problème ressort de votre évaluation morale des choses. Et voyez-vous, ce problème-là, ne connait aucune solution. Les autres en face, pensent de même ! Ce n’est qu’un choc des idées, un choc des cultures. Mais qui a raison, et qui a tort ? Je me battrais volontiers, pour préserver la vie de ma jeune sœur, de mes parents, de mes amis ou même, du plus éloigné de mes voisins ! Je me battrais comme une acharnée, si mon pays était sous le joug de l’occupation ! Mais je ne me battrais jamais, pour une idée, et par extension logique, pour une politique qui ne vise qu’à en castrer une autre !

Ayant pratiquement hurlée ces mots, elle chercha à reprendre son souffle. J’eu peine pour cette jeune femme, au caractère bien forgé.

- Où nous conduit cette conversation, Jackkie ?

- Dans votre cabine, voyons ! Vous en arrivez à m’horripiler Max, dit-elle, avant de commettre l’irréparable. Légèrement plus petite de taille, elle se redressa sur la plante des pieds, m’enlaçant avec une force insoupçonnable. La force du désespoir ! Ses lèvres, mangèrent littéralement les miennes, me coupant le souffle de stupeur, et me laissant sans réaction. Chose faite, elle s’écarta de moi, me brandissant son index sous le nez, bras tendu.  

- Vous avez obtenu, ce que vous désiriez ? Maintenant, gardez vos distances. Je ne coucherai pas avec vous ! Du moins, je ne l’envisage pas, comme étant un acte nécessaire, pour panser les blessures de votre cœur.

- Pragmatique ! Mais, qu’est-ce que vous embrassez bien !  

- C’est bien la première fois que l’on me fait, ce genre de compliment, dit-elle, riant, et rougissant. Alors ? Vous venez ou nous passons la nuit, dans cette coursive ? Vous aurez encore à vous expliquer, sur le fait qu’il existe un… « Mais seulement », ôtez-vous de l’esprit que vous y échapperez.

Je ne me fis plus prier. Elle venait de remporter avec brio, la première manche. Mais toutefois, je n’avais pas encore dit mon dernier mot.

 

11 février 1972, 00 : 05.

 

Les sandwichs jambon-beurre, avaient perdus de leurs fraicheurs. Jackkie refit du café, alors que je finissais de ranger les dossiers dans leurs cartons. Je me questionnais, tout en travaillant. « Tout cela, possédait-il une raison d’être » ? Oui, si je considérais que des vies venaient d’être préservées. Car je ne pouvais douter que si l’ennemi, avait eu la part belle, en ce moment, c’est lui qui pavoiserait. Alors, les vapeurs d’alcool se dissipant, je revins à la raison. J’avais honte, d’avoir poussé hors de ses retranchements, ma compagne de ces instants tragiques. Il y avait un « mais  seulement» ! Je ne pouvais le lui expliquer, sans la peiner plus encore.

- Un sucre ou deux, dans votre café, Max ?

- Deux, merci. Venez manger ! Vous êtes bien pâle d’un coup.

- Mais non, voyons ! C’est le reflet de cette lumière. N’ayez aucune inquiétude pour moi, je me porte à merveille. Voulez-vous que je vous aide ?

- J’ai terminé ! Venez, vous asseoir !

Elle vint prendre place à mes côtés, sur la couchette, arrangeant fébrilement son col de chemise, en essayant de paraître désinvolte. Mais le temps fit défaut, pour qu’elle reprenne son assurance en elle. Quelqu’un tambourinait à ma porte. Je me levais, poussant un soupir de lassitude.

- Pas moyen d’être cinq minutes tranquille, n’est-ce pas ?

J’ouvris la porte assez excédé, je dois l’avouer. Je tombais nez à nez, avec Julian Stinneng  qui sourire très diplomatique aux lèvres, regarda par-dessus mon épaule.

- Je vous prie, de bien vouloir m’excuser, Max. Mais c’est urgent !

- Un autre navire ennemi, en vue ?

- Non ! Soyez rassuré, nous sommes bien seul ce soir, sur la surface de cet océan. Votre amie… Je veux dire, la jeune femme assise là, elle a vu le chef des pirates de près, n’est-ce pas ?

- Oui, en effet !

- Bien ! Voulez-vous l’escorter jusqu’aux geôles,  afin qu’en compagnie de ses amis, elle effectue une  identification ? Nous avons la certitude que le chef des pirates, a bénéficié de beaucoup de chance. Pour un certain nombre de l’équipage de son navire, il n’en fut, et n’en sera pas de même. L’infirmière major, vient de me dire que quelques blessés, n’iront pas très loin.

- Elle est toujours à son poste ?

- Quoi donc ? demanda Julian  qui n’était visiblement pas au fait des évènements, pour ce qui concernait Soumaya.

- Rien ! Laissez tomber ! Nous arrivons, dans quelques petites minutes. Le couple Green ? Les avez-vous convoqués aussi ?

- Je m’y rends de ce pas, Max ! On se retrouve tous en bas ?

- Ok ! répondis-je simplement.

- J’étais à l’infirmerie pour prêter mains fortes à Soumaya, intervint Jackkie qui venait de nous rejoindre, devant la porte. Ses joues s’empourprèrent, et j’en compris la raison. J’ai très brièvement vue, les prisonniers, lorsque les soldats les conduisirent à l’intérieur du navire. Si j’avais seulement entre aperçue ce… cet énergumène, je l’aurais immédiatement reconnue.

- La description que vous en avez faite au Lieutenant Girard, nous a permis de l’identifier, miss Wood. Nous devons vous demander de confirmer, afin qu’il n’existe plus aucun doute, à son sujet.

- L’avez-vous isolé ? demandais-je intrigué, à Julian Stinneng  qui m’adressa un sourire en biais.

- Il y a eu pas mal d’agitations, sur ce bâtiment, depuis que nous avons quitté, le lieu du naufrage du Khartoum. Il est enfermé aux geôles, Max ! C’est l’essentiel, en cette heure.   

- Bien ! Alors, son identification formelle, je propose qu’elle se voie remise à demain. Comme vous le dites si bien, il ne s’échappera pas ! tentais-je de nous éviter, une corvée que je jugeais, bien inutile.

- Je sais !  Vous avez beaucoup donné de vous, toutes ces dernières heures. Mais à présent, bien trop de choses vont dépendre, des renseignements que nous serons en mesure de récolter. Ce navire, navigue à l’aveuglette, Max.

- Oui ! Je comprends ! répondis-je, vaincu par la raison invoquée. Précédez-nous, nous ne tarderons pas à vous rejoindre, promis-je.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

00 : 53.

 

Les geôles s’étaient vues aménagées, dans une ancienne cambuse de l’entrepont C2. En fait, c’était une vaste pièce froide où s’entassaient, une quarantaine d’individus, tous assis à même le sol, serrés les uns contre les autres, sans lumière,   ni aucune commodité. Lorsque l’on pénétra dans ce frigo, personne ne bougea. Seules des paires d’yeux, nous scrutèrent dans cette demi-pénombre.

- Caporal-chef Gringoire ! interpellais-je l’un des membres de ma section, chargé de la garde des prisonniers.

- Lieutenant ?

- Ils pèlent de froid, là-dedans ! le houspillais-je. Vous allez faire le nécessaire, pour qu’ils perçoivent des couvertures. Ont-ils de quoi s’abreuver ?

- Je n’en sais rien, Lieutenant, répondit-il surpris, ne sachant plus quelle contenance prendre. 

- Tâchez de savoir ! Si tel n’est pas le cas, vous remédierez à ce problème. Il n’y a pas d’interrupteur, pas de lumière ? Vous allez également faire brancher un groupe électrogène, et leur donner de la lumière. C’est également, une précaution élémentaire de sécurité. Dégotez leur, un chauffage électrique.  Et pour finir, il faut les alimenter convenablement. Ce ne sont pas, des animaux ! Vous organiserez, les tours de garde. Ce sera votre rôle, jusqu’à ce qu’une décision se voit prise, sur leur sort. Aucune exaltions, n’est permise. Vous avez tout noté en mémoire ?

- Oui Lieutenant ! Je veux dire, je m’occupe de tout ça, de suite !

- Bravo ! Vous autres, ordonnais-je aux prisonniers, debout !

Ils se levèrent péniblement, voire pour certains, de très mauvaise grâce.

- Je vais commencer par les Cubains, dis-je. Un à un, vous allez sortir dans la coursive.

- Ce sera bien inutile Monsieur, répondit l’un des prisonniers, écartant ses camarades rassemblés debout, au centre de la pièce. Si vous cherchez le plus haut gradé survivant, je suis cet homme, reprit-il.

- Bien ! Sortez donc dans la coursive, lui ordonnais-je. Il ne se fit pas prier longtemps, pour venir s’adosser contre la paroi, face à la porte. Je refermais celle-ci, avant de me retourner vers l’officier, n’arborant sur sa veste bleu marine, ni galons, ni insignes. Il était de grande taille, bien qu’un peu mince, présentant un visage agréable, aux traits marqués par ces heures pénibles qu’il avait enduré. Un homme tout à fait ordinaire, avec qui somme toute, l’on aurait pu lier des liens de sympathies, en d’autres circonstances. 

- Pourquoi cet officier, n’a-t-il pas été dirigé immédiatement, vers une autorité compétente, demandais-je, m’adressant à Julian Stinneng.

- Certainement à cause, de la précipitation qui s’ensuivit, privilégiant les hommes sérieusement blessés dans l’attaque, avançât-il, guère convainquant. Vous auriez dû, vous voir informé de sa présence, en effet. 

«  C’est ça ! Je te soupçonne, d’avoir volontairement laissé se pourrir la situation. Le temps, d’entrer en communication, avec ta base de soutien » ?

- Bien ! Passons sur ce détail  qui nous fit perdre du temps ! Julian, pour toute réponse haussa ses minces épaules, se tournant résolument, vers le prisonnier.

- Veuillez nous décliner, votre identité, votre grade, ainsi que votre matricule, lui demandât-il poliment.

- Je suis le Capitaine Luis Damez-Sanchez. J’appartiens au 28éme régiment des transmissions, de la garde Présidentielle Cubaine. Matricule : C42AB5/57. Promotion 57/1.

- Oh ! C’est un grand honneur pour moi, persiffla Julian. La garde Présidentielle ? Ce n’est pas votre lieu de prédilection habituel, non ?

- Je viens de vous donner mon nom, mon grade et mon matricule, Monsieur ! Je vous remémore que vous avez agressé un navire, affrété par le Gouvernement d’une Nation souveraine, dans les eaux internationales, sans réelle justification. Je n’ai rien d’autre, à vous dire !

- Ah oui ! Un honnête navire marchand qui transportait dans ses cales, une petite armée d’invasion, sélectionnée parmi les hommes les mieux entrainés, aux coups de mains que Cuba,  « état souverain », ne se prive pas de venir de très loin, perpétrer en cette partie du monde. C’est étrange non ? Que je sache, me référant au lieu où nous-nous trouvons, c’est tout autant éloigné du  Botswana ?  Je me demande bien quel pays, vous-vous apprêtiez à déstabiliser ? A moins… laissez-moi réfléchir ! Vous apprêtiez-vous, à arraisonner un navire ? Le nôtre, par exemple ? Bon ! Mon adjoint, va vous conduire dans vos nouveaux locaux. Vous séjournerez un certain temps, en notre compagnie. Il fait meilleur en haut, sur le pont promenade. Vous aurez de la compagnie, et vous y serez à l’aise ! Et veuillez garder ceci en mémoire, mon cher Capitaine. Pour nous, vous n’êtes rien de plus qu’un vulgaire pirate. Ce qui me donne le droit de disposer de vous, comme bon me semble. C’est noté ?

Julian, adressa un signe de la main à son gorille qui s’empressa, de pousser le pauvre Cubain dans le dos.

- On avance ! ordonnât-il. Accompagné de deux de mes hommes, ils prirent la direction des étages supérieurs. Je secouais la tête, très perplexe quant à la probable collaboration, de ce prisonnier de marque.

- J’en ai vu d’autres, dit Julian, à qui mon scepticisme n’avait pas échappé. Vous savez, ces gens-là, lorsqu’ils se sentent en sécurité, ils ne demandent qu’une chose. S’enfuir, très loin de Cuba !

- Celui-ci est marié ! répondis-je. Il a une alliance, au doigt.

- Oui ! Souvent, une famille, c’est une bonne raison qui peut faire réfléchir. Nous verrons bien, n’est-ce pas ?

- Houai ! Je n’en doute pas ! Il verra bien !

Il me tapota légèrement l’épaule, en ricanant.

- Maintenant, à l’autre ! dit-il. Celui-là, je serais à sa place, je me ferais vraiment du souci !  Dieu aurait été plus miséricordieux, en lui accordant de se noyer !

- A ce sujet, justement !  Ce prisonnier,  m’appartient de plein droit.

Julian Stinneng  se retourna vivement, me faisant face. Je perçus une lueur inquiétante, dans son regard noir.

- Ce n’est qu’un vulgaire pirate, Max ! Nous le traquons depuis de nombreuses années et…

«  Ah ! Vous le traquiez ! Eh bien, eh bien ! Tu viens de glisser, mon bon Julian. Je vais t’aider, à reprendre pieds sur terre ».

Encore une fois, j’avais vu juste. C’était lassant à force.

- Et, il m’appartient, interrompis-je sèchement sa plaidoirie. Nous allons, nous partager les tâches. Vous le Cubain, et moi, le pirate ! Ce n’est pas négociable !  

- Nous verrons bien, ajoutât-il, exhibant un sourire que je ne sus définir.

«  Ce n’est pas normal ! Il ne se sent pas du tout, en position de force. Demande-toi pourquoi, mon bon Max. Demande-toi également, la raison qui le força à venir nous informer, si tardivement. Il aurait très bien pu disposer à sa guise, de ces deux prisonniers. Je sens que ce mec, s’est vu contraint de ménager la chèvre, et le chou. Contraint, contraint. Voyons ! Il faut que je garde ça, en tête. Il lui fut fortement conseillé, de préserver des intérêts. Quels intérêts, impliquent qu’il demeure en retrait ? Non ! A se contingenter, à la plus grande prudence. Qui est la chèvre, qui est le chou » ?

Je fis ouvrir la porte, par mes gardes armés. La procession débuta, sous le contrôle du Caporal Jensen, et de deux autres fusiliers, vérifiant de l’intérieur qu’aucune substitution d’individu, ne puisse s’opérer. Ils n’étaient pas nombreux, les non Cubains ! Ceux qui venaient de passer au contrôle, se virent séparés des autres, en les forçant à se coller contre la paroi, à gauche de l’immense cambuse. Un homme de forte stature, dont le visage était marqué par une profonde cicatrice en forme de demi-lune, sorti enfin de la cellule. Aussitôt, Carroll, et Jackkie, le reconnurent.

- C’est bien lui, me murmura Jackkie, alors que Carroll, poussa un hurlement de frayeur. 

- Eh bien, Monsieur ! exclamais-je, l’intérêt que je portais au prisonnier, alors qu’immédiatement, mes hommes s’en saisirent, lui passant les chaînes aux poignets. Je crois que nous allons avoir une longue conversation, vous et moi, l’informais-je très courtoisement. Enfin ! Tout dépendra de vous, n’est-ce pas ?

- Alors, ce sera long ! répondit-il en anglais, me fusillant du regard.

- Vous n’en tirerez rien, affirma Julian, m’offrant une grimace, venant renforcer son intime conviction. Je vous laisse, vous amuser un peu. Mais, si j’étais vous ? Je ne perdrais pas des heures d’un repos bien mérité, avec cet écumeur des mers.  

- C’est ça ! Merci bien, Julian ! Amenez-le dans la cale technique ! ordonnais-je à mes hommes. Nous y serons tranquilles, et le Lieutenant Bertin, appréciera de s’entretenir avec ce personnage, des plus pittoresques. Caporal Jensen !  

-Lieutenant ?

- Allez de ce pas, réveiller le Lieutenant Bertin, puis rejoignez-nous en bas ! J’ai besoin de lui ! Filez !

- Reçu, Lieutenant !

Chose faite, je repris le Sahib des abysses au vol.

- Vous  allez nous faire partager, le récit de vos plus sensationnelles aventures, mon cher ! Qui sait ? Vous pourriez devenir le héros, d’un roman fleuve ? Un best-seller ! Tenez ! Convenons dès cet instant, d’un contrat ! Vous me contez votre histoire, et moi, je l’écrirai.

Il me regarda comme une Truite, tombant nez-à nez avec une vipère.

- Compte là-dessus, persifflât-il, lèvres serrées.

- Eh bien, ma chère Jackkie ! Il ne s’annonce pas très coopératif, je dois l’admettre. Je ne crois pas que nous aurons le loisir, d’entretenir cette passionnante conversation… que nous avions entreprise. Pas cette nuit, en tous les cas.

- J’en suis profondément désolée, répondit-elle m’adressant un sourire qui me persuada qu’elle l’était vraiment. Ce n’est que partie remise, conclut-elle, prenant le bras de son amie, encore sous le choc de la confrontation. Quant au Che ? Ma foi ! Il suivit à la traine, en silence, les deux femmes qui s’en retournaient vers leurs cabines.

« Drôle d’oiseau  ce Dan. Comment, une aussi jolie fille que Carroll, a bien pu tomber amoureuse, de cet épouvantail à moineaux ? Bah ! Les femmes ! Allez les comprendre » !

Cependant, j’étais assez surpris de l’attitude de Julian Stinneng. Il s’était retiré sur la pointe des pieds, sans rechigner ! Entre autre, d’une consigne provenant de sa base, le Commandant Lange, lui avait-il mis, les points sur les I et, les barres, sur les T, lui remémorant avec fermeté qu’il était le seul maître à bord, et que les circonstances, favorisaient que je tienne le second rôle ? J’en étais bien plus que seulement persuadé, sur l’instant.

« Si un jour le désir me prend d’écrire un roman sur ce sujet, je lui donnerai ce titre : C.I.A, sous feux croisés » 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

01 : 20.

 

- J’espère que tu as une bonne raison, pour m’avoir sorti de mon lit, bougonna André. Il tomba en arrêt tel un Cocker, en voyant l’animal enchaîné à l’un des piliers, d’une grue de charge de son antre.

- C’est quoi, ce machin-là ?

- Jensen ne t’a rien dit ? Bon ! Laisse choir ! Je te présente, le plus grand des flibustiers des temps modernes, André ! Le Sahib des abysses ! La terreur, des mers, de l’Asie du Sud-est ! Dis bonjour, au Monsieur !

- Oui ? Nous sommes en pleine nuit, Max ! Mais… salut mec ! Ça boume, comme tu veux ? Ce n’est pas tout à fait, l’impression que tu donnes ! Tu vas voir, ça va s’arranger ! Je me présente ? Je suis, l’empaffé de première qui a coulé, ta coque de noix puante. Et, tu vois ? Ce fringant officier qui vient de faire les présentations, est mon ami, depuis notre plus tendre enfance. Non ! Je lis ce que tu penses, dans tes yeux. Ce que je te dis ? Tu t’en branles ! Je serais à ta place, je penserais de même ! Mais…  La dernière fois qu’il a interrogé un quidam, sans raison apparente, il lui a tranché l’avant-bras avec un coutelas bien aiguisé, car il avait l’intention ferme, de s’en servir d’appât, pour pêcher le requin à la traine. C’est un tendre, à sa façon ! Il adore, les animaux ! Et toi ?

- Focking  your mother ! répondit simplement le prisonnier, nous persuadant par ces mots qu’il avait, quelques solides notions de français.

- Tu vois, Max ? Je suis d’avis que ce gars-là, tu l’as foutu en rogne !

La gifle résonna, se répercutant dans la vaste cale, comme sortant d’une chambre d’écho.

- Je te fais remarquer bien poliment que petit un, ma mère n’est pas dans le coup, et que petit deux, je me suis démontré courtois, en t’adressant la parole. J’entends que tu uses, du même vocabulaire. Je me suis bien fait comprendre, Sahib des abysses ? dit André, en se frottant le dos de la main. C’est qu’il a les os rudement durs ce brave homme, ajoutât-il, offrant une mimique grimaçante de douleur.

- Il vous est facile, de battre un homme enchaîné, dit le chef des pirates, dans un français acceptable. Vous avez eu beaucoup de chance que l’effet de surprise, joue en votre faveur.

- Sans aucun doute ! C’est miraculeux, André dis-je, m’adressant à mon ami. Une seule claque a été suffisante, pour que se voit réduite à néant, la sentence de Dieu, après que ces couillons de bipèdes l’aient encore une fois offensés, en érigeant la tour de Babel ! Tu es un crack, Dédé ! Si nous commencions, par le commencement ? Sahib des abysses, ce n’est tout de même pas votre nom ?

- Je n’ai rien à vous dire !

- Croyez-vous ça ? Vous allez, me désobliger gravement ! J’ai en sainte horreur en vérité, d’employer la violence. Je préfèrerais de loin que nous entretenions, des rapports beaucoup plus… conviviaux, si vous voyez ce que je veux dire. Alors, je vous écoute ?

- Qui était, l’homme en uniforme de la marine marchande qui fit amener, le Capitaine Damez-Sanchez, je ne sais où ? Je sais qu’il y a des américains, sur ce bateau. Des gens, de la C.I.A !

- Bon ! Vous entamez la conversation en posant une question ? Je vais donc répondre ! En effet, cet homme est le responsable de la C.I.A, à bord.

- Alors, je ne dirais plus rien ! De toute façon, mon sort est d’ores et déjà réglé ! Cela fait cinq ans qu’ils me traquent ! Je sais que cette chasse, était destinée à m’abattre, certainement pas à me faire prisonnier. Vous autres, les français, vous jouez un bien triste rôle, dans cette affaire ! Celui de candide ! crachât-il ces mots, sur un ton narquois. Non ! Franchement méprisants.

- Je vous comprends bien là ? Nous serions de grands naïfs ? Expliquez-moi un peu ça, voulez-vous bien ? Vous aiguisez rudement, ma curiosité.

- J’en ai les oreilles qui bourdonnent d’impatience qu’il comble ce vide, vint me soutenir André, cette appétence d’en savoir beaucoup plus sur le sujet abordé par le prisonnier, ouvrant une parenthèse des plus insolites.

  - De quoi, suis-je accusé ? s’enquit avec un certain toupet, notre invité de marque.

- Bof ! D’actes de pirateries, de meurtres, et de trafics d’armes. Maintenant, nous pouvons ajouter, coalition avec l’état Soviétique, et ses satellites. Vous n’ignorez pas que le monde occidental, et les pôles communistes, se livrent une guerre froide, sans Mercy ? (Pitié en anglais)

- Je suis un homme d’affaires, Lieutenant ! Je me fiche, de qui me paie, pourvu que j’encaisse ce que je demande pour mes…, services ! Vous ne valez pas mieux que moi, je crois, de ce que je sais ! Chacun à notre façon, nous sommes des mercenaires, Lieutenant !

- Grossière erreur, Monsieur ! Votre indic que nous avons arrêté, soit dit en passant, vous a très mal renseigné. Le gifleur et moi, nous sommes des officiers d’active ! De ce fait, veuillez réviser votre position. Revenez donc au rôle de…, « Candide » que joue la France ! Serait-ce du mépris, pour nous-autres, français ?

- Absolument pas ! Mais les américains vous mènent en bateau, au sens propre, mais aussi au sens figuré  du terme, depuis les toutes premières heures, de la conception de votre opération.

Je l’examinais, avec une intense perplexité. Quant à André, je le vis verdir. Etais-ce dû à la lumière faiblarde, de cette cale ? J’en doutais, très légitimement. J’allumais une cigarette, la lui montrant. Le Sahib des abysses, acquiesça d’un signe de tête. Je la lui mis, entre les lèvres.

- C’est assez étonnant, mais… je ne suis pas surpris, dis-je.  

- Ah bon ? Seriez-vous, moins stupide que la majorité des hommes, de votre bord ?

- Allez donc savoir ? Ce n’est pas à exclure de le penser. Il faut dire que je ne suis pas, un farouche pro américain. Je me méfie, de ceux qui prétendent régenter toute une planète, avec des principes moraux que leur propre histoire, met à bas ! On commence à faire la propreté chez-soi, avant de faire le ménage chez les autres. Ce ne seraient pas, les amérindiens qui me désapprouveraient, n’est-ce pas ?

- En effet !

Je le sentis indécis.  

- Allons ! Evitez-vous de nombreuses misères, Monsieur ?

- Habib Thiry ! concédât-il à me révéler.

- Habib ! Bien ! Caporal Jensen !

- Lieutenant ?

- Veuillez, lui ôter ses chaînes !

- Tu es sûr de toi, Max ? Intervint André, visiblement anxieux.

- Quoi ! Nous sommes six, il est seul ! Et puis, cela rendra la converse plus agréable.

- Toi ! Tu me surprendras toujours, grommela encore André, avant de s’asseoir sur une caisse, renfermant des outils. Du moins, était-ce écrit en blanc, sur le vert kaki de son couvercle.

- Merci Lieutenant, dit Habib, posant un regard venimeux sur André.

- Asseyez-vous donc là, lui désignais-je une autre caisse. Bon ! En quoi, sommes-nous victimes d’une vile, et sournoise duperie ?

Il jeta encore un œil sur André, avec une moue de réticence.

- Vous pouvez parler devant mon ami, et  mes hommes. Ils sont sûrs ! tentais-je de le rassurer. Toutefois, le Caporal Jensen fit prendre de la distance, au peloton de garde. Ce qui tranquillisa le prisonnier, le rendant volubile.

- Eh bien, dans le fait que des renseignements, confirmés par la situation que je me vois bien malgré moi, contraint d’observer ici, circulent librement, et allègrement, dans toute l’Asie du Sud-est.  

- Des renseignements ? Splendide ! Votre indic est persuadé que ces… renseignements, proviendraient d’un haut fonctionnaire, en poste en France. Vous ne partagez pas son opinion ? A vrai dire, il ne semble pas savoir grand-chose, voire d’avoir perdu une crédibilité essentielle, de la part de ses chefs. Il fait partie, d’une longue liste, de… sacrifiés d’office. Nous l’avons arrêté net, avant qu’il saccage la possibilité, d’un effet de surprise, c’est tout !

Je lui mentais effrontément, ne perdant rien de ses réactions ! Le gars aux épaules impressionnantes, les haussa avec une moue moqueuse, sur ses lèvres noirâtres.

- Premier point il n’est pas, « mon » indic ! Vous êtes en mer, très loin de chez-vous, totalement perdus dans les méandres d’un jeu, tout aussi vieux que ce monde, Lieutenant. On peut vous faire gober, ce qu’on veut ! Mais vos amis américains, eux, ne gobent pas ! Le renseignement sur votre… future expédition, est parti des Philippines. Il a poursuivi son chemin jusqu’à Singapour, pour aller se voir traduit dans tous les dialectes africains, arabes, et j’en passe. Quant à ce qui est de l’Afrique, je ne vous l’apprends pas, les plus représentatifs du pôle Soviétique, ne sont autres que les Cubains. Alors, mission leur fut confiée, de vous priver du pouvoir de nuire. Mais…

- Mais ?

- Mais, ceux qui tirent les ficèles en coulisse, se sont les Chinois, et la Corée du Nord, Lieutenant ! Vous n’ignorez pas qu’un shiisme, un sacré contentieux, crée un antagonisme entre Chinois, et Russes, depuis 1949 ? Mais de temps à autres, au regard de certains intérêts régionaux, ils sont tenus de fraterniser. Toutefois ? Qui suborne, l’autre ?

- Tenez ! Ce que vous dites tombe à pic, car voyez-vous, il y a juste un petit bémol de trop, dans votre partition. Je me ferai plus tard, un plaisir de vous interpréter, cette même partition, en version corrigée. Oui !  Plus tard, et si vous êtes sage ! Cette infime divergence, me fit très justement me poser cette question. Qui, abuse de qui ? Vous me faite l’impression de quelqu’un, bien au fait des conflits d’intérêts régionaux, empoisonnant de longue date déjà, cette partie du monde, pour un vulgaire pirate ! Qui êtes-vous ?

Il m’adressa, un sourire énigmatique. Le courant, passait à merveille entre nous. « Mais, méfiance », me dis-je.

- Puis-je avoir une autre cigarette, Lieutenant ?

Je lui donnais, mon paquet ! Intéressé comme je l’étais, par ses révélations ? Il m’aurait demandé l’heure, je lui filais ma montre !

- Et bien sûr, les américains n’ignorent rien des… projets, fomentés par les chinois, et leur allié Nord-Coréens ?

Il me répondit, par un sourire satanique.

- Hum ! Je vois !

- Vous voyez ? En êtes-vous certain Lieutenant ? Clarifions la situation, puisque vous semblez percevoir les choses. Les Soviétiques, ont bien d’autres desseins que celui d’influer de tout le poids de leur puissance, pour qu’une solution pacifique, mette enfin un terme, à la guerre qui s’éternise au Viêt-Nam. Pour eux, ce n’est qu’un foyer de propagande qui leur réchauffe le cœur ! Vous êtes encore bien trop jeune, pour saisir l’ampleur phénoménale de la partie de poker,  engagée depuis la fin de la guerre 39-45, par les grands de ce monde. C’est menteur, menteur ! Mais là, vous et moi, nous jouons cartes sur table ! Savez-vous pourquoi ?

- Voyons que je prenne le temps, de réfléchir un peu… Parce que, vous l’espérez vivement, je vous laisserais filer en douce, Habib ?

- Vous êtes très intelligent, Lieutenant ! Là, vous m’époustouflez !

- Voyons, si ça vaut le risque ?

- Tu deviens complètement fou, s’emporta André, se redressant d’un bon sur ses jambes.

- Je te prie de te rasseoir, et de bien réfléchir, avant de me couper la parole ! Tu ne tiens pas, à comprendre ? Moi oui ! J’ai la vie de plus de cent trente hommes, et celles de trois femmes, sur les bras. Ton épouse, est inclue dans le lot ! Alors, s’il te plait ! Coopère, en silence !

- Euh ! Bon ! Je me tais ! dit-il vaincu, par le ton de ma voix, auquel il n’était pas habitué.

- Continuez donc, à baliser le chemin, Habib !

- Voilà le topo, il est simple ! Les américains ont un handicap. Leur flotte basée au Viêt-Nam, est vieillotte ! Ils ne possèdent pas assez d’unités, pour couvrir la protection, de l’ensemble des côtes. Ne reste que la flotte des Philippines, en réserve. Mais elle a assez de travail, en mer de chine méridionale. Quant à l’escadre dite de méditerranée, elle ne fait qu’effectuer des rotations ponctuelles, dans les mers du Sud. Tout cela voyez-vous, résulte de multiples problèmes, issus des divergences politiques, au sein même du grand empire américain. Le gouvernement des U.S.A, subit les atteintes portées journellement par une opposition farouche, provenant de sa masse. D’en bas ! Pire ! Les organes de presses, se font l’écho, des revendications du peuple. Mais pour couper court, des navires de guerre, ne pourraient aucunement, accomplir ce genre de mission.

- Nous en sommes conscients ! Ils se feraient très vite repérer ! Alors ?

- Eh bien ! De nombreux français s’ennuient à mourir, à Djibouti ! Ils servent à quoi, au juste ?

- C’est une question ?

- Non ! C’est un constat ! D’autant plus si l’on considère que des hommes comme le Commandant LANGE, et ses officiers, connaissent très bien, ces mers du Sud ! Voici le raisonnement des américains : « Et si on impliquait un peu, nos chers alliés français » ? Les voici en train de poser la première pierre, d’une collaboration, en tous points dirigée. Les impliquer un peu, poursuivent-ils dans ce raisonnement ? Et si nous poussions le bouchon, plus loin ?

- Je ne perds absolument rien, de ce que vous venez de révéler, n’ayez crainte. Mais pour que la conversation prenne une tournure, ne visant à s’accès uniquement que sur de grandes caractéristiques stratégiques, veuillez répondre à cette question. J’éprouve le besoin de savoir ! Etes-vous à l’origine de l’attaque, et de la disparition, d’un bâtiment de commerce français ?

- Ce n’est pas interdit, de le penser, laissât-il entendre, avec une franchise déroutante.

- Ce n’est pas une réponse, Habib !

- Je le conçois ! Mais, si j’en disais plus…

- J’aurais alors, d’excellentes raisons de vous garder. Je vois ! Je place ma fabuleuse mémoire, en mode veille, si vous répondez à la question suivante. Que sont devenus, les hommes qui ont disparus ?

- Oh ! Vous savez, les marins ! Le tort des compagnies maritimes d’aujourd’hui n’est autre que pour d’impitoyables raisons économiques, ils embauchent  de nombreux étrangers. Et cela, va du Commandant, au simple matelot. Beaucoup en ont assez, des rythmes de rotations, et d’un travail sous payé, en regard des risques. Ils n’hésitent pas, à tout plaquer !   

- C’est votre version ?

- Demandez donc cela, à ma sœur cadette ? Elle a épousée l’un de ces marins. Un malais ! Il était second Lieutenant, si mes souvenirs sont bons. Il y a bien longtemps que je ne suis pas retourné chez-moi, au Pakistan. Et pour vous ôter de l’esprit, la pensée que je suis un criminel sanguinaire, je puis vous affirmer que nous n’avons jamais assassiné un seul marin, sur les navires que nous avons délestés. Il y a beaucoup de concurrence dans ce domaine, savez-vous ?

- Bien ! A l’occasion, vous me présenterez l’une de vos sœurs ? Sait-on jamais, hein ?

Il se permit de rire. Ce qui énerva prodigieusement mon André.

- Ce mec se paie ta tête, vociféra-t-il.  

- Possible ! Mais, j’ai un doute légitime. Les ricains, sont capables de tout. Du meilleur, comme du pire. Continuez Habib !

- Ok ! dit-il, rejetant en un souffle, une volute de fumée, en direction d’André qui en retour, le foudroya du regard. Voyons ? On prend ce qui pourrait passer pour un…, « Janotisme » énorme, et on l’exporte de l’océan indien, vers les pays de l’Est.

- Vers… la R.D.A ?

- Vous suivez bien, Lieutenant ! C’est évident ! La maison mère au Kremlin, est beaucoup plus attentive aux risques de coups de bluff, fomentés par l’Ouest. Tandis que la Stasi,  comment dire ? Elle se démontre un peu moins regardante, sur la nature de la marchandise. C’est un problème qui résulte d’une volonté de suprématie, Lieutenant ! Le petit enfant chéri du roi, ne peut se contenter du rôle subalterne, auquel l’astreint sa majesté. Alors…

- Il veut se libérer de certaines contraintes, prenant des initiatives, afin de démontrer sa pétillante intelligence, et son entière dévotion à la couronne. Je vois clair !

- Le résultat, ne se fait pas attendre, Lieutenant.

- La Stasi ayant lancé les dés, le Kremlin, rentre dans la partie.

 - Eh oui, Lieutenant ! L’effet boule de neige, vous connaissez ?  Les Soviets, recherchant la bonne grâce des chinois, les informent qu’une opération est en cours, visant à atteindre… un certain commerce de l’armement, non dépourvu, d’une incommensurable vision stratégique, visant à régner en maîtres absolus, sur l’ensemble de l’Asie du sud. Alors, très reconnaissants, les chinois adressent une demande précise, au Kremlin ! Juste pour voir, si ça suit bien ! Une demande… non officielle, bien sûr !

- Evidemment, ça se comprends ! On veut bien pactiser, mais ne pas paraître… associés, sur ce coup tordu ! Alors oui ! Seulement il y a un seulement ! Je vais y venir !

- Pas mal, Lieutenant ! Vous apprenez vite ! Les Soviets, ont les Cubains, stationnés en Afrique. Ils vont donc, rendre un petit service aux chinois qui leur revaudront ça, à l’occasion ? Vous voyez ? Ce n’est pas très compliqué.

- Pas très compliqué hein ? Je crois que vous allez devoir réviser vos certitudes. Et c’est ainsi que vous-vous êtes retrouvé imbriqué, dans cette sale histoire ? Il est certain que la marine chinoise, venant faire de la plaisance dans l’océan indien, c’est quelque chose qui ne passerait pas, très longtemps inaperçu ! Donc, une aide extérieure, se proposant spontanément ? Les chinois, auraient été bien stupides, de la refuser. Méditez donc sur ce sujet, Habib ! Cette proposition d’aide, euh…, logistique, était-elle vraiment spontanée ? Cherchez l’intérêt, motivant l’acte.

- Je ne vois pas encore très bien, sur quel chemin vous m’amenez balader, Lieutenant ! Mais pour le reste ? C’est très bien vu. Pour répondre à votre question, concernant ma propre implication, je vous l’ai dit au début, Lieutenant ! Moi, je ne fais pas de politique. Tant que l’on me paie ? J’ai mis une unité sur le coup, et comme l’affaire était d’importance, j’ai embarqué avec mes hommes.

- Vous auriez mieux fait, d’aller rendre visite à votre sœur, dit André.

- Ce qui n’exclut pas, une taupe chez-nous à Paris, repris-je.

- Laissez vagabonder votre imagination, Lieutenant ! fut sa réponse.

- Hum ! L’indic que nous avons arrêté, est de bonne foi. Il crut dur comme fer que la balance française, était pro- Soviétique ! Très fort ! Ce… je ne sais qui en France, a réussi à tromper la Stasi, et les Russes ! En fait, c’est un espion des américains ?

- Bingo ! Vous remportez, le gros lot ! La boucle est bouclée ! Résultat ? Faite un effort encore, Lieutenant !

- Ce sont ces couillons de français qui battent les océans, pour accomplir le travail des américains qui ces derniers, éprouvent des difficultés à régler le problème. Quelque chose me tracasse, toutefois.

- Je sais ! Ils vous ont fourni le matériel, en l’occurrence, ce navire pourri, pour entreprendre ce périple, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ne pas l’avoir armé d’un personnel… purement américain, pour accomplir cette mission ? Vous brulez, Lieutenant !

- Saleté de P… de bonsoir ! Si nous étions pris…

- Ah ! C’est dans votre religion que l’on dit : « Que la lumière soit, et la lumière fut » ? Si vous étiez pris ? Vos dirigeants auraient eus toutes les peines du monde, pour expliquer ça, devant l’assemblée Onusienne. Percevez-vous l’ampleur, de l’incident diplomatique majeur que cela aurait… provoqué ? Les pays non alignés, en auraient fait un cheval de bataille, mon cher Lieutenant ! Nous caressions cette ferme intention, de vous capturer. Et si possible, vivants. C’est exactement ce qui vous attend, si vous persistez dans cette voie. Et je vais vous donner un renseignement qui va vous offrir matière à réflexions, vous motivant sans doute, à conseiller vos dirigeants, de vous permettre de rebrousser chemin. Trois usines Nord Coréennes, sont en passe de livrer dans l’un des ports chinois, un fret impressionnant qui sera très prochainement enfermé, dans les cales de trois navires. Il y aura du chimique dans les soutes d’un minéralier, de l’armement lourd dans le suivant, des vivres, des médicaments, et des munitions, dans le dernier. Tous trois, vont faire route en direction de l’île de Hainan, en mer de chine. Je le sais, car je fus pressenti pour constituer ce convoi. Mais, voilà ! Mes navires, étaient trop petits. C’est l’un de mes concurrents qui a raflé…, l’appel d’offre. De ce que je sais encore, ils devraient quitter ce port Nord-Coréen, aux alentours du 11 mars. Soit dans un mois, et un jour ! L’acheminement terrestre, de ce stock important, prend du temps ! Et puis les Coréens, ne tiennent pas à attirer l’attention des satellites espions ou pire, des infiltrés du Sud, sur la nature de ces marchandises. Alors ils prennent tout leur temps ! Cet effort de guerre sera conduit de Hainan, à l’extrême limite frontalière, Sino-vietnamienne. Cam Pha ! Retenez ce nom ! C’est au Sud-est, de Hanoï. Un port insignifiant, en bordure du golfe du Tonkin.

- En admettant que vous disiez vrai, c’est surprenant ! Ce ne seront pas des navires Coréens qui accompliront, ces transports ?

- Surtout pas Lieutenant, voyons !  Réfléchissez, un peu. Je me demande déjà, ce que vous allez faire !

- Moi ? Je vais vous faire servir un repas chaud, vous faire reconduire à votre cellule, et par la suite, j’aviserai. Si j’ai tout bien compris, vous venez de nous dire : « Les américains vous entortillent à tout va, retournez chez-vous ou bien, allez donc vous faire massacrer en mer de chine, en sachant que si par malheur vous survivez,  et que vous soyez pris, la France serait amenée où elle ne songeait surtout pas se rendre, autrement dit, dans une seconde guerre au Viêt-Nam » ? Je vais prendre ça, pour argent comptant. J’ai à ce sujet, un vague souvenir. Il me semble bien que les Ricains, avaient demandés au Général De Gaulle, de leur vendre la Légion Etrangère, afin de l’engager dans ce conflit de merde. Bien sûr, le grand Charles, a répondu laconiquement… « Non » ! Ah oui ! Au passage, vous éliminez un concurrent, aussi. Vous êtes plein de ressources, mon ami ! Dire que le représentant de la C.I.A, vous prenait, pour un vulgaire pirate. Enfin ! Du moins, c’est ce qu’il m’a dit. J’en connais un qui lorsqu’il lira mon rapport, s’il ne bouffe pas sa casquette, moi, je veux bien me faire moine !

- Quand je pense, que tout ça, c’est moi qui l’ait inspiré, à cause du fait que j’ai… « arraisonné », quelques navires marchands, pour arrondir les fins de mois, dit Habib, pensif. Les temps sont durs, par ici ! Votre gouvernement en a eu plus qu’assez, et les américains, ont sauté sur l’occasion ! Allez savoir, Lieutenant ? Encore un peu d’hésitations, de la part de vos patrons ? Les américains, m’auraient certainement payés très cher, pour que je continue ! Ils n’en sont pas, à une incohérence près !

- Encore une petite chose ! Vous n’ignoriez rien de la présence, d’un petit submersible, embarqué à bord de notre navire. Pourquoi, avoir persistés ? Pensiez-vous que nous hésiterions, à nous en servir ?

- J’ai su que vous aviez un sous-marin, lorsque sa première torpille, frappa mon navire. D’ailleurs, je ne savais pas ! Je crus que l’un de vos sous-marins tactiques, vous avait rejoint.

- Les Cubains, ne vous informèrent pas ? Ahurissant !

- Hélas, le Commandant Johan Ségala, était le pire con que cette terre, ait à nourrir en son sein. Je ne suis guère étonné qu’il étouffa ce renseignement qui croyez le bien, m’aurait fait donner l’ordre, de très vite mettre une grande distance entre vous, et nous. Croyez-vous que j’aurais mis en péril, mon cher Khartoum, et son équipage ?  Cet abruti de Cubain avait reçu des ordres, ne lui permettant pas, de reculer. C’est ainsi que ça se passe, en ce monde. Vous me devez un navire, Lieutenant ! Espérons que je tombe encore une fois, sur un équipage, très compréhensif ?

- Venons-en à ma conclusion, liée à ce que j’ai entendu voici peu de temps, et à ce que je viens d’entendre, maintenant. Non ! Ségala, n’était pas, le roi des cons. Sur un point de vue d’ensemble, les Soviets, ont effectivement rendus service aux Chinois. Dites-moi Thiry ? Qui maintenant, oserait affirmer le contraire ? Les pauvres Chinois, leurs sont redevables. Seulement, les Soviets les illusionnent en beauté. Nous pourrions même affirmer que c’est une sorte de viol collectif, de quelques cinq cent millions de  chinois. Résultat ? Il ne reste seulement qu’une poignée de survivants, de votre cher… Khartoum. Savez-vous pourquoi ?

- Vous allez me le dire, Lieutenant ! dit-il, son teint cuivré, virant au blême.

- Bien sûr ! Parce que leur agent à bord de notre navire, n’informa jamais Ségala, de la présence de ce submersible, mon cher Thiry ! Je ne sais trop pour quelle raison, mais le Kremlin, veut que cette opération conduite par nos soins, aille le plus loin possible. Ce qui prouve également, que les Soviétiques, n’étaient pas aussi dupes qu’ils le paraissaient, lorsqu’ils se virent informés par la bande, de l’imminence de cette opération, diligentée par les français. Oh non, qu’ils n’étaient pas dupes ! A leur tour, ils ont sauté à pieds joins, sur une occasion qui ne se représentera peut-être pas, de sitôt.

- Vous délirez ?

- Répond me demanda André, subitement très intéressé par cette analyse de la situation.    

Je me levais, sans ne rien répondre, ce qui mit fin à notre entretien privé. Mes hommes, raccompagnèrent le prisonnier enchaîné vers son logement. Il s’était laissé menotter, avec un sourire victorieux aux lèvres, mais je savais qu’à présent, il avait de quoi méditer. Je l’attendais au tournant, celui-là… Oh non ! Nous n’en resterions pas là, tous les deux…

- Sincèrement, Max ! Tu vas avaler ses sornettes ? dit André, alors que nous le regardions partir. Et c’est quoi cette idée que les Russes, arnaquent les Chinois ?

- Tu n’as pas cru un traitre mot, de ce qu’il a dit, n’est-ce pas ? éludais-je, sa question sur les Russes.  

- Je préfèrerai croire au gargouillis d’un chiotte, car pour le moins, si je ne puis traduire, cela ne m’empêcherait pas, de faire mon petit caca matinal ! Tu vois, ce genre d’aveux spontanés ? Il me constipe moi !

- Je ne sais pas ! dis-je à voix basse, l’esprit absorbé par d’innombrables questions, issues de ce que je venais d’entendre. J’ai deux rapports à faire, avant d’essayer de dormir un peu. Je t’avoue que je suis vidé, de toutes substances. En plus, je ne sais plus depuis combien de temps, je n’ai plus rien avalé.

- Reposes-toi, pour ce qui reste de la nuit ! Ce matin au réveil, tu auras les idées plus claires. Tu as dit quelque chose, de très sensé ! Il élimine, un concurrent ! Pour le reste, mon pote ? C’est de la merde, en bâton.

Je n’écoutais plus mon ami qui haussant les épaules, prit le parti d’aller se reposer. Je me retrouvais seul, avec le Caporal Jensen, à qui d’un geste imperceptible, j’avais fait signe de m’attendre.

- Vous allez rattraper, vos camarades. Je veux qu’Habib Thiry, soit séparé des autres. Trouvez-lui un nouveau logement, au même étage. Autre chose ! Cette consigne devra être transmise, à chaque relève de la garde. Personne, je dis bien… personne, ne doit  l’approcher ! Je ne voulais pas donner cet ordre, devant mon ami. Vous comprenez ?

- J’ai très bien compris, Lieutenant, répondit le Caporal. Je fais le nécessaire de suite ! Mais… Puis-je vous demander, à quoi rime votre décision ?

- Pourquoi pas ? J’ai besoin de vous, sur ce coup-là. Alors écoutez bien ! Je lui parlais à l’oreille, car dans cette cale, le son de la voix, portait loin.  Lorsque j’en eu fini, il me regarda, les yeux écarquillés de stupeur.

- Réagissez, Jensen ! dû-je le secouer.

- Euh ! Oui Lieutenant ! A vos ordres, Lieutenant !

- Je l’entends ainsi, Jensen. Vous ne comprenez pas, n’est-ce pas ?

- Je dois dire que c’est surprenant, Lieutenant ! Mais vous devez avoir vos raisons ! Vous savez ? Les hommes vous admirent, et je suis de ceux-là ! Nous sommes tous derrière vous, Lieutenant !

- Merci Jensen ! Merci de tout cœur !

Il m’adressa un sourire complice, avant de s’en aller faire exécuter mes ordres. Je pouvais dormir sur mes deux oreilles ! Un coup d’œil sur le cadran de ma montre, m’apprit qu’il était quatre heures du matin !

«  Sacré nom d’un chien ! Je n’ai pas vu le temps passer. Je crois que je vais écouter le conseil d’André, et dormir trois bonnes heures ».

Je rejoignis ma cabine d’un pas las. J’avais enfin, un gros sac de réponses à toutes les questions que je n’avais jamais cessé de me poser, durant ces longs mois. Mon premier rapport concernant Thiry, allait répandre une indispensable clarté sur ce personnage atypique. Quant au second, je subodorais d’ores et déjà, l’effet fluide glacial qu’il allait provoquer. J’entrais, et refermais aussitôt la porte derrière moi,  poussant un soupir d’aise, de me retrouver enfin dans mes pénates. Je donnais de la lumière, et… je demeurais interdit, le doigt sur l’interrupteur. Jackkie, était assise dans le fauteuil fixé à droite de mon petit bureau, pratiquement sous le hublot. Elle dormait tête appuyée contre le dossier, enveloppée dans la couverture légère de la couchette. Cette position inconfortable, la faisait en chercher une meilleure, en vain. Alors, elle émit un soupir, s’accompagnant de petites plaintes qui me prêtèrent à sourire tendrement. La jeune femme ouvrit les yeux, puis les releva lentement vers moi, encore toute embrumée de sommeil. Reprenant lentement conscience, elle réalisa ma présence, se levant précipitamment, serrant plus encore contre son corps, la mince couverture.

- Oh ! Je me suis endormie, j’étais vannée, plaidât-elle, comme si c’était là, une faute impardonnable.

Mon sourire la rasséréna. Elle reprit place dans le fauteuil, m’observant en silence. J’ôtais le ceinturon où étaient accrochés mon arme de service, et le talkie-walkie, déposant le tout sur le plateau du bureau, sans oser dire mot. En fait, je ne savais quelle contenance prendre.

- Tout s’est bien passé, Max ?

Cette question, venait à point. J’émis un petit soupir de lassitude, posant à plat, mes deux mains sur le plateau de la table. Mon regard s’égara au-delà du hublot, dans cette nuit profonde qui s’éternisait.

- Ma foi, oui ! répondis-je à ma compagne, de ces instants de certitudes précaires. Mais personnellement, je me vois confronté, à un terrible dilemme. A de multiples dilemmes, je devrais dire !

Je tournais la tête dans sa direction. La jeune femme, yeux plissés, visage hermétiquement fermé, prospectait explicitement dans les profondeurs de son être, avec pour but, d’aller y puiser la réponse la plus appropriée. Elle me convainquit que j’avais  nettement évalué la nature de son silence, lorsqu’elle se décida enfin, à le rompre.

- Vous avez mis le doigt, dans un mécanisme pervers qui n’a pour seul objectif, celui de s’emparer radicalement, des corps, et des âmes. Je n’aie nul besoin de tendre l’oreille, pour entendre le vacarme que produit cette machine infernale, ne rencontrant jamais, la plus infime des pannes. Elle tourne pourtant à plein régime, depuis le début des temps, Max. Et croyez-le bien, elle a encore de beaux jours, devant elle. J’en arrive à désespérer, pour cette pauvre humanité, désignée… pensante. Elle émit un long soupir, démontrant toute son impuissance. 

- Je crois que je n’ai plus tellement de choix, Jackkie, répondis-je, riant amèrement. Voyez-vous une issue ? Venez ! Soyons fous ! Plongeons ensemble dans cette eau noire, et scintillante du reflet de la lune, ainsi que de ces millions d’étoiles mystérieuses qui brillent dans ce ciel, et nageons, jusqu’à la côte la plus proche.  

- C’est une idée, à débattre. Mourir d’épuisement ou bien, mourir de tout autre chose, j’ai conscience qu’il se pourrait bien que nous-nous rendions d’ici peu, et avec un téméraire empressement, au-devant de la mort. Dix- huit mois se sont écoulés, durant lesquels, j’ai fait l’apprentissage de la peur. Ce n’est pas, un apprentissage que l’on accomplit, pas à pas ! C’est assez brutal ! On regrette même très vite, nos petites frayeurs d’antan. Mais là… je ne sais comment le dire ! Je n’aie pas pour habitude, d’employer ces mots.

- Les mots ne disent pas tout, Jackkie ! Ne pas savoir les dires, cela n’avilit pas pour autant les actes qui eux, sont primordiaux ! Essayez, d’exprimer ce que vous ressentez. Vous êtes en bonne voie.

- Eh bien… Avant, je pensais que madame la mort, n’était qu’une abstraction. A ce regard,  j’avais très naturellement admise la certitude qu’elle ne possédait, aucune forme palpable ou encore bien moins, impressionnante, puisqu’invisible n’est-ce pas ? Généralement, lorsqu’elle pose son regard sur nous, avec l’appétence que nous lui connaissons, la terreur ressentie, doit être brève. Oui ! C’était là, ma façon de penser. Et puis, lorsque je me suis approchée un peu trop près, de ses champs de culture, assistant en spectatrice horrifiée, à la grande moisson, et je me dois de le souligner, sans que cette prétendue noumène, n’ait à respecter une saison favorisante,  j’ai vu son visage hideux, et ses courbes voluptueuses, damasquinées dans les yeux des morts. Je due revoir cette certitude, quant à son inconsistance…, physique. Nos yeux, ne voient que ce qu’ils sont persuadés, de voir. Ceci, vient contrarier ce que je vous ai dit, concernant les fantômes, ajoutât-elle, avec un sourire triste. La mort, n’est pas un fantôme ! Son existence est irréfutable, hélas.

 

- Bah ! Je n’avais plus souvenance que nous-nous soyons entretenus, sur ce sujet. J’ai un album de photos de famille, chez-moi. De temps à autre, je l’ouvrais, me replongeant dans de vieux souvenirs. Au début, c’est émouvant, car nous revoyons des tranches de vies, de ceux qui eurent une existence, et hélas qui nous ont quittés Ils aimèrent, ils œuvrèrent, pour le bien être des leurs, le plus souvent en trimant très dur. Et ordinairement aussi, ils se déchirèrent, se haïrent, avec autant de force que celle, investie à la volonté de construire. Il y a du rire, de la gravité, des instants inoubliables, mais aussi, ceux que l’on s’efforce à oublier. Et puis soudainement, nous vient une boule dans l’estomac. Tout s’est éteint ! Il ne reste qu’un vague reflet, dans ces yeux qui vous regardent, sans vous voir. Je me demande, ce que nous devenons, Jackkie.

- Nous sommes éphémères ! Qu’est-ce qui nous meut alors ?

- Qu’est-ce qui nous propulse, en avant ? Qu’est-ce qui nous fait accomplir, chacun de nos actes ? Eh bien, c’est l’amour, Jackkie.

- L’amour ? Je voudrais vous suivre, sur ce chemin escarpé, Max. Il y a de l’amour, en ce que nous venons de voir aujourd’hui ? Des corps mutilés qui flottaient sans vie, à la surface d’une mer en flammes ? Des cris de douleurs, causées par d’affreuses brulures, ou bien, déchiquetés par les explosions ? Ce serait là, l’une des conséquences, dérivant d’un sentiment d’amour ?

- Je comprends, votre scepticisme. Mais il en faut, pour en arriver à un tel sacrifice. Nous ne voulons voir que ce qui nous parait évident, avez-vous dit en conclusion ? Il serait bon de dire aussi que nous ne voulons comprendre que ce que nous approuvons, car ce que nous désapprouvons, il nous est intolérable de l’admettre. Voire seulement, d’avoir la force ou le courage de l’aborder. Nous disons, « je comprends » ! Mais pour autant, nous n’adhèrerons jamais, à une opinion qui s’écarte de nos valeurs, subordonnées par l’éducation que nous avons reçue, par les principes que l’on nous inculqua. Vous avez dit des mots justes, il y a peu de temps, sur les torts, et les raisons de chacun. « Les autres en face, pensent de même ».

- Vous doutez, Max ?

- Je ne doute pas, d’une chose. Nous avons tous, un cerveau qui nous permet de réfléchir. Quoi de plus normal que de l’utiliser ? Cela, peut nous mettre en porte à faux, avec nos convictions. Je dois fermer dans mon esprit, ces parenthèses qui s’ouvrent, sur des allégories qui me posent problèmes. Mais s’il n’en était pas ainsi, je m’inquièterais de mon mental.

- Je croyais que dans l’armée, on vous lavait le cerveau, dit-elle en riant.

- Bah ! Beaucoup, s’y emploient. Mais j’ai les os du crâne, aussi durs que ceux, d’un âne Corse. Il faudrait y aller au karcher à haute pression, et ce n’est pas dit que pour autant, la structure s’avèrerait perméable. Nul au monde, n’altèrera jamais, mon libre arbitre, avec pour prétention, celle de le contrôler.

- C’est bien ce que je disais, Max. Vous êtes un spécial bonhomme. Il est temps, Max ! dit-elle, se levant lentement, d’entre les bras du fauteuil. Vous devez vous reposer maintenant. Je vais m’en retourner dans ma cabine, et essayer de faire de même. Je vous avoue que ce ne sera pas facile. Plus… après… Après, ce que nous venons de vivre.

- Ne partez pas ! dis-je, prenant sa main.

- Ce… ce ne serait pas…

- Ce ne serait pas bien ?

- Mais non ! Ce n’est pas, ce que je voulais dire, se reprit-elle, ne sachant plus quelle contenance prendre. Je ne sais pas, ce que je veux dire d’ailleurs.

Elle se laissa tomber dans le fauteuil, baissant les yeux, se triturant les doigts, visiblement très émue. Je pris appuie contre le rebord du plateau du bureau, attendant qu’elle finisse de s’exprimer.

- Comment dire ? Elle leva ses yeux vers moi. Mon boy friend, vous savez ? Celui dont je vous ai parlé ?

- Celui avec qui votre famille, rêvait de vous unir ?

- Oui ! Celui-là même ! Il n’y en eu, jamais d’autres ! Eh bien…, je n’aie jamais pu… Vous comprenez ?

- Parfaitement, répondis-je, bien qu’assez gêné par cette confidence. 

-  Il devenait pressant, mais je n’aie jamais cédée. Par bonheur, j’ai trouvé ce job, et je me suis enfuie.

- Vous ne l’aimiez pas !

- Non, je ne l’aimais pas ! Comprenez-vous bien, ce que je veux dire ?

- Que vous n’êtes pas de celles qui se donnent, sans amour ?

- Non ! Euh ? Oui bien sûr ! Mais ce n’était pas, ce que je voulais dire. Vous avez bien compris je veux l’espérer que jamais, je n’aie dormie auprès d’un homme ? Oh mon Dieu ! Je viens de proférer un horrible mensonge, car nous avons dormis ensemble, pas plus tard que la nuit dernière, rectifiât-elle, avec un rire gêné.

Elle m’arracha un sourire, empreint de compassion.

- Ce sont là des confidences que l’on fait à un frère ou bien, à un ami de longue date. Je suis extrêmement touché que vous me les fassiez.

Ses yeux, épousèrent les miens. J’y lus, de l’étonnement. Quant à son petit sourire en coin, il me fit comprendre que j’étais, out of sens !

- Je peux vous dire que pour moi, vous êtes bien plus qu’un frère ou qu’un ami, de longue date.

- Je le sais ! Mais je sais aussi…

- Ne me reparlez pas encore, de votre fantôme, Max ! J’éprouve beaucoup plus encore, l’appréhension des vivants. Que ressentez-vous, là, maintenant, Max ? Ne réfléchissez pas, et répondez sur l’instant.

- Que vous allez vous perdre, Jackkie. Mais j’entreprendrai tout ce qui est de mon possible, pour vous sauver.

- Voilà pourquoi, je vous aime, Max, s’exclamât-elle,  assez brutalement. Elle venait de faire un effort surhumain, pour ne pas perdre courage. Vous pensez toujours aux autres, avant vous-même, poursuivit-elle, dans sa lancée. C’est ce qui fait de vous quelqu’un, d’exceptionnel. Je le sus immédiatement, en vous voyant.

- Que vous m’aimiez ?

- Oui ! répondit-elle, sans aucune hésitation. Cela vous surprend ? Vous ne croyez pas au… coup de foudre ? Je l’ai ressentie, de façon… Oh mon Dieu ! Ce fut… fulgurant.

- Ce serait aller, à l’encontre de mes croyances. Je suis de ceux qui s’accordent pour admettre, et soutenir exclusivement la théorie que seule la nature, est dotée du pouvoir de création de toutes choses, sur la surface de cette planète. Alors pourquoi ne pas souscrire à l’idée qu’une énergie puissante, permet à certains êtres, de communiquer par la pensée ? J’adhère !

- Il est bon que vous pensiez ainsi. J’avais peur de paraître stupide, dit-elle, baissant les yeux sur ses genoux. 

- Nul être sensé, ne repoussera d’un revers de main méprisant, ce qu’il juge inexplicable !

- Sinon, on meurt ignorant ?

- On meurt ignorant ! Voyez-vous Jackkie ? Nous appartenons tous deux, à une fratrie d’explorateurs inlassables, plaçant tous leurs efforts, et leurs moyens, à la découverte, de la véritable nature des choses. Cela nous est autant essentiel que l’air que nous respirons. J’ai encore beaucoup appris, cette nuit !

- Alors, nous pouvons aller nous adonner, à un repos bien mérité. Mon cœur, est beaucoup plus léger, maintenant que j’ai… osée le libérer. Il l’est d’autant plus que vous-vous soyez démontré, réceptif. Vous venez de me dire que je risquais de me perdre ? Nous ne risquons pas, de nous perdre de vue, ici !

- N’allez pas croire ! Je ne connais pas encore très bien, l’ensemble de ce navire. Si vous ne me voyez plus, de quelques heures, donnez l’alerte ?

Le seul parti à prendre, n’était autre que celui d’en rire. S’en priver aurait été un péché !  Je l’accompagnais en silence vers sa cabine. Nous marchions très lentement, pour ne pas gaspiller le temps qui s’offrait à nous, bras dessus, bras dessous. Arrivés devant sa porte, ma compagne me fit face. Ses yeux attristés, par l’imminence d’une séparation,  se noyèrent dans les miens, un instant interminable.  Elle ferma les paupières, me tendant ses lèvres. Ce baisé, n’avait aucune commune mesure, avec celui que nous avions échangé quelques heures auparavant, pratiquement au même endroit. Elle n’y mit plus, cette sorte de rage qui l’avait faite s’emporter, au point de désirer me choquer. Mais elle y mit tout son cœur qui battait à se rompre, d’amour. Quelque chose me murmura qu’une autre page de ma vie, venait de s’ouvrir. Qu’allais-je écrire ? Mais ce roman-là se rédige à deux, pour chacun des chapitres de l’histoire, jusqu’au mot fin. Aurons-nous seulement le temps, d’en écrire long ?

J’avais la migraine, lorsque je refermais la porte de ma cabine. Ma couchette me tendait les bras. Je ne lui opposais, aucune résistance. Je n’eus pas le temps, de me tourmenter plus encore. Enfin ! Morphée, m’emporta entre ses bras.

 

09 : 30.

 

« Sacré nom d’un chien ! Mais quelle heure, peut-il bien être » ?

Le jour, filtrait au travers du hublot. Lorsque je lus l’heure, sur le cadran de ma montre, je me levais d’un bond !

« Vite une douche, rasage de frais, un café, un uniforme propre, et… au boulot » !

En deux heures, j’abattis un travail phénoménal de rédactions. Ma petite machine à écrire, crépitait telle une mitrailleuse. Lorsque j’en extrayais les dernières feuilles, j’émis un ouf de soulagement. Je me mis alors à penser à ce pauvre Declercq qui se farcissait, tout le travail de gestion du personnel, tout seul. Mais comment, faire autrement ? Je tenais entre mes mains, une véritable bombe ! Tellement que l’idée m’effleura l’esprit, de changer de job, et de postuler comme journaliste dans l’avenir. Cet article-là ? Il aurait fait sensation, au sein d’une rédaction !

 

 

 

12 : 41.

 

Le Commandant LANGE, le Colonel Mahersen, accompagnés de Julian Stinneng, déjeunaient à leur table du mess officiers. Il y avait foule, ce jour-là ! Le Commandant leva les yeux vers moi, m’adressant un signe de la main, désignant une chaise inoccupée.

- Bonjour Max. Avez-vous bien récupéré ?

- Peu de temps, mais bien, Commandant !

- Alors, à la bonne heure !

J’eus droit aux saluts de Julian, et de Mahersen, ainsi qu’à quelques quolibets, sur mes traits tirés. Des banalités, quoi ! J’avais posé mes deux dossiers cartonnés sur mes genoux, les ignorants royalement. Chaque chose en son temps, pensais-je. D’où j’étais placé, je pouvais voir l’ensemble de la salle. Jackkie, et sa petite assemblée d’amis, devaient avoir fait grasse matinée. Je me pris à sourire à cette pensée, ce qui me valut la curiosité du Commandant.

- Vous n’êtes pas encore, bien avec nous, Lieutenant. Qui cherchez-vous ? Il avait un sourire, dont j’aurais dû me méfier.

- J’effectuais un tour d’horizon, Commandant.

- C’est ça ! En posant un regard insistant, sur la table du fond à droite. Charmante jeune femme, n’est-ce pas Lieutenant ?

- Charmante, et très intéressante, Commandant ! Très cultivée aussi.

- Une femme, de bonne compagnie ! soulignât-il en ricanant sournoisement.

- A bord d’un si petit bâtiment, Max, rien n’échappe à personne, dit Julian Stinneng, affichant un sourire qui en disait long sur sa pensée.

- Les parois ont des oreilles, vint ajouter Mahersen, posant sur moi, un regard scrutateur qui n’avait rien de sévère.

- C’est bon, je vous ai compris ! dis-je, très embarrassé. Miss Wood, s’est démontré une précieuse auxiliaire. Elle m’a beaucoup aidée.

Ils souriaient ! Bon ! J’avais raté l’examen !

- Dites-moi Julian ! Le Capitaine… Comment se nomme-t-il déjà ?

- Damez-Sanchez, Max !

- Oui, c’est bien ça ! Vous a-t-il apprit quelque chose d’intéressant ?

- J’allais en arriver à vous poser la même question, pour ce qui est, de ce maudit pirate que j’aimerais bien entendre, à mon tour. Mais ce matin, en me rendant aux geôles, je me suis vu opposé un interdit formel, de la part de vos hommes. Je présume que vous allez vous justifier, d’avoir donné un tel ordre ?

- Oui, en effet Julian ! Et, je puis vous dire que celui que vous nommez, « maudit pirate », est loin d’être, ce qu’il parait être… Vous devez bien le savoir, Julian !  

- Je ne vois pas trop, où vous désirez en venir, de si bonne heure, rétorquât-il, se raidissant sur sa chaise.    

- Peut-être vous faut-il, une bonne paire de lunettes, Julian ?

- Se passerait-il quelque chose que j’ignore, Max ? s’assombrit le Commandant, alors que Mahersen, faillit avaler de travers, le vin qu’il dégustait.

- Je n’avais pas l’intention, de vous couper l’appétit Messieurs, dis-je. Voici mes rapports, Commandant ! Le dossier bleu, renferme un résumé circonspect, de l’interrogatoire de Schtröbe. Quant second ? Je vous  laisse l’apprécier ! Ce sont les… surprenantes révélations, de ce que l’on voudrait bien nous faire avaler, n’être qu’un vulgaire pirate. N’est-ce pas, Julian ?

Je le vis plisser ses yeux noirs, gardant prudemment les lèvres serrées. Il fulminait de l’intérieur !  

Je remis au Commandant, les deux dossiers cartonnés, qu’il s’empressa de lire. Lorsqu’il referma ces derniers, à ma grande surprise, il les tendit à Julian Stinneng  qui à son tour, en prit connaissance.

- Je crois qu’une bonne explication s’impose, Colonel Stinneng ? dit le Commandant.

- Sur les dires, d’un armateur Pakistanais, convaincu de meurtres, d’actes de piraterie, et d’alliance avec notre pire adversaire ? Vous n’êtes pas naïf à ce point-là, Commandant ?

- Naïf non ! Max, je m’en suis rendu compte, a beaucoup de jugeote. Jusque-là, il a démontré  ne jamais s’écarter  du bon sens. Il a mis le doigt à temps, sur la certitude que l’adversaire nous réservait une surprise, lorsque nous croiserions dans les parages de Ceylan ! C’est exactement, ce qui  faillit de peu, se produire ! Ce jeune homme est un cœur pur, Julian ! Il est de ce fait, redoutable ! Vous, moi, Mahersen ici présent, nous avons acquis des quantités de vices. Lui pas ! Ce qui lui permet de voir les choses, sous leurs véritables dimensions. Il ne les agencera pas, en falsifient les plans, pour de basses raisons politiques ou d’intérêts personnels, voyez-vous ? Son seul souci qu’il prend à cœur, n’est autre que d’épargner les vies, de ses camarades, nous incluant dans la masse.

- Moi je n’en doute pas, Commandant ! répondit Mahersen, à qui Julian  avait remis mes rapports, bien obligé de se soumettre à cette pénible démarche.

- La question maintenant, est de savoir, ce que nous allons faire ! Vous, et nous, Julian !  

- Je crois que cela, rentre dans le sens, Commandant !

LANGE fixa sur l’agent de la C.I.A, un regard glacial. Il serra les dents, se contentant de se lever de table. Puis il tendit la main en direction de Mahersen qui lui remit les rapports, en silence.

- Vous pouvez continuer sans moi, dit-il. Je me ferais servir en cabine ! J’ai besoin, de réfléchir à tout ça. Vous feriez bien d’en faire de même, Colonel Stinneng. Pour l’instant, je maintiens le cap, et la vitesse. Mais si je n’ai pas une explication… écrite, Colonel, je me sentirais alors libre, de prendre les décisions que je jugerais bonnes.

- Je dois consulter, répondit hâtivement Julian, dont le visage tournait au cramoisie.

- C’est évident ! répondit le Commandant. Je vais devoir consulter, également.

- Que… que voulez-vous ?

- Vous le savez pertinemment, Julian ! Cela coule de source ! Le nom de ce… fonctionnaire ou que sais-je qui vous permit, de mettre en œuvre ce subterfuge. Et ce n’est pas fini. Je veux aussi que les primes se voient doublées, pour chacun des hommes de Mahersen. Et bien évidemment que le Ministre de la Défense américaine, adresse à notre Premier Ministre, une lettre d’excuse, bien plate ! Ceci, afin de préserver le pacte Lafayette ! Mais attendez-vous à ce que tout cela, fasse des vagues. Soulignez bien l’évidence que je ne vais pas garder ce rapport sous mon coude, en cette attente. C’est à votre Gouvernement, de s’expliquer maintenant ! Je pense qu’il n’est pas dépourvu, de bons arguments ? Tant que je ne reçois pas, un ordre formel de ma hiérarchie, je poursuis ma mission qui consiste à traquer,  arraisonner, et couler les pirates qui portent préjudices à l’industrie, et au commerce maritime. Je n’irai pas plus loin !

- Et… Si mon gouvernement accepte ?

- Il a plutôt intérêt d’accepter, Colonel ! Usez de toutes votre force de persuasion, ainsi que de vos capacités qui je n’en doute pas, sont nombreuses, pour qu’il en soit ainsi. Max, avez-vous conservé un exemplaire de ces rapports ?

- Oui, Commandant !

-Vous le remettrez, au Colonel Stinneng.  

- Reçu Commandant !

- La presse me paierait une retraite dorée, pour l’avoir, ce rapport, en déduisit très justement le Commandant. Ce n’est pas négociable, Stinneng! Et n’oubliez pas de bien mentionner sur votre rapport, le jeu subtil, auquel se livrent nos amis Soviets. Ceux-là ! Ils ont décidé de foutre la pagaille, mon cher Colonel. En bien considérant les évènements, ils ne sont pas les seuls.

Sur ces mots, le Commandant se retira. Mahersen mal à l’aise, se leva à son tour.

- Puis-je aller annoncer, la bonne nouvelle à mes hommes, Julian, dit-il d’un ton narquois. 

- Eh bien ! Faites donc, Colonel ! Il va y avoir des gens heureux, à bord !

- En effet, Julian ! Ne soyez pas désappointé, voyons ! Vous-vous en tirez bien ! Entrainer la France, dans une guerre d’usure ? Le Viêt-Nam rendrait-il fou ? J’en ai bien peur !  

Mahersen passa derrière moi, posant une main amicale sur mon épaule.

- Bravo, mon petit ! Si un jour vous décidez de quitter l’armée, je serais le plus heureux, de vous offrir du boulot. Vous avez visité ma propriété, de fond en comble. Songez-y !

- Je vais y songer, mon Colonel ! Je vais y songer ! Eh bien ! Moi j’ai faim, dis-je, alors que l’officier supérieur des fusiliers, s’éloignait. Vous donnez vraiment l’impression, de beaucoup m’en vouloir, Julian.

- Que non ! J’ai trop d’années d’expériences dans ce job, pour m’offusquer à ce point, d’une demi-défaite.

Le serveur, surpris que nous ne soyons plus que deux, déposa les assiettes de hors-œuvres, détalant à toute vitesse. Craignait-il l’orage ?

- Demi-défaite ? Il est vrai que les exigences du Commandant, sont assez surprenantes. Mais enfin ! Nous poursuivons une logique ! Tout est bien plus clair, maintenant. Je ne me faisais guère d’illusions, savez-vous?

- C’est mieux ainsi, Max ! Vous ne connaîtrez pas, le goût amer de la déception. Il n’est rien, de plus démoralisant au monde que de se voir déçu, par les siens. Venant des autres, c’est déjà frustrant ! Mais des siens, c’est pire ! Vous attendiez-vous, à ce que le Commandant, et Mahersen, abandonnent la mission ?

- Hum, répondis-je la bouche pleine, n’ayant pas attendu, pour entamer les hors d’œuvres. Pas, le moins du monde ! Excusez-moi Julian, mais j’ai vraiment faim, là ! Cela fait je ne sais plus combien d’heures que je n’ai pratiquement, rien avalé de chaud. Vous l’avez entendu aussi bien que moi, non ?

- Ne vous privez pas ! Donc, vous n’attendiez pas grand-chose, de ce… fabuleux travail que vous avez accompli ? C’est vraiment, navrant !

- Pourquoi navrant, Julian ? Vous avez servi dans l’armée, n’est-ce pas ? Marines ?

- Oui ! Troupes aéroportées ! La célèbre 101éme. J’ai fait la campagne de Corée, et deux périodes au Viêt-Nam.  

- Alors vous savez, Julian ! Nous autres militaires, nous accomplissons notre devoir, pour notre patrie ! En politique, ce qui fut adulé hier, se voit maudit demain. Heureusement que nous ne tenons pas compte, de cette disparité des valeurs. Sinon ? Nous retournerions dans le civil, et nous ferions tout ce qui est en notre possible, pour vivre comme des ermites, nous écartant de cette fange nauséabonde.

- Un cœur pur, redoutable !

- Je ne trahis pas, mes convictions !

- Demandez votre affectation, pour une unité de combat, Lieutenant ! Vous n’êtes pas fait, pour le renseignement. Lorsque Napoléon 1er ordonna l’ouverture du bagne de Cayenne, son Ministre de la police, lui demanda : « Par qui allons-nous faire garder ces crapules » ? Napoléon, homme pragmatique au possible, répondit : « Par plus crapules qu’eux » ! Vous n’êtes pas prêt, intellectuellement parlant, à vous démontrer, plus crapule encore que nos adversaires, Max ! Je viens de vous dire que j’étais en Corée, et que j’ai également effectué deux périodes au Viêt-Nam ! J’ai vu, de quoi étaient capables les Communistes !

- Je ne dis pas, Julian ! Mais l’homme est capable du meilleur, comme du pire ! Peu importe l’idéologie qu’il sert !  Tenez ! Un exemple ! Karl Marx, était un grand idéaliste utopiste, un peu satanique sur les bords. S’il fit du mal, ce fut avec une plume. Staline quant à lui, était un bourreau ! Ce n’est pas l’idéologie qui est répréhensible, Julian. C’est ce que les hommes, font de ses grands principes. Hélas, trois fois hélas ! C’est contre cela que je me bats ! Savez-vous au moins, pour quelle raison, vous êtes en guerre au Viêt-Nam ?

- Pour arrêter l’expansionnisme communiste, en cette région du monde, Max ! s’emporta-t-il presque. Je le sentais sortir de ses gonds !

- Absolument pas, mon Colonel ! Vous auriez dû freiner les ambitions démesurées, du Gouvernement Sud Vietnamien, pendant que vous en aviez la possibilité. Alors que régnait une corruption endémique, voyant les élites s’en mettre plein les poches, le peuple Sud Vietnamien, crevait de multiples privations. Les américains laissaient faire, attendant la réaction du Viêt-Cong. Non ! Je suis loin du compte ! Espérant, cette réaction ! C’était là, cultiver un esprit purement, et simplement, va-t’en guerre. Le Sud, devint alors, un terrain propice, à l’expansionnisme du Nord, Julian. C’est ainsi que vous espériez l’arrêter, et l’endiguer à l’intérieur de ses frontières ? Non ! Vous désiriez l’annihiler !  Résultat ? Vous l’avez voulu ! Je viens de le dire, et je le pense, vous l’avez programmé ce foutoir !

- Et votre guerre à vous, en Indochine ? C’était quoi ?

- Bonne question ! Elle rejoint en tous points, ce que je ne cesse d’essayer vous faire comprendre. Vous allez admettre le trait d’union ! C’était une guerre coloniale ! Un préliminaire à tous ces grands chamboulements. Le monde changeait, les mentalités évoluaient, à l’insu de certains de ses dirigeants. Première morale qui me vient à l’esprit. Ce n’est pas, l’unique volonté des dirigeants qui doit primer, mais celle des peuples ! Nous étions de ceux qui refusèrent de s’adapter, voire d’anticiper sur les évènements, et sur l’avenir. Tout ce que nous fûmes capables de faire, en réponse à des attentes légitimes ? Des guerres ! Au final, ces peuples gagnèrent leurs autodéterminations, par la force des armes. Si nous analysions en profondeur ? Quelle stupidité, bon Dieu ! Qui paya le prix fort, tout autant physiquement  que moralement ? L’armée, et les civils sans grades qui se trouvèrent pris,  au cœur de ces incohérences qui défrayèrent alors, tout entendement. Qui fut le grand vainqueur ? Ben ! Paradoxalement ? Ne riez pas ! Le Communisme ! Fermez le ban !

- Seriez-vous, un pacifiste en uniforme ?

- Non ! Je suis un défenseur de ma nation, Colonel ! m’emportais-je. A ce titre, les affaires des autres, ne me concernent pas ! Qu’ils mènent leurs barques comme bon leur semble, je m’en fiche, tant que cela ne vient pas mettre en péril, mon sol natal ! Or, c’est ce que vous venez vainement, de tenter faire ! Ce… ce subterfuge à la noix, ambitionnait de nous impliquer froidement. Si j’avais le pouvoir de changer les choses ? Ce navire s’approcherait d’une côte, et je vous débarquerais !

- Mais… Vous accomplirez votre devoir, n’est-ce pas ?

- Je considèrerai que mes hommes, méritent ce respect, ainsi que de nombreux marins innocents qui battent la mer, pour gagner honnêtement leur pain quotidien, se voyants mis en péril, par les agissements criminels de ces pirates. Ce qui répond en tous points, à votre question. Maintenant s’il vous plait, laissez-moi bouffer en paix ! 

Je crois, que je ne venais pas, de me faire un ami ! D’ailleurs, il se leva, prenant le parti de rejoindre son nid d’aigle. J’émis un soupir de soulagement, avant de me remplir le ventre. Je me sentais léger, comme une plume !

- Hello Max ! entendis-je, « sa» mélodieuse voix.

- Hello, Jackkie ! Vous êtes seule ? Venez donc vous asseoir, je me sens un peu esseulé.

- Ils sont resté dans leur cabine, m’apprit-elle ! Dan est malade !

- Dan ! J’ai presque oublié, son prénom ! André et Soumaya, ne se sont pas pointés non plus. Cette tempête a éprouvé nos nerfs, et nous a mise tous, à rude épreuve.

- Vous me semblez… plus détendu, aujourd’hui, dit-elle, venant s’asseoir à la place du Commandant.

- Ey ? Tu occupes la table du Commandant, toi, maintenant ?

- Pincez-moi Jackkie, je crois rêver. Deux étoiles, se lèvent. Comment allez-vous ce matin ?

J’eu droit à une belle langue rose, tirée par ma ravissante Soumaya qui se précipita, pour embrasser Jackkie.

- Chouia, chouia, répondit mon ami, en faisant des mimiques très significatives, estimant que la nuit avait été… bien trop courte. Venons-en aux faits ! Tu as remis, ton rapport au Commandant ? Il vint s’asseoir face à moi, où se tenait voici tout juste un instant, ce pauvre Julian Stinneng.

- Houai ! répondis-je laconiquement.

- Qu’en pense-t-il ?

- Nous poursuivons, la mission d’origine ! Celle que nous devons accomplir, André. Pour le reste, cela dépendra des américains.

En quelques mots, je lui relatais ce qui s’était passé. Il en resta bouche bée !

- Ainsi tu l’as fait ! Eh bien, tu es rudement gonflé, tu sais ? Qu’espères-tu, au juste ? Que notre Gouvernement, va réprimander le Ministre de la Défense U.S ? Ils vont inventer de toute pièce, une histoire à dormir debout, prendre un ou deux bouc-émissaires, tout en demandant des excuses. Chose faite ? Ils avanceront, et à juste raison, le coût astronomique de cette opération, financée en grande partie, par les U.S.A. Je te dis, comment ça va se passer ? Ils tenteront de convaincre notre premier Ministre que cette opération étant lancée, il serait préjudiciable sur bien des plans, de l’arrêter en si bon chemin. Que pourraient penser les Russes, et compagnie, s’ils en étaient informés, de notre… reculade ? Que nous rebroussons chemin par faiblesse ? Et vois-tu l’aveugle,  ce n’est pas la bonne époque, pour se démontrer faible, Max ! Quoi qu’ils en pensent chez-nous, maintenant, plus personne ne peut revenir en arrière.

- Hum ! Selon toi, j’aurais dû me taire, écrire un rapport blanc, et nous laisser voguer jusqu’en mer de Chine, dans l’espoir de casser du chinois ?

- De l’industrie, Nord-Coréenne !

- Oui ! Si tu veux ! Pour moi, c’est du pareil au même. Mais il y avait pire, en coulisse. Et tu le sais bien, à présent.  

Ni Soumaya, ni Jackkie, n’osèrent plus parler, essayant de comprendre, ce que nous-nous disions, ainsi que la raison de cette prise de bec.

Nous demeurions silencieux, un bref moment.

- Ce sera exactement, comme je viens de te le dire, que les choses se passeront, revint-il à la charge, assuré que son opinion, figurerait très bientôt dans l’ordre des prédilections. Et tu verras que nous irons, en mer de Chine ! Car vois-tu, pour les décideurs, tout est lié !

- Piraterie, Communisme, trafics d’armes, tout est lié ? Le lien est plutôt mince, non ? Pourquoi pas, le trafic de drogues aussi, hein ?

- Trafic de drogues aussi, Max ! Tu n’as tout simplement pas pioché assez profond, pour découvrir la source d’eau claire, mon pote. Tu te désaltères à moindre effort, avec une eau saumâtre. Arrête de te croire que tu vas sauver le monde, Max ! Ou plutôt, si tu veux vraiment contribuer à le sauver, tu vas devoir oublier certaines de tes valeurs, auxquelles tu t’accroches, comme un morpion, sur une paire de couilles. Oh !  Pardon mesdames, s’excusa-t-il promptement.

- Tu t’es levé de bonne humeur, pour me faire la leçon, Monsieur le professeur des stratégies élaborées ? Tu aurais mieux fait, de prendre ton temps !

- Bah ! Tu m’énerves ! Mais ce qui est fait, est fait ! Eh bien ? Tu viens de gagner, ton galon de Capitaine, Max ! Tâche que ce ne soit pas, à titre posthume ? Bien ! Maintenant mangeons, hein ? Ce sera toujours ça de pris ! Ah oui, au fait ? Que comptes-tu faire de…, « ton » prisonnier ?  

 

 

 

 

 

 

 

 

14 : 00.  

 

La conversation, prit par bonheur, une autre tournure. Mais d’une immense satisfaction, je passais sans transition, dans la contrariété la plus absolue. Quelque part, j’étais persuadé d’avoir eu raison, d’aller jusqu’au bout. Mais d’autre part, après avoir entendu les paroles de mon ami, j’éprouvais des doutes. Avais-je tout évalué ? Déjà, je m’attribuais l’excuse, d’avoir dû courir après le train, avant qu’il ne ralentisse enfin, me permettant de monter.

«  Eux, et leurs secrets ! Bon ! Ils n’avaient pas tort, car nous avions un traitre parmi nous. Mais… Bon Dieu ! Ils savaient tous que nous avions un traitre parmi nous. Alors où est le lézard ? Sacré bon sang, de bonsoir ! Mais qui manipule qui, à la fin » ?

Je me gardais bien, d’entreprendre mon André, sur ce sujet. Mais en le regardant bavarder avec nos compagnes de table, je me disais :

«  Voici venue l’heure que tu craches le morceau. Maintenant, tu ne pourras plus te défiler ».

Avais-je été pressenti malgré moi, pour jouer pour de bon, le rôle de candide ?

« Tout se négocie, en ce bas monde. Quelqu’un, vient de faire monter les enchères, et par sournoiserie, récupérer une position politico-stratégique, d’une importance faramineuse. Et je fus l’agent zélé, l’instrument idéal, pour que cette négociation aboutisse, aux seuls intérêts de ceux qui fomentèrent, cet entregent. Pauvre Stinneng » !

Le repas fini, je me levais de table, prenant Jackkie par la main. Elle me regarda étonnée, mais comprit, sans que je n’aie besoin d’en dire trop.

- Viendriez-vous prendre l’air, nous devons parler ensemble. .

- Vous nous abandonnez, fis semblant d’en être attristée Soumaya. Il fait une journée splendide, en effet ! Maintenant que les soldats en armes, sont beaucoup moins nombreux sur les ponts, il fait bon y flâner. Bonne promenade, les amoureux !

Pendant que ma chère amie, se laissait guider par sa curiosité concernant Jackkie, et moi, je me penchais à l’oreille de mon ami.

- Tu sais toi ? Tu me connais mieux que ta poche, hein ?

- Heureux que tu t’en rendes, enfin compte ! N’avons-nous pas grandis ensemble ? Nous en avons vus, des vertes, et des pas mûres, hein ? Cela renforce nos visions des choses, et des êtres qui nous entourent, aujourd’hui. Oui ! Je te connais, très bien.

- Trop bien ! Depuis combien de temps, as-tu prévu mes réactions ? Je dois avouer que ce fut, un coup de maître es stratégies. Chapeau ! Tu es bien un matheux, toi, hein ?  

Il détourna bien trop vivement, la tête dans ma direction, m’offrant son petit sourire en coin, signe que je venais de marquer un point.

- Ah ! Je vois que tu fais travailler tes neurones, dit-il, toujours à voix basse. Tu vois ? Je suis sur un point, en parfait accord avec ton jugement. Ces américains, sont… comment dire ? Empesés, dans leurs certitudes ? Je crois, qu’ils viennent de mettre leur superbe, en berne, non ? Mais ce sera notre seule victoire, Max ! Que crois-tu ? Que nos services de renseignements, se sucent le pousse, à défaut de tétines ? Tu apprendras, très vite que non ! Et je réitère ! Nous irons en mer de Chine, Max ! dit-il sur un ton doucereux.

- Bien ! D’accord ! Nous irons ! Mais tu me dois quelque chose, maintenant ! Et crois-le bien, toi aussi, tu vas payer ta dette ! Tu t’es servi de moi ? Bravo !

- Ce sera, tout en ta faveur…

- Je m’en fiche, des faveurs ! criai-je, faisant sursauter de frayeur, nos deux compagnes. Je me penchais de nouveau sur son oreille. Tu vas m’aider !

- Par le saint esprit !  Tu n’y penses pas, voyons ? Je sais à quoi tu fais allusion…

- Tu vas m’aider ! levais-je encore le ton. Mon carbone, est un double précieux ! Le double versé au coffre, je dois le remettre à Julian Stinneng. Ordre du Commandant. Mais…

Il tourna le cou, pour croiser mon regard.

- Saleté, de tête de mulet Corse ! Qu’attends-tu de moi ?

- Pour le premier point de mes exigences, ce n’est pas l’endroit idéal, pour te transmettre la consigne. Pour le second point, il consistera à faciliter le départ, de Jackkie, et ses amis !

- Tu plaisantes non ? murmura-t-il de façon à peine audible. Où iraient-ils, et comment ?

- Je t’expliquerai ça, dans une petite heure, où tu sais !

- Ton projet, est insensé, Max !

- Celui de baisoter les américains, il était plus… sensé ? On ne sait plus qui trompe qui, dans ce… Ce jeu de dupes !  

- La réponse du berger, à la bergère, tu connais ? Ils ont commencés ? Nous avons finis !

- Tout ce cinéma que tu viens de me faire, avec la volition d’un donneur de leçons ! Tu as bien changé toi, tu sais ? A tout à l’heure !

- Hum ! Toi, tu ne changeras jamais !

- Vous faites des messes basses, dit Soumaya, dont le regard inquisiteur, foudroya son mari.

- Pas de lézard Soumaya, dis-je, lui caressant l’épaule au passage, afin de l’apaiser. Nous allons prendre l’air.

Je pris de la main de Jackkie, l’entrainant à l’extérieur du mess, assez brusquement il est vrai.

- Que vous arrive-t-il à tous deux, s’enquit-elle, non sans une pointe d’anxiété dans la voix.

- Bof ! C’est un peu comme pour les vieux couples, vous savez ? On rumine nos rancœurs, puis on les matérialise, avec mauvaise humeur. Mais, ce n’est jamais bien grave.

Nous avons marché le long de la travée extérieure, accompagnés d’un silence lourd, nous tenant par la main, sans même nous rendre compte que marins, et fusiliers, nous observaient.

- Cette tension avec votre ami, elle me met mal à l’aise. J’ai le sentiment, d’y être pour beaucoup.

- Voyons Jackkie ! Qu’est-ce qui vous fait penser une telle chose ? Absolument pas ! Problèmes de boulot, tentais-je d’éluder la question.

- Boulot ? Il a peur de vous perdre !

- Ah oui ! Je vois ! A cause de votre arrivée impromptue dans ma vie ?

- Oui ! Je suis un danger pour lui, tout comme l’était Nelly. Il n’a pas l’air d’apprécier votre façon, de voir les choses, je me trompe ?

- Bah ! André est un peu narcissique, sur les bords. Avec moi, il a toujours joué le rôle, du grand-frère protecteur. Nous sommes très différents, vous l’aviez observé ! Mais toutefois, nous sommes complémentaires. J’ajouterai même, indissociables !

- Vous ne me dites pas tout Max, mais je vous vois, très contrarié. J’ai entendue plusieurs fois votre ami, affirmer  que nous-nous rendions, en mer de Chine ? Que se passe-t-il, Max ?

- Je ne peux rien vous dire, Jackkie !

- Pourquoi ? Est-ce secret ?

- Je vais vous aider, à vous enfuir de cet enfer ! Moins vous en saurez, mieux vous-vous porterez ! Vos amis, seront du voyage !

Elle s’arrêta net, fit un brusque demi-tour, regardant à droite, puis à gauche. Ne voyant âme qui vive, elle me poussa dans un renfoncement, faisant prendre appuie ses deux mains contre ma poitrine, bras tendus.

- J’ai bien entendue ? dit-elle, se collant contre mon corps.

- Jackkie ! Nous pourrions être surpris et…

- Je m’en fiche totalement que nous soyons surpris, vociférât-elle, entrelaçant ses doigts qu’elle avait passée derrière ma nuque. Ses yeux, libéraient les flammes de l’enfer. Ecoutez-moi bien Max, reprit-elle, avec une voix tendue comme la corde d’un arc. Ne prenez, aucune résolution pour moi ! Quant à Dan, et Carroll ? Je ne sais pas ! Je leur poserai la question. Je ne suis pas habilitée, pour parler à leur place. Je le suis, pour moi-même. Elle était devenue, rouge de colère.

- Ne m’attribuez pas la volonté, de vouloir vous contraindre…

- Mais bon Dieu ! Allez-vous comprendre oui, m’interrompit-elle, secouant ma nuque vigoureusement, pour me faire entendre raison. Je n’en fais pas une question de suprématie ! Je sais que vous agissez, pour ma sauvegarde ! Mais qui vous dit que je veuille, être sauvée ? Qui vous dit que je ne le suis pas, ici, entre vos bras ? Oh my god ! s’exclamât-elle. Je viens de réaliser le… « Mais seulement ». C’était donc ça ? Vous cherchiez une solution, pour me faire partir ?

- Pouvez-vous seulement imaginer, ce qui nous attend ? Bon ! Vous avez entendu André, parler de notre probable intrusion, en mer de Chine. Ne prenez pas, de décision hâtive que vous pourriez amèrement regretter. Promettez-moi, d’y réfléchir.

Ses bras enserrèrent mes hanches, et elle posa sa joue droite, sur mon cœur.

- Il bat très fort ! dit-elle, ignorant totalement, ce que je venais de lui dire. Je sais pourquoi, il bat si fort votre cœur. Si vous pouviez, entendre le mien ! Je crois qu’il va s’enfuir de sa cage. Ce qui nous met à l’unisson, Max.

- Croyez-vous que ce soit le lieu, et l’instant propice, pour nous déclarer notre flamme ?

- Il ne peut exister meilleur endroit, ni meilleur moment. C’est tout réfléchi, Max. Je ne partirai pas ! affirmât-elle posément.

J’ai posé alors, ma tête contre l’acier froid de la paroi, mes yeux  s’égarant, sur ce vaste océan vide. Je la pris enfin entre mes bras, humant ses cheveux, la serrant de toutes mes forces.

- Notre univers, va s’embraser Jackkie, soufflais-je, cette solennelle mise en garde, à son oreille.

- Je sais ! Je le crois aussi ! Mais tant que je serais blottie ainsi entre vos bras, je n’aurais aucune crainte. Pouvez-vous imaginer, l’enfer que je vivrais, si vous m’éloigniez de force de vous ? Je sais que vous m’aimez, Max !

- C’est bien pour ça que…

- Que tout est dit ! Je reste, réaffirmât-elle, avec vigueur. Ce furent ses yeux qui me confortèrent, de la certitude que sa décision, était sans appel. Ils venaient de recouvrir une infinie tendresse, mais pénétrants, jusqu’aux tréfonds de l’âme.

L’adjudant-chef Paul Declercq, fit irruption sur la travée extérieure. Un marin, à qui il venait de demander s’il nous avait vus, désignait de l’index le petit renfoncement, abritant une porte d’accès, ainsi que des bouées de sauvetage. Il arriva en courant, le visage dégoulinant de sueur.

- Ah ! Lieutenant ! Je vous cherchais partout ! Je dois vous prévenir d’une catastrophe !

- Reprenez votre souffle Paul, lui dis-je, alors que Jackkie s’écarta vivement d’entre mes bras. Que se passe-t-il ?

- Le prisonnier, en bas ! Il a assommé, ses deux gardes. Il a réussi à se tirer, Lieutenant ! J’ai alerté l’U.P.I, 5 qui s’est mise immédiatement à sa recherche, avant de venir vous informer.

- Quand, s’est produit cet incident ? m’informais-je, un peu trop calmement, à mon goût. Mais, j’étais mauvais acteur.  

- Pendant, qu’ils lui servaient son repas. Les deux gars, n’ont rien vus venir !  

- Pendant …, le repas ! Il y a plus de deux heures ! Sacré nom d’un chien ! Qui était de garde ?

- Derieux, et Cheyney,  Lieutenant !

- Qui les a retrouvés ? Comment se portent-ils, Paul ?

- Mis à part, une bosse sur le crâne pour Cheyney, et un œuf de Pâques sur le front, pour Derieux, ils s’en sortent bien. C’est la relève qui les a trouvés, ficelés dans la cellule.

- Où sont-ils ?

- A l’infirmerie, Lieutenant !

- Bien ! Mettez des hommes, à une recherche minutieuse sur les ponts. Faites fouiller, toutes les chaloupes de sauvetage. Pas un seul recoin, ne doit être oublié ! En proue, il y a un poste sous la plage, où sont remisés les chaînes d’ancrages, ainsi que le matériel de graissage. Qu’il soit également, fouillé à fond. Alertez les gardes en armes, en poste dans tous les angles de visibilités, des structures hautes. S’il ne s’est pas tiré du navire, en plongeant à la mer, il devra se terrer tel un rat, dans ses profondeurs. Il sortira bien, tôt ou tard ? Jackkie ! Veuillez rejoindre vos amis. Restez près d’eux !

- Oui, Max !

- Paul ! Vous l’escortez, jusqu’au pavillon, sait-on jamais !

- Reçu Lieutenant ! Venez mademoiselle, lui dit-il, s’écartant pour la laisser passer.

 

8- U.P.I  Unité de Première Intervention.

Je la regardais, s’éloigner. J’étais encore sous l’effet de la résolution qu’elle venait de prendre, et à laquelle, je ne pouvais en douter, elle se tiendrait jusqu’à la mort. C’était d’ailleurs, ce qui me faisait chanceler sur mes jambes.

 

15 : 45.

 

Je retirais d’un geste las, le béret rouge de ma tête, le posant sur la caisse marquée « outils », m’assoyant lourdement.

- Tu vas l’enfoncer ce couvercle, s’écria André. Tu me fais tartir ! J’ai dû renvoyer mes hommes, alors que nous avons du travail ! Tu crois que cela, va passer inaperçu ?

- Va te promener, André !

- C’est ça ! Comptes-y !

- Bon alors, boucle là ! Alors Habib ? Vous n’y êtes pas allé de mains mortes, avec mes hommes ! Deux blessés, à l’infirmerie !

- Encore heureux que je me sois retenu !

- Houai ! Heureusement ! Bien ! Vous êtes, très activement recherché, en haut. Vous allez devoir vous planquer, pour le moins, jusqu’à minuit. Ce sera l’heure de la relève des vigies. Ici, personne ne viendra fouiner. Ils ont trop peur, de cet ours mal léché qui ne cesse de grogner, du soir au matin. Moi, j’aurai alors rappelé mes hommes, car il ne servira plus à rien, de vous chercher.

- Je me demande toujours, pour quelle raison vous faites ça ! 

- J’ai engagé ma parole, non ?

- Parole d’officier ? Je vois ! Mais vous avez une autre idée derrière la tête, n’est-ce pas ?

- Si vous avez, l’influence que vous prétendez avoir ? C’est bien possible, en effet !

- Qui vous dit que j’userai de cette influence, pour satisfaire vos attentes ? Car, je présume que vous allez me proposer un deal ?

- Vous présumez bien, Habib ! Bien plus qu’un simple deal ! Je n’ai pas, d’immenses pouvoirs. Ce serait vous mentir que d’affirmer, le contraire. Mais mon ami ici présent, et moi, représentons les services secrets français, vous ne l’ignorez pas.

- Me proposeriez-vous, de travailler pour vous ?

- Ce serait une façon honorable, de sortir de ce guêpier. En voyez-vous, une autre ?

- Hum ! Mon commerce avec les Cubains, les Nord-Coréens, les Russes à l’occasion, maintenant le moyen orient, me rapporte bien plus que vos Gouvernements, dits… démocratiques, ne sauraient m’offrir. Et, ne me parlez pas d’idéologies, j’en suis totalement dépourvu.

- Faux ! Mais vous oubliez un paramètre de taille, ce qui me désappointe, venant de vous. Je vous crois, bien plus intelligent.

- Je vous demande pardon ?

- J’ai dit, faux ! répétais-je, dépoussiérant de façon désinvolte, le col de ma vareuse de combat. Puis, je le regardais franchement dans les yeux. Je crois, que vous êtes un idéaliste, Habib !

- Il en faut un, pour en reconnaître un autre, non ? Quel paramètre ai-je omis ?

- Il t’a reconnu, persiffla André.

- Possible ! Bon ! Nous sommes deux idéalistes qui ne demandons qu’à se comprendre. Ah oui ! Le paramètre omis. Vous êtes un mort en sursis, mon cher ami…

Ses yeux, devinrent encore plus ténébreux qu’ils l’étaient d’origine. Il me regarda longuement en silence, cherchant une répartie.

- Donc, laissez-moi vous rejoindre, dans les méandres de vos pensées. Je deviens un gentil petit boy-scout, à la solde des français. Et bien sûr, je laisse tomber mes… activités frauduleuses ? Plus d’attaques de cargos, plus de rançonnages, plus de rentrées d’argent ! Bon ! Je me mets à l’agriculture maraichère ? Tenez ! Je plante du pavot ! Non ! Je vois dans vos yeux que ce n’est pas, une excellente idée !

- Non ! Ce n’est pas, la meilleure idée ! Qui sait ? Nous pourrions avoir mieux à vous proposer ? Commercialement parlant, s’entend. Je prends note ! Les américains, rencontrent de graves problèmes à l’Est, avez-vous confirmé, ce que nous n’ignorions tout de même pas. Nous, c’est à l’Ouest que se tournent nos regards, ainsi que nos principales préoccupations.

- Oh ! Je vois ! Beaucoup plus…, à l’Ouest ?

- Beaucoup plus, en effet !

- Où tu veux en venir, Max ? demanda André qui pour une fois, éprouvait beaucoup de peine à suivre la caravane, à pieds.

- J’ai compris, où il veut en venir Lieutenant, dit-il s’adressant à mon ami. Et, pour le reste ?

- Pour le reste ? Réfléchissez bien Habib ! Vous venez de perdre un navire. Vos hommes, ont été faits prisonniers ! Tôt ou tard, ils seront relâchés, savez-vous ? Nous n’en ferons pas, de la confiture ! Imaginez le pire ! Deux options ! La première, vous apparaissez un héros qui a réussi à fausser compagnie, à ses vilains geôliers ! Ce qui renforcerait votre notoriété, n’est-ce pas ? Mais la seconde option elle, serait moins favorable à votre image de marque. Nous pourrions faire courir certains bruits, sur la surface de ces océans, porteurs d’échos. Vous voyez, ce que je veux insinuer ? Surtout après ce qui va immanquablement se passer, grâce à… vos renseignements. Vous seriez… en très déplaisante position. Bof ! Ce ne serais pas Damez-Sanchez qui infirmerait cette version, peu honorable des faits, voyez-vous ? Il doit se demander la raison pour laquelle, les ricains, ne vous ont pas cuisinés ! Lui ? Il est passé à la moulinette, savez-vous ? Je pense, qu’il doit avoir les glandes ! Je fis tout mon possible, pour priver les américains, de vous faire subir son sort. Encore une autre raison, de beaucoup m’en vouloir pour eux. Mais je ne le fis pas, pour vous éviter ces… sévices !

- Vous m’avez, mouillé à fond !

- Mouillé ? Quel doux euphémisme ! Suite à votre fuite que j’organise très volontiers ? Vous allez devenir la bête à abattre, Habib ! Ils vont avoir une dent, encore plus longue contre vous ! Nous avons Carlos, comme ennemi public numéro un, ils vont avoir Habib, dans leurs lignes de mires. Le petit malingre aux yeux noirs de la C.I.A, a eu une très rude matinée, mon cher ! Il ne s’est pas restauré, car sinon, il aurait vomi. La contrariété, pèse lourd sur l’estomac ! Je l’ai ridiculisé, aux regards de nos autorités ! Grâce à vos… révélations spontanées, je le souligne, encore ! Vos révélations ? Voilà la raison pour laquelle, vous devez vous tirer d’ici ! En cet instant me voyant vous parler, vos révélations tombent sur divers téléscripteurs. Elles se voient décodées, par d’innombrables paires d’yeux qui transcrivent, et font circuler dans les bureaux sensibles, cette somme considérable de renseignements. Qui aura balancé ? Damez-Sanchez ou… vous ? Avec un peu de chance, personne n’en saura jamais rien !

- Ah bon ?

- Eh oui, Habib, eh oui ! Car les américains, en bons puritains qu’ils sont, savent accorder le pardon aux repentis. Pas nous ! Nous avons bien trop, d’israélites dans nos rangs. Ils servent la France, certes ! Mais nous ne doutons pas un seul instant que leurs cœurs, penchent en faveur du Mossad. Par extension, aux américains ! Vous me suivez bien ?

- J’aurai du mal à vous perdre, car vous ponctuez bien vos mots. Damez-Sanchez…

- Damez-Sanchez, ne s’en retournera jamais, dans sa fabrique clandestine de havanes qu’il entretien avec amour, pour le cas où ça tournerait mal à Cuba, pour papa Fidel ! La C.I.A, fera même sortir sa famille, de Cuba. A moins que… je ne sais trop pourquoi, les américains le libèrent ? Il n’a rien eu le temps d’accomplir, le pauvre bougre. Sa peine, sera légère !  

- Vous êtes un foutu salopard, dit-il, prenant le parti de rire.

- Houai ! dit André. Il parvient même, à me surprendre !

- J’ai vexé très rudement et pour longtemps, l’amour propre du responsable de la C.I.A à bord ! Si par malheur, il était informé de votre escapade ? Il se mettrait à vous chercher, dans tous les recoins les plus sombres, de ce navire ! Car vous êtes la preuve vivante, de ce que j’ai écrit sur mon rapport. Le seul témoin ! Compte tenu du fait que le subterfuge monté par la C.I.A, avec la complicité d’un agent double français, fut éventé, et que notre Commandant a signifié son intention de ne poursuivre cette mission que seulement, dans sa phase essentielle qui n’est autre, que la traque des pirates ? Si vous disparaissiez pour… toujours ? Les américains auraient certes perdu l’avantage de faire exécuter par d’autres, ce qu’ils ne peuvent accomplir eux-mêmes, tout en impliquant un allié jusqu’au cou. Mais pour le moins ? Plus aucune preuve ! Que deviendraient mes allégations écrites qui ne seraient jamais vérifiées ? Je passerais pour un fantaisiste ! Bah ! Je n’aime pas cette idée ! Alors, vous allez emporter notre… petit accord, très loin d’ici.

- C’est pourtant ce qui arrivera, si je parviens à m’enfuir ?

- Croyez-vous ? Qu’en penses-tu André ?

- Qu’il réfléchit vite ! Mais mal !

- Très mal ! Dis le lui, André !

- Je peux ? Oh ! Merci Max ! Mon bon Habib ! Mauvaise, très mauvaise nouvelle ! Nous filons à toute vapeur, vers la mer de Chine ! Plus rien, ne viendra nous arrêter. Ce qui va calmer un peu, les aigreurs d’estomac des Ricains. Mais passagèrement, n’en doutez pas ! De plus, si je suis bien le raisonnement de mon ami, et je le rejoins volontiers dans sa façon de voir, à présent, si vous disparaissez, vous demeurez une menace, pour les américains. Ils ne pourront jamais prétendre que ce que max a écrit, est issu de son imagination débordante.

- Je comprends bien ! Mais quel intérêt auraient les français, d’aller foutre leurs nez, dans ce bourbier Américain ?

- Regardez mon sourire angélique, Habib ! repris je, le flambeau. La France, tient à jouer sa carte, sur le tapis vert mondial. La mise est faramineuse, certes ! Disons que nous voulions payer, pour voir ? Et puis, pour en revenir à nos moutons, il y a ces… graves problèmes, à l’Ouest de cet éden ! Nos objectifs futuristes, nous conduisent au moyen Orient. Où il se trouve que vous bénéficiez, de certaines ouvertures. Mais je crois que vous l’avez parfaitement compris, non ? Cette guerre au Viêt-Nam aura pris fin que celles qui se dessinent à l’Ouest, n’en finiront pas de faire couler beaucoup d’encre. Savez-vous, combien coûte, le blocus du canal de suez ? Ce sont des millions de dollars par jour que perdent les industries Européennes, tenues de payer plus chèrement, le transport de leurs matières premières. Et puis, il y a également le risque, d’une surenchère des conflits régionaux, meurtrissant le moyen Orient. La stabilité des pays du bassin méditerranéen, ne concerne pas les américains, Habib ! Bien, qu’ils en soient persuadés ! C’est de notre ressort ! Il ne faut surtout pas que l’ensemble de ces problèmes, concernent uniquement les américains. Vous me comprenez bien ?

- Mieux encore ! Je partage votre opinion ! Qui êtes-vous, jeune homme ? Vous avez réussi, à me provoquer quelques frissons dans le dos !

- Qui je suis ? Eh bien, Max Girard ! Rien de plus. Seulement, la nature m’a dotée d’une tête, je m’en sers. Voilà mon ami ! Minuit tapante, je ferais tout ce qui est de mon possible, pour vous permettre de filer en douce. J’espère que l’épée de Damoclès que vous emporterez, ne fera pas couler votre frêle embarcation, si nous en trouvons une ? Dans la vie, tout se paye Habib ! Il est grand temps pour vous, de vous acquitter de la note !

- Que devrais-je faire ?

- N’ayez aucune crainte ! Des gens bien placés, vous le diront en temps voulu, dès l’instant que les rapports que j’ai adressé en haut lieu, seront pris en considération. Laissez une adresse, et un numéro de téléphone ? Non aller ! Je plaisante ! Parfois, je suis taquin ! C’est vous qui serez le plus heureux, d’aller rendre visite à l’attaché de l’ambassade de France, de votre bled ! Ne l’oubliez pas ! Le petit rat teigneux de la C.I.A, est très dangereux ! Nous sommes vos seuls protecteurs ! Euh ! Pardon ! Vos seuls amis…

Sur ces mots, je me levais.

- Tu ferais bien, de faire rembourrer  cette cantine, dis-je à mon ami qui me regardait stupéfait.

« Ah, bon Dieu que ça fait du bien » ! Prenant pieds à l’air libre sur le pont promenade, j’avais cœur léger. Je me dirigeais d’un pas allègre, vers la passerelle. J’y appris que le Commandant, était dans sa cabine. Qu’à cela ne tienne, je m’y rendis, sourire aux lèvres. Il me reçut immédiatement.

- Qu’est-ce qui me vaut, cette visite inattendue Max ?

- Je sais tout ! dis-je à brûle pourpoint, ôtant mon béret que je rangeais sous l’épaulette de ma vareuse.

- Vous… Tout ?

- Tout, Commandant !

- C’est Bertin qui a … lâché le morceau ?

- Oh que non ! Il a bien joué la comédie, jusqu’au bout.

- Hum ! Vous êtes un malin ! J’aurai dû me méfier.

Il demeura, deux ou trois secondes silencieux.

- Dans un sens, je préfère ainsi !

- Dans quel sens, Commandant ?

- Celui du serment que nous avons fait, Lieutenant !

- Celui, de servir honorablement notre mère patrie ? Bon ! Je considère l’avoir servie !

- J’en suis fort aise, Max !

- Mahersen était informé ?

- Allons donc ! Vous voulez plaisanter ? Franck est un excellent officier, et je l’estime beaucoup.

- Oui ! Mais à présent, il gère un… commerce ?

- Disons-le ainsi !

- Je vois !

- Vous êtes acerbe, Max !

- Un peu, je dois l’avouer.

- Prenez place ! dit-il me désignant la chaise.  

- Non Commandant ! Etes-vous informé…

- Que le prisonnier s’est évadé ? Pensez-vous que quoi que ce soit, puisse m’échapper, à bord de mon navire, Max ?

- Non, Commandant !

- Pas plus que l’amourette, que vous entretenez, auprès de miss Wood ! dit-il, en pinçant les lèvres pour retenir un sourire. Voyons Max ! Nous ne pouvions pas mettre, tout le monde dans le coup. Lorsque Bertin m’a exposé les faits, alors que je devais tâter le pouls, des piliers de cette opération, encore en phase d’élaboration, avant de prendre ma décision concernant ce commandement que l’on me proposait…

- Vous êtes venu à Bulawayo, rencontrer André ? l’interrompis-je ébahis.

- Pour sûr voyons ! Mes supérieurs, me l’avaient conseillé. Je vous disais, pour couper court, et éviter d’avoir à me répéter que votre ami contribua habilement, à ce que j’accepte. Il me dressa un tableau assez noir, sur les évènements qui suivirent la proposition des américains de nous aider, en fournissant, non seulement des renseignements essentiels, mais en prime, le matériel et la logistique. Je crois qu’en haut lieux, ils préférèrent que je me rende à pieds d’œuvre sur le terrain, pour que je me fasse une idée précise de la situation. Bertin, est très persuasif ! Le Ministère a fait le bon choix, du porte-parole.

- Les américains nous couillonnaient, alors nous allions leur rendre la pareille ? Parfait ! André, insista bien évidemment sur le fait que personne, ne devait se voir informé, et surtout pas moi ! Et pour cause ! Il me connait à fond ! Je comprends mieux à présent, l’attitude de mon supérieur à Paris. « Vous prendrez vos ordres, sur place en Afrique » ! J’ai reçu celui d’instruire des mercenaires ! Ce n’était pas vraiment mon job ! Mais enfin ! Et puis ! J’ai été surpris de la vôtre d’attitude, lorsque nous avons rencontré, ce voilier en perdition sur notre route. Vous ne paraissiez aucunement troublé, par cette façon, de nous persécuter moralement, pour que nous passions à l’attaque. Car c’est bien, ce que l’adversaire espérait plus que tout au monde, ayant parfaitement connaissance de nos forces. A un détail près. La stratégie Soviétique qui vint encore plus, embrouiller les choses. Le mécanisme, mis en route à mon insu, fonctionnait à merveille !

- Bertin, fit état de votre… brillante intelligence, bien que vous soyez un doux rêveur qui ne cherche pas, à calfeutrer des idées progressistes. C’était à exploiter !  

- Vous aussi vous me qualifiez de progressiste ? C’est parfait ! Je vais prendre ma carte, au parti Socialiste !

Il ne put s’empêcher de rire.

- Bon ! Eh bien ? Nous avons réussi, non ? Voici nos alliés américains, dans une situation guère confortable. Ils vont devoir apprendre à nous respecter, maintenant ! Quant aux russes, ce n’est qu’un feu de paille. Je veux l’espérer ainsi. Mais encore une fois, vous avez mis dans la cible. Ils veulent, une guerre totale.

- Pourquoi, ne pas la déclarer eux-mêmes ? Voyons ! La provoquer, ce serait un coup de maître. Ils ne sont aucunement certains que s’il la déclarait seul, cette guerre totale, les chinois, viendraient à leur secours. Mais si cette guerre éclate, par la faute des chinois ? Alors là, l’Union Soviétique, deviendra son allié. Très volontiers, même ! C’est génial, non ?  Tous ces morts pour en arriver là ! C’est… purement fou. Parfois, je me demande… Il me vient de bien étranges pensées. Ne serions-nous pas gouvernés, par des extra-terrestres ?

- Le fou émet une idée, le sage la met en œuvre. Des extra-terrestres ? Tiens ! C’est à examiner de près, ça ! Des intelligences supérieures ? Pourquoi pas ! dit-il songeur.

-Puisque vous parlez de… mise en œuvre, j’ai encore pris le train en marche, mais je pense avoir rejoint ma place, en tête du convoi.

- Expliquez-moi, un peu ça ?

- Tout compte fait, puis-je m’asseoir ?

Je lui contais mot pour mot, le retournement de l’agent Habib Thiry. Au terme de mon exposé, il demeura silencieux, son visage reproduisant l’aspect d’un iceberg, en villégiature dans l’atlantique Nord. Durant un court instant, je crus personnifier le célèbre, et infortuné Titanic ! Le choc, était imminent ! Mais je me pris à espérer qu’il ne retrouve plus jamais, l’usage de la parole.

- Vous êtes le diable, Lieutenant Max Girard ?

Il venait de tout assimiler, et d’entrevoir certaines perspectives, futuristes. « Ouf » ! pensais-je, enfin rassuré.

- Absolument pas, Commandant ! Tout juste, un opportuniste ? Vous aviez ouvert en grand une porte, je suis entré, puisque personne ne daignait m’inviter !  

- Comment allez-vous vous y prendre, pour le faire s’évader de ce bâtiment ?

- Ah ! Pour y parvenir sans attirer l’attention de la C.I.A ? Là, je compte sur vous, Commandant ! Vous êtes de loin, le plus habilité, pour l’aider à faire la belle ! Mais comme ce fut le cas me concernant, le mieux serait que très peu de personnes, se voient impliquées.

- Sacripant ! Foutu sacripant ! Vous me mettez au pied du mur, hein ? Mais, quelle idée géniale, tout autant que sordide ! Vous finirez Général, vous ! Où est ce… cochon ?

- André est dans sa cale, en compagnie de notre nouveau… « appointé » ! Il y restera, jusqu’à la fin !

- Qui peut dire, s’il tiendra la distance ? Elle sera rude, la route, sous ses pieds nus.

- Plus elle le sera, plus il sera docile ! Je n’aimerais pas me trouver à sa place. Avec les renseignements qu’il nous a fournis, se convainquant qu’il réussirait ainsi à nous faire rebrousser chemin, le voici pris entre deux feux. Il a permis que nous ridiculisions la C.I.A. Mais pire ! Il a balancé ses potes. Le voici pris, entre deux feux. Sa seule sauvegarde ?

- Se placer, sous notre entière protection ! Je vois ! Je mettrais le second, dans le coup ! Nous étions tous deux, très liés à l’école navale. A trois, cela devrait suffire. Il y a un dinghy pneumatique qui sert, à la rampe de lancement, pour le cas, voyant un filin se prendre dans les hélices. Il est réservé, aux plongeurs. Il est doté, d’un petit moteur hors-bord de 75 chevaux. Mais nous croiserons très près, de la côte du Bengale, vers 00 :30.

- Eh bien ! Ce sera parfait. Puis-je disposer, Commandant ?

- Foutez-moi le camp, Lieutenant ! Et tachez de ne pas vous faire trop remarquer, avec cette ravissante jeune femme, sans quoi, je vous marie sur le champ, histoire de me venger.

- Elle vous bénirait, pour ce désir de vengeance ! Ah ! J’allais oublier l’essentiel, Commandant ! Que faisons-nous, pour la suite des opérations ? Je ne lui laissais pas le temps de répondre, persistant dans mon analyse. Nous venons de damer le pion de la C.I.A, assez rudement ! Mais maintenant, nous allons devoir les amadouer, afin que des projets futuristes, ne rencontrent pas une opposition, dictée par l’orgueil démesuré de ces gens-là !

- J’ai anticipé sur votre façon de voir, Max. J’attends les ordres ! Mettre sur le tapis, le moyen orient ? Ce fut un trait de génie. Inutile, de m’adresser un rapport écrit. J’ai tout en tête. Je vais immédiatement partager avec le Ministre, ma conviction que votre idée, doit se voir exploitée à fond. S’il ne saute pas sur l’occasion ? Je bouffe ma carte d’électeur !   

- Hum ! Je ne vous cacherai pas que j’en éprouve, une grande appréhension ! Mais le vin est tiré, alors il faut le boire !

- Sans pour autant s’enivrer, Lieutenant ! Sans pour autant s’enivrer !

Il avait eu le dernier mot. Quant à moi, je savourais ma victoire ! Maintenant, nous allions devoir conserver la tête froide, et les deux pieds bien campés sur terre. « Drôle de guerre », pensais-je, en me dirigeant, vers le poste qu’occupait Julian Stinneng. Ce dernier, avait en apparence, ravalé ses rancœurs. Il me reçut, assez chaleureusement.

- Vous venez rendre visite, au blessé dans son égo, Max ?

- Non, Julian ! Je viens vous informer que mon prisonnier, s’est fait la malle !

- Vous … vous plaisantez ? s’égosilla-t-il presque. Quand ?

- Durant, l’heure du repas. Nous fouillons le navire !

- Il ne s’est pas volatilisé, tout de même ! s’emporta-t-il. La côte du Bengale, est bien trop loin, pour qu’il la rejoigne à la nage ! Alors, il est encore à bord ! Qu’avez-vous entrepris pour le retrouver ?

- Je viens de vous dire que nous fouillons, chaque recoin. Où est, Damez-Sanchez ?

- Bon Dieu ! Vous pensez à Damez-Sanchez, vous ? Nous lui avons attribué une cabine gardée, au pavillon. Ce gars, n’est qu’un maillon subalterne. Le patron de l’expédition, est mort dans le naufrage du Khartoum ! Nous n’en tirerons pas grand-chose ! Quant aux autres prisonniers, ce ne sont que des combattants, avec qui les chefs, ne perdent pas de temps, à leur expliquer les grands traits caractéristiques, de la mission qu’ils auront à accomplir. Nous perdons le nôtre, de temps. Nous savions déjà que Thiry, est un armateur qui a pignon sur rue que ce soit à Ceylan, au Pakistan, au moyen orient, et sur le golfe du Bengale. Il faut étendre sa puissance, à la Malaisie, et à l’Indonésie. Le tenir entre nos mains, ce serait un sacré coup porté aux trafiquants, et pirates de cette partie du monde ! Et vous ? Vous le laissez filer ! Que vous est-t-il passé par la tête, de l’écarter du groupe, et de le mettre au secret ?

« Oh mon Dieu, j’exulte ! Il se lâche ! Il considère, la partie perdue, avec la disparition de Thiry. Ainsi, tu connaissais le curriculum vitæ, du personnage ? Bien sûr ! Je m’en doutais » ! 

- Bof ! Je voulais, le briser moralement.

- Oui ! Mais lui, il n’a pas perdu courage ! Vous allez prendre mon adjoint, dans vos équipes lancées à la recherche, de cet individu.

- Si vous y tenez ! Mais cela, ne changera pas grand-chose. Première hypothèse, il s’est trouvé un bon coin où se planquer. Il sera bien obligé, d’en sortir. Seconde hypothèse, il a profité de la confusion, pour se balancer à l’eau. De toute façon, il savait pertinemment qu’il était cuit ! Alors ! Il aura tenté sa chance ? Bon ! Dites à votre homme, d’aller se mettre à la disposition de l’Adjudant-chef Declercq. Ce renfort, ne sera pas de trop. Votre rapport est parti ?

- Vous êtes inquiet, Max ? Nous avons, nos propres outils de cryptages, ici. Et sachez-le, nous-nous levons à l’aube !

- Je vois ! Bien alors maintenant, ne nous reste plus qu’à attendre, les ordres de Paris. Mais au risque de vous surprendre, après moult réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion que nous devrions poursuivre, l’ensemble de cette mission.

- Ah bon ? Oui là, vous me surprenez ! Quel est l’origine de ce revirement, Max ?

- Eh bien ! Je fonde cette estimation, sur ce que Thiry m’a dit. Il a raison ! Nos adversaires ayant connaissance de ce que nous entreprenons communément, ils se foutraient bien de nos gueules, si nous n’allions pas jusqu’au bout. Je pense aux Soviétiques, bien sûr. Je n’ai pas besoin de vous dire, ce que leur propagande tirerait comme avantages, si nous-nous défilions ! Dans ce genre de guerre, le ridicule tue tout aussi bien que la plus terrifiante, des armes.

- Je partage votre opinion, et je me vois heureux que vous reveniez à la raison. Dommage que vous n’ayez pas évalué cela, avant de remettre votre rapport au Commandant LANGE ! Nous n’en serions pas là, maintenant !

- Je fais confiance à Paris ! Je n’ai pas une grande culture politique, mais nous avons des intérêts communs à préserver. En particulier, pour ce qui touche les problèmes insolubles, du moyen orient.

- Hum ! ricana-t-il. Nous y voilà !

- Faut bien aborder le sujet, n’est-ce pas ?

- Je ne suis pas… classifié, pour aborder ce sujet brûlant, Max ! Mais bon Dieu ? Qui êtes-vous, au juste ?

- Moi ? Un simple pion qui se demande bien, qu’elle place on lui attribuera sur l’échiquier. Le fait que personne ne daigne me désigner cette place, m’accorde le droit, de la choisir. C’est simple, non ?

- Je ne vous crois pas, Max ! J’ai quatre années d’expériences à la C.I.A. C’est comparable à de nombreuses années de service, dans une autre famille du renseignement, savez-vous ? Je n’aurai pas autant appris, à la N.S.A. Pourquoi aborder ici, la problématique que génère le moyen orient ?

- Faites bouillir la cafetière, Julian ! En dosant bien, vous allez nous faire un bon café ! Bon ! Ce n’est pas tout, j’ai encore du pain sur la planche ! Pour le café, plus tard, hein ?

Je le laissais à sa méditation ! Comme n’aurait très certainement pas manqué de dire, Mobutu à sa femme, « ça va Zaïre » ! Pardon ! « Jaillir » !

 

17 : 12.

 

Je m’étais étendu sur ma couchette, effectuant un bilan rapide de la journée, dont j’avais toutes les raisons, d’être satisfait !

« Alors ainsi, ils me prenaient tous, pour un âne ? Un petit naïf bien docile que l’on peut manipuler comme un pantin, ne demandant qu’à gigoter au bout de ses ficèles ? Ils ne doivent plus savoir où ils en sont, avec leurs certitudes ».

. Cette pensée, me fit rire.

« Au jeu du, je te tiens, tu me tiens, par la barbichette, je ne suis pas celui qui sourit béatement, et qui se morfle une claquette » !

Tiens ? Quelqu’un frappait de nouveau à ma porte ! Je me dis alors :

«  Et, si tu la supprimais, cette foutue porte » ?

Je me levais d’un bond, le cœur dans la gorge. Je n’étais pas encore à l’abri, d’une mauvaise surprise. Il me tardait, qu’un jour prochain se lève. J’ouvris, et je me sentis soulagé.

- Entrez donc, Jackkie ! Désirez-vous un café ou bien, un thé ?

- Oh oui ! Va pour un thé, même si l’heure traditionnelle est passée, dit-elle d’un ton réjoui, s’empressant de prendre place, sur le bord de la couchette. Où en sont, vos recherches ?

Je posais sur ma compagne, un regard navré d’avoir à lui mentir ainsi.

- Au point mort ! L’oiseau de malheur, est introuvable ! Pour moi, il s’est envolé depuis longtemps. Les requins, ont dû se charger de lui, répondis-je, tout en préparant le thé.

- Qu’il aille au Diable ! Ce ne sera une perte pour personne. Carroll et Dan, en sont malades, d’avoir revus de près ce personnage… Elle frissonna, prenant appui sur ses deux mains, posées à plat dans son dos. La jeune femme s’était changée, ayant revêtue une robe légère de couleur bleu ciel unie, au décolleté arrondi, laissant voir l’échancrure de ses seins somptueux. Un autre coup d’œil rapide, me permit d’apprécier la perfection de ses jambes, aux genoux bien ronds, et aux mollets parfaitement galbés. .

- Vous faisiez du sport ? demandais-je, en essayant de ne pas trop dévoiler mon intérêt, pour son anatomie.

- De la plongée, artistique. Je devais participer, aux jeux Olympiques de Munich. Je ne vous l’ai jamais, encore dit. Il faut revoir aussi, nos sujets de conversation, ajoutât-elle, riant doucement.  

- Il est vrai ! Pour quelle raison, n’y avez-vous pas participé ?  

- Au dernier moment, je dus me faire remplacer par une camarade, car je me suis blessée à la cheville. Ce fut, bien malheureux pour moi. Mais plus tard, j’ai été bien contente, de ne pas y être allée. Ce fut horrible, ce qui est arrivé ! Cette prise d’otages… C’est ignoble ! Les jeux sont faits, pour rassembler les nations, au travers des performances sportives, de leurs représentants respectifs. Certainement pas pour que des terroristes, viennent les perturber, avec un message sanglant. Où allons-nous ainsi, Max ?

- Ce n’est pas nouveau, Jackkie ! Hitler, se servit des jeux de 36, pour étayer sa propagande, vous savez ? Voulez-vous servir le thé ? Je n’ai pas la… pratique !

Elle s’y employa, avec une grande dextérité.

- Chez-nous, les filles de bonnes familles doivent savoir faire deux choses. Servir le thé, et se taire, pendant que les hommes discutent affaires ou politique, en fumant leurs cigares qui empestent une immense pièce, parfaitement bien aérée, dit-elle en riant. Que j’aimerais, vivre en France ! ajoutât-elle, laissant s’exprimer un long soupir. Les filles y sont belles, libres de toutes ces contraintes désuètes, entretenues par de vieilles barbes conservatrices qui ne conçoivent aucune évolution, de la personnalité féminine. Pour se forger une place, chez nous, une femme doit se démonter féroce, parmi les loups !

- Pourtant, si plus tard j’ai des filles, croyez le bien, je ne les laisserais pas vagabonder de par le monde, aussi inconsciemment !

- Je vous remémore une petite différence, entre nos deux pays ?

- S’il vous plait !

- Nous atteignons la majorité, trois ans avant vous ! En trois ans, il s’en passe des choses, voyez-vous ?  Regardez-vous ? C’est tout juste, si vous êtes majeur !

- N’exagérez pas ! J’ai acquis ma majorité, dès l’instant que j’ai revêtus un uniforme. Je crois bien que ce fut même la raison pour laquelle, je me suis engagé ! Vous ne connaissez pas encore ma mère ! Attendez de vous voir confrontée, à cette personnalité sortant du commun ! Savez-vous la différence qui existe, entre une mère italienne, et une mère juive ?

- Ah non ? Dites, pour voir ?

- Eh bien, la mère Juive dit à son enfant : « Mange ou je meurs » ! La mère italienne dit : « Mange ou je te tue » ! C’est un sacré numéro ! Agée de seize ans, elle est entrée dans la résistance, après que l’occupant ait arrêté, et fusillé son oncle. Il est difficile, et périlleux, d’essayer lui en imposer !

- Vous songez à…, me la faire connaître ?

- Je crois bien que vous lui plairiez beaucoup. Elle affectionne, les femmes de caractère.

- Me voyez-vous ainsi ?

- Je vous avais prévu, un voyage nocturne en mer, en très mauvaise compagnie.

- Mon Dieu ! Ne revenez pas, sur le sujet ! Je vous ai signifié, ma détermination de rester et… En mauvaise compagnie ? Quelle mauvaise compagnie ?

- Bof ! Ce serait bien trop long, de tout vous expliquer. Mais je dois vous demander encore une fois, au risque de me démontrer insistant, de bien réfléchir. Passé minuit trente, votre sort, sera à jamais lié à celui de ce navire.

- Au votre, Max ! Mon sort, ne sera jamais autrement que lié au votre ! Ce qui me dispense, d’avoir à réfléchir plus encore.

- Hum ! Voilà la raison pour laquelle, vous plairiez beaucoup à ma mère ! Mais… J’en ai mal, dans le ventre !

Jackkie avait pris place dans le petit fauteuil à côté du bureau, et moi, sur la chaise tournante, fixée devant ce dernier. J’émis un soupir, car pour braver cette volonté sans appel, j’étais dépourvu d’arguments. Je crois que j’aurais pu lui soumettre, les scénarii les plus atroces quant à ce, vers quoi nous allions que j’aurais perdu mon temps. Face à moi, se tenait assise bien droite, mon émule, question tête de mule ! Et en prime,  elle souriait, montrant ses merveilleuses dents blanches, bien alignées! Je sentis mon sang, bouillir dans mes veines. Ayant finie de boire son thé, elle déposa délicatement la tasse sur le plateau du bureau, avant de se lever. Ma délicieuse compagne de ces heures de tourments, demeura debout devant moi, alors que nos yeux se dévoraient, d’une passion naissante. Nous pressentions tous deux, un imminent danger. Depuis lors, je crois en la transmission de pensées, car nous n’avons pas succombés, à cette violente attirance. Un certain temps fut nécessaire, pour que cette fièvre retombe. Jackkie, tout autant vaincue que je l’étais, se laissa tomber dans le fauteuil, émettant un long soupir de déchirement.

- J’étais persuadée, d’être libérée de toutes craintes, dit-elle enfin, ses grands yeux couleurs émeraude, toujours ancrés aux miens.

- Ne gâchons rien, de ces instants merveilleux, dis-je simplement, comprenant ce qu’elle ressentait.

- Je… Je vous aime, Max !

- Je sais ! J’éprouve un sentiment identique, à votre égard, n’en doutez pas, une seule seconde. Je…

- Oui ? Dites-moi, votre pensée ?

- Vous allez penser que je suis, complètement fou.

- Il ne me serait pas possible, de seulement l’envisager. Ou alors, le sommes-nous tous deux ?

- Probablement, dis-je en riant. Voulez-vous m’épouser ?

- Pardon ? s’exclamât-elle, se cramponnant des deux mains, aux accoudoirs du fauteuil. Je… J’ai bien entendue ?

- Je vous l’ai dit que vous alliez penser que je suis fou.

- Non, non, Max ! Loin de moi, cette pensée. Je suis… Mon Dieu ! Votre demande est formulée, avec un tel sérieux qu’il me parait, très évident que vous ayez réfléchis longuement, avant de vous lancer.

- C’est le Commandant qui ouvrit la porte, à cette réflexion. Et bien sûr, vous l’avez attisée, en refusant de partir. Il n’y a pas d’issue, Jackkie. Vous avez ravivé en moi, une flamme que j’étouffais, en toutes connaissances de causes. Oui ! Les raisons, étaient nombreuses. En avez-vous conscience ?

- Oui, Max ! Pleinement conscience ! Vous avez devant vos yeux, la femme la plus heureuse du monde, même si le choc que je viens de recevoir, me laisse sans réaction. Je tremble de tous mes membres, Max. Je crois que je vais défaillir.

Je vins m’assoir, sur l’accoudoir de son fauteuil, passant mon bras autour de ses épaules, la berçant en silence. Jackkie, posa sa tête sur mes genoux, et je sus aux tressautements de son corps qu’elle pleurait.

- Nous sommes… si loin de tout, dit-elle, avec une voix bouleversée. Comme vous venez de le dire, il n’y a pas d’issue. J’ai très bien compris, le sous-entendu. Alors que se déchainait l’ouragan, je vous ai révélée, ce sentiment  que si nous devions mourir, je serais heureuse que ma vie finisse, entre vos bras. Je ne l’ai pas exprimée ainsi, mais je le pensais, du plus profond de mon être. J’étais tellement rassurée qu’il ne pouvait en être autrement que je me suis endormie, sereinement. Serrez-moi très fort entre vos bras, Max. Vous aviez raison, lorsque vous avez affirmé que ce monde, allait s’embraser ! Je veux être votre femme, Max. Ici, ailleurs, au paradis ou en enfer, peu m’importe. Nous serons deux, pour affronter ces éléments démoniaques qui s’abattront sur nos têtes. Et cela,  for the best, and for the worst !

J’ai fermé les yeux, pensant à la leçon d’amour que nous-nous apprêtions à donner, à l’humanité entière, alors que cette dernière, s’enfermait dans une logique de guerre. Dire que j’étais moi-même, l’un des acteurs très zélé, motivant avec ardeur, cette effroyable fatalité…

 

 

 

 

Mess Officiers : 19 : 00.

 

Je commençais à trouver le temps, interminablement long. Jackkie parlait avec Carroll, dévoilant son  inquiétude pour son mari.

- Il n’arrête pas de vomir, disait-elle. Je me fais vraiment, un sang d’encre.

- Conduisez-le à l’infirmerie, voyons, dit Soumaya qui visiblement, était excédée par son manque de jugeote. Il y a une petite épidémie de grippe, à bord. Rien qu’aujourd’hui, nous avons enregistré, une dizaine de visites.

- Ce doit être ça, dit encore Carroll.

- C’est inconcevable, s’énerva presque Soumaya. Où peu encore bien être André, Max ? Il m’avait promis, de souper avec moi, ce soir.

- Oh ! C’est de ma faute, excuse-moi ! J’ai complètement oublié, de te transmettre le message. Ils doivent changer deux batteries, sur le sous-marin. Je ne sais pas trop, ce qu’il m’a expliqué. Un peu trop technique, pour moi. Un risque d’oxydation qui pourrait mettre le submersible en péril, lors d’une prochaine plongée. L’engin, doit toujours être prêt, vois-tu ?

- Oui ! Il s’est pris de passion pour la mécanique, dit Soumaya, s’efforçant à rire. Ta mémoire flanche, Max ?

Pressentait-elle, un vil mensonge ?

- La fatigue, prétextais-je. J’ai quelque chose à vous dire d’ailleurs, et j’aurais bien voulu, qu’André soit là ! Je pris la main de Jackkie dans la mienne, la posant sur le plateau de la table, tout en la serrant fermement, afin qu’il n’existe plus aucune ambigüité.

- J’ai demandé à Jackkie, de m’épouser. Elle a répondu oui.

Soumaya, et Carroll se regardèrent, échangeant un sourire, comme deux parieuses qui ayant misées gros, se réjouissaient d’avoir joués, les bons numéros.

- Nous sommes assez surprises, de la promptitude de votre décision. Mais c’est ce que vous avez de mieux à faire, et c’est très courageux, répondit Soumaya, se levant pour venir nous embrasser tous deux, suivie immédiatement par Carroll.

- Félicitations, dit simplement la jeune femme du Che, avec des larmes dans les yeux. Je suis émotive, ces évènements heureux, me touchent profondément.

- Eh bien, eh bien ! J’arrive en plein effusion sentimentale ?

Je tournais la tête en direction de cette voix, demeurant assez surpris, de voir mon André.

- J’avais promis à ma femme que nous souperions tous ensemble, dit-il, me regardant en coin. Klein m’a remplacé, ajoutât-il, s’adressant visiblement à moi, plus encore qu’à notre petite assemblée. J’ai raté quelque chose ?

Il prit place auprès de sa femme, arrangeant minutieusement sa serviette, sur ses genoux.

- Tu avais oublié le message, me murmura Soumaya, ses lèvres m’offrant une moue significative, disant : « Je ne fus pas dupe ». Tu as bien appris à mentir, hein ? Vive les services secrets ! Mais elle remisa très vite, sa rancœur. Jackkie, et Max, vont se marier, exultât-elle, s’adressant à son mari. Tu te rends compte ?

- Ah bon ? Eh bien, tous mes vœux de bonheur ! Vous ferez ça, quand ?

- Ici à bord, si le Commandant consent à ce mariage, répondis-je, observant que mon ami, éprouvait du mal à croire, ce qu’il venait d’entendre.

- C’est formidable ! Nous allons avoir trois immersions, et un mariage ! L’aumônier, aura enfin un peu d’activité spirituelle, ce qui le changera de la routine, d’une petite messe le matin à sept heures, avant l’appel, et le rapport. Il devait commencer, à rudement s’embêter le pauvre.

- Trois immersions ?

- Oui Max ! répondit Soumaya. Trois rescapés du navire pirate, sont morts. Deux cette nuit, et le dernier, ce matin. Ils n’avaient aucune chance, les pauvres gars. Un autre, hélas, n’ira pas loin.

- Tout ça, c’est bien pénible. Mais en plus, vous êtes protestante, Jackkie ? demanda André, tout en se servant un verre d’eau qu’il avala d’un trait. On s’assèche en bas, s’excusa-t-il.

- J’ai été élevée, par des protestants en effet, André. Mais je ne suis pas, pratiquante. Je le suis devenue moins encore, depuis que je voyage en ces pays que très pudiquement, nous avons baptisés : « En voie de développement » ! J’ai trop vue des résultats abominables, issues d’une volonté humaine, à entretenir l’injustice, en endormant les peuples avec de belles paroles. Si un Dieu existait, et qu’il accorde grâce à des hommes, se permettant de parler en son nom ? Personnellement, je le considèrerais, complétement irresponsable ! N’avons-nous pas assez de preuves évidentes, de la folie des hommes ? Et Dieu les ignorerait, espérant un grand bouleversement des mentalités humaines ? Croyez  et, ne doutez point ! Mais bien sûr, voyons ! C’est évident ! Soyez purs, nous encaissons ! Priez, et crevez en silence, nous vivons dans l’opulence ! Et tout est parfait, dans le meilleur des mondes ! Alors, mon cher André que ce soit un pasteur ou bien, un prêtre qui nous unira, cela me laisse indifférente. Cette réponse, vous apporte entière satisfaction ?

- Tout à fait, ne se démonta pas mon ami qui n’avait rien manqué, des piques savamment distillés, par notre impitoyable Jackkie. Eh bien ! Qu’il en soit ainsi ! Si vous avez besoin d’un faux témoin, je me porte volontaire, conclut André, attendant impassiblement notre réaction.

Nous avons ris ! L’insouciance, de la jeunesse ! La soirée, s’égrena lentement. Je bouillais, intérieurement. Mais en surface, je dû m’efforcer de ne rien laisser paraître. Le seul à bien connaître la raison de mon angoisse, était André qui de temps à autre, m’adressait une mimique signifiant : « Ne t’inquiète pas, je maitrise ». Nous étions les derniers, à occuper les lieux. Aucun des officiers supérieurs, n’avaient montrés le bout de leurs nez. Le Commandant, avait dû distribuer des tâches, de façon à ce que le moins de monde possible, soit oisif. Après le repas, la première à nous fausser compagnie ce fut Carroll, et cela se comprenait aisément.

- Tu as vu le Commandant, demandais-je à André.

- Non ! Mais, il m’a appelé, au téléphone. Nous avons une solution, au problème qui te préoccupe, cesse de te biler !

- Bon ! En fait, je crois que je vais venir aussi.

- C’est inutile, Max. Cela ne ferait que compliquer la situation.

- Si le mari de Carroll, n’était pas autant malade, ils auraient pu profiter de l’occasion…

- Ce sera déjà très difficile, en l’état actuel des choses. Si l’on devait inclure, deux autres personnes ?

- Bon, ça va ! N’en dis pas plus. Le problème, ne se pose plus de toute façon. Celui qui m’inquiète, c’est Stinneng !

- Il dine, avec le Commandant !

- Dis-donc ? Tu es dans le secret des Dieux, toi ! Je comprends maintenant, pourquoi nous n’avons vu personne, ce soir. Bon ! Alors, remettons-nous en, à la sainte providence.

- Un problème ? Questionna Soumaya qui parlant avec Jackkie, n’avait captée que la dernière phrase.

- Mais non, chérie, répondit André ! Nous n’avons que des solutions, c’est formidable ! Parlant de ce qui est formidable, mon cher ami Max, à l’occasion, voudra bien m’indiquer où il se rendit, pour trouver son inspiration. J’ignorais qu’à la cambuse, ils en vendaient ? Il m’a suffoqué, aujourd’hui ! C’était… délectable !

- Faites-nous partager son empathie pour vous, Max ! dit Jackkie toute excitée.

- Bof ! Nous avons joué, une partie de poker à trois, et il se trouve que je sus me distinguer, comme étant meilleurs menteur que les deux autres ! Un coup de chance, voilà tout ! J’avais d’excellentes cartes en mains, il faut dire ! Et puis voyez-vous Jackkie, dire la vérité à un menteur ? Ce serait identique, à faire la charité à un riche.  

- Modeste va ! dit André, se levant, avant de prendre la main de sa femme. Bien ! Je raccompagne ma moitié, jusque devant sa porte, puis je vais au charbon ! Alors, bonsoir les tourtereaux !  

- Vous entretenez, une amitié, bien singulière tous les deux tout de même, dit Jackkie, alors qu’André et Soumaya, s’éloignaient.

- Nous avons été confrontés à de nombreuses péripéties, enfants. Nous n’avons jamais cessés, de les affronter ensemble.

- Parlez-moi, de votre enfance Max ! Je veux tout savoir de vous, dit Jackkie, enserrant mes deux mains dans les siennes, coudes posés sur le panneau de la table. Il y a dans vos yeux, les reflets de beaucoup de tristesse. On dit que les yeux, sont le miroir du cœur.

- Il se dit aussi qu’ils sont, les reflets de l’âme. Nous aurons le temps, de nous parler l’un de l’autre, Jackkie. Je ne suis pas très bon orateur, pour ce qui est de la littérature de mon passé. Je sais que vous lisez, très souvent en moi. Alors, vous saisirez au vol quelques paragraphes qui vous en apprendront, bien plus que si j’effectuais une longue, et pénible, rétrospective orale.

- Parce que vous êtes, un livre ouvert, Max !

- Et vous, une femme amoureuse !

- Oh oui ! murmurât-elle, fermant les yeux, m’offrant un sourire étincelant, tendant son merveilleux visage en avant, lèvres entre ouvertes, comme si elle espérait un baisé volé. Je ne parvins pas à me retenir, de commettre ce doux délit. Ce cher Nguyen, avait très certainement dû vérifier par le passe plats, si enfin la salle était vide, nous voyant à notre insu, car il se mit à chanter à tue-tête : « Parlez-moi d’amour ». Dois-je vous relater, ce que cela donnait, avec l’accent Vietnamien ? Nous embrassant fougueusement à cet instant précis, nous  avons éclatés de rire sans que pour autant, nos lèvres se séparent. Ce sont des souvenirs qui ne s’effacent plus jamais, de nos mémoires.    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

12 février 1972, 09 : 00.

 

- J’attire votre attention, sur un incident inconcevable, s’enflammait la voix du Commandant, sortant du hautparleur. Ces mots, me provoquèrent un sourire narquois. Allais-je, en prendre pour mon grade ?

- Essayez d’imaginer ma stupeur, lorsque je me vis informé qu’un prisonnier, enfermé dans les entreponts, réussit à prendre la fuite, et… que nul en cette heure, ne le retrouva, continua-t-il. Deux membres de la compagnie C, ont été blessés. Juste avant le rapport, j’apprends par la bouche du maître d’équipage qu’une embarcation, a disparue. J’en déduis ? Eh bien, j’en déduis que le prisonnier, un individu très dangereux, s’est fait la belle avec. Je n’incrimine personne ! Mais, j’aurai des comptes à rendre ! Ce qui implique que mes subalternes, en auront également. Il est désormais inutile, de poursuivre les recherches, ponctua-t-il, par un coup de poing violent, porté sur sa console, vraisemblablement. Bien ! Sauf incident notable, nous filons droit en direction du détroit de la Sonde. Nous devons nous rapprocher des îles Paracells. J’ai reçu des ordres fermes, de l’autorité. Vos officiers, vous transmettront les ordres.

Il changea, du tout au tout de ton.

- Ce matin, l’office de 07 :00 de l’aumônier Jean Nery, a été reporté à la fin du rapport. Il aura lieu en plein air, car il sera précédé, de trois inhumations en mer. Il s’agit des corps de deux prisonniers indonésiens, embarqués sur le Khartoum, et d’un sous-officier Cubain. La compagnie de réserve du Lieutenant De Langlade, sera de piquet d’honneur. Les autres, rompez !

« Ouf ! Il n’en a pas trop fait ».

A ma droite, se tenait Paul Declercq, et juste derrière, le Caporal Jensen, avec qui on échangea un regard furtif, ainsi qu’un clin d’œil complice. Ce brave Paul, n’aurait guère apprécié, s’il avait su. Mais juste quelques hommes qui dit en toute modestie me vénéraient, étaient impliqués. Parmi ceux-là, les deux gardes blessés qui s’étaient sacrifiés ! Je n’excluais pas que je poursuivais aussi, une partie de bras de fer, avec la C.I.A. Je dirais même que j’y prenais, un certain plaisir. Oui ! André avait soulevé une pierre, d’où ne surgirait pas le joyau précieux, personnifiant la raison. Où était-je allé chercher cette foutue idée, de mettre en exergue, le problème Israélo-palestinien ? Il est vrai que ce drame quasi permanent, depuis 1947, était implacablement d’actualité en cette année 1972. Cette implication des innombrables risques que ce conflit générait, n’était que du bon sens. Thiry, se laissa berner. Avait-il le choix ? Maintenant, mon véritable souci, provenait de mon ignorance en cette heure matinale, de ce que Paris, avait pensé de ce coup de bluff ! Aussi, me rendis-je aux nouvelles. La porte de la cabine du Commandant, était grande ouverte.

- Sautez le pas, Capitaine ! dit-il, me voyant hésitant.

J’entrais, saluant réglementairement.

- C’est bon, c’est bon, Max ! Refermez la porte derrière vous, et accordez-moi juste un court instant que je range, cette paperasse au coffre. Je n’ai pas l’impression que vous ayez bien entendu, ce que j’ai dit ?

- J’ai entendu, Commandant ! Qu’est-ce qui me vaut ce surprenant avancement ?

- Vous osez le demander ? dit-il, me faisant enfin face, un large sourire éclairant son visage anguleux, et volontaire. Le Premier Ministère en personne, a insisté pour que cet avancement, devienne effectif dans l’immédiat. Ce n’est pas très habituel, voyez-vous ? Bertin, a également été nommé. Votre adjoint, prend le galon de sous-lieutenant, directement nommé par Mahersen, dès qu’il sut, pour votre avancement. A compté de cet instant, il est promu chef de compagnie, pour la « C ». Vous devenez, adjoint superviseur au Commandement, auprès du Colonel Mahersen. Et bien évidemment, vous continuerez à assumer vos fonctions, d’officier de sécurité, pour mon propre compte.

- Donc si je comprends bien, je suis récompensé pour avoir menti de façon éhontée, à cet indélicat personnage ?

- En partie oui ! Mais mon cher Max, votre idée a été considérée en haut lieu, comme étant des plus appropriées à une politique, poursuivie par la France. Nous-nous demandions, comment faire comprendre aux américains que concernant le moyen orient, nous avions nos vues, et notre mot à dire. En offrant un…, « blanc net » à ce pourri, il ne tardera plus très longtemps, pour qu’ils en soient informés, nos chers alliés. Vous avez mis ce… démon, dans une telle situation d’inconfort qu’il est prévisible qu’il mangera à tous les râteliers, pour sauver sa peau.

- C’est vrai ! Vous avez très bien, approfondis le personnage. Maintenant, les américains ne voudront plus l’abattre, mais l’utiliser ? Je le crois aussi !

- Oui ! Ils auront droit de visu sur une enveloppe où seront inscrits ces mots : « Secret confidentiel », non cachetée, bien sûr, dit-il en riant à pleine gorge. Ils n’auront que la peine d’avoir à lire, ce que nous glisserons à l’intérieur ! reprit-il, en hoquetant.

- Selon l’appréciation de Julian Stinneng, je devrais abandonner l’idée, de persister dans le renseignement, l’informais-je, avec un ton désabusé. Accordons-lui quelque mois, pour ruminer cette certitude. J’ai… J’ai une requête à vous soumettre, Commandant !

Il me regarda par en dessous, poussant distraitement la porte du coffre-fort.

- Celle de me demander, de vous marier à Miss Wood ? se décida-t-il à dire.

- Mais ! Comment, savez-vous ? m’écriais-je suffoqué.

- le skipper du Wind of Indies, et sa femme, se sont rendus à l’infirmerie, car l’homme est malade. J’étais là, pour contresigner les certificats de décès, des victimes, du naufrage du Khartoum. Ils paraissaient assez excités, parlant entre eux, de votre volonté, d’épouser cette ravissante jeune femme. C’est ainsi que je m’informe, Capitaine ! En tendant l’oreille, tout simplement. Je ne vous poserai pas la question, êtes-vous sûr de ce que vous allez faire ?

- Si tel était le cas, Commandant, je vous répondrais qu’effectivement, cette question est superflue !

- Mais ?

- Mais rien, Commandant ! Elle a du bon sens, mais elle est superflue !

Il ricana encore, me désignant la porte.

- J’ai entendu…, Îles Paracells, Commandant ?

- Vous n’êtes pas sourd ?

- Non Commandant !

- Alors, filez d’ici ! Et… tachez de fixer une date, avant le 6 mars, pour que se voit célébré ce mariage. Car après… Il ne sera plus temps, dit-il gravement, son regard glacial, me faisant figer le sang, dans les veines.

- Oui ! dis-je, serrant plus fort, la poignée de la porte. L’aurait-elle pressentie, Commandant ?

- Jeune homme ! Vous ne connaissez pas très bien les femmes. Les deux lobes de leurs cerveaux sont en activité. Alors que nous, pauvres hommes, un seul fonctionne. Ce qui leur permet, un temps de réflexion d’avance sur nous. Elles ont des intuitions que nous ne saurions concevoir.

- Je… Je voulais qu’elle parte !

- Hum ! C’est bien ce que je disais, Capitaine ! Vous ne comprenez rien, aux femmes ! Filez !

- A vos ordres, Commandant !

- Ah ! Et donnez donc l’ordre que l’ensemble des compagnies, changent d’uniformes. Nous redevenons un quelconque baleinier, dont les baleines n’ont rien à redouter !

- Reçu Commandant !

Oui ! J’enviais les baleines !

Je prenais pieds sur la plage de  poupe, alors que les hommes de Jean-Luc De Langlade, procédaient à l’inhumation en mer, des corps de nos infortunés adversaires. J’admirais de loin, la rigueur, et le respect, avec lesquels la cérémonie était célébrée. Suivant l’exemple des officiers, je me mis au garde à vous, saluant, alors que les dépouilles glissèrent sans bruit, sur les rampes en aluminium, inclinées par trois marins, et trois fusiliers, jusqu’à ce que l’océan les engloutisse à tous jamais. Je pensais aux hommes qui eux, n’eurent pas droit à autant de cérémonial. Je ne savais pas m’expliquer alors qu’en la circonstance, ce fut le visage de ma mère qui se profila devant mes yeux, de façon très furtive. Maintenant, je sais !

 

11 : 00.

 

Je vous passerai très volontiers, les compliments de nos hommes, et camarades. Je n’ai jamais trop apprécié, ce genre d’expression de sympathie, portant à confusion. Nul ne peut dire, si une tape sur l’épaule, à laquelle s’ajoute une quantité de pommade savamment appliquée, est sincère, purement polie mais indifférente, ou amicale. Je buvais ma petite bière, au comptoir du mess, en compagnie d’André, de sa femme. Elle était plus détendue, après un bon repos.  Pour la circonstance, Soumaya avait réussie à se libérer. Jackkie fit son entrée, accompagnée de Carroll. Dan, s’était vu hospitalisé.

- De quoi souffre votre mari, demandais-je, pour me dédouaner un peu, car je m’étais démontré très critique envers ce jeune couple, vivant d’une façon décousue, à mon goût.

- Le Docteur a diagnostiqué plusieurs choses, répondit-elle, avec un sourire qui me rassura, sur la non gravité de son état. Il a dit, intoxication alimentaire, à laquelle vient s’ajouter une belle grippe. Il sera sur pieds, dans une dizaine de jours ! Au fait ? Que fêtons-nous demanda-telle, sur un ton enjoué.

- Les promotions de Max, et André, dit Soumaya. Les voici, Capitaines. Alors, nous arrosons ça.

- Eh bien, buvons à leurs santés ? dit Carroll.

- Oui ! pris-je la parole. L’essentiel sera de la garder, la santé. Je jetais un coup d’œil furtif à mon ami. Bon ! Je propose que nous buvions à la santé du meilleur des médiums, résidant à bord du Seko, ajoutais-je, levant mon verre en direction d’André.

- Oui ! J’ai assez bonne vue, dit-il en riant.

- Très bonne, veux-tu dire ! Nous ne sommes encore qu’à près, de deux milles kilomètres de ce point, et… tu réussis à y mettre le doigt pile dessus, sur la carte. Les Paracells !

- Les territoires litigieux ? parut consterné André.

- Quoi ? Ce n’est pas, en mer de Chine ?

- C’est en mer de Chine, Max ! Pour sûr ! Mais je m’attendais, à ce que nous-nous rapprochions beaucoup plus, d’Hainan ! Bof ! Nous n’en serons, pas très loin !

- Qu’as-tu encore, comme idée saugrenue  en tête, André ?

Il m’inquiétait celui-là !

- Saugrenue, hein ? Je te le dirais, murmurât-il, m’adressant un clin d’œil, me désignant les femmes, d’un imperceptible hochement de la tête.  

- Hum ! Oui ! répondis-je, avec quelques peines à détourner mon attention de ses yeux, dans lesquels je cherchais un indice, me permettant d’appréhender  ce qu’il mijotait. Mais, je restais sur ma faim !

- Suis-moi, à l’extérieur, me souffla-t-il à l’oreille.

Je m’excusais auprès de Jackkie qui souriante, me regardait fixement, alors que Soumaya, lui tendait un verre de bière.

- Eh, la future ! Ne mange pas le gâteau des yeux, comme ça ! Très bientôt, tu pourras en goûter ses saveurs délicieuses, lui conseillât-elle, en riant.

- Qu’en savez-vous Soumaya, demanda Jackkie, fronçant les sourcils, exprimant sur son visage, une mimique interrogatrice, et suspicieuse.

- J’ai eue beaucoup de mal à faire mon choix, répondit mon amie. J’ai été tentée, de gouter des deux !

- Arrête, de faire croire de fausses choses à notre amie, dit André en riant. Regarde-la bien ! Elle devient verte de rage. C’est toi qu’elle va bouffer ! Oui ! Bon ! Je vous enlève Max, deux ou trois minutes.

- C’est ça ! Filez vite vous dire vos petits secrets entre hommes, nous serons mieux entre femmes, répondit Soumaya qui avait le cœur à la répartie, en cette heure avancée de la matinée.

Arrivés sur la coursive extérieure, André s’alluma posément une cigarette.

- Je sais que tu vas bondir ! m’avisât-il, prenant ainsi les devants.

- Houai ? C’est bizarre hein ? Mais, je le sens venir ! Vidange la vapeur de la cocotte-minute, elle va exploser autrement !

- C’est à Hainan qu’il faudrait…, frapper fort !

- Ah bon ? A Hainan ? Dans un port Chinois ! Je suis curieux ! Brigitte quand elle te donnait le sein, elle ne te berçait pas trop près du mur ? Tu sais ? Gâté bébé, et… toc, la tête contre le crépit. Gâté bébé, et… toc, la tête contre le crépit ! Aujourd’hui, je vois de mes yeux, les séquelles !

- C’est ça ! Ridiculises-moi ! Mais tu verras qu’à l’arrivée, mon plan sera approuvé, et appliqué, dans ses moindres détails. Tu dois l’admettre à présent ! Je n’entreprends jamais rien à la légère.  

- J’admets ! Voyons ! C’est quoi, ton plan ? Ne me dis rien, laisses-moi réfléchir, un très court instant !

Je pris mon temps, allumant à son tour, une cigarette.

- J’entends un bruit d’engrenage mal lubrifié, Max ! Tu penses trop, accouche !

- Mais oui, bien sûr ! Suis-je bête ! Si nous voulons que cessent ces transports d’armes, mais aussi, les problèmes
qu’ils génèrent sur ces mers ? Eh bien ! Si nous faisions perdre la face aux Chinois, en leur donnant une sacrée leçon. Tiens ! Justement où,  ils ne s’y attendraient  jamais ! Chez eux ! Dans l’un de leurs ports ! Et puis ? Si nous faisions d’une pierre deux coups, en humiliant les Nord-Coréens, pas vrais ? Ne serait-ce pas quelque chose de …, voyons ?

- De ?

- De pas envisageable, mon pauvre André ! Tu veux déclencher à toi seul, la troisième guerre mondiale ? Fais confiance aux Soviétiques, ils s’y emploient. Veux-tu devenir leur agent zélé ?

- Guerre mondiale, mon cul ! Tu vas la faire travailler la tienne de cocotte-minute, parce qu’elle rouille de l’intérieur ? Ces enfoirés de chinois, ces canailles de Soviétiques, ces tarés de Nord-Coréens, nous titillent les nerfs, depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Eh bien ? Ça y est ! Nous avons pété un câble ! On se déchaine, mon pote ! Mais ? Toutefois qui est « on » ? Répond !

- Tu reviens encore, sur la terreur qu’inspire un navire fantôme que tous pourchassent, sans jamais le voir se profiler à l’horizon, jusqu’à ce qu’il fonde sur sa proie ?

- Eh oui, bien sûr ! Tu te crois qu’ils vont crier sur les toits que les navires coulés dans leurs ports, et à leurs barbes, étaient bourrés d’une exceptionnelle, et redoutable commande d’armes, provenant de l’industrie Nord-coréenne ? Sans oublier bien sûr, je ne sais qu’elles autres saloperies ? Le tout, livrable en mains propres, et par  leurs seuls moyens,  aux Nord Vietnamiens ? Mais surtout, pour paraître plus ridicules encore, ils s’empresseraient de publier   que de vilains occidentaux, vinrent tout expédier, au fond du golfe du Tonkin ? Et bien évidemment qu’ils n’y virent que du feu, ce serait le cas de le dire ! Quelle honte ! Seulement vois-tu, la leçon ? Elle, serait durable ! Ces petits hommes jaunes, sont de grands philosophes, Max ! Ils tireront enseignements, de leurs erreurs. Entre autres ! Il y a également un objectif qui lui, est bien plus psychologique que purement stratégique. Lequel, banane ?

- Un objectif d’ordre psychologique ? Voyons ? Tu n’espèrerais pas que ce coup de Trafalgar, sème une sainte terreur, dans leurs esprits ?

- Tu as dit… Terreur ? Oh, que oui ! Aux plus hauts niveaux, Maxou ! Je ne me contenterais pas, de faire contracter une jaunisse, à quelques millions de petits chinois, et moi, et moi, et moi, comme le chante si bien, Jacques Dutronc ! Je veux qu’après ce coup fumant, ils ne s’appliquent à plus rien d’autre qu’à bien protéger, l’ensemble de leurs côtes. Nous leur faisons perdre la face, puis nous les occupons sainement ! Crois-moi ! Ils vont cesser de se masturber le Nem, en fantasmant sur l’Occident !  

- Hum ! Je vais devoir ruminer ça, un certain temps ! Tu comptes sur moi, pour soutenir ton plan ?

- Tu te souviens que nous ne pouvons compter uniquement que l’un, sur l’autre ? Hein ? Cette nuit, je n’ai guère dormi, tu sais ?

- C’est bon ! C’est bon ! Ne reviens pas, sur ça ! Dois-je te remémorer que tu me devais déjà quelque chose ? Quand je vais te mettre l’ardoise sous le nez, tu effaceras vite ce sourire facétieux. Je vais y penser, t’ai-je dis ! Mais je ne vois pas très bien, en quoi je serais meilleur argumentaire que tu l’es ?

- Le Commandant, t’a à la bonne !

- Oui, ce n’est pas faux ! Mais, c’est à toi qu’il rendit visite à Bulawayo, afin de prendre conseils.

- Ah ! Tu sais cela aussi ? Bon ! Réfléchis bien à tout ! Nous pourrions faire, d’une pierre trois coups, en toute quiétude. Sinon ? Comment allons-nous affronter ces trois navires qui croiseront obligatoirement, au large de  Taiwan ? Je peux en expédier un par le fond, puis, en poursuivre un autre, c’est sûr !

- Nous-nous chargerions du troisième !

Il me regarda étrangement, secouant sa tête en signe de dépit. .

- Oui ! Ils auraient tous le temps de donner l’alerte, et… nous-nous retrouverions face à face, avec la marine de guerre chinoise ! Tu vois le topo ? Alors que mon plan, c’est tout en douceur, et profondeur ! Je n’ose dire… en silence !

- Ah oui ? Tu t’introduirais dans leurs eaux nationales, avec seulement deux torpilles…

- Taratata ! Je n’emmènerais des torpilles que pour me défendre, le cas échéant !  Tutti à la mano, Camarade syndiqué !

- Tout à la main ? Oh ! Je vois ça de là ! Bourrer leurs coques d’explosifs,  en utilisant les plongeurs ? Et… Et le sous-marin ?

- Planqué quelque part, au fond du golfe, mon pote ! Nous farcissons les navires, de cet indélicat armateur, avec des charges retards. Et…, bye-bye, sayonara !

- Que fais-tu, de leurs vedettes de détection ?

- J’ai un adjoint, c’est un génie de l’électronique. Tel le petit poucet, nous parsèmerons la mer de ses gadgets, issus en droite ligne, de son esprit inventif. Ils imitent à la perfection, remous d’hélices, bruits insolites en provenance des profondeurs, musiques de variété, et j’en passe. Cet ensemble de bruitages, laissant penser qu’un sous-marin, croise dans les parages. Et tu sais quoi, pour finir ? Même leurs sonars, réceptionneront des ondes métalliques. Il y en aura tellement que toutes leurs vedettes, tourneront en rond sur une vaste étendue de mer, à la recherche de leurres qui demeureront en profondeur programmée. Ils vont grenader ? Eh bien ! Ça les occupera ! Ils vont alerter leurs bases navales ? Eh bien ! Plus il y a de fous, plus on rigole, et moins, ils se reconnaissent comme tels, entre eux. Tu connais l’histoire, des deux fous qui se prenaient pour Bonaparte ?

- Je ne crois pas, non !

- Le Directeur de l’asile, trouve la situation inconcevable, car elle sème le désordre. Alors, il ordonne que l’on enferme les deux fous, dans la même cellule. Tous les jours, il rend visite à ses deux malades, et demande : Qui de vous, est Napoléon ? Les fous répondent en chœur : C’est moi ! Plusieurs jours plus tard, le Directeur revient. Il pose la question : Qui de vous deux, est Napoléon ? Un seul fou répond ! Alors, le Directeur demande à l’autre : Et vous ? Qui êtes-vous ? Le fou répond en remuant les fesses, avec une voix efféminée : Moi ? Je suis Joséphine, grand fada…

- Je vois ! Pendant ce temps, profitant de la confusion, et de la panique générale… ni vu ni connu, tu passes au travers des mailles ! En bref ? Utiliser l’orgueil, et la prétention d’invulnérabilité de ces gens-là, et bien sûr, jouer sur la culpabilité évidente, de leurs actes incriminables ? Mais où vas-tu, chercher ces idées ?

- Là où tu es allé chercher, les objectifs politiques, de notre gouvernement, pour ce qui est du moyen orient ! Bientôt, tu aurais réussi à  faire avaler à ce pauvre Thiry que nous étions pro Palestiniens, aussi ? Alors tu sais… mets en veilleuse, nous-nous servons au même fournisseur, pour ce qui est, des idées !

- Nous sommes, pour la paix. Ton idée ? Je la qualifierai à première vue, de… farfelues ! Rien, ne peut encore se voir évalué, des conséquences qui résulteraient, d’une telle opération militaire, pouvant se voir considérée, comme étant une déclaration de guerre. Tu te souviens, de Pearl Harbour ?  

- Farfelues, si tu veux ! Mais, nous verrons bien ! Je te l’avais dit que nous ne pourrions jamais, nous passer des américains. N’oublie pas ! La France a le cœur à gauche, mais le portefeuille à droite ! C’est le paradoxe, ma poule !

- Vous avez fini de papoter, comme des gonzesses, intervint Soumaya. Si vous n’avez rien de mieux à faire, c’est l’heure de manger. Je meurs de faim, et Jackkie, éprouve  grands peines, à se dépêtrer de ses admirateurs qui bavent d’excitation, sur le col de sa jolie robe. Tu n’as même rien remarqué, Max ? Elle s’est faite belle pour toi, et ce sont les autres qui en profitent ! Pas encore marié, et déjà tellement peu attentionné ! Ça promet ! martelât-elle, jetant un regard noir, en direction de son mari.

Allez savoir pourquoi, je me sentais enthousiasmé. Jackkie, je le compris à son regard toujours autant scrutateur, ne perdit rien, de cette conversion qui venait de s’opérer en moi.

- Que t’a-t-il dit, si ce n’est pas un secret, demandât-elle, employant pour ce faire, le tutoiement. Ce qui me conforta à l’idée que désormais, nous venions de franchir un cap, définissant l’étroitesse de nos rapports.

- Secret ? Que pourrait-il y avoir de secret, les pieds posés du matin au soir, sur cette carcasse de ferraille, mesurant au bas mot 130 mètres de long, pour 38 de large, voguant poussivement sur la surface, de cette mer imprévisible. Tu… Tu es ravissante !

- Oh ! Merci ! Cette robe, c’est Soumaya qui me l’a offerte, dit-elle rougissante de bonheur. Je n’avais pas grand-chose, à sauver du naufrage. Que t-a encore dit André que tu parais aussi… Comment dire ? Vaporeux ? Ça se dit ?

- Cela, se dit !

André discutait avec Soumaya, et Carroll, alors que nous étions tous assis autour de notre table. Mais du coin de l’œil, il ne me perdait pas de vue.

- Quoi ! Lui lançais-je, avec véhémence.

Il haussa les épaules, reprenant le fil de sa conversation.

- Il m’énerve, murmurais-je à l’oreille de Jackkie qui m’adressa un sourire, débordant de compréhension.

- Moi aussi, mais ne va pas le lui dire, répondit-elle, sur le même ton.

- Les… Les autorités compétentes, ont expédiées des ordres. C’est terminé, les coups de poker, Jackkie ! Ce qui se vit, comment dire ?  Perturbé par une politique des plus sordides, a été rétabli de façon équitable. Maintenant que les rapports distants, entre les américains, et nous, se sont resserrés de nouveau, nous allons passer aux choses sérieuses.

- A des choses pour lesquelles tu te sens, très compétant ? Je t’ai vue sur le pont, au travers de cette grande baie vitrée, durant l’inhumation de ces malheureux. Quand tu as salué, rigide, professionnel jusqu’au bout des ongles, j’en ai ressentie un frisson, dans le dos. Il y avait en moi, un mélange de fierté, et de terreur. Je voyais un tout autre homme que je ne connais pas, en vérité.

- C’est bien ce que je te disais, tu sais ? Un soldat a deux personnalités. Il existe un temps, pour chaque chose.

- Connais-tu cette chanson ? “The green leaves of summer”?

- Merveilleuse mélodie, approuvais-je.

- Oui ! Il existe un temps, pour chaque chose. Un temps pour naitre et aimer, un temps pour semer et récolter, un temps pour vivre, un temps pour mourir. A quel temps, conjuguerais-tu, ce que nous ressentons, l’un pour l’autre ?

- Au présent, Jackkie ! Chaque jour qui se lève, nous appartient entièrement. Nous devons le vivre, intensément.

- Tu as très certainement raison, dit-elle, avec une voix feutrée, les yeux baissés.

- Tu as peur ?

- Oh que oui ! C’est plus de l’impuissance, à commander aux évènements que de la peur panique. Tu comprends ?

- J’ai été… très stupide, de te demander de partir ?

- Impitoyablement égoïste ! dit-elle, levant ses yeux embrumés de larmes, vers moi. Tu me renvoyais vers un monde fade, me condamnant à ne vivre qu’une existence de tourments, dans laquelle, je me serais perpétuellement mortifiée, d’avoir cédée à la lâcheté. Je me serais pour toujours, posée cette question lancinante. « Comment, peux-tu encore défendre en ton cœur, cette foi insensée, en l’amour que tu lui portais » ?

- Et moi, je me dis : «  Comment peux-tu prétendre l’aimer, alors que tu l’emmènes par la main, vers une mort probable » ?

- Ne bradons pas la peau de l’ours, parce que l’hiver est rude, et que la fourrure, ne vaut pas la pitance, Max. Que veut André ?

- Bof ! Couler trois navires, transportant des tas de saloperies destinées aux Nord-Vietnamiens, et cela, dans l’enceinte, d’un port Chinois ! Rien que ça ! A leurs nez, à leurs barbes, dit-il, se délectant de par avance, à l’idée de leur donner une bonne leçon.

Sa réponse parvint à mes oreilles, tel le claquement d’un fouet.

- Il a raison ! Il est totalement fou, mais il a raison !  

- Tu vois, Max ? intervint oreilles fines. Je l’adore, ta future épouse ! Ote une foutue seconde de ton esprit qu’une femme est sensée, et… tu pourrais l’appeler Monsieur, par inadvertance !  

- Ta gueule André ! Tu sautes de joie, à pieds joints, sur un terrain miné là ! Tu vas voir, le résultat 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

28 février 1972 : 07 : 00.  

 

Les jours s’étaient succédés, sans que rien de bien passionnant, ne vienne les inscrire en mémoire durablement. La routine ! Entrainement intensif des hommes, à la protection du navire, contre un éventuel abordage. Matinées diapositives en salle de briefing, afin que les silhouettes des bâtiments de guerre Sino-Soviétiques répertoriés, soient connues de nos hommes. Mis à part cela, la monotonie, s’était fermement établie à bord du Seko. Jackkie, et Carroll, sous la direction de Soumaya, prenaient des cours accélérés, de premiers soins aux blessés. Mon amie, recevait un renfort inattendu, et talentueux, selon ses propres dires. Le soir, Jackkie venait me rejoindre dans ma cabine, pour me parler longuement de sa journée, démontrant tout son enthousiasme. Quant à André, apparemment, il s’était bien gardé de soumettre son idée folle ! « Que mijote ce renard » ? me demandais-je, alors qu’inexorablement, le temps passait. Bizarrement, Julian Stinneng, avait oublié l’épisode de l’évasion d’Habib Thiry ! Je dirais même qu’il avait tiré un trait, sur une rancœur légitime, engendrée par nos prises de becs.

- Bonjour, Max ! me saluât-il, venant prendre place à ma table, alors que je déjeunais seul, ce matin-là.

- Tiens ! Julian ! Comment vous portez-vous ?

- Bah ! Beaucoup mieux.

- J’ai su que vous n’aviez pas échappé, à l’épidémie de grippe, et de gastro-entérite qui ont sévis dernièrement. J’ai bénéficié d’un coup de chance, je suis passé au travers !

- Je vois ça ! Dites-moi ? Votre ami, et son équipe, ont mis au point un matériel des plus sophistiqués, savez-vous ?

- Hum ! Auriez-vous établis une communication, sur ondes courtes ?

Il se mit à rire, doucement.

- Très officieusement, oui !

- Officieusement ? C’est intéressant, la façon avec laquelle vous présentez les choses. Vous seriez-vous adapté aux circonstances qui influent, sur la totalité des personnes qui vivent à bord de ce navire ?

- Je crois que c’est plus judicieux, en effet.

- Ce l’est, Julian ! Dans cette affaire, nous n’avons pas perdu beaucoup, les uns, et les autres. Maintenant, puisque l’équilibre est rétabli, nous devons tirer les marrons du feu, en faisant tout ce qui est de notre possible, pour ne pas se brûler les bouts des doigts. Car nous n’aurons aucune aide extérieure, servant d’ustensile, pour les récupérer sur des braises incandescentes, ces marrons ! Alors, autant oublier un temps très relatif que ce monde, au-delà de nos limites visuelles, existe encore !

- Je dois… vous présenter des excuses, Max ! Je me suis un peu laissé emporter, par mon orgueil blessé. De toute façon, cette mission est terminée pour moi !

- Ah bon ?

- Bien oui ! Vous m’avez mis échec, et mat !  Dire que j’eus la prétention, de vous conseiller de changer de voie !

- Vous n’aviez pas tort, Julian ! Ce sera également, ma dernière mission. Si nous sortons indemnes, de ce périple, je quitte l’armée.

- Vous n’y songez pas ? Voyons ! Qu’est-ce qui… Oh ! Question stupide ! Vous-vous mariez, cet après-midi !

- Tout ça, ce fut une expérience enrichissante. Mais je ne suis pas un fanatique de la roulette russe, ni encore moins, tenu par le besoin, de jouer au jeu de l’aveugle. Connaissez-vous, ce jeu qui se pratique dans les Caraïbes ?

- Pour sûr que je le connais, dit-il en riant. Il se joue toujours clandestinement, aujourd’hui. Des illuminés, louent un vaste hangar, sur les quais d’un port. Un pauvre bougre, poussé par l’appât du gain facile ou bien encore, par un désir de suicide, va jouer le rôle de l’aveugle ! Six fous de la gâchette, se positionnent à l’une des extrémités du hangar, armes en mains. L’aveugle est face à eux, à l’autre extrémité. La lumière est éteinte, et les six tireurs, ouvrent le feu dans tous les azimuts. Lorsque la lumière revient, si la cible est toujours sur ses jambes, elle empoche une somme, souvent faramineuse.

- Même blessé, rectifiais-je. Le tout, c’est d’être vivant ! Je crois que si j’en sors seulement blessé, ce sera un miracle ! Il ne faut pas en demander trop de miracles, à Dieu ! Il est déjà assez avare ! Je n’obtiendrais plus jamais, une affectation pour une unité… plus traditionnelle, Julian. Ce n’est pas à vous que je l’apprendrais. Et puis, je n’ai pas l’ambition, de finir rond de cuir.

- Qu’allez-vous faire, dans le civil ?

- Bah ! Les perspectives, ne manquent pas. Franck, me propose de l’aider sur ses terres, en Rhodésie !

- La Rhodésie ? C’est une histoire qui se terminera très mal, Max ! Un affrontement entre nationalistes noirs, et colons, n’est plus qu’une question de temps. Aucun des partis en présence, n’accordera de concession à l’autre, sans une victoire décisive sur le terrain. Et comme ils sont tous convaincus de gagner ? Eh bien ! Ils vont s’empoigner ! Ne vous faite, aucune illusion ! La guerre civile a déjà commencée. Nul, ne sera épargné, Max ! Pas plus Mahersen que de bons petits français, avec leurs idées républicaines, et révolutionnaires, faisant d’eux des cas singuliers. Blancs, et noirs, vous détesteront avec la même vigueur. Vous ne connaissez pas, ces mentalités anglo-saxonnes qui n’ont plus rien de commun, avec leurs petits parents Européens, continentaux ou insulaires. Ils se sont forgés, leurs propres visions de ce monde, et bannissent d’un revers de main méprisant, tous les conseils prodigués par leurs semblables. A leurs vues, ils appartiennent au vieux monde, distillant des idées obsolètes. Il en fut de même aux états unis, lorsque les colons débarquèrent par centaines de milliers. Regardez l’Afrique du Sud ! Une poignée de blancs, tiennent par la terreur, et l’ignorance, une immense majorité de noirs. Combien de temps, cette situation parviendrait elle à se maintenir, sans qu’une vague déferlante de violence, vienne foutre toutes ces institutions établies contre nature, en l’air ?

- Franck, met en avant une doctrine. Qui de rien ne se mêle, de rien ne se démêle ! Il suffit de se tenir, à cette résolution.

- Je crois que vous, il vous serait facile, de vous y tenir. Ce n’est pas garanti que cela soit suffisant pour éviter les ennuis. Mais votre ami ? Là ! Permettez-moi de douter qu’il est de ceux qui reçoivent une claque, tendant l’autre joue, en disant amen ! Bien, que ce ne soit pas non plus, dans vos habitudes.

Je le regardais longuement, n’ayant aucun argument à lui opposer sur le fond de son analyse de son analyse, concernant la Rhodésie.

- André ? Il n’abandonnera jamais l’armée. Que pensez-vous… officieusement, de son idée ?

- Elle est purement géniale ! dit-il, se levant pour prendre congé. Votre, petit déjeuné refroidit Max !

- Oui ! Mes illusions, également !

Quelque chose, vint me murmurer à l’oreille que le placement en situation, « hors cycle », de l’agent de la C.I.A, n’était que provisoire. Ces gens-là, sont comparables aux chats ! Ils tombent toujours, sur leurs pattes ! Le pentagone, devait d’ores et déjà plancher sur l’option, proposée par André ! Mon bon ami, avait appliqué à la lettre, ce proverbe disant : « Adresses-toi au bon Dieu, pas à ses saints » !

« Sacré André ! S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer ».

Je n’avais plus faim !  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14 : 00.

 

Il est de très mauvaise augure, de voir la mariée, avant la cérémonie, s’accorde encore à affirmer, la vox populi. Les vieilles superstitions ! Elles sont tenaces où que l’on se trouve, sur la surface de cette terre. Soumaya, veilla à ce que la tradition, ne se voit pas bafouée, en monopolisant cette pauvre Jackkie qui piaffait d’impatience que nous soyons enfin réunis. Lorsque l’on se rejoignit sur le pont de poupe, baigné d’un soleil éblouissant, suscitant une chaleur écrasante, et que l’on marcha d’un pas décidé, vers l’autel improvisé par le père Nery, elle parvint à me murmurer hargneusement:

- J’allais tout faire, pour m’évader ! Même si pour cela, je devais l’assommer, cette chère Soumaya ! 

Je ricanais en la regardant furtivement, voyant ses lèvres pincées, et sa physionomie déterminée. Elle marchait lentement suspendue à mon bras, comme durant la répétition, dans la salle de briefing. Jackkie, était vêtue de sa robe bleue ciel. Elle avait tressée, et nouée ses longs cheveux, en un chignon, retenu par une couronne de fils dorés, entrelacée par les mains expertes de Soumaya qui lui avait fabriquée, un magnifique diadème. On aurait pu le croire en or massif, tant il rayonnait d’éclats, sous le soleil. Où avait-elle dégotée, cette matière ? J’en pris plein la vue, et mon cœur, faillit s’arrêter de battre, alors que Jackkie sortit de la coursive, pour aboutir sur le pont. Oui ! Je crus voir surgir un ange, auréolé par cette lumière naturelle !

Le père Nery accueillit ma compagne, lui prenant la main, pour l’aider à monter sur la petite estrade de bois, sur laquelle avait été dressé l’autel. Le Commandant LANGE, se tenait à la droite du prêtre, l’air martial, dans son uniforme blanc. Sur tous les ponts, indistinctement, fusiliers, membres de l’équipage, officiers, et sous-officiers, étaient présents pour assister à cette cérémonie peu ordinaire.

- Ce jour, je vais avoir l’honneur, et l’immense plaisir, disons-le, de célébrer le tout premier mariage de mon sacerdoce, en de telles circonstances, débuta le père Nery. Mes enfants, avancez-vous, nous invita-t-il. Voyons ! Par quoi faut-il commencer ? Par dire, si quelqu’un veut s’opposer à ce mariage qu’il parle maintenant ou se taise, à tout jamais ? Je plaindrais l’inconscient qui s’y risquerait, dit-il, provoquant l’hilarité générale. Alors, j’irais droit au but. Miss Jacqueline Leslie Wood, désirez-vous prendre pour époux, Max Girard, ici présent ? 

- Oui  je le veux, entendis-je répondre ma compagne, avec une voix très assurée.

- Max Girard ! Désirez-vous prendre pour épouse, Jacqueline Leslie Wood, la chérir, et la protéger, jusqu’à ce que la mort vous sépare, pour le meilleur, comme dans le pire ?

- Oui, je le veux, répondis-je, ému.

- Voici les anneaux, nous tendit-t-il l’écrin. Il s’était vu fabriqué, par une main ayant des goûts artistique, d’un  talent indéniable, avec une simple boite d’allumette,  recouverte d’un tissu de velours vert, et pour parfaire l’ensemble, Soumaya, car je compris très vite que cette œuvre, était à mettre à son actif, avait collée des motifs travaillés mains, dans le même métal que le diadème, enserrant les cheveux de Jackkie. C’était purement splendide.

- Max Girard, passez donc l’alliance, au doigt de votre promise, m’invita le prêtre, un large sourire aux lèvres, constatant que j’étais paralysé, par l’émotion. .

D’une main guère assurée, j’accomplissais cet acte sacré qui scelle à jamais, deux existences. Puis, ce fut au tour de Jackkie, d’accomplir cette solennité, symbolisant l’union.  

- Je vous déclare, Mari et femme, au nom du père, du fils, et du saint esprit, formula le père Nery, nous bénissant du signe de croix. Allez, dans la paix du seigneur !  

Le Commandant s’avança.

- Au nom des pouvoirs qui me sont conférés, j’entérine ce mariage qui se vit prononcé religieusement, à bord du Seko, en date du 29 février 1972 à 14 :00, l’acte, étant transcrit au livre de bord. Les témoins avancez-vous, ordonna le Commandant.

Soumaya, et André, signèrent les premiers. 

-Veuillez signer, au bas de la page du livre de bord, nous invita à notre tour le Commandant, tendant le stylo plume, à celle qui désormais était mon épouse. Elle accomplit cette démarche, de sa plus belle signature.

- N’oubliez pas de signer, de votre véritable identité Max, me remémora le Commandant, tout sourire. Ne lui faite pas, ce coup-là ! Ce sera le seul acte officiel, de cette mission qui aura valeur transcrite d’ailleurs, ajoutât-il, avec une expression sérieuse.

- Je ne le perds pas de vue, dit Jackkie, se serrant contre mon épaule, son bras passé autour de mon cou.

- Bien ! Vous pouvez embrasser la mariée, maintenant Max ! dit le Commandant, retirant sa casquette, la relevant au-dessus de sa tête. Vive les mariés ! hurlât-il.

- Hip hip hip ! proposa le second.

- Hourra ! s’écrièrent, des dizaines de voix enthousiastes.

Ce baisé échangé, nous emporta un très long moment, très loin du pont de ce navire, et cela, malgré les ovations. Mais hélas, nous n’ignorions pas que très vite, nous devrions le réintégrer. Ce fut ce cher André qui se chargea, de nous convaincre qu’il était temps.

- Oh les noves ! Vous redescendez, de votre petit nuage ? Vous devez encore penser, à votre voyage de noce. Au fait ? Avez-vous choisi une destination ? Je vous propose les Maldives ! Je crois que c’est… Eh bien ! C’est dans l’océan indien, non ?

- Tu les laisses en paix ou bien, je te botte le fessier, le gronda Soumaya, le poussant dans le dos en riant. Quel emmerdeur, celui-là !  

- Quoi ? J’aurai dû proposer les îles splendides du Pacifique Sud ? Je crois bien qu’ils n’auront pas, un seul centime à dépenser pour le voyage, nous y allons à toute vitesse !

- Je préfèrerais le Groenland, à tout bien réfléchir, dit Jackkie, entourant mes hanches de son bras gauche, se serrant désespérément contre moi. Un petit coin bien isolé sur la banquise, loin des atteintes de ce monde, à subir celles de la nature rigide, et glaciale, de cet environnement hostile. Je ne crois pas que mon sang, se glacerait autant que sous ce soleil idyllique. Dire que de sombres idiots, nomment ce coin, le paradis terrestre du tourisme, et de l’insouciance! Je puis dire que pour nous tous, il personnifie l’enfer, André ! Merci de nous le remémorer, je faillis l’oublier, un court instant !

- Et voilà, oh symbole vivant de l’inconscience enfantine, dit Soumaya, dont les yeux avaient virés au mauve. Il faut toujours que tu mettes ton grain de sel, dans un plat déjà assez assaisonné. Impossible d’en retirer l’excédent. Changeras-tu un jour ?

- Je te le promets, ma chérie. Dès, la prochaine équinoxe !

J’émis un soupir d’exaspération, alors que nous arrivions au mess officiers où nous attendait une réception, organisée par le Commandant.

L’ange noir aux ailes déployées, et aux yeux ténébreux, comme les excavations où se réfugie très certainement la mort, à ses heures la voyant exténuée d’avoir puisée sur terre, son lot d’âmes quotidien, de gentils comme de damnés, se volatilisa par l’une des baies vitrées, nous accordant un répit bien mérité, mais que nous savions conditionnel. Le temps de repos de cette entité nébuleuse, est plus que seulement éphémère. Une seconde pour elle, lui apparait comme étant une éternité ! Pauvres humains que nous sommes, au désespoir, de ne pouvoir lutter contre cette fatalité.

« Où vais-je où courge, et dans quelle étagère ».

Prenant ma femme entre mes bras, pour la faire danser, sur « Night in white satin », interprétée par les Moody blues, dans la version longue, j’oubliais très vite toutes ces prises de tête. Nos cœurs à l’unisson, nos angoisses se dissipèrent. L’on resta deux bonnes heures, à boire, danser et rire avec les invités, avant d’avoir enfin l’opportunité de disparaître, sans que vraiment personne ne s’en rende compte. Avec Jackkie, nous avions convenus d’aller rendre visite à mes hommes. Ils se démontrèrent ravis, de voir la merveilleuse mariée de près. Nous le leur devions bien, car les anneaux que nous portions aux doigts, s’étaient vus forgés grâce aux dons, de quelques-uns de ces hommes. J’appris qu’ils furent nombreux à se porter volontaires, pour offrir un peu d’eux-mêmes, ce qui contribua à me toucher plus encore.

- Paul ! pris-je, mon ex adjoint à part. J’ai demandé à Jensen, d’aller au mess, rafler toutes les bières, et alcools qu’il peut récolter. Distribuez-les, aux hommes ! Qu’ils boivent, à notre santé. Aujourd’hui, lâcher un peu de lest !

- Oui, Capitaine ! Merci pour eux ! Le temps est en train de changer, avez-vous remarqué ?

- Je viens, de m’en rendre compte ! C’est la période de la mousson, Paul ! Il faut s’y faire ! Demandez simplement que l’on tende des bâches, pour protéger les nids de mitrailleuses. A voir le ciel au Nord, ce soir nous aurons de la pluie.

- Je m’y emploi, Capitaine ! Acceptez mes veux de bonheur.

- Merci Paul ! Vous faites, du bon travail !

- J’ai été à bonne école, dit-il, me tendant sa main que j’enserrais très chaleureusement.

Jackkie, se tenant à mes côtés s’avança, l’embrassant sur les joues, déclenchant une multitude d’applaudissements de la part des soldats, rassemblés autour de nous. Ils ne cessèrent qu’après que nous ayons disparus, dans la longue, et étroite coursive surchauffée.

- Paul est un homme discret, mais très efficace, dis-je. Il se souviendra longtemps de ce jour, pouffais-je de rire, m’emparant de la main de Jackkie.

- Je fus prise d’une soudaine impulsion, dit-elle en riant de sa spontanéité. Mais maintenant, il veillera sur toi, comme le lait sur le feu.

- Tu ne fais donc rien, sans penser à moi ?

- C’est l’unique politique, d’une femme aimante, Max. Et je sais désormais que c’est réciproque. Mais qu’elle foutue idée avez-tu en tête, en dessinant le projet de me faire prendre la fuite, en compagnie du Diable ?

« Mince ! Certaines confidences sur l’oreiller, se sont vues propagées. André, André ! Je te retiens, toi » !

- Parce que ce Diable, dont tu fais état, ne rivalisera jamais avec Belzébuth, même s’il tente bien vainement de ressembler au maître des ténèbres, répondis-je. Il sait où sont ses intérêts. Nous sommes devenus, comment dire… très amis, et complices.

- C’est toi le Diable, Max ! Combien as-tu payé pour t’approprier son âme ?

- Bof ! Il me l’a offerte, car elle ne valait plus le prix d’un clou rouillé !

- Ta cabine ou bien, la mienne ? demanda Jackkie, visiblement préoccupée par ce détail que nous n’avions pas abordés.

- Ah non ! Ni ta cabine, ni la mienne. La nôtre ! Le Commandant Lange, nous a attribué l’ancienne cabine, du Commandant Japonais du Seko. C’est le Comandant qui devait y loger. Il a préféré une cabine moins spacieuse, mais proche de la passerelle. Les marins, ont déménagés nos minces affaires, durant la cérémonie. André m’en a remis les clés, en douce, pendant qu’il déconnait à plein tube, comme toujours. Nous occuperons désormais, la 22, avec vue sur la proue. Une agréable surprise, non ?

- Même, si nous avions dû loger en fond de cale, cela n’aurait rien atténué, de l’amplitude émotionnelle, occasionnée par ce jour merveilleux, Max.

- Il y en aura bien d’autres, ma chérie, prophétisais-je, l’entrainant par la main. 

Le lieu, était agréablement meublé. Et surtout, sur la gauche en entrant, un vrai lit à deux places. Enfin ! Il n’aurait tout de même pas accueilli, deux obèses. Mais ce fut un cadeau somptueux. J’ouvris les deux hublots, regardant le ciel.

- Tu es sûr qu’il va pleuvoir, demanda Jackkie, au comble du bonheur, venant s’appuyer sur mon dos, ses bras entourant mon torse. Elle posa sa joue sur mon épaule, soupirant d’aise.

- Qui était Viviane, Max ?

- Vi… Viviane ? La question, me pris au dépourvu. Je lui fis face, la prenant par les épaules, l’écartant légèrement de moi, pour que nos yeux s’assemblent. Existe-t-il, encore quelque chose que tu ignores, de moi ?

- Encore beaucoup de choses, oui ! répondit-elle, m’offrant un sourire étincellent.

Je la conduisis vers le bord du lit, l’aidant à prendre place, en la tenant par la main.

- Est-ce vrai que l’on puisse aimer plusieurs êtres, au cours de nos existences ? demandât-elle, encore. J’ai longtemps imaginée que l’amour, était un sentiment unique qui n’arrive qu’une seule fois, dans une vie. Je te parais ingénue ?

- Ingénue ? Alors oui ! Je vins prendre place, à ses côtés. Ce devrait être ainsi ! Hélas, les événements intervenant au cours d’une période de nos vies, font diverger nos vues, sur ce que nous avons crus hier, nous conduisant petit pas, après petits pas, à ne plus considérer qu’il en soit de même aujourd’hui. Parfois même, cette prise de conscience, intervient assez brutalement. Les déceptions, les drames, se chargent de transfigurer les rêves, et les serments que nous pensions, éternels.

Je pris un instant, pour réfléchir.

- La nature humaine, parfois même animale, nous conduit à revoir ces idées reçues. Sais-tu pourquoi ?

- Parce que nous ne sommes pas conçus, pour vivre seuls, je présume ?

- C’est exact ! Il existe une quête perpétuelle, visant à atteindre un but en commun. L’homme n’est rien, sans cet épanouissement que confère l’amour. Alors, je répondrais oui ! Nous pouvons aimer plusieurs fois, puisque telle, est la réponse que tu attends. Maintenant, tu m’as posé une autre question, concernant une époque de ma vie que je n’oublierai jamais. Dont je ne parle pas souvent, non plus. André l’a contée à Soumaya, et je ne présume même pas que c’est elle qui t’en parla ?

- Très brièvement, en effet, reconnu-t-elle, regardant ses genoux. Je compris qu’elle regrettait, de m’avoir posée cette question.

- Oui ! Viviane ! Que t’as dit Soumaya ?

- Je viens, de te le dire. Presque rien ! Elle me parut très énigmatique, un peu comme si elle déplorait amèrement, de s’être laissée aller, à prononcer ce prénom. Je n’aie rien réussie, à en tirer. Elle m’a seulement dit que ce fut pour toi, une immense  tragédie.

- Une tragédie ? répondis-je l’esprit lointain.

- Je n’aurais peut-être pas due aborder ce sujet, non ? s’inquiéta Jackkie.

- Non, non ! Je vais te raconter, cette bien pénible histoire. Viviane ! Jusqu’à ce que je rencontre Nelly, je n’ai songé qu’à vivre pleinement ma jeunesse, brûlant la chandelle, par les deux bouts.

- Je t’écoute, mon amour. Tu as blêmi, me fit observer Jackkie. 

J’ai observé quelques secondes de silence, effectuant un pénible retour, dans le passé. Les images défilaient à une vitesse vertigineuse, devant mes yeux. J’en eu le tournis. Par où, allais-je commencer ?

- J’avais 17 ans ! L’âge de l’insouciance, des copains, des boums où l’on flirte, sans penser au lendemain. C’est aussi l’âge où l’on s’imagine être devenu un homme, car quatre poils, poussent sur le menton, et que l’on pense tout naturellement qu’il est désormais nécessaire, d’aller très vite s’acheter son premier rasoir. Viviane, avait 16 ans. Mais c’était une fille, très mure de caractère, pour son âge. D’ailleurs, c’était-elle qui s’occupait le plus, de ses deux jeunes frères, avec une attention… maternelle. Il fallait voir ça ! Je n’étais pas quelqu’un de bien sérieux, je dois l’avouer. A cet âge-là, on pense à l’amusement, aux conquêtes faciles, et plus particulièrement, aux filles faciles. Viviane, sortait de l’ordinaire. Qu’est-ce qu’elle était belle ! Bon Dieu, quand j’y pense ! Je te demande pardon, ma chérie. Je ne veux en rien te blesser, et…

- Oh non, Max ! Tu ne me blesseras pas. Alors… dis-moi !

- Bon ! Ce n’est pas facile. Le temps, n’a rien effacé ! Ce ne l’est peut-être pas, à entendre non plus.

- Je t’en conjure ! suppliât-elle. Je suis ta femme, maintenant. Je ne doute pas une seule seconde, de ton amour. Alors, libères-toi. Il est grand temps, Max !

- D’accord ! Je comprends ! J’en suis tombé amoureux. Mais tu sais ? D’un amour, juvénile ! Le plus beau, le plus fort amour qui soit sur terre, car il n’est encore aucunement pervertis, par les expériences, dont les hommes en particulier, désirent les acquérir à tous prix, avec cet esprit intransigeant, singularisant les collectionneurs. Tout est encore, très pur. Même dans nos rêves, la nuit. Mais, comme je viens de le souligner, elle était déjà... femme ! Sa mère… comment dire ? Elle s’occupait parfaitement, de ses enfants. Je dois prendre garde, de ne pas faire de méprise. Mais l’histoire prouva qu’elle souffrait depuis bien longtemps, des infidélités répétées de son mari. Ces tourments, issus d’une incertitude du lendemain, la plongeaient dans des phases, de dépressions nerveuses, plus ou moins percevables. Il faudrait que tu connaisses bien, le contexte dans lequel nous vivions, dans ce quartier du Panier, réputé comme étant un lieu historique, de la ville de Marseille. Une sorte d’autarcie que confère un isolement géographique, par rapport au centre-ville, car le quartier fut battit sur une butte. A cet esprit émancipé, car semblant se situer hors du temps, et de l’espace, vient s’ajouter le brassage des cultures. Rien ne passe inaperçu à personne, et les langues, sont acides. La mère de Viviane ? Je ne l’entendis jamais, crier après ses enfants. Sauf, lorsqu’elle les appelait par la fenêtre, dès la tombée de la nuit. Elle avait remarqué mon attention… particulière, pour sa fille. Alors, elle me disait : «  Protège là, hein ? Je te fais confiance ». Oui ! Nous vivions, dans un quartier très rude. Les crapules, ne faisaient pas défaut, dans ce panorama atypique.  Et nombreux étaient ceux qui désiraient leur ressembler, n’ayant toutefois pas l’étoffe. Je crois bien ne pas instruire, un jugement erroné, en affirmant que ces derniers, se démontraient bien plus redoutables que les vrais durs à cuire. Le quartier où André, et moi sommes nés,  a été affublé de l’étiquette peu honorable, « d’école du banditisme ». Le viol de jeunes filles, était monnaie courante. Car le manque de scrupules, était… comment clarifier ma pensé ? Une institution ? Pour beaucoup, la crapulerie était héréditaire. C’est là que tu vois de tes yeux, la véritable nature humaine, Jackkie ! Alors, je me pris au jeu. Lorsque je la voyais entourée de garçons, pas très catholiques, je lui disais : « Ta mère vient de t’appeler. Tes frères, sont déjà chez-toi, files de là » ! Elle me répondait vertement : 

« Oh toi ? Tu n’es pas mon frère, ni encore moins mon père, et ce n’est pas pour demain la veille que tu seras mon fiancé ».

Mais… elle me craignait ! J’avais taillé ma renommée dans la violence, rendant coups pour coups, pour me maintenir au plus haut de la chaine alimentaire. Car c’est ainsi que nous devions voir les choses, aux cœurs de ces vieux quartiers. Comment n’avons-nous jamais mal tournés, André, et moi ? Je ne sais pas ! Peut-être, à cause de cet esprit de survie qui nous anime, et nous unit, malgré nos différences notables ? Va savoir ! Un soir, je pris le courage, de lui demander de m’accompagner à la Cathédrale de la Major. C’était là que tous les amoureux du quartier, se donnaient rendez-vous. Etrangement, elle ne refusa pas, ce soir-là. Avait-elle eu, l’une de ces étranges prémonitions qui font, pressentir un drame ?

- Un drame ? Que s’est-il passé Max ?

- Laisse-moi finir ! Assis sur un banc public, moi le rocker au blouson noir, armé d’un large ceinturon à clous, et de mon inséparable couteau à cran d’arrêt, dans la poche arrière de mon jeans, je suis resté silencieux. Je ne me sentais pas capable, d’user de boniments, comme avec les autres filles. Ce… ce n’étais pas un simple jeu, là. Et puis, on ne joue pas, lorsqu’un véritable sentiment, nous anime. Alors, je me suis retranché, dans un silence pesant.

- Oui ! Je comprends ce que tu veux dire. Continue mon amour, dit-elle, caressant mon bras, tout en posant sa tête sur mon épaule.

- C’est elle qui engagea, la conversation.

« Alors ? Que veux-tu ? Tu me fais venir ici, pour qu’on écoute en silence, les cris des mouettes ? Elles sont, bien plus bavardes que toi, à ce que je constate ! Je t’intimide ou quoi ? Oh ! Le  roi, de la drague ? Tu parles oui » ?

«  Je n’ose pas trop c’est vrai, me suis-je décidé à articuler sans desserrer les lèvres.  Je sais, ce que tu penses de moi ».

« Tu sais, ce que je penses ? Alors pour quelle raison, m’as-tu demandée de venir » ?

«  Parce que… je ne sais pas ! Tu m’embêtes avec tes questions. Laisse-moi réfléchir ».

«  Si je t’embête avec mes questions, je peux partir, tu sais ? Je connais le chemin par cœur, pour m’en retourner chez-moi ».

«  Non ! Reste ! Je… Je me sens bien, auprès de toi ».

«  Oh mon Dieu ! Ne serais-tu pas en train, de me faire la cour ? C’est quelque chose que tu sais faire alors ? C’est surprenant ! Tu sais, ce qui se dit de toi, au lycée ? Que généralement, tu ne demandes jamais, tu te sers ! Ce n’est ni Monique, ni sa sœur Lucienne qui nieraient, en jurant le contraire. Il parait que tu te fais, les deux ? Et Maggie ? Elle compte les points ? Pauvre fille ! Je crois qu’elle est vraiment, très amoureuse de toi, pour supporter ça. Et tu te crois que moi, je le supporterais ? C’est bien mal me connaître, de seulement le penser » !

Ses grands yeux bleus, aux paupières très légèrement bridées, étaient devenus presque noirs. J’ai osé les affronter, passant mes doigts entre ses cheveux blonds, coupés courts, faisant songer à un casque d’or. Elle me laissa faire, troublée, je le sentis, mais très vite elle se reprit, écartant ma main, sans brusquerie. 

«  Toi, ce n’est pas la même chose » ! Ai-je dis, d’une voix pas assez ferme.  

« Ah bon ? Avec moi, tu serais tout autre ? Je devrais te croire, simplement parce que tu l’affirmes, pas vrais ? Et puis aussi, parce que tu t’évertues, à me protéger. Le beau et ténébreux, chevalier servant que voilà ! Je ne suis pas facile hein » ?

J’eu le tort de détourner le regard, cherchant mes mots. Il est vrai que mon arsenal de vocabulaire, comment dire ? Sentimental ? Il présentait, de nombreuses pages vides. Mais Viviane, ne tarda pas à me rappeler à l’ordre.

« Regardes-moi bien dans les yeux quand je te parles. Tu changerais » ?

« Je le crois, oui », répondis-je, bien plus sûr de moi. Non ! J’en étais persuadé ! Et soudainement, mon cœur se mit à battre plus fort, dans ma poitrine. Elle venait de me prendre la main, la pétrissant tendrement entre la sienne.

« Le croire, ne fait pas tout » a-t-elle dit, me laissant lui embrasser la main, tout en se tenant assise dignement, sur le banc. Il faisait très doux, en ce début de mois de mai, bien que soufflait une légère brise que nous appelons, entrées maritimes. J’ai retiré mon blouson, le posant sur ses épaules, sans dire un mot. Elle a sourie. Un sourire conquérant, tu sais ? Ah oui ! Cette situation ? Elle y prenait beaucoup de plaisir.   

-Je crois comprendre, oui ! répondit Jackkie. Et alors ? Après ? demandât-elle très impatiente de connaître la fin du récit.

- Oui ! Mon cœur battait très fort ! J’éprouvais du mal à respirer. C’était la toute première fois que je ressentais ces choses-là. J’en oubliais même, de jouer ce rôle qui n’était qu’une façade, pour effrayer les loups.

« J’attendrai,  Je te prouverai » ! dis-je.  

« Eh bien alors, si tu me prouves que tu es sincère, nous en reparlerons ! Viens à présent, car ma mère va être morte d’inquiétude ».

Ayant dit ces mots, elle m’embrassa tendrement, sur la joue.

« Pourquoi faut-il que tu sois si… si gamin, parfois. Je sais ce que tu ressens pour moi. Tu ne sauras jamais, ce que je ressens pour toi, si tu continus ainsi. Je veux un vrai mari. Sais-tu seulement que ma mère, pleure toutes les nuits ? Je l’entends » ! dit-elle d’une voix moins porteuse, comme étouffée par l’émotion ressentie, tu vois ? Puis alors que nous-nous en retournions vers le quartier, ce fut elle qui me prit encore la main. Nous avons marché lentement en silence, jusqu’à ce qu’elle le rompe à nouveau. Elle avait repris ses esprits.

« Je me suis jurée qu’une telle chose, ne m’arriverait jamais, a-t-elle alors ponctuée, avec une voix roque. C’est mon droit tu comprends, de vouloir le bonheur, le vrai et pour toujours. Vous-vous en fichez les hommes, de briser nos cœurs. Pourvu que vous obteniez, ce que vous voulez. Après… Ce n’est pas de l’amour, tu comprends ? Est-ce que tu me comprends bien, au moins ? a-t-elle criée, au bord des larmes. Alors si tu m’aimes, comme tu le laisses entendre, tu devras le prouver, oui » !

- Mon Dieu ! Il est clair qu’elle souffrait, tout autant que sa mère.

- Tout autant, en effet !

- Que s’est-il passé, Max ?

- Ce que personne, n’aurait envisagé qu’il se produise, trois jours après ce… Ce rendez-vous. Le soir venu, leur mère coucha ses enfants. Je ne sais pas, si elle les drogua. Puis elle calfeutra les fenêtres. Elle a…, ouvert le gaz !

- Oh my god ! s’exclamât  Jackkie, visiblement horrifiée, portant sa main, au-devant de sa bouche.

- Viviane, et Jean Luc, sont plus jeune frère, sont morts. Jean Marc, et sa mère, furent sauvés. Un client du bar, situé juste en dessous leur fenêtre, a senti l’odeur du gaz. Il grimpa par la gouttière, il brisa les lamelles d’un volet et… Voilà ! Le drame, était consommé.

- C’est épouvantable ! s’écria Jackkie, émue aux larmes.

- Epouvantable ? Il n’existe pas de mot assez fort, sous ce soleil. L’attitude des pouvoirs publics, fut également paraphée, d’une inconscience effarante. Ils n’arrêtèrent pas la mère, ils ne l’internèrent pas ! Attends ! Ce n’est pas que je lui jette la pierre pour son acte, non ! C’est inconcevable, quoi ! Elle put assister, à l’enterrement de ses deux enfants. Elle était là, assise près de la fenêtre, lorsque je suis entré dans l’appartement sombre quelques minutes, avant que les employés des pompes funèbres, procèdent  aux mises en bières. Elle s’est levée en pleurant, et m’a dit :

« Tu l’aimais Viviane, hein » ?

Je n’ai pas eu la force, de répondre. Un bloc de béton, obstruait ma gorge. Une semaine plus tard, cette pauvre femme se donna la mort, de la même façon, dans le même appartement. Un paradoxe ! L’enfant qui survécut, était malade du cœur. C’est ce qui le sauva, de l’asphyxie.

- Elle n’aurait jamais pu, survivre à son acte !

- Oui ! Je suis persuadé qu’elle aimait beaucoup ses enfants. J’ai longtemps repassé ces mots, et ces images, dans ma tête. En fait, elle ne voulut pas les abandonner, sur cette terre de souffrances. Le vrai coupable, à mes yeux ? Ce ne fut autre, le père des enfants. Il devra subir, une culpabilité éternelle. Pire que celle que l’on attribua, à cette femme qui sentant, l’édifice de sa vie, s’écrouler sous ses pieds, passa à l’acte, rongée par le désespoir. Il démontra, un égoïsme criminel. Je me suis plus d’une fois révolté, contre les mauvaises langues qui jugeaient, et condamnaient froidement, sans même évaluer les raisons profondes qui poussent un être, à accomplir cet acte extrême. Je n’ai rien pu faire ! Toutes les nuits, de ma fenêtre, je regardais ces volets qui demeureraient clos à tout jamais, me disant que j’aurais dû pressentir, ce qui allait arriver. Quelques jours avant ce drame, cette pauvre femme, passait en boucle le disque de Nancy Holloway, « T’en va pas comme ça » ! Ma mère disait :

« Oh mon Dieu, mais qu’est-ce qu’elle a elle, à passer ce disque toute la journée ».

Je n’ai rien vu venir, bon Dieu ! Rien ! La réponse à l’inquiétude de ma mère, ne tarda pas. Mais, elle fut cruelle, Jackkie !  

- Tu… tu n’y pouvais rien, Max !

- Cela, ne fut pas suffisant que je sois, plus ou moins conscient que je n’y pouvais rien. Pour tenter oublier ? Je fis tout le contraire, de ce qu’elle avait espéré. Un peu comme si je lui disais : Tu vois ? Il n’y aura que toi ! Alors, je n’ai plus à me tenir à une promesse. Je crois que j’eus tort, de penser ainsi. Mais la vie continue, et péniblement, nous reprenons le dessus. Nous aimons de nouveau ! Nous pensons à construire, avec constamment en arrière-plan, ces souvenirs qui nous hantent. On sait ce que l’on doit faire, et surtout, ne pas faire ! Aimer ? C’est offrir de soi, sans aucune restriction. Mais les tribulations de l’existence, mettent à mal cette vision des choses, auxquelles l’on croit fermement. Et qui sont pourtant,  une matérialité élémentaire, à bien respecter. Les conflits puisent leurs sources, dans les éléments existentiels qui foisonnent au jour, le jour. Je suis moi, tu es toi, deux individus, avec leurs idées propres, leurs besoins personnels, leurs désirs inavoués à temps. Ces déboires s’imposent au fil des jours, assez insidieusement. On se rend alors compte que nous n’avons pas grand-chose, en commun. On se lasse ! On se méprise ! On ne se confesse pas assez à nous-mêmes, nos écarts de parcours, mettant sur l’autre, tout le poids de nos tourments. Et l’amour, la passion s’éteignent comme une ampoule électrique qui a accomplie, son temps de vie. Parfois il y a des signes avant-coureurs, des micros coupures. Souvent, les filaments se brisent nets,  et… nous voici plongés dans les ténèbres totales. Nul ne perd son temps, à réparer une ampoule électrique, n’est-ce pas ? Il est si simple, d’en acheter une autre. Alors… Eh bien, tôt ou tard, la lumière brille de nouveau, car nos yeux, éprouvent ce besoin !

- C’est ce qui est arrivé, pour… Nelly ?

- Il serait facile de dire, c’était écrit ainsi. Tu m’as dit que plus que très certainement, j’aurais regretté une décision prise, sans y avoir murement réfléchit. C’est fait ! J’ai eu le temps, de peser le pour, et le contre.

- Tu as pris, une décision ?

- Celle, de quitter l’armée, Jackkie, lui annonçais-je, fort de cette  intention, ayant fermement mûrie en moi. 

-Quitter… l’Armée ? Mais… ta carrière…

- Avec l’expérience acquise, une carrière se reconstruit. Les perspectives, ne manquent pas en ce monde. Je ne veux pas que ma femme se meure d’angoisses, ni que mes enfants, attendent un père perpétuellement absent. Je suis condamné, à rester dans le renseignement. Tu n’as aucunement évaluée l’incongruité de l’avancement, dont André et moi, venons de bénéficier. Pour obtenir ce troisième galon, beaucoup dépassent allègrement les trente ans d’âge. Nous n’avons pas encore, vingt-trois ans ! Je les atteindrais, dans cinq mois.   Je devrais me voir, comme étant un privilégié ? C’est une façon très pernicieuse, de nous remémorer que nous sommes, les esclaves du système. Je ne me suis pas engagé, pour en arriver à concevoir que le mensonge, s’accompagnant au-devant des circonstances, d’une bonne couche d’hypocrisies, et l’obligation de forger son caractère, à devenir tout autant crapuleux que les crapules, les plus infâmes,  soit la vie que j’ai choisie d’entreprendre à bras le corps par patriotisme, et nécessité. Je m’extirpe de l’engrenage ! Je retire le doigt, même, si pour ce faire, je doive perdre une phalange. Je ne perdrais ni la main, ni le bras. Il est temps !

- Oh Max ! Je ne sais que dire… Nous entreprendrons des quantités, de choses ensemble ? Ce sera merveilleux, dit-elle, se blottissant entre mes bras. Nous n’aurons plus jamais peur !

- Mahersen, me propose de gérer ses terres, en Rhodésie. Mais ce pays, traverse une crise identitaire majeure. J’y étais dernièrement, ça sent la poudre, Jackkie.

- Rien n’est à redouter, pour ce pays. Mes compatriotes, sauront calmer les ardeurs belliqueuses, des partis qui s’affrontent, pour la suprématie du pouvoir. Qu’ils soient blancs ou noirs, ils devront se plier.

- Crois-tu ? Je ne vois pas l’Angleterre, venir prendre parti de quelle façon que ce soit, pour un état colonialiste qui vient de créer une République, après avoir demandé une indépendance controversée. Ni encore moins, prendre faits et causes, en faveur des natifs. Ian Smith, mettra longtemps à comprendre que l’intérêt de son pays, serait une partition équitable, permettant aux mouvements d’oppositions d’avoir leurs mots à dire, sur les grands traits politiques, pouvant conduire à un avenir meilleur. Et cela avant que le sang coule, bien sûr. Mugabe joue dans la cour des Soviétiques, et se faisant, il nargue tout le monde. Il fait peur ! Joshua Nkomo, je ne sais pas ! Il est beaucoup moins radical, d’après ce que j’ai lu. Mais de là, à dire qu’il soit plus tendre, se révèlent bien trop d’inconnus. Tout ce beau monde, ne rêve que d’en découdre ! Si Ian Smith, persiste à faire des clins d’œil à l’Afrique du Sud qui n’a aucun intérêt à ce que des noirs, accèdent à des postes clés, dans le gouvernement d’un pays limitrophe lui ressemblant à s’y méprendre, ça va péter. J’hésite, vois-tu ?

- Oui, je comprends, mon amour. Toutes tes inquiétudes, sont miennes. Nous trouverons bien, une solution qui nous convienne. Nous n’en sommes pas encore, à  devoir réfléchir, à comment construire notre avenir, hélas.

- Je te jure que nous en sortirons indemnes.

- Inutile de jurer Max ! Si tu le dis, j’ai entièrement foi en toi. .

J’émis un soupir, chargé d’anxiétés. Mais,  il était vrai que nous étions encore loin du compte.

« Eh bien ! Jamais je n’aurai cru que j’en arriverais un jour prochain, à remettre nos destinées, entre les mains, de  ce cher André ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20 : 00.

 

Des bruits, des chants, nous parvenaient de la coursive. Visiblement, la fête continuait sans nous ! On frappa à la porte. Je me précipitais pour ouvrir. Presque un réflexe conditionné, depuis que cela se répétait. C’était Carroll, tenant un plateau dans les mains. Elle entra en coup de vent, posant celui-ci sur la table, s’en retournant à toutes jambes, vers la porte.

- Oh quelle belle cabine ! dit-elle, visitant le lieu du regard. Nous avons pensé que vous alliez avoir une faim de loup, ajoutât-elle, nous regardant très étrangement. Jackkie et mois, on échangea à notre tour un regard furtif, avant d’éclater de rire.

- Qu’ai-je dit ? demanda la pauvre Carroll qui le pouce, et l’index de la main droite sur ses lèvres, gigotais sur ses jambes, visiblement très mal à l’aise.

- Non ! parvins-je à lui répondre. Rien de grave Carroll, ne vous offusquez pas. Excusez-nous, c’est à cause de  l’expression que vous affichiez sur votre visage que nous avons ris.

- Ah bon ? Oui en effet, dit-elle. Je comprends !

- Nous avons profités, de ce temps précieux qui nous est donné, pour bavarder, comme un vieux couple, déjà.

- Oh ! Je ne voulais pas… vous mettre dans l’embarra. C’est de votre droit, d’occuper ce temps comme bon vous semble, savez-vous ? C’est moi qui devrais vous présenter des excuses, dit-elle rougissante.

-Merci pour le plateau, Carroll. Rassurez nos amis, nous venons d’entamer, notre voyage de noce.

Lorsque je refermais la porte, sur la femme du Che qui ne savait plus comment se faire pardonner, ce qu’elle crut être une indélicatesse de sa part, nous avons encore ris.

- Tu te rends compte qu’il est, vingt heures passé, dis-je.

Je fermais les hublots, songeant à cette pauvre araignée Misti…

« Tiens, voilà la pluie » !  

Etions-nous à ce point, bouleversés ? Oh oui ! Je pris le plateau, et je vins m’asseoir à ses côtés, au bord du lit. En silence, nous avons mangé les nems délicieusement préparés, par mon cher Nguyen. Je n’osais lui demander, ce qui la tracassait.

- Je… Je ne retournerai pas en Angleterre, dit-elle, se levant pour éteindre la lumière du plafonnier, éclairant celui situé à la tête du lit. C’est plus… intime, ajoutât-elle précipitamment, ses joues s’empourprant.

- A cause de souvenirs…

- Non ! Ces mois passés aux quatre coins de cette région du monde, ont été bénéfiques. Aujourd’hui, je sais ce que je veux. Hier, je fuyais je ne sais quoi, car après tout, avais-je besoin de fuir ? Je ne savais pas me battre, Max !

- Tu es une femme de caractère, Jackkie.

- En apparences, oui ! Comme toi, lorsque tu te livras à moi, m’avouant que tes tournures verbales, bien souvent sarcastiques, étaient calculées pour dresser une muraille infranchissable, derrière laquelle, tu te sentais protégé. Une carapace, en quelque sorte !  Mais voilà ! Nous le savons très bien, elle n’est aucunement invulnérable. Tu viens d’en donner la preuve en me relatant, ce qui t’avait dramatiquement brisé le cœur, t’efforçant tout au long de ce récit, de contenir tes larmes. J’ai… J’ai écrit ces quelques mots que je voudrais te lire, dit-elle, se levant pour aller fouiller, dans son sac à main indien qu’elle portait en bandoulière, lors de notre première rencontre dans la chaloupe. Écoute-moi, dit-elle, revenant prendre place auprès de moi.

« Nous deux, nous possédons une force intérieure d’une vigueur inégalable, car nous savons vivre intensément les instants présents, tout en tirant enseignements du passé. Mon passé est très loin, derrière moi. Je ne parviens même plus à tracer de mémoire, les contours de mon Angleterre natale, car j’ai tellement de choses à découvrir que mon esprit ne peut plus me ramener, ne serait-ce qu’en rêve, vers ses côtes rocailleuses, ses verts pâturages, ses villes ternies, par les cheminées des industries, et ses tempêtes fulgurantes, sous un ciel bien trop gris. Mon aujourd’hui, baigne dans la couleur indéfinissable de tes yeux qui d’un vert tendre, virent au bleu. Le ciel, et la mer y sont réunis, en parfaite harmonie. Ton sourire réchauffe mon cœur, comme le soleil, malgré le déchainement des intempéries. Je n’étais rien, sans toi ! Je croyais vivre car je respirais, je contribuais à une œuvre de bienfaisance qui me passionnait. Mais lorsque tombait la nuit, mon cœur débordait de chagrin, d’angoisses, et d’une amère solitude que rien ni personne, ne parvenait à consoler. En si peu de jours, je te dois tant. Comment ne pas t’aimer, t’offrir le meilleur de moi-même, pour toute une vie, et bien au-delà, pour l’éternité ». 

- C’est… C’est beau. Maintenant, l’éternité est nôtre. Faisons-en une attente, un espoir, un univers qui nous soit propre, où nous aurons la liberté de nous ébattre, de nous aimer, sans craindre les atteintes du temps. Un havre de paix, Jackkie. Quand je pense à tous ces gens qui ignorent que c’est l’amour, et lui seul qui possède une force incommensurable, nous permettant d’accomplir pleinement nos existences, je me dis que ces pauvres êtres, sont bien malheureux.

- Nous devrions les plaindre, et non les blâmer, vint-elle parfaire ma pensée.

Je l’enserrais tendrement entre mes bras, me contentant de la bercer. Ses lèvres brulantes, d’une fièvre que nous partagions, vinrent effleurer les miennes, me provoquant un choc électrique dans tout le corps. La frénésie, le déchainement des sens, s’emparèrent de nos êtres, nous plongeant dans un état second, nous propulsant très loin, aux confins des réalités de ce monde où s’imposent les contraintes, et l’ordre.

- Fais de moi, ta femme, me murmurât-elle, pâmée par mes baisés, survoltée de mes caresses.  

De nouveau, une pluie battante martelait avec virulence, les structures d’acier de ce pauvre navire. Le tonnerre s’insurgea de sa voix tonitruante, cherchant à monopoliser notre attention, à grands renforts d’éclairs rageurs, venant par alternance, illuminer notre nid d’amour, plongée dans les ténèbres. Ainsi, se démontrait-il jaloux, furibond, d’observer que de simples mortels, se livraient au mépris de son insistance à bouleverser ce qu’il considérait, comme étant une sédition intolérable, se dressant à l’encontre de son autorité, à un autre combat issu de la nature, tout aussi vieux que ce monde, avec une force, égalable à sa puissance destructrice…

 

 

 

 

 

 

7 mars 1972. 09 : 45.

 

Le rapport du matin, venait de prendre fin. Mais l’équipage, demeura occupé aux bastingages. Nous approchions à moins de deux cent mètres, d’un large ilot, classifié sur la carte maritime, sous le numéro 443B. Aucun nom connu, en quelle langue ce soit, ou attribué par des marins locaux. Nous venions de pénétrer, dans les territoires litigieux. C’était parfait, pour y cacher nos bas instincts. Il était orienté, d’Ouest en Est, par rapport aux côtes chinoises que nos yeux, ne pouvaient même pas imaginer, situées bien plus au Nord. Il mesurait 168 mètres de long, pour une quarantaine de mètres de large. Ce n’était qu’un immense tas de roches, sans pratiquement aucune végétation, avec en son centre, un promontoire très légèrement arrondis, d’une trentaine de mètres de haut, par rapport au niveau de la mer. Une vision assez lugubre, que l’apparition soudaine de cet îlot aux roches noires, et scintillantes, comme un gros morceau de charbon à l’état pur, perdu à quelques milles marins, au Sud de l’archipel, dans une vaste étendue de mer vide. D’autant plus que le ciel nous tombait sur la tête, depuis de très longs jours. Surprenant ! Ce point insignifiant sur une carte marine, oublié des Dieux, et des hommes, était équipé d’un fanal de pointe d’estuaire, alimenté par batteries ? Quelqu’un devait bien s’en occuper ? Mais qui ? Un autre sujet, de préoccupation !  Je secouais la tête, me promettant d’en savoir plus, sur l’origine de ce gentil petit phare.

- P… de mousson ! s’emporta André, dont le ciré, et la casquette qu’il secouait énergiquement, dégoulinaient d’eau. Tu sors, deux petites seconde hors de cet abri, et te voilà trempé jusqu’aux os, ciré ou pas. Elle s’infiltre partout, cette saloperie d’eau !

- Si tu pleures en prime, Noé n’a plus qu’à très vite se remettre au travail, répondis-je distraitement. Il haussa les épaules, venant me rejoindre sous la casquette de protection.

- Tu as vu ça, dit André, les yeux rivés sur l’îlot derrière lequel, nous allions disparaître à la vue, de tout ce qui naviguait au-delà. Un phare ici !

- Tu m’as distrait de cette vision surprenante, en pestant après la pluie.

- Un système automatique, précisât-il. Il se déclenche la nuit ou, si le ciel s’assombrit. Les batteries durent dans les dix-huit mois, à peu près. Il faudrait, aller voir ça de près !

- Je vais expédier, une équipe à terre.

- Oui ! Mieux vaut savoir, à qui appartient ce fanal.

- Serrez 2° bâbord, au 280, ordonna le Commandant.

- Barre bâbord, 2° au 280 Commandant ! annonça placidement le timonier.

- 7 nœuds ! Ordonna encore le Commandant ! Enoncez les profondeurs.

- Reçu Commandant, répondit l’appareilleur, à son poste, devant l’écran du radar de profondeur. 90 mètres, 70 mètres, 60, 50…  égrenait-il. 35 mètres, Commandant !

- Barre tribord 2° !

- Tribord 2°, Commandant ! entendis-je encore, la voix du timonier.

- 20 mètres, Commandant ! l’avisa l’officier appareilleur.

- Zéro la barre, vitesse lente !

- Barre au zéro, vitesse lente, répéta le Timonier, avant d’annoncer : Récifs de surface, 30 mètres !

Le Commandant prit son talkie-walkie, et s’adressa à l’Officier de pont, chargé de la manœuvre.

- Attention ! Paré à mouiller les ancres. 

- Paré Commandant, répondit une voix dans le talkie.

- 5 Mètres, Commandant, l’avisa l’Officier appareilleur.

- Brassage ! Arrière toute ! ordonna encore, le Commandant !

- Brassage, arrière toute, dit le Timonier actionnant très vite la manette de la console indicatrice, expédiant les ordres en salle des machines. J’entendis le bruit caractéristique qu’elle produisit en sonnant, puis le navire fut pris de soubresauts, s’accompagnants d’un bruit infernal, d’hélices qui brassent une mer peu profonde. Le Seko, semblait être pris de tremblements, et ses tôles grincèrent, comme s’il allait se fendre en mille morceaux. Néanmoins, il finit par arrêter sa course effrénée, demeurant enfin immobile.

- Mouillez les ancres, ordonna le Commandant.

Un autre bruit assourdissant nous parvint aux oreilles, lorsque les lourdes chaînes raclèrent l’acier de leurs meurtrières. Puis ce fut celui de l’immersion, avant qu’un calme soudain, nous surprenne.

- Nous venons de prendre nos quartiers d’hiver, dit André, secouant sur moi, des gouttes de pluie amoncelées sur sa casquette. Quoi ? osa-t-il me lancer, comme s’il cherchait une confrontation, me regardant en riant espièglement. Je fais profiter les copains, non ?

- Va te faire pendre, ma biche ! Dis-moi, au lieu de jouer au con, et d’avoir enfin la chance de gagner le gros lot, as-tu parlé au Commandant, de ton plan, puisque tu as déjà causé de cela, avec Julian Stinneng ?

- Voilà comment ça marche, ducon la joie en fleur ! Je passe par la marge ! Ce n’est pas ce que tu appris, à l’école des officiers, hein ? Merci, de ton silence !

- Je vois ! Tu l’as dit à Julian  qui ce dernier, le répéta au Commandant ! C’est culoté, je dois reconnaître. Et en plus, ça marche !

- Eh bien ! Ce soir, j’économise la lumière. Je t’invite à souper, et je te vire quand l’envie de dormir, me prend ! Tu brilles d’intelligence, tu sais ?

- Pas d’écho, de sa part ?

- Un silence, de cathédrale ! Que dis-je ? D’outre-tombe ! Primo : Je l’ai gonflé, avec mes idées… euh ? Comment les as-tu qualifiées ?

- De farfelues !

- C’est ça ! Secundo : Il nous mijote un petit plat dans sa cuisine privée, et… nous n’aurons plus qu’à nous en lécher les babines. Renifle l’air pur, de ce coin guère idyllique où je ne viendrais certainement pas, passer mes vacances ! Tu sens, quelque chose ?

-D’ici ? fis-je semblant de suivre son conseil. Hum ! Le parfum nauséabond d’une vieille paire de chaussette, dont le propriétaire, adepte des pentes glissantes, ne voit pas le mur qui se dresse devant son long pif ! Il arrive, coco ! C’est lui qui vient à toi ! Tu le vois ? Mince ! Trop tard ! Il était pourtant gentil, ce garçon ! mimais-je les plaintes, de la pleureuse Corse. Il était mon ami ! pleurais-je, à chaude larmes…

- Houai ! Tu es pour ou bien, tu es contre ?

- Les deux, mon Capitaine !

- Mes c… oui !  Tu te fixes, sur une opinion !

- Ton plan, présente quelques intérêts, en effet.

- Quelques ? Tu charries ! Tu verras bientôt à quel point, tu es debout sur la tête, en dehors de la plaque.

- Capitaine Bertin !

- Commandant ! répondit-il, se mettant au garde à vous.

- Dans une heure, vous embarquerez à bord du Seehund. Mission de reconnaissance !

- Direction, Commandant ?

- Je veux que vous frôliez, la limite des eaux territoriales chinoise. Pas d’héroïsme, hein ? Au moindre pépin, vous filez de là !

- Reçu Commandant. Hum ! A quoi bon aller les titiller, Commandant ?

- Je veux que vous observiez, quelque chose.

- Leur… réaction ?

- Ou, leur manque de réaction, Capitaine Bertin ! Je serais-vous ? J’utiliserais toute les prières que j’ai en mémoire, pour que justement, ils ne réagissent pas.

- Ce serait navrant, de mourir dans la force de l’âge, Commandant !

- D’une part ! D’autre part, dans ce cas-là, je foutrais votre satané plan à la poubelle.

- Oh ! Permettez-vous, Commandant ?

- Je vous en prie, répondit celui-ci.

André me regarda bien dans les yeux, avant de me mettre son majeur sous le nez.

- Une jolie carotte, pour le gentil lapin, dit-il, avant de saluer négligemment, et d’aller se préparer.

- Il y croit dur comme fer, me dit le Commandant, riant sous cape.

- Et vous ?

- Ah ! Mon cher, Max ! Moi, j’ai des ordres ! Vu sous un autre angle, son idée est purement folle. Mais nombreux sont ceux qui la trouvent…, fabuleuse. Enfin ! Elle fut accueillie ainsi, par le Pentagone, et par le cabinet du Premier Ministre. Parait-il, ce serait le temps idéal, le lieu, et l’instant propice, pour leur faire rabaisser leur caquet, à ses perruches jaunes !

- Vous ne semblez pas du tout, partager cet avis, n’est-ce pas ?

- Qui joue avec les allumettes…,

- Provoque un incendie ! répondis-je, l’esprit lointain. Je ne sais pas ! Lorsque j’étais en Afrique, j’ai observé quelque chose qui me surprit beaucoup, m’effrayant tout autant. Lorsqu’un feu de brousse se déclarait, les autochtones, allumaient un contre feu.

- Max, le philosophe ! Vous, et vos métaphores ! Mais, je me dois de le reconnaître ! Ce n’est pas, dénué de bon sens ! Après tout, ils l’ont cherché, n’est-ce pas ?

- Je dirais même qu’ils s’y appliquèrent ! Pour une fois, j’accorderai un peu d’estime, à une décision politique. Même, si elle fut inspirée, par un certain empressement à en découdre, de la part de nos chers amis américains. La course à l’armement, la course à l’espace, la course à la suprématie absolue, et incontestable ! A force de courir, ces gens-là, arrivent avant le bus. Le plus dramatique serait que sur leurs lancées, ils dépassent l’arrêt prévu !

- Je vais finir par regretter, de ne plus vous avoir sous mes ordres. Je suis à même, de penser que cette mission arrivant à son terme, vous avez songé à votre avenir ?

- Je croyais que les agents de la C.I.A, savaient pour le moins, tenir leurs langues. On en apprend tous les jours, au contact de nos semblables. Oui ! Je démissionne !

- Oh ! Ne m’attribuez pas l’idée, d’essayer vous convaincre de revoir votre décision. Je vous connais trop  bien maintenant, Max. Vous n’entreprenez jamais rien, sans avoir préalablement, et murement réfléchis.

- J’ai appris, à ne plus réagir, à l’avènement de la première impulsion, Commandant.

- Alors, je vous souhaite bonne chance. Cela vous change une vie, une femme, n’est-ce pas ?

- Tout dépend, de la vision des choses, Commandant ! Il y a des femmes qui vous pourrissent une vie, et d’autres qui en font, un florissant jardin d’éden. Un lieu où il fait bon vivre ! Seul un fou, négligerait les efforts accomplis, pour apporter à ce lieu, une touche très personnelle certes ! Mais aucunement imbue, d’égoïsme. Ce qui se voit, Commandant, peut être partagé, tout autant que ce qui se palpe. Alors, je n’irai pas piétiner maladroitement, cet agencement de l’art d’aimer. 

- Je crois que je commis cette folie, en ne considérant pas assez, ce que mes yeux pouvaient percevoir, alors qu’il était temps, dit-il, subitement songeur. Le Colonel Mahersen, veut vous voir. Il est très mal ! Dysenterie ! Il a choppé ça, avec l’eau des cuves du bord, comme tous ceux qui en souffrirent. Ils sont… un peu trop nombreux, hélas. Ce qui me fait admettre, non comme étant une fatalité, révélant toute mon impuissance que j’ai un autre problème de taille, sur les bras. Nous allons manquer, d’eau potable.

- Je sais ! J’ai vu les ordres au tableau, concernant la restriction.

- Oui ! Mais cela, ne changera pas grand-chose, Max. Nous serons obligés de faire bouillir l’eau, pour la consommation. A ce train-là, nous n’irons pas loin. Il y a une île, d’assez grande superficie, à 70 milles nautique, à l’Ouest. Ici, nous sommes assez loin de l’archipel, des îles Paracells. J’ai fait le choix, de ce point isolé en pleine mer, car plus à l’Est, nous serions bien trop proches de Taiwan ! Cette île dont je vous parle, nous l’avons dépassée dans la nuit. Mais, je ne pouvais faire halte ! Vous en comprenez la raison, n’est-ce pas ?

- C’est clair, Commandant. Inutile, d’attirer l’attention.

- Bien ! Sur la carte, cette île n’a pas de nom ! Elle n’appartient à personne, mais tout le monde la veut ! Elle est répertoriée comme ce récif, avec un numéro. Il s’agit du 369C. Il n’est autrement possible de l’aborder que par, sa côte Sud. Il y a là, une immense plage. C’est une île volcanique, dotée d’une jungle assez épaisse, contrairement à l’ensemble des îles de moyennes envergures, de cet archipel. Mais surtout, il y a de l’eau ! Ce que j’ignore ? C’est si les Chinois, n’y ont pas établis un poste d’observation. Ces territoires sont convoités, par les Vietnamiens, les Chinois, les Philippins, et même l’Indonésie, et la Malaisie, ont des vues dessus ! Cela en fait, du monde !

- Qu’attendez-vous de moi, Commandant ?

- Vous allez partir en expédition, à la tête de dix hommes. Des aguerris, n’est-ce pas ?  Vous irez inspecter cette île, avec l’annexe, et trois chaloupes de sauvetage tractées, remplis de barils. Attendez-vous, à une trentaine d’heures de mer, très mouvementées, aller, et retour.  Il nous faut de l’eau, Max !

- A vos ordres, Commandant ! Mais puis-je vous remémorer, que c’est le rôle de Ian Kowalski ? 

- En effet !  Mais, je n’ai aucune confiance, en lui. C’est un baroudeur ! L’autre, De Langlade, est un jouisseur, la tête remplie de rêves. Je me méfie de ces joueurs de guitare, recoulant des mélodies, à vous fendre l’âme. Ce n’est pas un jeu, hélas ! Alors, je suis navré, Max. Vous irez ! Pas de coup de main, inutile que je le précise. L’île est déserte ? Vous remplissez les barils, puis vous déguerpissez de là, sans demander votre reste. Elle est occupée ? Ce serait vraiment dramatique, pour nous tous. Faites de votre mieux, mais… avec prudence !

- Je n’oublierai pas, Commandant ! Je vais sélectionner mes hommes. Dans une petite heure, je serai paré !

- Très bien, Max. Encore… bonne chance, pour tout.  

- Que pensez-vous du fanal, Commandant ?

- Je ne vois que lui, Max ! Inquiétant, mais sans plus.

- Je vais expédier, des hommes à terre.

- Laissez donc Kowalski, s’en charger.

- Oui ! Ce sera parfait ! 

 

7 mars 1972, 20 : 00

 

- Lieutenant Sotis ! Coupez le moteur, ordonnais-je, à l’Officier pilote de l’annexe.

Il exécuta immédiatement, sans poser de question. Nous n’étions plus qu’à un bon kilomètre huit cent, de la plage.

- S’il y a des guetteurs Capitaine, me murmura Sotis, en approche, il nous sera difficile de leur échapper, même sous cette pluie battante.

- Hum ! C’est pourtant, maintenant ou jamais que nous devons entreprendre, notre approche. Il fait nuit noire, il pleut. Je joue la carte, du je-m’en-foutisme proverbial, de ces gens-là. Voyons un peu, si l’idée générale du Capitaine André Bertin, s’applique à plus petite échelle.

- Je ne comprends pas, Capitaine !

- Eh bien c’est simple, vous allez voir. Selon le Capitaine Bertin, ces gens-là, seraient tellement imbus d’eux-mêmes que nous pourrions prendre un bain sur cette plage, jouer au hand-ball, et commander des sandwichs qu’ils trouveraient stupide de s’alarmer, car leurs positions sont inviolables.

- Je vois, Capitaine ! Compte tenu du temps de cochon qu’il fait, ne comptez pas sur moi, pour jouer le baigneur en villégiature !

- Je ne vous demanderais pas ce suprême sacrifice, Lieutenant ! Approchez-nous assez près, de cet aplomb rocheux qui vient se jeter dans la mer, au Sud-est de la plage. Nous allons débarquer par-là, en un premier temps. Vous planquerez les embarcations, plus à l’Est. Mais pas trop loin !

- Très bien, Capitaine ! Ces jumelles infrarouges, c’est merveilleux !

- Bon ! Avec un stick, je patrouillerai les lieux, jusqu’à cinq heures du matin. Si je ne rencontre aucune opposition, nous aborderons sur la plage, au lever du jour. A partir de maintenant, dis-je m’adressant aux hommes, retenez jusqu’à vos respirations. Je regardais plus attentivement ces visages noircis par du bouchon de liège brûlé, leur adressant à tous, un sourire que je voulus rassurant. Ce ne dû pas les convaincre, pour autant.

- Aux pagaies ! On rame en silence ! ordonnais-je.

Il nous fallut une bonne demi-heure, pour atteindre le lieu désigné. Bon Dieu que ces embarcations chargées de barils, même vides, et cette annexe, étaient lourdes ! J’en avais mal dans tous les muscles, de pagayer et pagayer encore, en prenant grand soins, de ne pas faire claquer la pale de la rame sur l’eau. Et, au bout d’un bon moment de ce sport intense, les gestes sont rendus moins précis, à cause de crampes dans les bras. Accompagné de cinq de mes hommes, dont le Caporal Jensen, nous avions pris pieds, sur une toute petite portion de plage, jouxtant l’aplomb rocheux, haut de cinq à six mètres, mais offrant de larges facilités pour le grimper. Nous étions bien à l’abri de la plage principale qui s’étendait sur trois kilomètres à l’Ouest. Plus loin une épaisse végétation, nous privait d’une vue d’ensemble du reste de l’île. «  Ça ne va pas être, coton », me dis-je, faisant signe à mes hommes de me suivre.

Quelques minutes plus tard, assez pénibles il faut le reconnaître, nous atteignions le sommet, se composant d’un petit plateau rocailleux. Je fis signe à mes hommes, de rester plaqués à terre. A l’aide de mes jumelles infrarouge, je scrutais très attentivement cette bande noire, délimitant la naissance de la jungle. De ma position je pouvais suivre son tracé, jusqu’à perte de vue, en la longeant, d’Est en Ouest. Lorsque ce fut terminé, pour cette première aperçue du terrain, je ne me sentis pas rassuré pour autant. Mais je donnais l’ordre, d’amorcer la descente. Le danger,  résidait dans le fait que nous étions chargés, et que nous devions prendre grandes précautions, de ne faire aucun bruit.

-Nous y allons prudemment ! Ne faisons aucun bruit qui pourrait éveiller l’attention, d’éventuels guetteurs. Interdit, de dévaler cette pente, sur les fesses. On bouge ! ordonnais-je.

Ils ne répondirent pas, mais quelques regards glacials m’apprirent beaucoup, de ce qu’ils auraient eu envie de dire. Enfin, on atteignit le sable détrempé par cette violente bourrasque de pluie, dans lequel nos pieds s’enfoncèrent. Toutefois, c’était toujours mieux que de glisser, sur ces rochers tranchants, comme des lames de rasoir. .

- Jensen !

- Capitaine ? répondit-il à voix basse, se mettant à genoux à mes côtés.

- Vous progressez en rampant, jusqu’à ce groupe de palétuviers. Vous serez protégé par ces dunes qui font songer, à de gros seins de matrone. Vous les voyez ?

- Comme je vous vois, Capitaine. Heureux, de ne pas avoir de belle mère !

L’humour, est un bon antistress.

- Prenez Fischetti, et Landu ! Je vais sur la gauche, avec Querella, et Gaudi. Je dois atteindre ce monticule de sable, azimut 52, dis-je rangeant ma boussole, dans la poche de pantalon. Nous allons progresser l’un vers l’autre, après nous être enfoncés de trente mètres, à l’intérieur de cette jungle. Cette zone couverte, et inspectée, si elle est nette, nous continuerons à progresser en direction de l’intérieur, nous à l’est, vous à l’Ouest. L’inspection terminée, et si personne ne vient nous priver du plaisir de nous balader, nous… Voyons ! dis-je, sortant de la poche intérieure de ma vareuse de combat, la carte plastifiée. Nous devrons suivre, l’azimut 52, sur près de deux kilomètres, au Nord-Ouest. Là, nous trouverons un bras de rivière qui va se jeter à la mer, beaucoup plus à l’Ouest. L’eau n’y est pas encore saumâtre, car trop loin de l’embouchure. Sa source d’eau naturelle, proviendrait de ce petit volcan que nous pouvons voir culminer, au centre de cette île. C’est là que nous devrons, puiser de l’eau !

- En faisant rouler les barils, tout le long du chemin, Capitaine ?

- Vous voyez une camionnette ou, une seule paire de patins à roulettes sur cette plage, Caporal Jensen ?

- Non, Capitaine !

- Alors… nous devrons nous démerder !

Nous avons rampé, presque jusqu’à creuser une tranchée sous nos corps, dans ce sable collant. Au terme de gros efforts, l’on atteignit enfin, et sans encombre, le monticule protecteur.

L’un de mes hommes, le fusilier Gaudi, me prit brusquement par l’épaule, me forçant à me plaquer au sol, alors que j’allais me mettre à genoux, pour mieux observer le secteur, avec mes jumelles.

- Casemate à 11 heures, Capitaine, me murmura-t-il.

- Vous êtes certain ? demandais-je, sentant mon sang, se glacer dans mes veines. Je n’attendis pas sa réponse, pour pointer les jumelles, sur le lieu qu’il me désignait.

- Vous avez une excellente vue, Gaudi. Je n’ai rien aperçu de l’aplomb rocheux, tout à l’heure. C’est bien, une casemate enterrée. Seul le toit de bambous, et de feuillages dépasse du sol. Pas de fumée, aucun signe de vie !

- Que faisons-nous Capitaine, demanda Querella qui avec d’infimes précautions, arma sa mitraillette uzi.

- Sais pas, dis-je, ne quittant pas des yeux, ce point qui posait problème. Ce manque de réaction, me laisse perplexe ! pensais-je à voix haute. C’est peut-être, un poste d’observation inoccupé. Il peut très bien avoir survécu au temps, car les Japonais occupaient ces îles. Quoi qu’il en soit, nous devons en avoir le cœur net.

- Nous en rapprocher, Capitaine ? dit Gaudi qui éprouvait un doute.

- J’y vais ! Vous me couvrez d’ici ! Il y a, au bas mot, deux cent mètres de découvert. Je vais m’enfoncer dans la jungle, en traversant droit devant moi. Puis je progresserai vers la gauche, pour contourner la casemate. Ne tirez que s’ils ouvrent le feu !

- Reçu Capitaine, dit Querella. « Inutile de tergiverser », pensais-je,  m’élançant à toute vitesse vers l’épaisseur de la végétation, dans laquelle je pénétrais le cœur battant à se rompre.

« Bizarre, tout de même ! Pas un seul mouvement ! Va falloir que je songe sérieusement, à arrêter de fumer, moi. Je suis essoufflé, comme un pulmonaire ».

Je me fis cette promesse, tout en progressant difficilement dans cette jungle, pleine de dangers insoupçonnables. D’autant plus que cette lisière, avait supportée toutes les atteintes de fréquentes intempéries qui frappent ces îles, sans réelles protections naturelles. Des arbres couchés, rendaient la progression, plus que seulement pénible. Je risquais de me briser une cheville, d’être mordu par un serpent, ou de glisser dans un trou. Et cette odeur pestilentielle qui s’élevait du sol, en ce lieu que les rayons du soleil, ne parvenaient jamais à pénétrer, me prenait à la gorge. La pluie touchant le sol, semblait s’évaporer immédiatement. Une sorte de nappe de brouillard, montait très haut, bien au-dessus de la cime des arbres, rendant la visibilité, pratiquement nulle. C’était fantasmagorique. Avec d’immenses précautions, je parvins enfin à une petite clairière artificiellement crée, par la main de l’homme, c’était indéniable. Le cœur, me monta dans la gorge. Mais lentement, mon 44 dans la main droite, je m’avançais vers la pente détrempée qui conduisait à l’intérieur de la casemate, défendue par une porte de bambous. Je la poussais, et pénétrais dans la pénombre totale qui enveloppait le lieu. Mon pied, heurta une bouteille en verre qui roula sur le sol. Je perçus un gémissement, embrumée de sommeil. Lentement, mes yeux s’acclimatèrent à la nuit profonde. Je sentis mon cœur, battre encore bien plus fort. Au sol, trois formes étaient étendues, profondément endormies. Sur une petite table de bambous, quelques bouteilles d’alcool de riz, m’informèrent de la raison de ce manque de réaction. Ils étaient, passablement ivres. Je pris la décision ! Un violent coup de pied dans les fesses, du premier homme étendu à ma portée, lui arracha un cri de douleur, le faisant s’asseoir brusquement sur son séant endolorie, jurant dans une langue que je ne sus identifier.

- Chut ! Lui ordonnais-je, lui collant le bout du canon de l’impressionnant révolver, sur le bout du nez. Le gars se déporta vers la gauche de la casemate, en rampant sur ses fesses. Il avait des yeux bridés, très noirs, brillants de terreur.

- Réveilles tes copains, sans brusquerie ni gestes inconsidérés, lui ordonnais-je, en anglais. Tu comprends ? Il répondit oui, d’un hochement la tête, significatif.

« Eh bien ! Pour le moins, nous allons pouvoir communiquer ».

Il secoua les deux autres qui amorphes, eurent peines à reprendre leurs esprits. Je leur accordais, un peu de temps. Lorsqu’ils furent revenus dans le monde des vivants, sans dire mot, ils levèrent les bras.

- Chinois ? demandais-je.

- Nous pas Chinois, répondit celui à qui j’avais botté l’arrière train.

- Tu te payes, ma tête ? Vous êtes Chinois, non ? Je sais reconnaître un Chinois ou un Viet, si j’en vois un !

- Nous sommes Philippins, Monsieur le soldat, dit encore le malheureux qui avait gouté, de la pointe de mon soulier,  pointure 43 fillette. Nos arrières grands parents, venaient de Chine ! Mon père, était Malgache !

Ma parole ! Il allait m’exhiber sous le nez, son arbre généalogique, le pauvre gars.

- Philippins ? dis-je encore sous l’effet de la surprise. Debout ! hurlais-je. Mains derrière la nuque, et vous marchez jusqu’à l’extérieur, en rang serré. Vous voyez cette arme que je tiens en mains ? Elle peut transpercer un baobab de taille adulte !  

Il me fut inutile, d’en dire plus. Querella, et Gaudi, accoururent vers nous, lorsque l’on prit pieds sur la plage.

- Des Chinois ! dit Gaudi qui leur faisait signe de s’asseoir en tailleur, sur le sable imbibé d’eau de pluie.

- Non ! nous apprit Querella, avec un regard scrutateur, s’attardant sur les prisonniers. Ce sont des Philippins. Je reconnais leurs uniformes, ainsi que leurs insignes. Lui, il est sergent, m’apprit mon fusilier, désignant de l’index, celui que j’avais brutalement réveillé. J’ai été un temps à Manille, je ne crois pas me tromper.

Jensen, et ses deux acolytes, arrivèrent à toutes jambes.

- Bon Dieu Capitaine, j’étais mort de transe. Ce sont des Chinois ? Où, les avez-vous débusqués ?

- Dans la casemate, derrière vous. Ils ne sont pas Chinois ! Allez la fouiller ! Recherchez armes, et documents. Vous autres, m’adressais-je aux prisonniers, si vous êtes, ce que vous dites être, vous devez bien avoir des papiers qui le prouvent ?

- Oui mon Capitaine, dit le plus gradé des trois, sortant de sa vareuse de brousse, un portefeuille qui avait dû faire la grande guerre. Je suis le Sergent Ravanatorana, appartenant au régiment, d’infanterie de marine des Philippines, mon Capitaine.

Je lus, ce que sa carte professionnelle mentionnait. Il disait vrai !

- Debout Sergent !  Retournons à l’abri de votre casemate. Nous sommes tous trempés comme des soupes.

- Vous n’êtes pas, américains ?

- Français ! répondis-je, lui adressant un sourire.

- Ah ? La France ! Beau pays, beau pays !

- Vous connaissez ?

- Cartes postales, oui ! Paris, la tour Eiffel, Arc de Triomphe,  Notre Dame de Paris !

L’atmosphère se détendait !

- Euh ! Vous surtout pas dire, à mon supérieur que nous…

- Que vous dormiez, après vous être saoulés ? Je serais muet comme une tombe, sergent. Mais dites-moi ? Vous êtes nombreux ?

- Trente-six hommes ! Garder, toute la côte de cette île. Nous venons de relever nos camarades. Nous ne sommes pas encore bien habitués à ce genre de mission.

- Qui consiste ?

- D’empêcher les Chinois, et les Vietnamiens, de s’approprier les lieux, mon Capitaine.

- Ah bon ? Avec 36 hommes ? Vous avez une arme secrète ?

- On plante drapeau des Philippines, sur le sommet du volcan, mon Capitaine ! Les américains, sont nos amis, savez-vous ?

J’étais médusé ! Mais cet aplomb, me fit rire. Nous aurions dû songer, à amener nos couleurs, nous aussi.

- J’en suis pleinement satisfait, dis-je mi-figue, mi-raisin, répondant à sa dernière remarque ! Où sont les autres ?

- Nous patrouillons dans l’île. Nous avons des points de ralliements, comme par exemple, ces casemates enterrées. La nuit, nous ne risquons aucune incursion, de l’ennemi. La mousson, nous préserve !

- Ils viennent souvent, opérer des incursions ?

- Cela leur arrive, histoire de jauger nos forces. Mais, nous ne nous tirons pas dessus. Si île occupée, eux rebroussent chemin. Nous sommes…, vaillants combattants, savez-vous ? Les Japonais s’en souviennent encore ! Mon père s’est battu, et il est mort, sur l’une de ces îles. Il se battait avec les troupes britanniques. Elles furent imprenables ! Les japs, étaient trop nombreux, et bien enterrés. Beaucoup, le sont encore, dit-il en riant.

- Je vois ! dis-je, alors qu’ils tentaient d’éclairer, une vieille lampe à pétrole. Enfin, après quelques essais infructueux, ils y réussirent.

- Que font des français ici, mon Capitaine ? Vous avez fait naufrage ?

- Absolument pas ! Notre navire, est quelque part sur cette mer. Nous venons, puiser de l’eau !

- Ah oui ! De l’eau ! Il y en a, pas très loin d’ici. Après, repartir ?

- Le plus vite, sera le mieux. Nous avons besoin d’aide !

Je lui exposais, le problème.

- Mon Lieutenant, sera le plus heureux de vous apporter cette aide, dit-il, assez optimiste. Dès que le jour se lèvera, l’un de nous ira avertir les autres, de votre présence.

Nous avons continué à échanger des points de vue, leur offrant les cigarettes que nous avions dans nos petits sacs de plastiques, les ayant mises à l’abri de l’humidité. Nous mourions de froid, et de faim. Ils nous offrirent leurs rations de campagne, ce qui fut, mieux que rien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8 mars 1972, 06 : 00

 

Enfin, le jour se leva. Du moins, je le crus, car les nuages obstruaient encore le ciel qui se déversait sur nos têtes, sans répit. « Mousson quand tu nous tiens », pensais-je, levant les yeux, vers ses nuages noirs.

Leur Officier, se démontra très courtois. Il était très jeune. Notre présence sur cette mer du Sud, l’intriguait fortement. Mais il n’osait pas, poser les questions qui le tenaillaient.

- Beaucoup de nations limitrophes, seraient prêtes à se battre, pour ces archipels des Spratly, et des Paracells, dit-il, acceptant la cigarette que je lui tendis.

- C’est ce que je compris, répondis-je. C’est plus… stratégique que tout autre chose, non ?

- Détrompez-vous, Mon Capitaine. Je miserais très volontiers, sur l’exploitation des fonds marins.

- Hum ! Le pétrole ! Je comprends mieux, à présent.

- Nous jouons au jeu du chat, et de la souris, depuis la fin de la guerre mondiale. Mais la Chine, est puissante. Sans aide extérieure, nous sommes en fâcheuse posture.

- Et…, les américains ?

- Bof ! Il haussa les épaules, démontrant ainsi, sa déconvenue. Ils tiennent les îles les plus importantes, au Nord des Philippines. Eux, c’est vraiment une présence, d’ordre stratégique. Ils ne feront rien, contre l’impérialisme communiste chinois. Chacun son coin, chacun ses problèmes, et c’est très bien ainsi. Mais nous, Philippins, nous ne considérons pas les choses, sous le même angle de vues. L’avenir économique de notre archipel, dépend de notre détermination, à ne pas nous laisser léser de nos droits. Ces îles nous appartiennent autant qu’aux Chinois, et autres prétendants. Si nous parvenons à maintenir cette pression, tôt ou tard, ils voudront négocier, sur un plan d’égalité avec nous.

- Pour fonder une sorte, de coopérative pétrolifère, convenant parfaitement, à toutes les parties prenantes ?

- Vous avez mis le doigt dessus, mon Capitaine. En attendant, je vais passer un mois complet ici, et croyez le bien, ce n’est pas de gaité de cœur.

Je vis son alliance au doigt.

- Marié ?

- Depuis un an, oui. Nous venons, d’avoir notre premier enfant. Une fille. Je l’ai baptisée Victoria, en mémoire de ma grand-mère maternelle qui était Anglaise. J’ai fait une année, à l’école des hautes stratégies, en Ecosse.

- Hum ! Je soupirais nostalgiquement. Je viens de me marier également. Elle doit être morte d’inquiétude, à arpenter de long en large, les ponts de notre navire, en cette heure.

- Vous avez amené, votre femme en mission ? Sacrés français !

- Pas tout à fait ! Ce serait bien long, de tout vous expliquer. Hélas, je n’ai guère de temps.

- Qui sait ? Peut-être un jour, si vous venez à Manille ? Voici ma carte, dit-il sortant le petit morceau de carton de son portefeuille. Je vis la photo de son épouse, et je me démontrais attentif. Il me tendit son portefeuille.

- Eh bien, mon vieux ! C’est une vraie perle du pacifique ! Mettez-la à l’abri, dans un bel écrin.

- Ce n’est pas utile, mon Capitaine. On peut domestiquer un animal sauvage, sans pour autant, l’enfermer dans une cage. Je fais ça, depuis mon plus jeune âge, vivant dans ces contrées où, l’homme et l’animal, se côtoient naturellement. Je me fis quelques amis fidèles, dit-il en riant.

Il était bien, ce petit ! Le Sergent Ravanatorana me regarda, en se frottant l’arrière train.

- Vous, c’est sûr, avoir fait du foot, mon Capitaine, dit-il en grimaçant.

 

 

08 : 00.  

 

 Je rompis le silence radio, avisant très brièvement l’annexe que la plage, était sous contrôle. Très vite, elle vint enfoncer son étrave dans le sable. Les chaloupes furent tirées au plus près de la plage, sous la surveillance de deux de mes hommes en armes, car les requins, savent venir vous happer une jambe, dans une eau peu profonde. Les barils par nombre de trois, se virent chargés sur des sortes de traineaux en bambous, construis avec une étonnante dextérité, par les Philippins. Toute la journée, nous fîmes des allers, et retour, du point d’eau à la plage, trainant sous la pluie, en torses nus, près de six cent litre d’eau, chaque fois. Le sol, ne nous aidait pas ! Mais l’ingéniosité de nos amis nous ébahissait ! Ils utilisèrent des rouleaux de bois. Le plus délicat consistait à sortir ces barils, de cette jungle. Alors, ils fabriquèrent de longues perches, choisissant du bois solide, les reliant entre elles avec des lianes. Cela ressemblait fort, à un immense brancard. Le baril remplit, était roulé sur les lianes tressées, et dix hommes de chaque côté, le portaient sur leurs épaules. Ils avaient en un rien de temps, ouvert une piste assez large, permettant le passage de cet étrange convoi. En moins de dix heures, notre cargaison d’eau potable, fut chargée, et bien amarrée sur les chaloupes qui pouvaient en contenir dix. Les six dernières, se virent embarquées sur l’annexe. 7.400 litres d’eau pure ! Il y aurait de quoi, tenir encore quelques semaines. Après…

- J’ai les bras fourbus, dit un soldat de mon commando, à l’un de ses collègues. La peau de mes jambes est fripée, comme celle d’une grand-mère. J’ai été sucé à mort, par les sangsues, et j’ai des ampoules aux mains, à force de pomper. Il jeta la pompe sur le pont de l’annexe, avec un air dégouté. Plus tard, je me souvins de lui, en regardant les Shadocks, ne pouvant retenir mon fou rire !

« Et ces pauvres bêtes, pompaient, pompaient »…

Un dernier adieu sur la plage, non sans une pointe de regret, de devoir se quitter ainsi. Puis, l’on reprit la direction de l’îlot 443B. Il était 19 :00 à la pendule du kiosque de l’annexe. Cette semi-remorque des mers, devait se préserver, de toutes secousses intempestives. Par bonheur, malgré la pluie, la mer était calme. Par bonheur aussi, les puissants moteurs de l’embarcation, ne peinaient pas, en tractant notre précieuse cargaison. Il ne faudrait pas oublier de  préciser que nous avions surtout,  un excellent pilote, en la personne du Lieutenant Sotis. Je me trouvais un petit coin à l’abri, m’étendant à même le sol. Je gardais les yeux ouverts, quelques secondes durant lesquelles, je pensais à tout ce que nous venions de vivre. Les images s’embrouillaient, car simultanément, se bousculaient au-devant de la scène, d’autres souvenirs plus amers. Je venais de m’endormir, comme un morceau de plomb. Ce n’était là que, mauvais rêves…

9 mars 1972, 09 : 45.

 

Home, sweet home ! Pendant que les grues de charges, transféraient notre cargaison à bord, je me rendis immédiatement rendre des comptes au Commandant qui ne semblait pas avoir quitté la passerelle, depuis notre départ.

- Je commençais vraiment, à me faire un sang d’encre, Max, me dit-il, tout en me serrant la main chaleureusement.

- Ce ne fut pas une partie de plaisir, avec ce chargement instable sur ces chaloupes, Commandant, répondis-je, lui relatant notre périple.

- Eh bien ! Déjà sommes-nous sûr d’une chose, les chinois, ne sont pas entièrement maîtres, de ces eaux.

- Et…, André ?

- André, s’en est tiré sans encombre. Vous le connaissez bien, n’est-ce pas ? Il a fallu qu’il se rende, plus loin.

- Et ?

- Eh bien, il a eu de la chance, de ne pas se faire repérer par leurs radars, à longues portées. Mais je dois avouer que ce fou furieux, en a où je pense. Sa… psychologie d’aventurier, prêt à tout pour surpasser des limites, dont il ne peut encore voir la ligne de démarcation imaginaire, s’avère très acuminée, à la recherche, et à la compréhension, du plus infime détail, je dois le reconnaître. Ces…, « gens-là », comme il les désigne  avec mépris, pèchent par orgueil ! Ce qui les rend, et tous points vulnérables.

- Vous optez… pour son plan, si je vous suis bien.

- En auriez-vous un meilleur, Max ?

- Absolument pas, Commandant ! Je suis peut-être, un peu moins fou que lui ! Juste, un tout petit peu moins ! Mais, je me sens très excité, à l’idée de donner une bonne leçon, à ces prétentieux de chinois. Dommage que cette humiliation, ne figurera jamais en bonne place, dans les livres d’histoire ?

- Vous postulez, pour la gloire, Max ?

- J’étais sarcastique, Commandant ! Vous ne l’aviez pas compris ?

- Hum ! C’est bien vous, ça ! Et puis maintenant, le voudrais-je ? Je ne pourrais plus revenir en arrière. Pendant votre absence, les choses ont bien évoluées. Nos amis américains, mettent à notre disposition deux appareils d’observations, Lockheed C130 Hercule. Ils sont basés, à Hawaï. Nous serons informés à la seconde près, de la progression des navires ennemis. C’est tout, ce qu’ils peuvent faire !

- C’est déjà bien, Commandant ! C’était l’un de mes soucis ! Comment, allions-nous savoir, où ils sont ! Et pour le ravitaillement ?

- Les évènements, nous ont contraints à changer notre fusil d‘épaule. Nous avions rendez-vous en mer, avec un ravitailleur américain. J’ai bien été obligé, de le décommander. Nous verrons ça, après… cette opération. Je pense que si Dieu le veut, nous ferons escale au Viêt-Nam.

- Les… navires ennemis…

- Nommons-les, « Bandit », décida le Commandant.

- Bandits, doivent s’apprêter à appareiller. Il sera désormais facile, de les suivre à la trace ! Mais quand arriveront-ils à notre vue ?

- Il leur faudra quatre bons jours de mer, pour atteindre Hainan. Ils ne prendraient pas le risque absurde, de longer au départ de leur port, la côte Est chinoise, en naviguant au Nord de Taiwan, pour pénétrer dans le golfe du Tonkin. Ils se feraient très vite remarquer. Alors, selon moi, au départ de Chongjin, ils vont naviguer, plein Ouest,  comme s’ils avaient l’intention de se rendre, à Nagasaki. Puis ils iront droit sur Naha, une petite île de l’archipel du Japon. Ils nous arriveront dessus, en longeant la côte Sud de Taiwan. Ils n’iraient pas non plus, faire du yachting, près de Hongkong ! Selon les rapports de l’Amirauté du Pacifique Sud, le seul port chinois qui soit à même, de recevoir cette cargaison, et de permettre son stockage, dans l’attente plus tard, de sa livraison, c’est Dong fang ! Ce port, se situe sur la côte Ouest de Hainan. De là, des embarcations tout à fait anodines, du genre boutres, et sampans, peuvent très aisément se rendre à Cam Pha, déposer leurs cargaisons. Et… ni vu ni connu, je t’embrouille ! Ils sont laborieux comme des fourmis, ces Asiatiques, Max ! Chez eux, l’impatience est un défaut, voire un péché mortel. Ils vont apprendre à leur dépend que parfois, ce peut être une qualité. Un sacré coup de pied, dans cette fourmilière ! Ça va se mettre à grouiller de toute part, et souhaitons-le, dans un désordre et, une panique indescriptible.

- Nous ne pouvons savoir, de quelle armada ils disposent, pour assurer la protection de ce port.

- Certes ! En regardant la carte des fonds marins, de cette partie de l’île, si destroyers il y a, ils devront se tenir à bonne distance du port. Leurs jauges, sont trop importantes. Ils patrouilleront, en haute mer. Le plus pratique pour eux, c’est leurs tueurs de sous-marins. Leurs vedettes rapides ! Voyons l’astuce que l’adjoint d’André, à mise au point. C’est une expérimentation qui selon l’avis de Julian Stinneng, devrait fonctionner à merveille. C’est plus performant que les feuilles d’aluminium.

- Hum ! Que de choses, me rendent perplexes, Commandant.

- Quoi donc, Max ?

- Eh bien… Depuis quand les chinois, éprouvent-il un quelconque besoin d’aide extérieure, pour ce qui est de l’industrie de l’armement ? Et surtout, de l’aide de la Corée du Nord ?

- Je suis tenté de penser que c’est une sorte de provocation, de la part de la Corée du Nord. Un pied de nez, aux américains. Vous pensez bien que les chinois, sautent sur l’occasion ? Et les russes eux, ils se pourraient très bien qu’ils voient cette alliance, Sino-coréenne, comme un danger, pour leurs intérêts. Cette vision très personnelle, expliquerait très certainement leur comportement, depuis le début de cette affaire. Et puis, pour revenir à la Corée du Nord, c’est aussi une façon de transmettre un message très clair : « Nous sommes là, nous existons, et nous avons notre mot à dire ». Cette bravade de leur part, n’est que pure logique, ressortant  d’une persistance farouche, à poursuivre des vues hégémoniques, contre le Sud, charpente idéologique du régime Nord-Coréen. Un message,  et une attente : « Si la situation s’envenime, ne nous oubliez pas », disent-ils, ainsi aux chinois. Et il est hélas à prévoir que la situation, s’envenimera tôt ou tard. Il n’y a aucun règlement pacifique qui soit envisageable, entre les deux Corées. Ceux qui pensent le contraire, se sont les pacifistes, et les doux rêveurs.

- Oui ! Cette planète, ne connaitra jamais un seul instant de paix, hélas. Je suis épuisé ! Si vous me le permettez Commandant, j’aimerais bien aller rassurer ma femme, prendre un bon bain, manger, et surtout… dormir ! Au fait ? Qu’est-il arrivé, aux cuves ?

Je perçus une immense désolation, sur son visage, aux trais tirés.

- L’agent de la Stasi, a réussi l’exploit, de dévier une canalisation d’eau croupie, pour qu’elle aille se déverser dans les cuves d’eau potable. Nous l’avons découvert, en vidant ces cuves, pour en purifier l’eau restante. Pas mal, hein ?

- Il nous empoisonnait !

- Disons qu’il nous rendait malades ? Une façon comme une autre, d’affaiblir nos moyens.

- Pas mal joué, en effet, dis-je, ressentant un vif écœurement. Oui ! Nous avons vraiment, beaucoup à apprendre des autres. Durant ce périple, question rencontre du troisième type, j’ai été servi !

- Vous avez vu, des extras terrestres ?

- Pire ! J’ai vu des extras terriens, Commandant.

 

 

 

 

10 : 30.

 

Je me rendis à l’infirmerie d’un pas pressé, malgré l’immense fatigue, une barbe de deux jours, et mes vêtements qui n’avaient ce nom que du fait qu’ils me recouvraient. Je n’eus pas le temps de voir tous ces détails, comme étant un repoussoir. Jackkie faillit lâcher au sol, les compresses qu’elle tenait en mains, les posant en hâte sur un chariot roulant, avant de se précipiter entre mes bras.

- Oh, mon Dieu, Max ! murmurât-elle, son front posé contre ma poitrine. J’ai eue si peur,  parvint-elle péniblement à articuler, un spasme de sanglots péniblement refoulés, comprimant sa gorge.

- C’est fini, c’est fini. tentais-je de l’apaiser. Mais, sans même ne plus accorder la moindre attention à l’environnement, elle m’embrassa fougueusement, au centre de cette grande salle de soins, sous les regards encore fiévreux, des hommes alités.

- Eh bien, eh bien, entendis-je, la voix gouailleuse de Soumaya. Voici notre marchand d’eau, revenu au bercail ? Carroll accourut également, un large sourire de joie aux lèvres.

- Nous étions toutes trois très inquiètes, dit-elle, m’embrassant sur les joues. Oh pardon Jackkie, s’excusât-elle. Ça été, plus fort que moi !

- N’en fais pas une habitude, répondit-elle, en riant.

- Eprouvant, ne doit pas être le mot le plus juste, à voir l’état dans lequel tu es, dit Soumaya, venant prendre la place de Jackkie, entre mes bras. Je… Je ne sais plus, à quel saint me vouer, comme vous le dites, les chrétiens. Maintenant, c’est mon tour, de connaître les affres de la peur, me murmurât-t-elle.

- Je te comprends, répondis-je, la serrant tendrement. Tu vas devoir surmonter cette épreuve, avec courage, comme tu l’as toujours fait.

- Je ne vois pas, ce que je pourrais faire d’autre, dit-elle, à voix basse.

Jackkie, et Carroll se rapprochèrent, fermant leurs bras autour de nos épaules, conservant le silence, pour donner plus de force, à cette harmonie des cœurs.  

- Je reste avec Soumaya, se proposa Carroll. Tu peux aller avec ton mari, Jackkie.

- Oui, dit Soumaya. Nous n’avons plus besoin de toi, à présent que les pansements sont finis. Pour voir la tête de cochon de Fuller, tu as mieux à faire. Enlève ta blouse, et file d’ici. J’ai deux élèves, aux talents indéniables, tu sais Max ? Heureusement ! Ce sera utile !

- J’espère que non ! répondis-je, sachant que ce souhait, n’avait que très peu de chance, d’être entendu du ciel.

Enfin, notre cabine ! Je pris une bonne douche, avec une eau, pas très ragoutante il est vrai. Je pensais, à Schtröbe. Il avait une sacrée chance, celui-là que les américains, tenaient à le conserver au frais. « Crapule » ! pensais-je. Jackkie qui s’était laissé convaincre, il est vrai, sans trop se faire prier par Soumaya, s’affairait devant le petit coin cuisine. Pendant que je me décrassais, je sentis la bonne odeur du café, et cela me rendit une seconde vie. Subitement, ma fatigue s’envola. Une serviette autour des hanches, je me rasais en sifflotant.

- Qu’est-ce qui te rend aussi joyeux, s’enquit  Jackkie, entourant ses bras autour de mes hanches, posant sa joue, sur mon épaule.

- Toi !

- Si tu voyais, ton dos ! s’écriât-elle, horrifiée. Tu es marqué, comme si tu avais reçu des coups de fouets. Et tes épaules, Seigneur Jésus ! Ces bleus, ces brûlures ! Mais comment t’es-tu fait ça ?

- Les joies du camping, dis-je, essayant de dédramatiser la vision, de ces vilaines traces qui zébraient mon corps. Tu m’aimes, comme je suis ?

Elle ne répondit pas, embrassant du bout des lèvres, tous les points lésés de ma chair.

- C’est plus délicieux que les mots, et que le meilleur des baumes cicatrisants, m’enchantais-je, de cette délicatesse.

- Viens boire ton café, gourmand que tu es, répondit-elle en minaudant, sortant de la petite salle de bain. Elle me regarda par-dessus son épaule, un large sourire un peu coquin aux lèvres. Je t’ai sorti du placard, un uniforme propre. J’espère qu’ils ne vont pas encore t’envoyer, je ne sais où pour aller y chercher, je ne sais quoi. Car il faut que je lave ces… Ces torchons, avant qu’ils ne durcissent, et n’entrent plus dans la machine à laver, sans que je sois tenue, de les casser à la masse. Tu me montreras, cette île paradisiaque sur la carte que je l’évite, hein ?

 - Je crois qu’en te voyant si belle, dans cette blouse blanche, j’ai immédiatement oublié sa situation géographique. Je n’avais que toi, en tête.

 - Menteur ! dit-elle en riant, servant le café, accompagné de petits pains beurrés. Je suis certaine que cette île, était occupée par toute une armée d’amazones, toutes aussi belles, les unes que les autres, et que tu succombas, sous leurs charmes.

- Je ne suis ni Ulysse, ni encore moins, Hercule ! 

- André pense le contraire, pour ce qui est… d’Hercule, dit-elle sombrement.

- Ah bon ? Qu’as-tu encore arrachée, des lèvres bavardes, de notre brave Soumaya ?

- Qu’il ne conçoit pas, l’opération qu’il aura à accomplir, sans que tu en sois. Que veut-il au juste ? Me faire perdre patience ?

- Je ne vois pas trop, en quoi je pourrais lui être utile. Je ne connais absolument rien, au maniement des instruments de bord du submersible, ni encore moins, à la plongée sous-marine.

- Tu ne comprends pas ? Ton ami, ne supporte pas vraiment que tu ne suives pas ses traces, et sa façon de penser. Avec moi, tu te démontres tendre, attentionné. Tu es, un mari au sens le plus pur du terme, et cela, malgré les impératifs de ton service. Quel mauvais exemple, tu donnes !

- Aux yeux, de Soumaya ?

- Voilà ! Tu le sais, n’est-ce pas ? Il me remémore mon père, parfois. Ma mère en souffrit longtemps, de cette attitude distante qu’il affichait envers elle, en toutes circonstances. Ce sont des hommes orgueilleux, d’un cynisme incurable. Ils jugent que leur devoir est accompli, parce qu’ils travaillent durs, pour féconder l’opulence. Et encore, je me demande si ce n’est pas une recherche personnelle, d’atteindre la gloire, la puissance terrestre, et bien plus tard, accéder à la postérité, en bonne position sur  la liste des bienheureux. Mais l’excuse, est bonne ! Oui ! C’est l’incarnation, la matérialisation flagrante, de l’égoïsme. Ne mets pas en épigraphe, les souffrances endurées au cours de votre enfance. Je te connais, maintenant. Tu es toujours en train, de chercher des excuses aux gens. Je ne dis pas qu’il soit mauvais ! Il est possessif, jaloux. Ce qui le rend idiot ! Pourtant, le paradoxe réside dans le fait qu’il est loin de l’être, démonstration est faite ! Alors, il me perturbe !

- Ne te fais, aucun souci. Tu ne le connais pas, encore aussi bien que je le connais. Il te teste !

- A moi ? s’écriât-elle, avant de froncer les sourcils, et d’éclater d’un rire franc. Il veut que je sorte de mes gongs ? Il aurait tort de me pousser, dit-elle, avec une expression furibonde.

- C’est un joueur de poker, dis-je, ne pouvant m’empêcher de rire. Un bluffeur, né ! Il veut voir, jusqu’où tu seras capable d’aller ! Alors ! Il se sert de Soumaya, dont il connait la proverbiale indiscrétion. Attention ! Elle n’est ainsi qu’avec ceux qu’elle aime. Tiens ! L’épisode du pirate !

- Celui que tu as retourné comme une crêpe, et avec qui, tu voulais que je rejoigne la terre ferme ! Oui ? Et alors ?

- Jamais il n’aurait dû, très logiquement, en parler avec Soumaya. Mais il savait que j’éprouvais quelques remords, de ne pas t’avoir convaincue, de partir.

- En me le faisant savoir, par l’intermédiaire de sa femme… Oh ! Le sagouin ! J’allais non seulement t’en parler, mais aussi, te réaffirmer ma volonté, t’ôtant ainsi, les derniers remords que tu pouvais cultiver. Ce qui était en tous points bénéfique, à l’accomplissement de ta tâche quotidienne, c’est bien ça ?

- Bingo ! Maintenant, tu connais mieux la complexité du personnage ! Si quelqu’un t’affronte yeux dans les yeux, pour te donner un conseil, même judicieux, et que tu n’es pas en état d’esprit de l’entendre et, surtout de mettre en pratique ce conseil, tu vas fermer hermétiquement tes oreilles. Mais si la voix de la raison, te provient de derrière un paravent ? C’est étrange, mais tu vas entrer en concentration, et en capter chacun des sons. Résultat, ils vont très vite atteindre ton cerveau, et s’y voir analysés.

- Même si tu reconnais, le timbre particulier de cette voix ?

- Pardi ! Yeux dans les yeux, tu vas te servir de tes arguments qui iront à l’encontre, du dialogue escompté. De ce fait, tu génères une interférence, à ta propre faculté d’évaluation des choses. Si la voix vient d’ailleurs, ne t’accordant que le choix d’écouter, avant de se taire, et de laisser place à la méditation ? Les mots, vont porter ! Car te voici directement connecté, avec l’outil cérébral, permettant l’acuité de la réflexion. Et cette dernière, ne sera en rien perturbée, par ce réflexe humain, de se protéger par excès d’orgueil. C’est une méthode drastique, pour éveiller la conscience, en hibernation. André, sait bien utiliser ces protocoles psychologiques. Il sait pertinemment que le Commandant, ne donnerait jamais son consentement, à ce que j’embarque sur le Seehund.

- Mais que veut-il savoir ainsi, par le Diable ?

- Oh ! Tout simplement, si tu m’aimes ! Ne te fais aucune illusion ! Depuis lors, il t’observe très attentivement. Et si tu lui filais, ta main sur la gueule ? Il serait aux anges ! Il obtiendrait une réponse… percutante, certes ! Il aime le risque ! Que peux-tu y faire ?

- Mais pourquoi agir ainsi, voyons ? Ne peut-il pas me le demander ? Et puis… Zut ! J’avais la possibilité de partir… il ne comprend pas ?

- Oui ! C’est un suspicieux ! Mais demander ? Ah non ! Ce n’est plus du tout amusant, s’il demande ! Il y a ce côté un peu obscur que cultivent amoureusement, ceux qui ont la passion du jeu. Pourquoi ? Parce qu’il me vit souffrir.

- Pour Nelly ?

- Non !

- Oh ! Oui, je comprends. Pour Viviane, pas vrai ?

- Il m’a maintenu à flot, car sinon, je me serais noyé. J’ai plongé, dans tous les vices de la création, après avoir satisfait, à l’examen du baccalauréat. Les filles, et surtout, celles que l’on paye, pour assouvir un besoin humain, sans avoir à parler d’amour. L’alcool, l’abandon total, de toutes perspectives d’avenir. En fait, ne me demande même pas par quel miracle, j’ai réussi mes examens. Je ne le sais pas, moi-même ! Il m’a indirectement, botté les fesses. Il s’est engagé dans l’armée, sachant que consécutivement à notre éloignement,  je me sentirais perdu, comme un nouveau-né que sa mère, vient de déposer par une nuit d’hiver glaciale, devant le parvis d’une église. Ma mère, venait de divorcer de mon beau père que j’ai appelé,  « papa », depuis l’âge de six ans. Elle travaillait la nuit, et j’étais totalement livré à moi-même. C’est de là, que proviennent mes insomnies.

- Il savait pertinemment que tu allais faire de même. Le suivre ! Je vois !

- Je… En passant cet uniforme, pour la toute première fois, quelque chose d’assez étrange, est arrivée. M’est apparue soudainement, une évidence. La vie, m’offrait une seconde chance. Pas celle d’oublier, non ! Il ne faut pas trop en demander, à la vie. Mais celle de construire, plutôt que de tout faire, pour me détruire. D’un coup, je me suis souvenu que j’existais ! Et, qu’animé de cette vitalité que je découvrais tardivement, je me devais d’aller toujours plus loin, pour prouver au monde entier que cette existence, avait une raison d’être. Je puis affirmer aujourd’hui que c’est exactement, ce que Viviane aurait ardemment désirée. C’était à bien y repenser, ce qu’elle me disait avec ses mots, trois jours avant sa mort. Je ne le compris pas ! J’étais révolté, contre le monde entier, et particulièrement, contre moi-même !

- Tu l’as suivi, guère convaincu que là était ta voie, si je comprends bien ? 

- Très certainement, oui ! Nous en parlions depuis longtemps, de nous engager. Mais… Je me souviens de la toute première nuit, de mon incorporation. Il y avait, deux grandes baies vitrées, dans la chambrée. Elles donnaient vue, sur une immense esplanade où dans la journée, paradaient les élèves. Elles étaient situées, au premier étage de la brigade d’accueil, juste en face du foyer troupe. Le juke-box, diffusait « Eloïse », de  Barry white. Je ne pouvais dormir ! Mis à part la musique d’en face, mes oreilles bourdonnaient de ce silence, seulement entrecoupé de quelques ronflements, car tous dormaient du sommeil du juste. Nous avions été avisés que la journée suivante, serait très éprouvante. Des tests, et toujours des tests ! Non ! Ces… bourdonnements dans mes oreilles, étaient exhortés, par mes tous premiers instants, de véritables sensations de paix. Cela ne m’était plus arrivé, depuis fort longtemps. C’était cette paix qui distinctement, envahissait tout mon être. Je fumais debout devant la fenêtre, et je regardais les soldats emmitouflés dans leurs capotes militaires, car nous étions en février. Il faisait très froid ! Ils riaient, se chamaillaient comme des gosses, en jouant à la bataille, de boules de neige. Ils profitaient pleinement, de leur jeunesse. Je ne savais plus, me comporter ainsi. J’avais…, vieillis  prématurément. J’ai passé toute la nuit, debout devant cette fenêtre. Le matin, l’Officier est entré en trombe, dans la chambrée. Je m’étais rendu me laver, me raser, pour occuper le temps, et me revigorer, de cette nuit sans sommeil. Il crut que j’étais le premier debout, apprêté à affronter cette journée naissante. Il me félicita, me nommant chef de chambre ! Je l’ai regardé surpris, et je lui ai dit la vérité. Que je n’avais pas, dormi de la nuit. Il m’a dit :

« Tu vois mon gars ? Tu viens de gagner un tour de manège gratuit ! Les hommes qui ne dorment pas ? Ce n’est autre qu’ils pensent ! Et vois-tu mon gars ? Un homme qui pense, plutôt que de se laisser aller à l’insouciance ? Moi ! J’en fais un bon officier ! Je maintiens, ce que j’ai décidé. Tu seras, chef de chambre » !

Voici comment, je revins à la vie. La rigueur, la discipline école, le besoin de compétition qui mène à se surpasser, tout cela y contribua.

- Je… Je ne voyais pas les choses ainsi, dit Jackkie, serrant mon visage contre sa poitrine, avec une infinie tendresse. Maintenant, je me sens rassurée.

- Bon ! J’en suis heureux. André, est ainsi fait ! Voilà la raison pour laquelle, il se sent tel un poisson dans l’eau, dans le renseignement. Il lui est permis, de tout mettre en œuvre, en utilisant optimalement ce trait de caractère qui n’est pas simple, à comprendre.

- Oui ! Mais ceci, n’explique pas tout. Soumaya en souffre de… ce trait de caractère. Il serait peut-être temps que tu vides ton sac, avec lui ? Qu’à ton tour, tu le reconduises sur le bon chemin.

- Hum ! Je m’y emploi, Jackkie. Chaque jour, je m’y emploi. Mais il est des êtres que rien ne sert, de les brusquer. Alors, j’attends que le soleil soit à son zénith, et qu’il fasse très chaud, pour diluer dans de l’eau citronnée bien fraiche, les mots qui porteront. C’est le seul moyen, pour qu’il avale d’un trait. Nous allons avoir un peu de temps, maintenant. Demain, je lui parlerai.

- Tomorrow does not exist, because, it’s always today…9 me répondit ma femme, dans sa langue natale.

 

17 : 30.

 

Ces quelques heures de repos, furent amplement suffisantes. J’éprouvais encore, cette sensation de vertiges, ayant plus ou moins souffert du mal de terre. Aussitôt, je me rendis en poupe. Jackkie m’avait laissée dormir. J’avais trouvé un petit mot sur le bureau, me disant :

« Mon amour, je suis à l’infirmerie, pour aider Soumaya, aux soins du soir. Tu me manques, déjà. All my love ».

Elle prenait son travail, très à cœur. Je souris tendrement, avant de prendre le chemin, du dur labeur.

 

9  Demain n’existe pas, parce que, c’est toujours aujourd’hui.

 

 

Le Seehund, était amarré à bâbord, entre le navire, et cet l’îlot rébarbatif. André, agenouillé près du trou d’homme, sa tête disparaissant à l’intérieur, s’adressait à l’un de ses équipiers que je ne pouvais voir. Lorsqu’il se remit sur ses jambes, la visière de la casquette sur le front, il ne semblait plus du tout, se soucier de la pluie qui tombait encore, à verse.

- Tu prends ton temps, hein ! dit-il à ce technicien, en haussant la voix. Ces batteries, tu me les bichonnes.

- Un problème ? lançais-je, du haut du bastingage.

- Ah ! Tu te lèves quand les autres, ne vont plus tarder à aller se coucher, répondit-il, levant les yeux vers moi. J’ai bu, un bon verre d’eau fraiche, à ta santé !

- Bah ! C’est un coup, à rouiller ton cœur d’acier ! Tu as un pro…verbe, blême ?

- Non ! Mais descend, ne me fais pas lever la tête, et la voix !

Je pris l’échelle de coupée, me rendant le rejoindre.

- Ne va pas glisser, hein ? Ce pont, est une véritable savonnette.

Je remontais très haut, le col de mon ciré noir, venant me placer à sa droite.

- Je fais changer les batteries, et en rajouter d’autres. Tu as morflé dur, durant ce voyage ?

- Tu parles ! J’ai eu la frousse de ma vie, en voyant ces gens ! Ils étaient chinois ! Enfin ! D’origine ! Mais imagines-toi, plongé dans une nuit noire, tombant nez à nez, avec un petit homme jaune qui te crie : « Je suis, de père Malgache » ! Tu le croirais toi ?

- Qu’aurais-tu fait, s’ils avaient vraiment été chinois ?

- Je ne sais pas ! Je présume…

- Hum ! Ne te pose pas la question, me coupât-il. Tu n’as pas eu, à le faire. Si tu te poses trop la question, tu vas en faire des cauchemars. Tu n’es pas venu prendre une douche, sur le pont de ce sous-marin, pas vrai ? présumât-il, secouant sa casquette, pour en chasser les perles de pluie qui dégoulinaient, sur la visière. 

- Non ! L’eau, j’en ai soupé ! Tu seras prêt ?

- Tu ne viens pas, directement au but ! Tu veux savoir si tout fonctionneras, comme je l’imagine ? Suis-je, devin ?

- Tu as tout potassé, j’en suis plus qu’assuré.

- Tout en détail ! Les cartes des fonds marins, les plans de ce foutu engin que j’ai scanné, dans ma mémoire. J’ai passé en revue l’armement, les explosifs, les détonateurs, la classification des charges, pour créer l’effet espéré. La bouffe ! Je n’attendais, plus que l’eau ! Maintenant, je dois régler le problème de ces foutues batteries, trop faibles pour accomplir le voyage aller, et retour, malgré que Klein, ait complètement transformé les alternateurs de charge. Alors, nous allons amener des batteries neuves que nous devrons, remplacer en plongé. Une partie de plaisir, compte tenu que nous partirons à six. Il me faut également prévoir, et vérifier, les bouteilles d’oxygène, réservées à l’opération par elle-même, et celles que nous emporterons en plus, pour le cas où nous devions rester planqués, sur un banc sablonneux, au fond de cet océan, le moteur en berne…

- Explique ?

- Nous couperons, le moteur ! L’air respirable, va très vite se raréfier, malgré que l’oxygène, soit le principe fondamental, du fonctionnement de ce moteur diesel. Mais tu comprends très bien, l’impossibilité de puiser à la source, ces ressources essentielles, à son bon fonctionnement ?

- Oh ! Je vois ! Si vous étiez pris en chasse, et…

J’hésitais, à prononcer le mot. Devenais-je superstitieux, à l’approche du dénouement ?

- Grenadés ! Tu peux le dire ! Mais, j’espère éviter cette perspective peu attrayante, dont je dois tenir compte, pour mener à bien cette opération, sans qu’elle ne se finisse par un drame. Si tu éprouves le désir de voir de près, les espèces vivantes qui peuplent cette mer, je libère une place pour toi ?

- C’est à ce sujet, justement que je suis venu finir de me rincer…, sous cette averse.

- Ah ! 

- Jackkie, ce n’est ni Soumaya, ni encore moins Nelly ! dis-je assez brutalement. Elle ne te connait pas ! Si tu veux un bon conseil, ne t’en fait pas une ennemie farouche. C’est… un être, d’une extrême sensibilité.

- Nell, était dépourvue de sensibilité ?

- Pas le moins du monde ! Je répète, car tu ne sembles pas avoir compris. Jackkie, n’est pas Nell. C’est une fille, au courage exceptionnel, Ber.

- Elle aurait très bien pu, profiter de l’aubaine que tu lui offrais, pour se tirer de là, en effet ! J’ai parfaitement compris ça. Je l’admire beaucoup, pour ce… cette abnégation de sa personne.

- Voilà ! Tu le sais, mieux que quiconque. Alors, arrête de lui foutre la frousse. C’est d’encouragements, dont elle a le plus besoin. Ce n’est plus l’instant propice, pour ce jeu que tu affectionnes. Dans quelques jours, six, une semaine au plus, soit nous filerons d’ici, avec la certitude d’avoir accomplis quelque chose qui s’impose, aux yeux de personnalités fortement impliquées, aux grands mouvements de cette planète, s’imaginant à grands torts, en être le mécanisme propulseur. Ils n’ont pas encore bien compris qu’ils pédalent, dans la semoule ! Ou alors, nous serons tous morts, et eux, ils sableront le champagne au Fouquet, sans ne rien changer, à leurs habitudes, pour si peu ! Alors ! Profitons sereinement du temps qui nous reste, veux-tu ? Elle est, follement amoureuse de moi. Elle m’apporte,  un réconfort moral qui malgré l’imprécision de ce qui se profile à l’horizon, me donne la force, et l’imagination nécessaire, à l’accomplissement de mon devoir. Elle m’inspire ! Et pourtant, elle tremble de peur, André ! C’est suffisant ?

- Amplement !

Visiblement, il n’était pas à la fête. Je m’attendais à ce qu’il pétarade, mais j’en fus pour mes frais. Il écouta stoïquement.

- Bien ! Si tu as besoin de moi, pour t’aider dans tes préparatifs, ce sera volontiers que je t’apporterais mon soutien. Penses-tu, venir souper ?

- Quand j’en aurai terminé ici, répondit-il, en me regardant droit dans les yeux. La turbine à réflexion, tournaient à merveille ! Pas le plus infime grincement, des ailettes de ventilation…

- Bien ! Je vais à l’infirmerie, avant d’entamer ma tournée d’inspection. As-tu, un message à transmettre ?

- Non !

- Bah ! Je serais toi, je réfléchirais, avant de répondre.

- C’est ça, petit malin ! Dis à Soumaya que je ne serais pas en retard, pour le soupé !

- Ok ! Le retard, ne se rattrape plus, André. Et vois-tu, une semaine ? Tu as déjà vu, des quantités d’étoiles filantes, n’est-ce pas ? Je ne te ferais donc pas, un dessin ! Quelqu’un est-il allé voir de près ce fanal ?

- Il est de fabrication américaine, m’apprit-il. Selon moi, les Philippins en assurent la maintenance.

- Ok ! Un souci de moins. A tout à l’heure !

Je le laissais planté là, l’entendant jurer après cette satanée pluie. Mais, pourquoi étais-je à ce point persuadé qu’il se maudissait lui-même ? Je crois que j’ai souris, assez diaboliquement, si mes souvenirs sont bons !

 

18 : 30.

 

Il était l’heure des repas, à l’infirmerie. Les patients qui pouvaient se mouvoir, soupaient assis, autour d’un grand panneau de bois peint en vert, posé sur trépieds amovibles. Sitôt les repas terminés, l’ensemble se voyait rangé, pour laisser place libre. Quant aux blessés dans l’impossibilité de quitter leurs lits, Carroll, et Jackkie, s’exhortaient à les alimenter, faisant face à des conditions, malaisées, à supporter moralement. C’était assez touchant à voir, la façon dont elles avaient fait abstraction de leurs rancœurs personnelles, envers ces hommes, à qui elles devaient tout de même, pas mal de déboires.

« Qu’allons-nous en faire » ?

Je ne détenais pas la réponse, à cette question lancinante.

- Max ! m’accueillit Jackkie, très préoccupée par l’état physique de son patient. Veux-tu m’aider à le remonter un peu plus, sur son oreiller ? Il s’étouffe, précisât-elle.  

Je remarquais la trachéotomie, et la sonde qui en sortait.

- Poumons brûlés par l’incendie, me dit-elle. Le feu, le ronge de l’intérieur. C’est effrayant, non ? Il n’y a que ses yeux qui s’expriment. J’ai parfois l’impression qu’il me demande, de tout débrancher. Il est jeune, bon Dieu !

- Oui ! Qu’en dit Fuller ?

- La couleuvre, comme tu l’as si bien nommé ? Il le regarde ! Il semble totalement dépassé ! Heureusement que Soumaya était là, lors de son admission ! C’est elle qui lui a pratiquée cette trachéotomie, et qui l’a intubée. Ce cher Fuller a mis du temps, pour se rendre compte que le gars se mourrait. Ou bien, il s’en foutait. Son cœur est solide, hélas !

- Hum ! Je ne sais que dire ! Avoir les mots justes, aux vues de telles situations, ce n’est donné qu’à ceux qui détiennent la connaissance, tout en demeurant distants des souffrances humaines. Il en est qui diraient, laissons faire la divine providence ? Je ne crois pas que lui, pense de même ! Il doit se demander ce qu’il lui fit, à la divine providence, pour en être là.

- Il a péché, diraient les bigots ! Il mérite à ce titre, un juste châtiment !

- Juste châtiment ? Hum !  Le juste châtiment, serait de le réexpédier sur ses jambes, vers la misère d’où il tenta de se soustraire. J’en arrive à comprendre que des hommes acculés par la souffrance, s’écartent d’une trajectoire que nous leur imposons, par la crainte divine ou…, celle du bâton ! Ni l’une ni l’autre, ne nourrissent. Qu’existe-t-il de plus important que de tout simplement parvenir, à manger à sa faim tous les jours. Je les regarde tous, alités là, et je ne vois que des ombres humaines. Des squelettes, avec la faculté de penser qui doivent foncièrement nous haïr, car nous leur semblons, des conquérants venus d’un autre monde, capables d’affronter le pire. Des êtres, supérieurs ! Nous n’avons pas vaincu le nazisme, Jackkie ! Nous avons fait taire Hitler, à tout jamais ! Mais pas le fondamental, de son idéologie. Il a été récupéré, humanisé, si j’ose dire. Aujourd’hui, ce ne sont plus les douches, et le cyclons B qui font des millions de victimes. C’est l’économie mondiale ! Une solution finale, à plus grande échelle.

- Ne te fais surtout pas, entendre dire de telles choses, me murmurât-elle, prenant un air suspicieux, et apeuré. On va te taxer, d’idées communistes !

- Oui ? Ma foi ! Nous sommes tous, encombrés de paradoxes. Non ! Le réalisme de ce que mes yeux voient, m’effraye, Jackkie. Le réalisme, va à l’encontre des idées. Tout être humain normalement constitué, se questionne, éprouve des doutes, souvent même, des instants de révoltes. C’est ainsi que nous influons, chacun à notre propre dimension, avec nos petits moyens le plus souvent, sur les injustices. Cela permet de motiver une lente, et pénible évolution vers le meilleur, pour nos contemporains. Mais aussi, et surtout, pour nos descendants. Ceux qui se contingentent dans une idéologie, rendant leurs esprits hermétiques à toutes logiques extérieures. Ils se complaisent, dans leurs visions restreintes. Ils se cloîtrent eux-mêmes, dans une prison aux murs si épais que le son de leurs voix, est étouffé. Se croient-ils, libres de penser ? Libres, de s’exprimer ? Ce ne sont que des moutons de panurge qui suivent aveuglément, une mouvance d’idées. Ils sont exploitables à souhait, par des gens qui eux, seraient prêts à vendre leurs âmes, pour détenir le pouvoir, la richesse, et la gloire éternelle, afin de figurer en bonnes pages, d’un livre d’histoire. Le pauvre bougre, ne rêve pas souvent, de laisser une quelconque trace, de son passage sur terre. Si toutefois il cultive cette prétention, il se servira d’un encrier, et d’une plume, pour fixer un récit sur du papier. Les puissants eux, ont une armée de scribes qui écrivent les plus atroces, et sombres pages, de l’histoire de ce monde, avec pour sépia, le sang des inconscients.  

- Un sacré coup de pied, dans les fesses du militantisme, ne trouves-tu pas, chéri, approuva Jackkie en riant.  

- Tu tiens, le résultat des affrontements des idées, entre tes bras, chérie. Et sais-tu, le plus terrifiant de l’histoire ? C’est que nous jugeons que c’est inévitable, pour la survie de l’humanité. Enfin ! Je veux parler, de celle que nous privilégions, excluant radicalement, et sans mandement, celle que nous ne considérons même pas, toutefois ! Il ne peut exister, pire prédateur de l’homme que l’homme ! C’est toi qui avais raison !

- Ce n’est plus le…, soldat qui parle là, mon amour.

- Eh bien tu vois ? Tout change ! Tout est en perpétuel mouvement, dans cet univers, Jackkie ! Je tire enseignements, du vécu. Pas essentiellement de ce que l’on m’inculque. J’ai des oreilles ? J’entends ! J’ai des yeux ? Je vois ! J’ai un cerveau ? Il est fait pour que je m’adapte ! C’est le mien, pas celui d’un autre !

Le blessé étendu, me regarda avec gravité. Puis il avança la main. J’ai marqué, un court instant d’hésitation. Ce n’était pas, de la réticence. C’était, une sorte de honte, ne parvenant pas à me l’expliquer. Je ne saisissais pas encore très bien, la profondeur de son geste. Mais, je lui pris la main. C’est alors qu’il m’adressa, un sourire grimaçant de douleur. Ses aisselles étaient brûlées, au troisième degré. Je reposais sa main sur le drap, alors que Jackkie émue, fondit en larmes. Elle s’écarta vivement du lit, tenant son visage entre ses mains tremblantes. Je vins la prendre entre mes bras, la berçant tendrement.

- Je sais,  pourquoi je t’aime, et je ressens s’affermir en moi, de jour en jour, cette passion qui nous unit, Max, dit-elle, séchant ses larmes. Crois-tu qu’il puisse nous arriver, ce qui arriva à mes parents, et à bien d’autres, avec les influences néfastes du temps ?

- Je n’ai pas la réponse, mon amour. Ou plutôt… Oui ! Si à la source, l’eau est claire, et désaltérante, peu importe les remous qui corrompent le fleuve.

- Ils ne s’aimaient pas, à la source ?  

- Il faut constamment veiller, à préserver la pureté de l’eau de la source. J’ai parlé, à André ! Je crois que s’il doit mourir dans cette opération, il mourra moins con !

- Que le ciel t’entende, dit Jackkie, retrouvant enfin le sourire. Elle m’embrassa tendrement, contribuant ainsi, à ce que toutes mes pensées moroses, s’envolent comme par enchantement.   

 

 

 

 

 

 

 

 

Salle de briefing, 15 mars 1972, 07 : 00.

 

- Tel que cela, vient de nous l’être communiqué par l’aviation américaine, deux navires seulement croiseront dans les parages, pour atteindre leur destination. Ils se présenteront dans la soirée, aux environs de 20:30. Ils ont stoppés leurs machines, afin d’attendre le retardataire… Mais selon l’observation faite par les avions de reconnaissance, ils devraient très vite reprendre leur route, à vitesse réduite. Voici la mauvaise nouvelle, nous en informa le Commandant, en introduction. Bien évidemment, je vois poindre la question dans vos yeux : « Où est, ce  navire en panne » ? Je vais répondre ! Il est, à huit heures à l’Est de notre point d’ancrage, à près de 200 kilomètres, de la côte Sud de Taiwan. Quand reprendra-t-il sa route ? Dieu seul le sait ! Ce qui ne vient pas du tout, arranger nos affaires. Capitaine Bertin !

- Commandant ! répondit André, se levant flegmatiquement.

- Comment voyez-vous, le développement de votre opération, au regard de cet imprévu ?

- C’est enquiquinant, Commandant ! J’aurai un bandit de moins, à expédier par le fond. Mais, ce n’est pas vraiment catastrophique. Dans la mesure qu’un plan, se voit d’ores, et déjà dessiné dans votre esprit, pour ce qui concerne ce Bandit. Je me trompe, Commandant ?

- Quel autre choix aurais-je, Bertin ? Celui de le laisser filer de là, avec les conséquences qui en résulteraient ? Ou bien…, celui de l’arraisonner, alors que ce sera l’effervescence dans la région ? Vous savez que vous devrez suivre ces deux navires, à bonne distance. Ce récif qui nous masque à la vue, n’est qu’à cinq milles nautiques de leur trajectoire, comme vous l’avez constaté, en vous rendant assez près de Hainan. En attendant, vous resterez seul ici ! Nous allons appareiller sur l’instant, pour nous précipiter au contact, de ce bandit immobilisé. Nous vous informerons, par télé cryptage codé. Grille : 46 beta2. Ce qui vous accordera largement le temps, de venir vous mettre dans le sillage, des deux autres bandits. Vers minuit trente, soit quatre heures après qu’ils vous seront passés, pratiquement sous le nez, si les évaluations de l’aviation se confirment, les navires se présenteront, devant le port de Dong fang. Combien de temps, pensez-vous pouvoir attendre, avant d’entreprendre une action de force ?

- Je ne peux attendre, parut surpris André, par la question du Commandant. Les chances de réussite de cette mission, vous ne l’ignorez pas, dépendent d’un timing serré. Si nous étions repérés par leurs sonars, adieu Berthe !

- On s’en fiche de Berthe, Capitaine, répondit vertement le Commandant. Je ne vous pose pas cette question, pour ma gouverne. Je veux que tous, entendent votre réponse. Donc, vous passerez très vite à l’attaque ! J’évalue à trois bonnes heures, la mise en place de votre plan qui consiste, à abandonner le submersible en eau peu profonde, à bonne distance du port, ne laissant à son bord, seulement que son pilote, paré à toutes éventualités. Mais aussi, ce temps inclura, votre déplacement en plongé, pour couvrir la distance entre le submersible, et les bandits. Lorsque vous aurez atteint vos objectifs, il vous faudra bourrer leurs coques d’explosifs, munis de détonateurs programmables. Chose faite,  vous devrez filer de là, au plus vite.

- Comptez, quatre bonnes heures, Commandant ! Ce sera, une marge, beaucoup plus raisonnable. Nous allons devoir nager, en réduisant notre taux d’oxygène, pour éviter les bulles de surface.

- Bon ! C’est ainsi que nous enregistrerons, le procès-verbal de ce briefing ! Ce qui nous donne, comme heure approximative du début des hostilités, voyons ? 04: 30 ?

- Fixons 04 :30, comme heure zéro, Commandant, affirma André. C’est du… « A1 »,10 comme évaluation.

 

10- A1 : Fait indiscutable, dans le jargon du renseignement.

 

 

- Bien, très bien, Bertin ! Le dernier navire qui, s’il reprend la mer, arrivera droit sur nous, avec un retard qui n’est guère évaluable en cette heure. J’espère qu’il sera loin de se douter, de ce qui se passe. Voilà la raison pour laquelle, nous n’allons pas l’attendre, nous portant immédiatement au-devant de lui. S’il échappe au juste courroux ? Cela aurait des conséquences fâcheuses, à l’esprit que nous désirons donner, à cette opération. Qui est, Capitaine Girard ?

Je pris le temps, de réfléchir à la question.

- Bien au-delà du désir, de donner une bonne leçon de savoir vivre à ces prétentieux,  ce serait justement, d’éveiller leurs consciences sur l’évidence qu’ils sont loin d’être invulnérables. Il est bon d’espérer qu’ainsi, dans un proche avenir, ils se devront de bien réfléchir, aux conséquences de leurs actes. Tous, autant les uns que les autres. Comment régler le problème de ce… retardataire, Commandant ?

- C’est parfait, Max ! Vous avez parfaitement schématisé le fondamental d’une situation qui s’envenime, contre laquelle, l’occident tout entier se doit de réagir, en ces heures troubles.

Le commandant, se déplaça vers la carte murale.

- Comment régler son compte, au retardataire, Max ? Il est là ! dit-il montrant un point rouge, du bout d’une baguette de bois. Juste à 23 ° 30 '0 "N / 121 ° 0' 0" E, au Sud de Taiwan, comme je viens de vous le dire. Nous pourrions presque, tendre l’index pour le toucher. Cette région, est couverte par les patrouilleurs, de l’escadre américaine du Pacifique Sud. Il ne devra pas trainer là, très longtemps. Raison pour laquelle, les deux autres, devront également très vite, reprendre leur route, l’abandonnant sur place.

 

- Excusez-moi, Commandant ! intervins-je. Ce sont des récifs du même acabit que celui derrière lequel, nous-nous sommes abrités que je crois bien voir d’ici, sur la carte ?

- Approchez-vous donc, Max ! Venez consulter de près, cette carte. En effet, ce bras de mer, longeant la côte Sud de Taiwan, est rempli de récifs de ce genre, et de deux îles, plus importantes. A quoi pensez-vous, Max ?

Je me suis déplacé devant la carte, et réfléchissant, je ne répondis pas sur l’instant.

- Allez-vous nous dire, à quoi vous pensez, Capitaine ? me réveilla le Commandant, en élevant la voix.

- Cette… île, répertoriée 08-45, est-elle peuplée ? Elle n’est pas très loin, du point que vous avez apposé, sur cette carte. Je présume que ce sera là que vous allez nous positionner, en attente ? Hum ! Ce serait parfait, conclus-je, ayant une vision fulgurante.

- Oui ! Ce point que je viens de tracer, sera notre emplacement en attente. Bien vu, Max. Cette île est-elle peuplée ? Je n’en sais rien ! Absolument rien ! me répondit-il. Selon le peu que je sache, reprit-il, ces îles sont des zones de replies pour les pêcheurs locaux, en cas de tempêtes. Mais, très accessoirement. Toutefois, vous avez constaté de visu que ce n’est pas toujours le cas, lors de votre petite balade. A quoi pensez-vous ?

- A débarquer, à la tête d’une vingtaine d’hommes, et…, attendre avec l’annexe. A voir cette configuration sur la carte… Hum ! réfléchis-je un court instant. Nous prendrions le navire Nord-Coréen en tenaille, ici, près de ces récifs. Si je lis bien la carte, c’est à cause de ces récifs qu’il longera cette côte ? 

- C’est bien ça Max.  Mais aussi, à cause des courants !

- Alors nous le tenons notre plan, Commandant ! Permettez-vous que je l’expose ?

- Je vous y invite, Max. Nous vous écoutons !

- Bien ! Pendant que vous lui couperez la route, cela s’imposera, avec mon unité en attente, ainsi que d’autres sections embarquées sur les chaloupes de sauvetage, nous lui fondrons dessus. Les chaloupes, devront être disposées en triangle. La numéro une, je la nommerai : « Point zéro », se positionnera à l’Ouest, à moins d’un kilomètre du Seko qui préalablement, devra laisser croire qu’il est en grande difficulté. « Point zéro » sera, la pointe du « V ». Dix combattants par chaloupes qui sont équipées de moteurs in bords, de 200 chevaux. J’en sais quelque chose, car les faire avancer à la rame, du fait que nous ne pouvions utiliser le moteur de l’annexe, afin de ne pas faire un boucan de tous les diables, j’en ai encore mal dans les muscles, dis-je ne riant.

- Je n’en doute pas, dit le Commandant, semblant se dérider.

- Ian Kowalski, repris-je, commandera ces trois unités. Soit, cinquante hommes fortement armés en tout, comprenant mon commando de vingt hommes.   

- Marquez ça sur la carte, je vous prie, m’invita le Commandant.

Je calculais les distances à respecter, et plaçais trois points rouges auto collants et, une flèche, représentant l’annexe, sur la carte.

- Voici la numéro une, « point zéro » la pointe du « V », à l’Ouest, comme je viens de le souligner, Commandant. La numéro deux, « point 1 », se tiendra au Sud-est, soit à bâbord de la poupe du navire ennemi, lorsqu’il se présentera à vue.

L’ensemble des officiers, se déplacèrent devant la carte.

 - Mois, j’arriverais de cette île, en provenance du Nord-Ouest, repris-je. La chaloupe numéro trois, « point 2 », elle, sera positionnée ici, au Nord-est, et couvrira la poupe tribord, du navire ennemi. Avec cette pluie, ces chaloupes passeront, pratiquement inaperçues. Il faudra donc, employer quelques moyens, pour attirer son attention. Lumières, fusées éclairantes.  

- Je vois ! Le navire ennemi pénètrera proue, dans le triangle, se dirigeant sur « point zéro » ! Il croira vraiment que notre bâtiment, est en grande difficulté, et même, sur le point de sombrer. Des chaloupes à la mer ? S’il les voit, cela ne fera que le convaincre. Vous Max, vous l’attaquerez, par avant tribord un quart ? C’est ça ? 

- Affirmatif, Commandant.

- Je remets les moteurs à pleine vitesse, et je lui coupe la route, au tout dernier moment, le forçant à inverser sa trajectoire… Hum ! Ce sera, sa dernière surprise.

- Oui, Commandant ! Je lui arriverai dessus à toute vitesse, pendant qu’il ralentira pour vous éviter. Les chaloupes une, « point zéro », et deux, « point 1 » situées sur l’avant pour la première, et à bâbord arrière, pour la seconde, attaqueront simultanément, la proue, et la poupe, distrayant l’équipage, alarmé que nous l’abordions par tribord avant, avec l’annexe. Quant à la chaloupe arrière tribord, la numéro trois, « point 2 », située ici, elle attaquera à son tour, le pont de poupe, finissant d’attiser le désordre, désorganisant totalement, une éventuelle défense ! Mais le principal abordage, sera conduit de « A » jusqu’à « Z », par ce fer de lance que je commanderai. Autrement dit, mes vingt hommes qui auront des objectifs précis à atteindre, et à contrôler au plus vite.

- C’est… parfait ! C’est une tenaille à cinq pinces que vous nous inventez là, Max ? Je me charge de le stopper, chargez-vous de bien coordonner, chaque mouvement de cette chorégraphie. Et n’oubliez pas que ce sera en pleine nuit, sous une pluie battante, car la météo nous informe qu’il n’y aura, aucun changement cette nuit. Le matériel sera glissant ! Enfin ! Si toutefois, il reprend la mer très vite, ce « Bandit3 » !

- Nous prendrons les échelles ou, des filets de cordes à grappins, précisais-je.  

- Bien ! Donc ! Je ferais remplir les ballasts avant, pour qu’il ait la certitude que nous embarquions de l’eau, et que peut-être, nous soyons en train de sombrer. Je vais faire éclairer le Seko, comme un sapin de noël. Je vois parfaitement le topo, Max ! Votre plan, est adopté ! Nous n’avons pas d’autres perspectives.

- Faire sauter de façon anonyme, deux navires dans un port chinois, c’est déjà un acte de guerre, dit André. Il est plus que seulement probable que chinois, et coréens du Nord, ne pavoiseront pas en lisant les gros titres, qu’un tel acte va déchaîner. S’ils peuvent ne pas ébruiter l’affaire, ce sera mieux, pour eux tous. Nous voici à notre tour, dans la peau, des flibustiers des temps modernes.

- Il y a beaucoup d’actes de pirateries, sur la surface de ces mers, Capitaine ! Dois-je, vous le remémorer ?

- C’est inutile, Commandant ! Le plan de Max, me plait bien ! A condition toutefois que vous puissiez le prendre, à la vitesse de l’éclair. Mais, je fais confiance à Max ! Il a d’excellentes raisons, de vouloir en finir très vite, dit-il en conclusion, m’adressant un sourire assez sarcastique.

- Hum ! A condition en effet ! Tenez-vous prêt, Bertin ! Vous partirez d’ici, dès que vous en recevrez l’ordre par transcripteur, souvenez-vous-en. Pas d’initiatives personnelles ! Vous savez, ce que vous avez à faire ! A compter de l’instant nous voyant appareiller, vous serez livrés à vous-mêmes. Le point de ralliement, sera ici, si Dieu le veut ! Nous devrons très certainement nous attendre, Capitaine. Mais… Préparez-vous à saborder le Seehund ! Si vous êtes sur le point d’être capturé, expédiez-le par tous les moyens placés à votre disposition, par le fond ! Et si possible, en mille morceaux.

- Boom ! proféra bruyamment André ! Je dois dire adieu à ma femme. Un au revoir, m’aurait davantage satisfait, soulignât-il, d’un ton lugubre.

- Vous m’avez très bien suivi, Bertin. Vous saviez que ce ne serais pas, sans risques. J’en suis, profondément désolé !

- Et moi donc, Commandant ! Nous ferons avec !

Je ressentis un long frisson, me courir le long de l’épine dorsale. Le Commandant, venait de prononcer une sentence de mort certaine, pour l’équipage du Seehund. Elle était sans appel, et sans grandes possibilités, d’éviter cette bien triste fatalité.

- Lieutenants Kowalski, De Langlade et, Declercq, Vous mettrez vos hommes en état d’alerte II. Les compagnies à tour de rôle, assureront la protection du navire. Dès l’appareillage, rassemblez le matériel nécessaire à l’expédition. Pas de perte de temps ! Nous allons devoir aborder « bandit3 », et nous en rendre maitres, en un temps record. Je dois le souligner, en des eaux patrouillées par l’escadre américaine. Il est bon de vous informer que cette escadre, ne sait rien, de notre opération. Je veux dire, aux niveaux subalternes. Très peu de monde, connait notre existence. Ce qui signifie Messieurs que le temps, jouera contre nous, de toute part. L’objectif primordial, est le suivant. Prendre vivants, le maximum de membres de  l’équipage de Bandit 3. Chose faite, nous laisserons les courants, se charger du navire. Le but est qu’il soit découvert par l’escadre américaine, avec son chargement. Nous-nous faisons forts qu’un patrouilleur, le retrouve. Colonel Stinneng !

Julian  se leva, et vint rejoindre le pacha, sur son estrade.

- Le Pentagone, bureau des opérations tactiques, ainsi que deux amiraux, celui commandant la région maritime du Sud Viêt-Nam, et celui, Commandant le Pacifique Sud, d’où dépend le soutien aérien dont nous bénéficions, sont parfaitement au courant, de cette opération en cours. Pour qu’elle ait toutes les chances de réussir, le secret le plus absolu a été préservé. A ce titre, il est évident que mis à part quelques unités, personne ne connait notre existence. Un seul ravitailleur, a été avisé qu’il doit intervenir en un point précis, sans pour autant connaître nos objectifs. Hélas, nous allons manquer ce rendez-vous. Ce qui va très singulièrement, compliquer les choses. Car lorsque nous aurons frappés, la chasse va commencer. Que personne ne se fasse d’illusion, ils voudront nous avoir vivants, en se gardant bien d’ébruiter l’affaire. Alors, avec le Commandant, et le Colonel Mahersen, nous avons d’ores et déjà prévus la suite à donner à cette opération, dès que nous avons été informés du… retard conséquent, prit par ce navire. Et plus particulièrement encore, considérant le fait qu’il est celui qui transporte, la cargaison d’armes… Bien évidemment, je ne vous dirais pas, le chahut que ça va faire. Le plus naturellement du monde, et le plus naïvement aussi, l’Us Navy, patrouillant fréquemment à l’Est, bien au-delà de Taiwan, informera des gens…, d’ores et déjà…, informés. Ces illustres personnages, très influents, auront alors le plaisir, d’user de l’arme la plus redoutable qui soit. « Le communiqué de presse » ! Et cela, sans risquer de se voir accusés, de « délit d’initiés », disons-le ainsi ! Un cargo appartenant à  des contrebandiers, chargé d’armes Nord-coréennes qui assez bizarrement, emprunte un itinéraire qui indiscutablement, accorde toutes raisons de spéculer sur sa destination finale ? L’évènement venant se greffer, à une attaque non revendiquée, d’un port chinois ? Ça va faire du bruit ! Voilà ! Avez-vous des questions ?

- L’équipage ? demandais-je.

- Nous le garderons quelques jours, avant de le débarquer au Viêt-Nam du Sud, répondit le Commandant. D’ailleurs, nous débarquerons tous les prisonniers, sans aucune exception. Nous pourrons alors, nous ravitailler, avant d’attendre de nouveaux ordres. .

- Quelques blessés, sont très gravement atteints ! soulignais-je. Vont-ils bien, s’en occuper à Saigon ?

- Je suis au regret, Capitaine Girard ! Mais ça, ce n’est pas mon premier souci. Toutefois, je peux vous rassurer, en vous disant que oui ?

- Non Commandant !

- Je puis vous rassurer qu’ils seront bien traités, intervint Julian Stinneng.

- Bon ! Encore des questions ? demanda le Commandant.

Un silence marmoréen, lui répondit.

- Le tour d’horizon, est accompli. Capitaine Corning, inscrivez l’heure au rapport.

- Reçu, Commandant. Il est 08 : 03, Commandant.

 - Vous pouvez disposer, dit-il. Max, restez là ! Corning ! Donnez l’ordre d’appareiller ! 

- A vos ordres, Commandant !

Lorsque l’on fut enfin seul, il m’offrit une cigarette, reprenant son air paternaliste.

- Vous êtes-vous rendu, au chevet de Franck ? me demanda-t-il, l’air soucieux.

- Bon Dieu ! J’ai totalement oublié, Commandant !

- Il va très mal ! m’apprit-il. Il devra rester, encore plusieurs jours alité.

- Pauvre Mahersen !

- Oui ! Je suis dans l’embarras voyez-vous ? Vous allez devoir prendre le Commandement.  

- Oui ? Voudriez-vous savoir, si je suis toujours autant impliqué, tel que je me dois de l’être, en ma qualité d’officier ? Je le suis, Commandant.

- Je connais, l’affection que vous portez à vos hommes. Voyons ! Oui ! Vous l’êtes ! conclut-il, après une petite seconde de réflexion. Vous prendrez le commandement de l’opération d’abordage, Max. Mais je crois que c’est déjà d’actualité, non ? Votre stratégie est la seule qui puisse fonctionner. Nous allons nous positionner dans l’attente quelque part, sur cette mer. Prions Dieu qu’il puisse très vite réparer son avarie, et qu’il reprenne sa route. Allez donc voir Franck, il désespère. Je lui ai conté votre périple. Il a très bien comprit.

- Bien Commandant !

- Votre ami a raison ! Vous êtes pressé d’en finir, n’est-ce pas ?

- Pressé ? Dieu m’en garde ! Simplement… bien décidé d’en finir !

- Je viens de voir ça, Max ! Allez maintenant !

 

08 : 30.

 

Le Seehund, se profilait lentement à l’horizon, alors que nous quittions notre point d’ancrage, nous élançant en direction de nombreuses inconnues. La séparation entre Soumaya, et André, avait pris une tournure assez déchirante, pour Jackkie qui tête baissée, assistait à leurs adieux. Je la regardais, silencieux, captant chacune de ses pensées les plus sombres. Elle n’ignorait plus que son tour viendrait.

- Je n’ai pas besoin, de te dire que je compte sur toi, pour t’occuper de Soumaya, si quelque chose, venait à m’arriver m’avait simplement soufflé mon ami, en me donnant l’accolade.

- Tu veux ne pas dire, de telles inepties, oui ? m’emportais-je. Oui ! Il est parfaitement inutile, de t’inquiéter à ce sujet. Tu le sais bien non ?  Attention à ta carcasse ! Tu as encore de beaux restes, ce serait dommage que les poissons, en profitent.

- Toujours les mots pour rire, toi hein ? Je suis trop coriace, pour leurs petites dents fragiles. On se revoit dans quelques heures, avait-il prophétisé, avant de prendre pieds, sur le pont du submersible.

Lorsque le Seko, s’écarta de ces récifs menaçants que l’on pouvait voir couronnés d’écume, à fleur d’eau, Jackkie vint entourer ses bras, autour des épaules de mon amie, l’entrainant vers le mess.

Le petit déjeuné en mer, fut bien silencieux. Toutefois, mes collaborateurs, ne tardèrent pas à venir nous rejoindre. Je m’étais acquitté d’une bien pénible obligation, en me rendant visiter le Colonel Mahersen, dès le fin du briefing, avant d’aller rejoindre mon petit groupe. Il était bien amaigri, et très pâle, étendu sur sa couche.

- Alors, Max ! m’avait-il accueilli, avec un faible sourire. Vous voici le patron, à présent ?

- Le Commandant, n’a guère le choix, avais-je répondu, retirant ma casquette que je posais sur mes genoux. Je ne vous demanderai pas, comment vous-vous sentez, je constate de visu que vous n’êtes pas, au meilleur de votre forme.

- Le moins que l’on puisse dire, avait-il murmuré du bout des lèvres. Je me vide ! Mais enfin ! Je suis rassuré tout de même. Comment s’est déroulé le briefing ?

Je me suis empressé, de satisfaire sa curiosité légitime, pendant que l’assistant de Soumaya, vint inopinément lui pratiquer une injection. Il renvoya immédiatement l’infirmier, avec une grimace de douleur.

- Sacré bonsoir de bon sang, avait-il marmonné. Il a appris à piquer sur un oreiller ! Pénisulfamides, un million par jour. Sans compter tous ces comprimés qu’il a laissés, sur ma table de chevet. J’ai l’estomac en compote. Que disiez-vous ? Ah oui ! Que vous mènerez cette attaque, de bout en bout. Votre plan, est très audacieux. D’ailleurs, je n’en vois pas d’autres, mis à part, d’envisager un abordage en règle. Maintenant, il ne reste plus qu’à espérer qu’il puisse repartir à temps, avant l’attaque lancée par Bertin. Sinon…

- C’est foutu, Colonel !

- Oui ! Car même si nous avisions l’escadre américaine, aucun patrouilleur ne se risquerait à l’arraisonner. Il s’en retournerait, paisiblement chez-lui. Lange vient de me téléphoner. Pour ne pas laisser, trop longtemps dériver le cargo, il informera la flotte, de sa présence, n’est-ce pas ? Un navire errant, sur la surface de ces mers, devient très vite, un danger pour les autres.

- Je le vois, également ainsi. Voilà, Colonel ! Nous n’avons plus qu’à attendre, et espérer que sa panne, ne soit pas très grave.

- Hum ! Et… votre jeune femme ? Comment se porte-t-elle ?

A vrai dire, je le vis venir.

- Pour le mieux, Colonel, pour le mieux !

- Oui, si vous le dites ? A ce qu’il se dit aussi, au terme de cette mission, vous quitterez l’armée ?

- Je présenterai ma démission, en effet, Colonel.

- Et… avez-vous prévu, l’avenir ?

- Je… Je me pose d’innombrables questions, concernant l’avenir. Mais je crois avoir découvert, pas mal de ressources en moi.

- Connaissez-vous Ian Smith ? Je veux dire, son trajet politique, s’entend ?

- Bien évidemment, Colonel ! Cette jeune République, fait souvent les titres des médias. Et ?

- Disons, que la jeune armée Rhodiés, manque cruellement de… cadres.

- Quitter un uniforme, pour en revêtir un autre, Colonel ?

- Ce n’est pas ainsi que se présente, ma vision des choses, Max. Je pensais à une fonction de… conseillé militaire.

- A l’état-major, par exemple ?

- Par exemple !

- Je n’ai pas l’étoffe, Colonel.

- Détrompez-vous, Max. Ce poste, vous accorderait beaucoup de temps libre, ce qui vous permettrait de vous intégrer dans la société rurale. Mais surtout, d’entreprendre ce que bon vous semblerait. Je crois vous avoir dit que j’ai besoin d’un assistant, dans mes affaires ? Je suis un homme bien seul. Ma femme… Bref ! Un divorce, puis sa mort prématurée. Nous n’avons pas eu d’enfants.

- Oui en effet, vous m’en avez touché mots.

- Je vous formerai, puis, vous voleriez de vos propres ailes. Que penserait Bertin, d’une telle proposition ?

- Je ne sais pas, Colonel ! Quel sont les risques qu’une guerre civile éclate ?

- Je dirais…, qu’elle éclatera, Max. Mais elle sera très vite réprimée. L’Angleterre…

- Tse, Tse, Tse, si vous me permettez. Ma femme, dit de même, mais personnellement, je ne crois pas trop en l’intervention anglaise, dans les affaires de la Rhodésie du Sud. Smith leur a fait un sacré pied de nez, en proclamant la République. Le Premier Ministre de sa très gracieuse Majesté britannique, doit l’avoir en travers, la dragée.

- Il l’avalera ou bien, il la croquera entière. Justement, en instaurant une République, strictement gouvernée par des blancs, pratiquement identique à celle de l’Afrique du Sud, Ian Smith, fit preuve d’intelligence, et de détermination. Il a mis au pied du mur, ceux qui prônaient une politique multiraciale, en Afrique subéquatoriale. Imaginez l’horreur de la situation, à présent ? Les Nations Unies, oseraient-elles interdire à Ian Smith, ce qu’ils ne parviennent pas, à modérer en Afrique du Sud ? Sauf, en menaçant d’embargo, un pays qui se suffit à lui-même ? Voyons ! Réfléchissez un peu, Max ! Ce sont, des coups d’épées dans l’eau !

- L’apartheid ? C’est bien de l’apartheid, dont il est question ?

- Le mot est un peu fort, concernant la Rhodésie du Sud, Max. Smith n’ignore pas que les pressions seront phénoménales, et que la Rhodésie, ce n’est tout de même pas l’Afrique du Sud. Il devra tôt ou tard, en venir à une partition, avec les opposants noirs. Mais l’essentiel dans l’instant, c’est d’éviter qu’un Mugabe ou un Nkomo, prennent les pleins pouvoirs. La communauté blanche, en souffrirait rudement. Donc ! Il faut imposer un équilibre durable.

- Mais comme je le fis comprendre à ma femme, ce jour, ce n’est pas demain la veille qu’il se lèvera. En attendant, pour qu’une négociation autour d’une table, aboutisse à des accords, comment dire, politiques ? Il faudra en arriver aux mains. Si Smith ressort vainqueur de cette empoignade, il se tournera résolument vers l’Afrique du Sud, prenant exemple sur ses principes, vous ne l’ignorez pas. En attendant, il a besoin de ce pays, pour mener à bien une lutte qui ne peut que conduire sa Nation, dans une guerre civile. Et puis, vous ne pouvez faire abstraction du fait que l’Afrique du Sud, ne tienne, mais alors pas du tout, à ce qu’un pays frontalier, accorde des pouvoirs à des noirs. Ce serait une sacrée déconvenue, pour la politique de l’apartheid. Voyez-vous plus clair, à présent, Colonel ?

- Je ne dis pas que votre analyse, manque de pertinence. Mais justement, ce serait un sacré atout, l’Afrique du Sud !

- Oui ! Sans omettre un bain de sang qui s’étendrait, de l’océan indien, au Botswana, voir plus au nord-ouest, au Zaïre. Toute cette région sous équatoriale, pourrait s’enflammer, comme un incendie de broussailles. Vous n’ignorez pas, l’instabilité de ces peuples, les vieilles rancunes qui les animent, les intérêts que les richesses minières suscitent, etcétéra, etcétéra… Qui peut prédire que les natifs d’Afrique du Sud, ne profiteront pas de l’aubaine, pour se révolter à leur tour, et de tenter de foutre à terre, cette minorité de blancs qui les maintient en état d’esclavage, par la terreur ?

- Je vois que vous ne seriez pas partie prenante, pour ce cher Smith, avait-il dit en riant faiblement. Mais mon offre, tient toujours. Parlez-en à Bertin, et bien entendu, avec vos épouses. Qui sait ? Votre avenir à tous, pourrait s’en voir radicalement changé ?

- André, se plait trop dans l’armée. Ce serait étonnant qu’il se transforme, en gentleman farmer. Mais si Dieu le veut, je lui en parlerais.

- Bien ! Vous avez encore pas mal de boulot, je présume. Je suis fatigué, Max.

- Je vous laisse vous reposer, Colonel. Avez-vous besoin de quoi que ce soit ?

- Bah ! De quelques mètres, d’intestins neufs. Vous auriez ça en stock ? 

Lorsque je revins de cet entretien, très révélateur des objectifs de Franck à notre égard, Jackkie leva les yeux, me regardant fixement. Elle n’avait encore rien touchée, de son petit déjeuné. Je lui fis signe de manger, elle m’adressa en retour, un sourire bien triste.

- Je voudrais te parler Capitaine, vint me sortir de mes pensées, ce cher Kowalski, accompagné de Jean-Luc De Langlade, et de Paul Declercq.

- Eh bien, prends place à côté de nous, Ian ! l’invitais-je. Il s’assit en maugréant. Je le sentais à cran, l’ex Légionnaire.

- As-tu déjà mené, des hommes au combat, Capitaine ?

- Non Ian ! Jamais ! Où désires-tu en venir ?

- Ben ! A une seule chose. Tu devrais laisser cette tâche, à des hommes qui eux, ont déjà menés ce genre d’action.

- Tu es direct, Ian. Sans détour ! Tu me conseilles de prendre ta place, au commandement des chaloupes, et de te laisser la mienne, pour conduire l’attaque la plus décisive, c’est bien ça ?

- Non, Capitaine ! Je te conseille de rester à bord, afin de coordonner l’attaque, ainsi que la défense du navire. Pour le reste, Paul, Jean-Luc et moi, nous-nous en chargerons.

- Oui, je vois ! Qu’en penses-tu, Jean-Luc ?

- Je ne sais trop que penser, Max ! répondit-il, sans toutefois oser affronter mon regard.

- Et vous, Paul ?

- Moi ? Je pense que notre ami Ian, devrait se contenter d’obéir aux ordres.

- Mais… s’emporta presque Kowalski, avant que je l’arrête net, en levant la main, en signe d’apaisement.

- Paul, est un homme de grande sagesse, Ian. Je vais donc très vite oublier, ta… proposition. Je la comprends, voyez-vous mes amis ? Mahersen malade, vous-vous sentez un peu… orphelins. Alors voilà comment je vois les choses. Ian, tu sélectionneras au sein des deux compagnies, les éléments de ton choix. Trente hommes, et un officier. En l’occurrence, toi !  Il vous faudra vous munir d’échelles ou, de filets à grappins. Je prendrais vingt de mes gars, Il ne restera que trente-neuf hommes à bord. Paul, vous viendrez avec moi, et vous compterez, parmi les vingt sélectionnés. Tu as tout compris lorsque j’ai développé le plan d’attaque, durant le briefing, Ian ? Je vais te remettre le schéma, s’accompagnant d’ordres…, écrits. Les trois chaloupes devront suivre, le plan au timing ! Je me fais bien comprendre, Ian ? 

- Bien Capitaine ! marmonna-t-il, sentant le vent tourner en sa défaveur.

- Jean-Luc, tu resteras bien évidemment à bord du Seko, avec la section de réserve, prête à embarquer, si les choses tournaient mal. Ce seront les marins qui assureront la défense du navire, et ce sera suffisant. Tu mettras tout en œuvre, pour la mise à l’eau d’une chaloupe supplémentaire, pour le cas échéant. Je te transmettrais tes ordres. Il est inutile, de seulement essayer, discuter ! A compter de cet instant, comme vous l’avez très certainement compris, j’assure le commandement des trois compagnies. Vous pouvez vous rendre vous restaurer, Messieurs. Et… Bon appétit !

Ayant dit ces mots, avec toute la fermeté qui s’imposait en regard des circonstances, je me remis à manger, n’accordant même plus attention à leur présence. Ian se leva, et sortit du mess, telle une météorite.

- Je crois qu’il est en colère, Capitaine, me murmura Paul, à l’oreille, alors que Jean-Luc, me frappa amicalement sur l’épaule, en riant.

- Eh bien Max, tu t’affirmes ! Viens ! dit-il à Paul. Le café va refroidir, j’ai la dalle. Euh ! Ça lui passera. Je le connais bien, à présent, me rassura-t-il.

« C’est à souhaiter » !

- Ce type me donne le frisson, dit Soumaya qui n’avait rien perdue, de notre altercation.

- Bof ! Il aura fait quelque chose de bien, pour le moins. Il vient de te rendre, tes belles couleurs !

Après la pluie, vient le beau temps. Nous avons ris en cœur.  

 

14 : 30.  

 

A vitesse lente, prenant tout notre temps, nous venions d’atteindre le point d’ancrage, choisi par le Commandant. La même manœuvre redoutable que lors de notre arrivée en approche de l’ilot 443B, fut mise en œuvre, avec une grande  maitrise.

- Voilà ! dit le Commandant qui avait ordonné de laisser les machines en marche, arbres d’hélices débrayés. Nous sommes à mi-chemin, Max. Il n’est plus qu’à quatre bonnes heures, d’ici. Si son avarie est réparable ? Nous serons très vite fixés. Les autres, ne devraient plus  tarder. Ils vont bien devoir accélérer tôt ou tard, s’ils veulent respecter l’horaire.

- Mes hommes sont parés, Commandant. Nous irons rejoindre l’île, deux bonnes heures, avant qu’il nous arrive dessus. Je veux pouvoir distribuer les rôles, et les faire répéter, sans trop d’effervescence.

- Prenez un peu de repos, Max. Nous ne savons pas, combien de temps, nous devrons encore attendre. Je me fais du souci pour le Seehund, aussi. Je vais me retirer dans ma cabine, faire de même. La nuit, sera très éprouvante.

- Bien Commandant !

- Je vous fais prévenir, si ça bouge. Je ne voudrais pas que les calculs établis par l’aviation américaine, se voient perturbés. Bon Dieu ! Ce serait catastrophique. Allez donc !

- Merci Commandant !

Je quittais la passerelle, les jambes lourdes, avec une main en acier, enserrant mon estomac. Au passage, arrivant au niveau du desk A1, je prenais Paul à part.

- Le matériel, a-t-il été chargé dans l’annexe ?

- Oui Capitaine ! L’armement individuel, deux lances roquettes anti char, plus une caisse d’ogives. J’ai renvoyé les hommes au repos. Comptez-vous frapper leur passerelle ?

- Vos deux tireurs, et leurs servants, devront s’y appliquer, en effet, lorsque l’angle de tir le permettra. Vous avez sélectionné des gars solides ? Ils devront tirer debout, en totale instabilité.

- Fischetti, et Landu, Capitaine.

- Bien ! Je connais bien ces gars-là ! Ils feront le poids ! Pourriture de temps maudit ! m’exclamais-je, mettant sur le dos de la mousson, toute ma colère.

Paul m’offrit une cigarette que l’on fuma en silence,  nos regards absorbés, par cette nappe épaisse de pluie qui s’abattait sur nous, sans interruption.

- On ne voit pas, à plus de quinze mètres, fit remarquer Paul.

- Oui ? Je vois bien ça. Et alors ?

- Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça, du tout. D’ici ce soir, ce sera pire. Toujours le soir, n’avez-vous pas remarqué ?

- Vous craignez que l’on dépasse notre objectif ou pire que l’on aille, se planter dessus ?

- Nous devrons prendre d’immenses précautions, Capitaine. Souhaitons que sa passerelle, soit bien éclairée ?

- Oh mince, avec vos… Capitaine. Appelez-moi, Max !

- Bien, Max !

Je nous allumais, deux autres cigarettes que nous fumions encore, en réfléchissant.

- D’autre part… dis-je, alors que Paul, pensant à la même chose, s’exprima en même temps que moi.

- Ce ne serait pas…

- Dites, dites, Paul, l’invitais-je à poursuivre son raisonnement.

- J’ai dit ne pas aimer ça, mais…  Ben, ce serait bon pour nous tous, à condition de réduire la vitesse de l’annexe, et de nous diriger à l’oreille. Au son, vous voyez ?

- Oui ! A l’oreille ! Nous n’accélèrerons que lorsque sa masse, sortira de la brume pluvieuse, ouvrant immédiatement le feu. Là, nous devrons faire vite. Ok, Paul ! Et… merci.

- Pas de quoi, Cap… euh ! Max !

Je lui envoyais une bourrade dans les côtes, balançant ma cigarette par-dessus bord. En marchant vers l’infirmerie, je repensais à Kowalski. Je me ravisais, prenant la direction du pont des embarcations. Il était là sous la pluie, occupé à faire provisoirement bâcher les chaloupes, qui allaient participer à l’attaque.

- Tu es paré, Ian ?

- Euh ! Oui, Max. Je voulais te dire…

- Laisse tomber ! Le coupais-je. Axons-nous sur ce que nous aurons à faire. Tu as étudié le schéma ?

- Oui ! C’est cette pluie qui m’inquiète.

- Je sais ! Nous venons d’en parler, avec Paul. La visibilité sera des plus réduites. Mais, fie-toi à ton oreille. Ses moteurs ne sont pas silencieux, ni le brassage des hélices. Il faut oublier, l’emploie de moyens pyrotechniques, pour l’informer de notre présence, j’en ai bien peur ! Nous allons nous retrouver seuls, pour lui rentrer dedans. J’ai en horreur, l’imprévisible. Aussi, c’est sa passerelle que je vais illuminer. Tu seras dans la chaloupe numéro une, « point zéro ». Ne vas pas te faire éperonner. Il devra s’écarter  de ces récifs dangereux et obligatoirement, pénétrer dans le triangle. Ouvre bien les oreilles, ça va péter ! Ce sera le signal de l’attaque.

- Ok ! J’ouvrirai bien les oreilles. J’ai… J’ai vu Franck.

- Oui ? Je t’ai dit, laisse tomber.

- Je ne savais pas encore, et je tiens à te rassurer, de mon entière collaboration.

- Eh bien alors ce sera parfait, dis-je, lui tendant la main. On se la serra amicalement, avant de se quitter. J’étais trempé jusqu’aux os.

« La fraternité, entre hommes qui ne doutent pas, avoir rendez-vous avec la mort. C’est beau, et d’autant plus rassurant ».  

Maintenant, je pouvais aller rendre visite à ma femme, à l’infirmerie. Je la trouvais absorbée, par ses occupations qui consistaient dans l’instant, à donner la main au maître principal infirmier, pratiquant des soins à des patients alités. Me voyant enfin, elle demanda la permission de se retirer, venant à ma rencontre.

- Il a fini, me dit-elle. Je peux me libérer. Elle me prit le bras, adressant un geste de la main, aux deux femmes qui s’occupaient des lits impairs.  

- Comment va Soumaya ?

- Elle remonte la pente, répondit-elle, guère convaincue, alors que nous arrivions à l’extérieur. Oui ! Le temps ne s’arrangeait pas vraiment. Jackkie frissonna, se serrant contre moi.

- J’ai… Je pense que tu vas devoir aller là-bas, et j’ai peur. Voilà ! L’angoisse, refait surface. J’ai entendue André…

- Il a dit quelque chose ? Ne me dis pas qu’il a raconté à sa femme, ce qu’il devrait faire ?

- C’est plus fort que lui, j’en ai l’impression, répondit Jackkie, venant se blottir contre moi. Il a manqué, de beaucoup d’affection ton ami, non ?

- De pas mal de coups de pieds au derrière, tu veux dire ?  Bon ! Je me calme !

- Maintenant, tu ne me diras plus rien.

- Que veux-tu que je te dise, Jackkie ? Que je pars avec quelques copains, pécher en mer, et que je serais là, avec le soleil, le panier en osier, rempli de poissons ?

- Tu es à cran ?

- Un peu… Je te demande pardon, dis-je. Ne te fais pas, un sang d’encre. Tout va très bien, se passer.

- Dieu t’entende ! dit-elle, le visage posé sur ma poitrine. Je dois te préparer ta tenue ?

- Non ! Nous resterons ainsi vêtus. Avec nos tenues bariolées, nous pourrions attirer l’attention de loin, si la météo s’était trompée, et qu’un éclaircis se manifestait. Il nous faudra donner le change, jusqu’au dernier moment.

- Tu te parles ? Je ne comprends rien, de ce que tu dis.

- Oui ! C’est clair, chérie.

- Veux-tu m’en dire plus ?

- Nous avons mieux à faire. Je délire, c’est tout !

- Viens donc te reposer un peu, me conseillât-elle, avec une voix très douce, passant mon bras, autour de son cou. Tu vas dormir une heure ou deux, et après, tu auras repris tous tes esprits.  

Je me laissais guider, par la voix de la raison. Mais mes esprits, étaient intacts.

 

 

 

 

18 : 10.

 

Dans la profonde léthargie où j’avais sombré, il me sembla bien avoir entendu frapper à la porte. Mais ce fut Jackkie qui cette fois-ci, bondit du lit, pour ouvrir.

- Max ! Max, réveilles-toi, chéri. C’est ton adjoint, Paul Declercq.

Je sautais sur mes jambes, la tête encore dans le sac.

- Que se passe-t-il ?

- Rien, Max. Le Commandant vous fait savoir que « bandit3 », a repris la mer. Il arrive, lentement. S’il persiste à cette vitesse, il sera sur nous dans six heures.

- Six heures ? Quelle heure est-il ?

- Dix-huit heures quinze, Max, répondit Jackkie.

- Oui merci. Il sera là, après minuit. Bon ! Nous serons encore très largement, dans les temps. Ouf ! J’ai bien cru qu’il nous ferait tourner en bourrique, plus longtemps. C’est parfait ! Paul, prenez note !

- Je vous écoute, Max.

- Dans deux heures, briefing avec les officiers, et les commandos embarqués. Que tous, gardent leurs tenues de marin.

- Bien reçu. Le Lieutenant Sotis, a fait monter deux mitrailleuses de 12/7mm, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière de l’annexe.

- En voici une, de brillante initiative. Je manque de… pratique, Paul.

- Vous-vous défendez très bien, Max.

- Nous verrons ça, demain matin ! C’est bon, Paul. Merci.

Il hocha la tête pour toute réponse, adressant un sourire navré à ma femme, puis il s’en alla, refermant la porte sur lui. Jackkie, me prépara un bon café. Il nous fut enfin permis de nous asseoir, en tête à tête.

- Il t’a en forte estime, ce brave Paul, dit Jackkie, en soupirant.

- Il est, sur ma liste.

- Que veux-tu dire ?

- Qu’il embarque, avec moi.

- Oh ! Rien ne peut me rendre plus heureuse, dit-elle, me prenant les mains entre les siennes. Son visage rayonna enfin.

- Avais-tu peur… que je… faiblisse ?

- Oh non ! Ne vas surtout pas t’imaginer qu’un seul instant, j’ai doutée de toi…

- Mais non ! Je levais promptement la tête, cherchant ses yeux. Tu aurais raison. Les centres d’intérêts, se sont déportés.

- Je sais ! Mais je t’en conjure, Max, redeviens celui que tu étais, avant de me connaître. Le sarcastic man, qui va toujours plus loin, à la recherche d’une logique à toutes choses. Fais de ce retour sur tes traces, une question de survie.

- Je comprends très bien, ce que tu veux dire. J’ai bien évolué certes ! Mais pas encore au point, d’accorder à quiconque, le droit de me botter les fesses. Or ! Je considère que le Commandant de ce transporteur d’armes, c’est exactement ce qu’il a l’intention de faire.

- Il ne te connait pas, pas plus que tu ne le connais !

- C’est vrai Jackkie. C’est même lamentable. Mais voilà ! Nous étions destinés, à nous croiser, en de bien pénibles circonstances. Je ne le voulus pas ainsi, et très certainement, lui non plus. Que le plus malin, gagne !

- Enfin, je retrouve mon Max. Je te frotte le dos, sous la douche ?  

 

 

 

 

20 : 15.

 

- Garde à vous ! cria Paul me précédant dans la salle de briefing.

- Repos, repos, Messieurs, ordonnais-je. Mais c’était la tradition, pour ces vieux militaires. En longeant la paroi, pressant le pas vers l’estrade, je fis un tour d’aperçu des visages de ces hommes qui allaient se voir engagés, dans cette opération maritime. Mon avis, fut qu’ils avaient la pêche.

- Bien ! Lieutenant Kowalski, faites-moi un topo, débutais-je, sans préambules.

- Reçu Capitaine. Avec ma chaloupe de pointe, je progresserai en direction de l’ennemi qui croira que le Seko, a fait mettre ses chaloupes à la mer. Enfin ! Si toutefois, il a assez de visibilité pour me voir à temps, ce que je doute. Mais le cas échéant, c’est ainsi que je pratiquerai. J’attendrai, le boucan que provoqueront les explosions, lorsque vous ouvrirez le feu sur sa passerelle. Immédiatement, je transmettrais l’ordre aux chaloupes, deux et trois, de lancer l’assaut, sans me soucier, si l’annexe entre dans le bal.

- Très bien Ian ! Reste ici près de moi. Lieutenant De Langlade !

- Mes hommes, sont prêts à embarquer sur la chaloupe de réserve, Capitaine. 30 commandos ! Armement : Une mitrailleuse 7/5mm  dix bandes. Armement individuel, plus dix chargeurs par unité. Objectif, prendre coûte que coûte la passerelle de commandement, si vous n’y êtes pas parvenu. En cette éventualité, je prendrais la tête de neuf hommes, pendant que les vingt autres, réduiront au silence, les éventuels défenseurs.

- Bien, Jean-Luc. Toi aussi, reste près de moi. Caporal Jensen !

- Capitaine !

- Votre mission consistera à me suivre pas à pas, en compagnie de cinq fusiliers. Notre objectif, sera la passerelle. Caporal-chef Gringoire !

- Mon Capitaine ?

- Sur le pont, vous devrez d’une part protéger la position,  et accueillir les fusiliers, embarqués sur la chaloupes une, « point zéro ». Immédiatement, ils prendront vos places,  tenant les positions conquises. Fort de ce renfort, des dix hommes de Ian, sur le pont de proue, vous laisserez le Lieutenant Kowalski, pour progresserez en direction de la salle des machines, avec pour mission de les mettre en panne. Il faudra vous bouger !

- Reçu, Capitaine.

- Très bien ! Paul, vous prendrez cinq hommes. Votre objectif, sera le centre des communications. Voici la photographie aérienne, de « bandit3 », me rendis-je afficher le poster sur le tableau. Je vous demanderai de bien étudier chaque pouce de ce rafiot, pour vous diriger au plus vite, vers les objectifs qui vous sont désignés. Leur poste radio, selon les renseignements fournis par l’aviation, se tient sur le pont des embarcations. Il est pratiquement identique, au poste occupé par nos collègues américains. Il est bardé d’antennes, vous ne devez pas le rater. Vous devrez le prendre, et immédiatement le rendre in opérationnel. Au même titre que moi-même, et mon stick, pas une seconde à perdre !

- J’ai bien compris, Capitaine. Où avez-vous eu cette photo ?

- Eh bien ! Je vois que je n’étais pas le seul à en écraser ferme, dis-je en riant. Un appareil de l’aéronavale, a largué des informations en mer, pendant que nous dormions tous. Dans le container étanche, il y avait cette photo, entre autres documents. Passons au suivant. Ian ! Tu tiendras les positions. Si la résistance est farouche, fais tout ton possible, pour interdire les ponts, à son équipage. Si la surprise est totale, empares-toi des coursives au raz de ponts, du château. Si l’équipage monte vers la passerelle, nous les attendrons. S’ils descendent vers les profondeurs du navire, boucle toutes les portes d’accès. Gringoire, les machines stoppées, vous entreprendrez le nettoyage de toute résistance, en remontant à la surface. Vous venez d’entendre ce que je viens de dire, au Lieutenant Kowalski ? N’allez pas vous retrouver coincé en bas !

- Je ferais de mon mieux, Capitaine ! Que dois-je faire des gens, de la salle des machines ?

- Vous les bouclez, en dehors de leur poste de travail, Caporal-chef !

- Bien reçu, Capitaine.

- Paul, le poste de communication en l’air, vous progresserez bâbord, occupant le pavillon du second degré du château. Ce secteur nettoyé, vous redescendrez à la rencontre du Lieutenant Kowalski. Ceux qui se seront aventurés sur le pont des embarcations, nous-nous en chargerons, dès que la Passerelle sera sous contrôle. Je pense que si Fischetti, et Landu, sont adroits au tir au lance-roquettes, cette phase de l’opération, sera vite réglée. Vous sentez-vous sûr de vous ? m’adressais-je à mes deux hommes.

- Parfaitement Capitaine, répondit Fischetti.

- J’ai déjà utilisé ces engins-là, sous le feu, Capitaine, dit Landu. C’est autrement plus angoissant, et périlleux que sur le sol instable, d’une vedette rapide.

- Bien ! Les servants, vous leur restez collés aux fesses. A tous, méfiez-vous lors des tirs. Ecartez-vous de derrière ! Il n’y aura guère de place, dans cette vedette.

J’eu droit, à un concert de rires.

- Chaloupe deux, bâbord arrière « point 1 », chef de groupe ! Appelais-je.

- Présent Capitaine.

- Présentez-vous !

- Fusilier de première classe, Balbin, Capitaine.

- Votre rôle ! Vous progresserez jusqu’à l’accès de la coursive traversière, se situant au raz de pont, pénétrant à votre tour, dans le château, afin d’établir la liaison avec le Lieutenant Ian Kowalski. Pendant ce temps, les dix hommes de la chaloupe trois, tribord arrière « point 2 ». Qui est, son chef de groupe ?

- Présent Capitaine, se montra ce jeune homme mince, pas très grand de taille, aux cheveux bruns coupés courts, que j’avais remarqué pour sa simplicité, et son immense persévérance, malgré un visage d’étudiant de science po.

- Sergent Raoul Pasquier, Capitaine, se présenta-t-il.

- Sergent, vous tiendrez le pont de poupe, pendant que Balbin progressera. Si vous ne rencontrez aucune résistance, vous monterez par l’extérieur, vers le premier niveau du château, vous rendant renforcer le Lieutenant Declercq.

- Bien reçu, Capitaine.   

- Ce que je viens de vous dire, doit rester gravé dans vos mémoires. Aucun écrit ! Pas de plans ! Chefs de sections, désignez vos hommes. Quant à ma section d’assaut ! Vous resterez groupés par sticks, à bord de la vedette, afin de grimper en ensembles. Je le répète ! Les pieds posés sur le pont, plus une seconde à perdre ! On fonce ! Compris ?

Une seule voix, me répondit.

- Oui Capitaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

21 : 23.

 

Les prévisions de Paul Declercq, se confirmèrent. Maintenant, l’averse constante qui s’abattait sur nous sans arrêt, s’était transformée en bourrasque, avec un vent faisant frémir la surface de l’eau noire, sur laquelle se reflétait les quelques lumières crues, éclairant encore très faiblement le navire. Dans ces halots de lumière, je regardais les bulles se former, les voyant immédiatement éclater. Je sentais vibrer sous mes pieds, les tôles d’acier du pont. Non ! Ce n’était pas moi qui tremblais. Jackkie, son épaule contre mon épaule gauche, essuya son front, et repoussa une mèche de cheveux trempée qui venait lui masquer la vue.

- Ta robe est mouillée, dis-je, l’attirant par les épaules, loin du bastingage. Elle frissonna sans ne rien répondre, ses yeux venant  épouser les miens.

- Je ne m’en suis même pas aperçue, dit-elle enfin, alors que pour l’abriter, je la repoussais pas à pas, dos contre la paroi, me collant contre son corps.

- Que…, nous reste-t-il ? Combien de temps encore, parvint-elle à murmurer.

 Mes doigts s’égarèrent fébrilement entre ses cheveux, la caressant tendrement, avant que nos lèvres se joignent, pour un baisé ardent. Au bord du manque de souffle, nous avons rompus le combat, nous serrant mutuellement de toutes nos forces.

- Je vais me donner à fond, à mon travail à l’infirmerie, murmurât-elle, cherchant à se convaincre que ce serait remédiant. Je ne t’attendrais pas, car je suis certaine que tu reviendras vite. Que ce cauchemar, finisse ! J’ai appris… Soumaya…

- Quoi Soumaya ?

- C’est merveilleux, tu sais ? Elle croit bien qu’elle attend un enfant, dit Jackkie, assez surexcitée. Tu te rends compte un peu ? Je suis heureuse pour elle, si tu savais !

- Je vois ça en effet, dis-je, l’esprit ailleurs.

« André, va être papa ! Voyons de quoi, demain sera fait » !

Jackkie, fit du regard, un tour d’horizon rapide, de cette coursive extérieure.

- Personne ne viendra nous surprendre, dit-elle, avec une voix enrouée par l’émotion. Tout le monde, est bien trop occupé aux préparatifs, de… de… Je ne veux pas y penser, se refusât-elle d’aborder, le sujet qui la préoccupait. Fais-moi l’amour !

Je restais estomaqué, et sans aucune réaction, un court moment.

- Ne me regarde pas, comme si tu me voyais, pour la toute première fois. Fais-moi l’amour ici, sans plus attendre !

Sa détermination, à ce que j’accède à son désir, se lisait dans ses yeux qui venaient de se liquéfier. Elle releva les bras lentement, les faisant glisser contre la paroi, paupières closes. Sa poitrine aux rondeurs délicieuses, s’offrit au travers de sa robe. Avait-elle prévue, cet instant ? Je me rendis très vite à l’évidence qu’il ne pouvait en être autrement, lorsque mes mains tremblantes, remontèrent le pan de sa robe, jusque sur ses hanches, parsemées de chair de poule. Ce contact d’une douceur infinie, et cette chaleur sous mes doigts, le parfum de ses cheveux, celui de son corps de femme en émoi, tout cela contribua à provoquer en moi, un déferlement de désir. Mes doigts enserrèrent ses poignets, alors que nos lèvres enfiévrées s’unirent fougueusement, jusqu’à nous couper le souffle. Nous n’en étions plus, à la simple perception des dispositions matérielles, mais à celle, de la recherche d’une loi physique que l’être humain, voudrait avoir le pouvoir d’accomplir, à l’instant de cette fusion charnelle. Ne faire qu’un seul être, de deux corps. L’on s’y efforça, de très longues minutes, avant de ressentir une homogénéité, assez ressemblante, à ce que nous désirions atteindre. A l’instant de l’apogée, ses dents, s’enfoncèrent dans la chair de mon épaule, alors que ses bras, sous la conduite de mes doigts, glissèrent sur la paroi, pour former une croix. Une plainte déchirante, s’éleva dans la nuit, se perdant tel un écho, sur la surface de l’océan. Un cri d’amour, dans un monde de haine…

 

23 : 00.

 

Mon petit groupe d’amies, entourant ma femme qui s’efforçait à sourire, bien que je lise de l’effroi dans ses yeux, s’étaient contentées d’un geste d’adieu de la main, alors qu’atteignant le bas de l’échelle de coupée, j’embarquais sur l’annexe. Je préférais ça, à des effusions larmoyantes. Mais lorsque je mis les pieds sur cette île, composée uniquement de sable fin à perte de vue, et de quelques bosquets de palétuviers épars, je devins imperméable, à toutes formes d’atteintes extérieures. Je fis venir autour de moi, les chefs de groupes, sous la bâche de l’annexe, au centre de laquelle l’on pouvait voir, une bulle de concentration d’eau de pluie qui perlait au travers. Gringoire donna ordre à deux fusiliers, d’inspecter l’île. Mais nous étions convaincus, d’être seuls.

- Fischetti, et Landu ! Vous n’aurez pas plus de cinq secondes, pour viser, et tirer. Ce sont des ogives perforantes, dis-je, désignant la caisse de munitions. Leur poids, définit leur vitesse de propulsion qui est de l’ordre, de 11 secondes, pour un kilomètre. Vous devrez ouvrir le feu, à la distance de deux cent mètres.

- Légèrement plus de deux secondes, avant que l’ogive atteigne la cible, Capitaine, dit Fischetti.

- Bien, alors ! Conservez ça en mémoire. En plus, je vais vous demander de concentrer vos efforts, sur des points précis de la passerelle que vous devrez, à tous prix, atteindre. Vous viserez les deux baies vitrées, des extrémités. Je veux un effet… paralysant. Mais, pas essentiellement, tuer l’ensemble des officiers. L’objectif recherché, n’est autre qu’ils stoppent les machines. Voilà la raison pour laquelle, j’ai fait le choix de munitions perforantes. Vous m’avez bien compris ?

- Nous ferons de notre mieux, Capitaine, dit Landu. Mais, perforantes ou pas, Capitaine, ces ogives, font de sacrés dégâts. Vous n’avez jamais vu un char, transpercé par ces trucs ?

- Non, en effet, Landu. Je suis, un bureaucrate ! Mais… Je vous fais confiance. Pour les autres ! J’espère que vous n’aurez pas, à défendre âprement vos vies. Je ne prie jamais, mais je vais faire une exception en cet instant, pour qu’il n’y ait que très peu de pertes, parmi vous. Je ne veux, aucunes exactions inutiles ! Nous ne prenons pas ce navire, pour assouvir une quelconque vengeance. Nous agissons dans le bien fondé, d’une vision polarisé, à titre de leçon de savoir-vivre qui parait-il, évitera un embrasement généralisé.

- Vous ne paraissez pas très convaincu, Capitaine, dit Paul Declercq, m’offrant un sourire ironique en coin.

- Mon cher Paul, entre ce que nous ne sommes qu’en mesure d’imaginer, et ce que les autres, ont dans la tête, il existe un gouffre infranchissable, enveloppé de ténèbres. Nous devrons attendre le résultat de nos actions, pour nous faire une idée claire. L’ordre nous a été donné de prendre ce Bandit, avec un minimum de casse. Nous obéissons, en nos âmes et consciences. Mais chacun d’entre nous, possède le droit d’émettre des doutes quant au résultat final. C’est ça, la démocratie, Paul !

Ils rirent tous, sous cape.

- Maintenant, repris-je, concentration sur les objectifs, à atteindre, pour chacun de vous. Repassez-vous sans cesse, les images, de ce rafiot que les américains, nous ont fait parvenir. Tachez d’éviter, les cafouillages. A compté de cet instant, vous êtes à bord de Bandit3. Fermez les yeux, et dirigez-vous en imagination, vers vos points respectifs. Silence ! C’est parti, vous y êtes !

Les hommes se choisirent un petit espace, pour méditer. Une bonne demi-heure plus tard, Paul Declercq vint s’asseoir près de moi, m’offrant une cigarette, avec un sourire débonnaire.

- Vous êtes un bon officier, Max, dit-il, tirant une longue bouffée de sa clope, avant de rejeter la fumée en redressant la tête. Le vent, vient du Nord, me permît-il  ainsi de me faire à l’idée.

- Courants Sud ?

- Courants Sud, Max !

- Il faut tenir compte de la dérive, Lieutenant Sotis, dis-je à l’officier pilote.

- Je suis en train, de faire mes calculs, Capitaine. Nous allons tracer très légèrement vers l’Est, avant de foncer plein Sud. Nous lui arriverons dessus, comme si nous allions lui couper la trajectoire, avant de bifurquer brutalement à l’Est, et ainsi, l’aborder un quart avant tribord. C’est là que je ferais ouvrir le feu, à la mitrailleuse de proue.

- Balayez-moi le pont de proue, et les superstructures frontales du château. Je ne veux pas voir, une tête ennemie hors des bastingages. Pourquoi la mitrailleuse arrière, Sotis ?

- Pour le cas que nous devrions effectuer un second passage, Capitaine. Si je dois lui tourner le cul…  

- Oui ! C’est bon ça ! Mais, c’est hors de question ! Le premier passage, doit être le bon. Nous avons encore une bonne heure, à attendre ici. Puis nous aurons encore une demi-heure, d’attente en mer.

- Je me charge de la dérive, Capitaine, dit le pilote, comprenant ma pensée.

- Bien ! Allez donc vous mettre à l’abri, sous votre kiosque, et tenez-vous prêt. Au moindre crépitement du télescripteur, on fonce !

- Bien Capitaine.

- Alors, mon cher Paul, vous pensez sincèrement je le sais que je suis, un bon officier ?

- Séance, de concentration ! On pense à l’objectif, et pendant ce temps, on ne pense plus à la peur. Nous en apprenons à tous les âges, hein ?

- Sans indiscrétion, Paul. Quel âge, avez-vous ?

- Je fêterai mes quarante-deux printemps, en juin prochain.

- De Dieu ! Vous en paraissez, dix de moins ! 

- Eh bien merci, Max ! J’ai eu une vie paisible, jusqu’à ce que tout s’écroule brutalement. Le sport ! J’étais adjoint aux sports, dans la régulière.

- Chasseurs Alpins ! Les igloos à moins quinze degré, ça vous conserve un homme.

- Oui ! J’ai choppé quelques engelures sévères aux pieds, et aux mains, dit-il, me montrant des tâches brunâtres sur ses doigts, en rigolant. Essayez de tirer au fusil, avec des moufles, vous m’en direz des nouvelles, lorsque vous-vous rendrez au pas de tir.

Je dus, en convenir.

- Combien, d’années de service ?

- Quinze ans, et six mois, Max. Il jeta sa cigarette par-dessus bord, en allumant aussitôt une autre. Ce truc va me tuer, dit-il en ricanant. Une autre ?

Je refusais, d’un geste de la main.

- Comment est-ce arrivé, Paul ?

Il me regarda longuement, sourcils froncés, comme s’il réfléchissait à l’utilité, de répondre à cette question.

- Tout a basculé, dans ma vie. Bah ! Il fallait bien que cela arrive un jour. C’était déjà programmé, si l’on se réfère à l’histoire dans toute sa longévité. Vous avez vu mon dossier, n’est-ce pas ?

- Oui ! Je crois me souvenir, d’avoir lu sur votre dossier, la raison de ce…

- Cette glissade, sur une plaque de fond, Max, dit-on dans le jargon des Chasseurs Alpins. Il faut rester dans le cadre de vues. Un divorce qui tourne très mal.

- Je sais ! Vous avez tiré sur l’amant de votre femme qui n’était autre que l’un, de vos officiers. Le Tribunal Militaire, s’est démontré… magnanime ?

- Cinq ans de prison, avec sursis. Par bonheur, dans ma colère aveugle, j’ai mal visé, le blessant assez grièvement. Mais, il n’est pas mort ! Paradoxe de l’histoire, il fut mon témoin à décharge. Il me devait bien ça, non ? On m’a renvoyé de l’Armé ! J’ai trainé la savate, durant un temps, dans ma ville. Je suis de Bordeaux, mais vous le savez, n’est-ce pas ?

- Oui !

- J’ai fini clochard ! Connaissez-vous le Lieutenant-colonel Claude Del Aguilà ?

- Non ! Ce nom, ne me dit rien.

- Hum ! Il est au SDECE. Un proche parent, de vos services.

- Ah oui ! Je vois ça !

- Je ne sais trop pourquoi, il s’est intéressé à mon cas. Il m’a fait rechercher, par les services de police. Tenez-vous bien ! Recherche, dans l’intérêt des familles, précisât-il, en riant doucement. D’un commissariat de l’aéroport où je créchais, je me suis retrouvé en centre de désintoxication alcoolique, durant cinq semaines. Et puis, ce bonhomme est venu me rendre visite, assez fréquemment. A ma sortie, il m’a présenté à Franck Mahersen. Et voici votre bonhomme, le cul posé sur cette banquette.

- Si Dieu existe, il a guidé votre main, avant de guider vos pas.

- Ah les femmes ! Allez donc savoir, ce qu’elles ont dans la tête ! Je ne me suis jamais cru parfait, loin de là ! Ce travail… L’Algérie… Vingt-huit mois, à Tizi-Ouzou, en petite Kabylie.  Je venais de me marier. Nous avons eus très vite, notre premier enfant, et je la fis venir à Alger. Mauvais souvenirs, croyez le bien. Mais cette fille…

Il observa un temps de silence, méditant sur ce qu’il devait en conclure.

- Quand on est jeune, amoureux, on ne voit pas ou alors, nous ne voulons pas voir, la réalité en face. J’avais vingt-huit ans. Elle était, mon premier grand amour. Et puis… J’étais militaire. De longues semaines passées dans les montagnes de Kabylie, à traquer les fellaghas.

- Elle vous… trompait ?

- Non ! Elle se… trompait ! En vérité, bien plus tard, le psychologue de couple que nous avons consulté durant un an, m’a dit qu’elle était vraiment malade, et que je devrais lui conseiller, de consulter un psy. Sa mère était maniaco-dépressive. Un peu l’influence familiale, un peu… très certainement un facteur génétique, les choses ont pris une ampleur phénoménale, avec le temps. J’étais l’excuse idéale, à tous ses écarts ! Il fallait bien que quelqu’un morfle, non ? Seulement, si au fond d’elle, elle cherchait ainsi à amoindrir ses fautes, une petite voix, lui remémorait sa culpabilité. Ce qui aggrava bien sûr, le dénie, voyez-vous ? Un refus farouche, d’assumer ses responsabilités, et la gravité de ses actes qui conduisaient, à la dégringolade de notre couple. Ceux qui ne savaient rien, la voyant si fragile en apparences, pensaient vraiment que j’étais, un monstre sans cœur ! Elle entretenait à merveille, cette… conviction qu’elle suggestionnait aux autres.

- Manipulatrice, hein ?

- A un point ! C’est impensable ! Jusqu’à calculer dire blanc, et faire noir ! Voyez-vous, lorsque vous désirez offrir à l’être aimé, toutes les couleurs basiques, et leurs nuances, pour embellir la vie, et que vous observez que cet être, vous contredit sur ce qui est évident ? Sur l’instant, vous vient à l’idée qu’il s’agit d’une maladie, connue sous le nom de daltonisme. Mais non ! L’objectif tracé par ce genre de femme, n’est autre que vous-vous sentiez très mal. C’est la spirale infernale, Max ! Plus vous-vous sentez mal, plus vous commettez des erreurs exploitables, par cet esprit tordu.

- Pourquoi, ne pas l’avoir abandonnée, Paul ?

- Ah ! La question à cinq francs ! Les enfants, Max ! Mes enfants ! J’ai une fille âgée de quatorze ans, et un petit garçon qui va avoir dix ans. On nous a enlevé nos photos, c’est dommage. Je ne m’en sépare jamais, d’ordinaire. Un jour, je ne sais trop pourquoi quelque chose, pète dans votre cerveau. Tout ce qui a une importance vous permettant de tenir le coup, s’évapore. Vous-vous voyez prendre une arme, la mettre dans votre ceinture, et sortir de chez-vous, comme si vous marchiez à côté de ce personnage qui n’est pas vous ! Une accumulation de ras le bol ! Vous entendez, les détonations dans vos oreilles, et sur l’instant, vous pensez avoir tout réglé. Si vous saviez, le soulagement que l’on ressent ! Mon forfait accompli, j’ai marché dans les rues de Bordeaux, comme si j’avais fumé, une dizaine de pétards. Quand la Police m’a arrêté, dans la voiture qui m’amenait au commissariat central, je n’ai pas cessé de rire. Tellement qu’ils m’ont expédié, chez un psy. Puis ! Ce fut le mutisme total. Je n’étais même pas soulagé, lorsque l’inspecteur m’a dit : « Il s’en sortira, vous avez une sacrée chance ». Ah oui ? Une chance, ai-je répondu, d’un ton narquois. Il ne s’en offrira pas, une autre !

- Vous avez dit ça ?

- Oui ! A haute voix en plus, ce qui a offusqué le flic qui prenait ma déposition, pour la…, je ne sais plus combien de fois. J’ai commencé à réaliser mon acte fou, à la prison militaire, pavillon psychiatrique où ils m’ont enfermé en observation, dit-il, riant à ce souvenir. Bah ! J’étais vraiment fou ! Aujourd’hui, je prendrais une valise et… j’irais visiter le monde ! C’est ce que je fais là, non ?

- Il est un peu restreint, question espace, notre monde. Qu’est-elle devenue ?

- Aux dernières nouvelles, elle habitait Paris. Les juges, lui ont accordé la garde des enfants. J’ai des nouvelles de ma fille, car elle voit assez fréquemment ma sœur. Moi, je ne les vois plus. Ils me manquent beaucoup.

- Ils reviendront, Paul, ils reviendront ! Laissez leur le temps, de grandir dans leurs cœurs. J’en sais quelque chose. Je n’ai connu mon père qu’à l’âge de 17 ans. Je peux vous dire que j’ai été déçu. Si je peux vous donner un conseil, laissez le passé de côté. Il appartient aux parents, pas aux enfants. Eux ce qu’ils veulent, se sont des actes, visant à rattraper le temps perdu. Mon père, voulut se justifier. J’ai éprouvé, moins de besoin de le voir.

- Je comprends bien le message, Max. Je prendrais grands soins, de ne pas me laisser emporter.

- Capitaine, intervint Sotis, message du Seko !

- Merci, Lieutenant !

Je pris le télex que je lus, à l’aide de la lumière masquée, de ma torche.

- Que dit le Commandant ? demanda Paul.

- Nous y sommes, Paul ! Bandit3 arrive sur nous à toute vitesse. Nous serons au contact, dans une vingtaine de minutes. Quant au Seehund, il est arrivé sur « point zéro » sans encombre, et se prépare à l’action. Lieutenant Sotis, interpellais-je le pilote. Conduisez-nous, sur la zone d’attente. Accusez réception, à « Autorithy » ! Transcrivez ! Il est, 00:43. Nous passons à l’attaque ! Message terminé !

- Reçu Capitaine, répondit le jeune pilote, rendu fébrile par l’imminence de l’action. Quelques secondes plus tard, les moteurs de l’annexe, vrombirent dans la nuit pluvieuse. Je me levais faisant de mon mieux, pour me tenir debout, alors que l’embarcation se cabrait presque, lancée à toute vitesse, sur de petites vaguelettes cassantes.

- Constituez vos sticks ! ordonnais-je aux chefs de groupes. Comme à l’entrainement, pour lancer les grappins ! Vérifiez, vos fusils à air comprimé. Particularité de ces filets ! Lorsque les grappins sont accrochés, on tire sur la cordelette blanche, afin que le filet monte comme un rideau, le long de la coque. N’allez pas oublier de solidement nouer les bouts. Du calme, et du sang froid ! Fischetti, et Landu ! Dès que l’annexe sera arrivée sur son point d’attente, vous sortez le matos. Les servants, munissez-vous de deux munitions chacun. Sait-on jamais !

- Reçu, Capitaine, cria Landu.

- Bien ! Vérification de l’armement. Vous avez cinq minutes. Pour les croyants, faites une prière ! Mais je vous conseille, de prier tout le temps. Sait-on jamais, si Dieu n’est pas en bikini sur une plage de la côte d’Azur, il pourrait bien vous entendre.

Quelques ricanements étouffés, fusèrent.

-  Maintenant, on se fixe sur notre mission. Je souhaite que nous-nous retrouvions tous à bord du Seko, pour fêter, non la victoire sur un ennemi, mais la victoire sur la mort. En attendant, bonne chance à tous.

- Bonne chance Capitaine, dit Paul, se faisant le porte-parole de ses hommes, me tendant sa main que je j’enserrais amicalement.

 

01 : 05.

 

- Entendez-vous, Capitaine ? me murmura le Lieutenant Sotis.

- Vous êtes marin, Lieutenant. Divulguez-moi très vite, votre appréciation.

- Je dirais à l’oreille que bandit3, est à moins de six cent mètres, au Sud-est.

- Moteur ! On passe à l’attaque ! Fischetti, Landu, tenez-vous prêts.

- Servants de mitrailleuses, armez ! cria le pilote, avant de lancer son moteur.

- Vous deux ! ordonnais-je, à deux de mes fusiliers. Accroupissez-vous derrière les tireurs de L.R.A.C et tenez-les fermement par les hanches. Ne redressez pas vos têtes, et collez les, sur leurs popotins !

Les deux hommes comprirent immédiatement, ce que j’attendais d’eux. Ils stabilisèrent les tireurs, avec poigne.

- Attention à l’ouverture du feu, cria très fort le Lieutenant Sotis, à son mitrailleur de tête.

- Vous avez entendu, vous deux ? hurlais-je à Fischetti, et Landu. Ouverture du feu, à mon ordre !

Les servants levèrent la main, pour toute réponse, informant ainsi qu’ils étaient parés. Il ne se déroula pas plus de deux minutes, avant que subitement, la proue du navire, crève la nappe de pluie, et que très vite, il se matérialise en entier.

- Feu ! hurla Sotis !

- Angle de tir ! criais-je, en direction des deux tireurs au L.R.A.C. (Lance-roquette anti char)

- Chargez ! crièrent-ils simultanément aux servants.

- Attention à la trainée de flammes, ordonnais-je à mes hommes.

- Parés, cible verrouillée dit Fischetti.

- Cible verrouillée, dit à son tour Landu.

- Feu ! Ordonnais-je.

Les deux engins mortels, crachèrent leurs ogives, sans que leurs porteurs, ne subissent trop l’effet du recul. J’avais eu une soudaine inspiration qui semblait, avoir porté ses fruits. Durant ces quelques secondes, l’esprit préoccupé par la tâche à accomplir, je n’avais même pas porté attention, au crachotement saccadé de la mitrailleuse avant. C’est en levant les yeux sur le navire que je me rendis compte qu’il encaissait les impacts des balles traçantes qui frappant ses superstructures, les illuminaient en ricochant. Deux fortes explosions venaient de se produire, alors que Sotis, virait au sud à toute vitesse, dans un large arc de cercle, conduisant l’annexe, en parallèle de bandit 3, avant que le pilote, vienne serrer sa coque, se maintenant à bonne distance, toujours à pleine vitesse.

- Parés aux grappins ! hurlais-je l’ordre, alors que la masse noire, et impressionnante du navire, se rapprochait dangereusement.

- Un quart tribord avant, Capitaine, s’égosilla Sotis, avant d’inverser le moteur. 

- Lancez, les grappins ! ordonnais-je.

Quatre fusiliers, armés de fusils à compressions d’air, visèrent les bastingages, pressant les détentes en même temps. Les grappins s’élevèrent dans les airs, retombant lourdement sur le pont, avec un bruit sec, et métallique. Les hommes tirèrent sur les cordes, jusqu’à ce que les croches, se fixent au bastingage. Puis ils firent de même, avec les cordelettes blanches. Le filet monta rapidement le long de la coque, avant que les hommes nouent les bouts solidement, à des bites d’amarrages.

- Stabilisé ! m’informa Sotis.

- Assaut ! ordonnais-je, grimpant à toute vitesse, en prenant bien soin, d’enfoncer correctement les bouts de mes brodequins, dans les mailles, pour ne pas chuter. Lorsque je pris pieds sur le pont, mon 44 en main, mon premier souci fut de vérifier l’état de la passerelle. Une fumée noire s’en échappait, mais je n’eus pas vraiment le temps de m’attarder sur les dégâts. Quelques coups de feu éclatèrent, arrivant en provenance du pont supérieur. Je courus me mettre à l’abri, derrière le panneau de cale avant, faisant signe à mes hommes qui à leur tour, prenaient pieds sur le pont, de faire de même. Mon stick rassemblé, je n’attendis pas les autres, pour entamer ma progression.

- Un seul tireur ! m’informa le Caporal Jensen qui gravissait, courant accroupis, les escaliers conduisant au pont supérieur. Il me rattrapa, très vite. J’entendis les ricochets de plusieurs autres balles, avant que Jensen, arrose le lieu présumé où se tenait le tireur embusqué. Maintenant, il vidait son chargeur à l’aveuglette, sur des ombres qu’il ne pouvait distinguer. Une volée de balles, vint nous conforter à l’idée que l’embusqué, n’était plus seul. Pourquoi, est-ce que mes oreilles bourdonnaient autant ? Je me sentis… léger ! La riposte de mes fusiliers, fut nourrie, et assourdissante. Je vidais mon chargeur, en direction des flammèches qui sortaient des canons des fusils de l’ennemi. Je rechargeais en vitesse, rampant en direction du château. Quatre grenades anti personnelles, atterrirent sur l’emplacement, défendu par l’équipage de « bandit3 ». Jansen rampa, venant me rejoindre.

- Nettoyé ! dit-il. Je reçus le message, ne voulant aucunement m’attarder, sur ce qu’il impliquait de lugubre. Tous ensembles, on se plaqua contre la paroi frontale du château. Ian Kowalski, venait d’apponter à la tête de sa section. Sur ma gauche, il y avait une échelle soudée contre la paroi, grimpant jusqu’au niveau de la passerelle. J’évaluais la hauteur, à huit bons mètres. Si ça recommençait à tirailler, nous allions devenir des cibles de choix, me dis-je.

- Vous deux, désignais-je des hommes. Nous grimpons, vous nous couvrez ! Sans attendre leur réponse, j’entrepris la grimpette. Arrivé aux derniers échelons, je passais la tête par-dessus le parapet, avec une extrême prudence. La fumée qui sortait de la passerelle, me provoqua l’envie de tousser. Mais, dans l’instant elle me protégeait. Toutefois, rien ne s’opposa, à ce que je saute de l’autre côté, de ce parapet d’acier. Je me bouchais le nez avec le col de mon caban marin, pour ne pas respirer trop de fumée. Plus rien, ne remuait dans la passerelle. Mon révolver braqué à bout de bras, j’y fis irruption par la porte coulissante. J’assistais à une véritable désolation. Toute la partie arrière du poste de Commandement, avait été emportée par les explosions. Personne, n’avait survécu, à l’intérieur. Jensen, vint me rejoindre. Yeux écarquillé, il demeura un court instant silencieux.

- Nous y sommes allés un peu fort, non ? dit-il enfin.

- On progresse, Jensen ! Ce n’est pas terminé ! éludais-je, sa réflexion, émise à haute voix.

Une fusillade éclata. Quelques balles, vinrent ricocher sur la paroi de la passerelle, où je me trouvais. Je venais d’être encadré. Jensen, m’avait donné une poussée dans le dos qui m’avait propulsée au sol. Si j’étais resté debout sur mes jambes…

«  Bon Dieu ! Il s’en fallait de peu » !

Mes hommes qui venaient de nous rejoindre, tiraillèrent à tout berzingue, en direction des quelques combattants qui occupaient, le pont des embarcations du cargo. Devant le feu nourri de mes hommes, ils optèrent pour une retraite prudente, en direction de l’intérieur du navire.

- Ils se retirent, Jensen ! On prend possession du pont des embarcations. Objectif atteint.

- Reçu Capitaine. Bon Dieu ! Mais vous saignez du bras gauche ?

- Je viens de morfler, dis-je. J’ai senti l’impact, mais je ne souffre pas.

- Laissez-moi voir ça… dit-il, se précipitant auprès de moi. Je m’adossais contre la paroi, posant un regard inquiet, sur l’impact de balle qui avait arraché, un large morceau de tissu de mon caban, d’où s’échappait un flot de sang.

- Pas maintenant Jensen, pas maintenant, tentais-je de persuader mon Caporal.

- Vous perdez trop de sang, Capitaine. Je n’en ai que pour quelques secondes. Vous autres, ordonnât-il aux hommes, continuez la mission. Je ne tarderai pas, à vous rejoindre. Mais ils hésitèrent, restant figés sur place, en protection.

Immédiatement, Jensen,  arracha la manche du caban, après l’avoir découpée avec son poignard, aussi tranchant qu’une lame de rasoir, puis il s’attaqua à celle de la chemise.

- Bon Dieu ! Vous avez l’os brisé. Vous ne souffrez pas, avez-vous dit ? Ce doit être, l’onde de choc. Vous avez été comme assommé. Je vous avertis que maintenant, si je ne fais rien pour vous soulager, ça va faire mal. Il cassa une ampoule injectable de morphine, et enfonça l’aiguille, dans le gras de mon bras.

- Mais… Bon Dieu !  Que faites-vous là, Jensen ? hurlais-je outré.

- Ce que je dois faire, Capitaine. Vous en avez morflé deux ! Regardez, votre soulier !

Je baissais les yeux. Sous mon pied droit, s’étendait une flaque de sang. Jensen me força à m’asseoir, retirant le soulier, avec de grandes précautions. Puis il déchira deux enveloppes de pansements compressifs, les collants en hâte, sur mon épaule, et sur le pied.

- Elle a traversé le pied, Capitaine. Vous êtes un drôle de cas, vous ! Je me serais évanoui moi ! La morphine va faire son effet. Restez-là hein ? C’est terminé pour vous.

Ce dont je me souviens, c’est que j’ai posé mon révolver, sur le pont détrempé de pluie, et qu’un violent frisson, s’accompagnant d’une soudaine nausée, s’emparèrent de moi. Bon Dieu, ce qu’il faisait froid, subitement.

- Paul Declercq, prend le Commandement, ordonnais-je à Jensen, accroupis devant moi.

- Reçu, Capitaine ! Le fusilier Balbi, restera près de vous, dit-il. Nous allons vous transporter, loin de cette fumée, près des chaloupes.

- Ne perdez pas de temps, dis-je, faiblement.

Il ne répondit pas. Je me sentis soulevé du sol, par des poignes de fer, et transporté tel un vulgaire sac de patate, avant qu’enfin, l’on me dépose sur le sol, sous une embarcation. Jensen ôta son caban, le posant sur ma poitrine, me recouvrant jusqu’au cou. Il rajusta ma casquette sur ma tête.

- Je vous fais évacuer, dès que ce sera possible, dit-il, avant de se lever, et de disparaître.

Ce fut soudain ! Ma vue se brouilla, je ne vis plus alors, que des images spectrales, des hommes qui suivirent Jensen, comme dans un film, passé au ralentis. Et puis… plus rien.

 

 

17 mars 1972, 18 : 00.

 

 - Il ouvre les yeux, entendis-je une voix qui résonna dans ma tête, me provoquant une immense nausée. Des bras chauds, entourèrent mon cou, m’aidant à me pencher, ce qui me déclencha une douleur phénoménale dans tout le corps. Je vomis dans un haricot, tenu sous mon menton. Ma gorge, brulait d’aigreurs, et mes lèvres, étaient sèches comme de l’amadou.

- C’est bon signe, dit une autre voix, sans que je parvienne à lui attribuer clairement un visage, lorsque je me fus vidé, et qu’avec beaucoup de délicatesse, ces deux bras, m’aidèrent à reposer ma tête sur l’oreiller.

- Mon Dieu que j’ai eue peur, mon amour, me murmura cette voix, me provenant d’un univers lointain, me semblant ne pas être le nôtre. Quant aux bras qui m’enlaçaient avec une infime précaution, sortant pas à pas du sommeil artificiel provoqué  par les calmants, bien que ma vue soit encore brouillée, je sus immédiatement à qui, ils appartenaient.

- Alors ma biche ? Tu nous fais des frayeurs, comme ça ?

- André ? Tu es déjà là ?

- Ah ! Il m’a reconnu, dit-il. Non ! Nous sommes tous deux, au Paradis. Tu n’entends pas, le mélodieux chant des anges ? C’est un concert qui est réservé, aux arrivants.

- Je suis entre les bras d’un ange, alors ?

- Voilà ! J’en connais une qui si elle sait ça, elle va faire un chahut de tous les diables, de jalousie, lorsqu’elle viendra te rejoindre.

- Fais pas ch… André ! Je n’ai pas encore, le cœur à rire.

- Dix-sept centimètres plus à droite, et tu n’avais plus de cœur du tout, dit-il.

- Où en est, l’opération ?

- Il y a deux jours que tu as été opéré, répondit André, avec son humour habituel.

- Deux… je suis resté endormi, tout ce temps ?

- Plains-toi ! Ce sont les copains qui ont fait, tout le travail. C’est bon ? Tu émerges ?

En effet, je reprenais totalement conscience. Soumaya était là, debout à la droite du lit, aux côtés de son mari, m’adressant un resplendissant sourire de bonheur. Jackkie, assise sur le côté droit, au plus haut du lit, caressait mes cheveux en silence, son front posé sur ma tempe.

- Parle-moi de ta…, De ce qui s’est passé, à Hainan, demandais-je, à mon ami.

- Tu ne veux pas attendre demain, s’inquiéta ma femme, avec une voix, entrecoupée de sanglots.

- Je veux tout savoir ! C’est important.

- Eh bien ! entama André, je n’ai pas attendu le nouvel an chinois, si tu veux tout savoir ! Mais ils en ont eu, un avant-goût ! Question feux d’artifices, je peux te dire qu’ils vont en avoir très longtemps, un souvenir des plus amers ! Les deux bandits, obstruent l’entrée du port de Dong Fang, désormais. Et crois-le bien qu’il leur faudra de longs mois, pour débarrasser de leur vues, ces carcasses encore fumantes, à l’heure que je te parle. Le tout, en douceur et… grandes profondeurs. Nous avons abandonné le Seehund, à quelques encablures du récif 443 B. Une équipe de la navale, viendra le récupérer, dès que le calme, sera revenu dans les parages.

- Où, sommes-nous ?

- Nous filons vers les philippines, m’apprit-il.

- Le plan a changé ?

- Première étape, a considéré l’amirauté du Pacifique Sud. Figure-toi que nous sommes, très activement recherchés. Nous allons à Davao, île de Mindanao. Nous y serons à l’abri, le temps que les jaunes, nous aient oubliés. Ce n’est pas demain la veille, crois-moi ! Alors, nous allons trainer la savate, un bon moment, sur cette île paradisiaque.

- Et bandit3 ? Mes hommes ?

- Hum ! L’opération a été un franc succès. Il y a eu quelques ilots de résistance, très sporadiques. Ton plan, a fonctionné à merveille, et tes hommes, se sont démontrés à la hauteur, de toutes tes espérances. Tu es le seul blessé ! C’est miraculeux ! Ton Caporal-chef… Gringoire, c’est ça ?

- Oui !

- C’est lui qui a essuyé le plus de résistance, dans les alentours de la salle des machines. Les autres, n’étaient même pas armés, et ne s’attendaient aucunement à une attaque aussi brutale. Ils se sont très vite rendus. Mais il y avait une quinzaine d’irréductibles, à bord. Eux, ils firent leur devoir. Tu leur dois, ces vilaines blessures. Tu postules, pour la croix de guerre ?

- Je vois ! Où, est Paul ?

- Il vient de partir, voyant que tu dormais encore comme un bébé. Ce fut le défilé ici, pendant que tu en écrasais. Le Commandant, nos collègues Ian, et Jean-Luc, Julian Stinneng, Dan, et Carroll, bref ! La liste est longue, de ceux qui voulaient te veiller. Je fus le seul qui me soi rendu dormir, car je savais que tu ne me ferais pas le sale coup de clamser, avant que je récupère. Eh bien, tu vois ? J’avais parfaitement raison.

- Pas de survivant, sur la passerelle de commandement de « Bandit3 » ?

- Hum ! Toi ? Tu ne changeras jamais, hein ?

- Reposes-toi chéri, maintenant, dit Jackkie, retirant ses bras, pour arranger mon oreiller. Demain, tu auras bien repris des forces, et tu pourras interroger tes amis. C’est fini, maintenant. Nous allons arriver, à Mindanao. Tu seras transporté à l’hôpital américain, où l’on te bichonnera. Je serais ton infirmière, hein ? Je ne veux que personne d’autre que moi, te touche. Tu es d’accord ?

- En douterais-tu ? répondis-je, ressentant une vive douleur au bras qui me fit grimacer. Je regardais le pont que formait l’arceau sous le drap, me remémorant que le pied aussi, avait morflé.

- Tu as eu beaucoup de chance, dit Soumaya qui avait suivi mon regard. La balle, a traversé les cartilages. Fuller, a fait des merveilles, pour que tu marches à nouveau. Quelques semaines de soins, une bonne rééducation fonctionnelle, et… peut-être que tu ne boiteras, même pas. Heureux ?

- Tu parles ! Je sors, par la petite porte ! Moi qui m’imaginais, pouvoir participer au défilé du 14 juillet, avant de tirer ma révérence… Bon ! J’y assisterai en fauteuil roulant ? A quand le défilé des éclopés, sur les champs Elysée ?

- Patience, mon pote ! La guerre froide a encore de beaux jours devant elle, dit André, le philosophe visionnaire. Qui sait même, si elle ne se réchauffera pas, de façon impromptue ? Nous les comptabiliserions par milliers, les vétérans éclopés, de cette confrontation sans précédent. Ceux de 14, vont disparaître, ceux de 39, les suivront de près. Tu crois vraiment que nos politiciens, se passeraient volontiers des commémorations aux morts ? Allons, allons ! C’est leur image de marque électoraliste qui en prendrait, un sacré coup où je pense. Alors, comme je viens de te le dire, patience. Tu défileras un jour prochain, si ce n’est, ce 14 juillet qui vient.

- Tu me redonnes, de l’espoir ! Je serais grand-père, d’ici là !

- Oui ! Qui a écrit cette citation ? Voyons !

« Personne n’est assez insensé, pour préférer la guerre à la paix. En temps de paix, les fils ensevelissent leurs pères, en temps de guerre, les pères ensevelissent leurs fils ».

André, récita cette citation, avec une expression sur son visage poupon que je ne lui connaissais pas.

- Hérodote, répondit Jackkie que Soumaya, attira entre ses bras, la berçant tendrement.

- Je crois bien que nous venons de sortir, de la saison des tempêtes, murmura ma femme d’une voix absente, son regard, se perdant au-delà du hublot.

Un immense soleil d’un rouge sang, semblait vouloir se noyer, dans la profondeur de cet océan.

« Rien, n’est plus incertain »…

FIN… 


03/12/2013
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Cordialement, M.Galdi. 

 


02/12/2013
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CITATIONS

 

 

En temps de paix, il est permis de penser qu'il serait légitime de tuer quelqu'un que l'on déteste. En temps de guerre, l'on tue des êtres, que l'on pourrait aimer... Là est toute la différence...   A bien méditer...

 

« Si c’est l’enfer sur terre, la faute revient à l'humanité dans toute sa splendeur. Attribuer la faute à l'un, plus encore qu'à l'autre, c'est déjà une erreur... Tous les fautifs, ont toujours raison. Et la raison, n'appartenant à personne, se moque bien de se voir attribuée, à l'un ou à l'autre, tirez en conclusions ».

 

« Dire la vérité à un menteur, c’est équivalant à faire l’aumône à un riche ».

 

« Après avoir traversé un océan de larmes, nul n’apprécie plus le goût du sel ».

 

 

Dieu commanda aux hommes, "soyez bons". Mais un problème de dyslexie, peut-être de surdité, leur fit entendre, "soyez cons". Depuis lors, ils s'y appliquent...

(Non, non ! Je m'inclus dans le lot)

 

N’est utopique que ce que nos esprits renoncent à rendre réalisable…

 

Maurice Galdi 14 août 2013.

 

Décalage de l'espace-temps, voyant se profiler le bonheur dans une autre dimension, comme si j'étais dans le miroir, et non son reflet...

 

Le choc des mots, venant percuter les pensées, dans l’ère de repos…

 

Se surpasser d’orgueil, c’est tomber de plus haut.

 

Ceux qui veulent les guerres, ne vont jamais aux dons de sang. S'ils en voyaient la couleur, la guerre leur ferait peur...

 

La vérité pure, s'exprime dans les yeux terrifiés des enfants. Dans les paroles des sages, pas toujours des savants...

 

Maurice Galdi. 

 


27/11/2013
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BEURK…

Le rêve d’argent, de puissance, de gloire, mon esprit le pourfend. Il n’est en ce monde cauchemar plus terrifiant, que celui d’être exposé sous ces projecteurs rotors,  te suivant pas à pas, faisant de ton être un prince de lumières, sans que nul spectateur, ne sache ou ne comprenne, que ton cœur lui, gémit de souffrance, au plus profond des ténèbres. Le clown retrouve la tristesse, dans sa loge d’un soir, lorsque tombe le masque, surgit le désespoir. Donner le change en version de bonheur, le spectacle s’arrête, et l’artiste est en pleurs, il offre du plaisir, à des êtres sans cœur.

Je redoute l’arène où se livrent combats, les Olé,  Ave César, les Sieg Heil de bâtards, et tous les avatars accompagnant ces leurres, qui au final, conduisent l’humanité au pire de ses malheurs. Le taureau est à terre, son sang vif se répand sur le sable doré d’une arène envoûtée, des femmes en pamoison, la larme à l’œil, s’arrachent le chignon, pour ce pantin efféminé aux habits de couleur. J’abomine le pouce qui se dresse, celui qui se baisse, l’humain se rabaisse à  offrir sa vie, à de monstrueuses altesses, assoiffées de son sang, en quoi voir en cela, la plus infime noblesse. Je hais et je déteste, ce fascisme grotesque, ces êtres humanoïdes, se donnant l’apparence d’être, incarnations vivantes de ce que la nature exècre. Leurs pensées, leurs mots sans cesse rabâchés ne sont que mixtures amères, qu’ils voudraient nous faire avaler, comme étant du miel mélangé à du lait…

A tout cela mon cœur n’aspire, qu’à un froid igloo perdu sur la banquise…   

 

Maurice Galdi. 30 octobre 2013. 


27/11/2013
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TRANSLATION D’AMOUR

Agréable frisson, délicieux présage, translation du sens caché, de tes mots les plus sages, délectation de l’imagination, la voici qui voyage, vers des creux et des monts, où je trouve passage, mes mains tremblent sur ton corps, mes doigts électrisés, sur tes formes s’attardent, tes yeux, ô mon dieu, tes yeux, sont ceux d’une biche apeurée, l’appel du loup tu ne l’entends, mais de tout ton être, tu le ressens, ta tête sur mes genoux, étendue indolente, ce corps ne sait plus, s’il doit s’offrir ou se défendre, il se fait tendre, et tantôt se dérobe, comme en un sursaut, ayant peur de l’opprobre, mais il est bien trop tard d’y penser, tu mors tes lèvres enfiévrées, elles prononcent enfin des mots insensés, que jamais tu ne crus possible qu’ils sortent un jour, de cette bouche avide de baisés, bien trop souvent soumise, tant de fois délaissée, à l’amour promise, pieuses étaient tes pensées, mais toujours incomprise, tu finis par lasser, t’abandonnant au rêve pour ne point trépasser, la vie est un délire, ta tête un vire-vire, manège qui jamais ne connait le repos, la fête foraine s’est établie en ton cœur, fixant ses chapiteaux, et tu en es la reine, j’ai compris, je te prends, là-haut sur le grand huit je t’entraîne, nous sommes deux enfants, nous voici les amants du monde des elfes, des fées des enchanteurs, de petites filles enrubannées aux robes colorées, et aux grand yeux rieurs, d’animaux chateurs de berceuses romantiques, berçant tes sommeils, où le cauchemar se voit emprisonné, sévèrement gardé par un ours un renard, et un putois zélé, qui s’amuse taquin à lui faire payer, de t’avoir si longtemps perturbée, mais là, tu sors du rêve, te voici transportée, transformée et aimante, tes lèvres chaudes si ardentes, ne se refusent plus, et tes dents blanches comme l’ivoire, croquent au fruit défendu, honnissant qui mal y pense, et les hommes imbus de leur toute puissance, ayant écrit des mots impurs, pour soumettre la femme, et en faire un pêché universel, un objet sexuel, notre amour les exclus, sa force les renvoie enchaînés et reclus au tréfonds de l’enfer, priant de toutes nos forces, qu’ils soudoient Lucifer, et que ce dernier leur pardonne, d’avoir dérobés ses formes…

 

Maurice Galdi. 30 octobre 2013

    


27/11/2013
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